DES
PÈRES DE L’ÉGLISE GRECQUE ET LATINE,
OU
SUITE DES APOLOGISTES LATINS.
TERTULLIEN.
IX. LIVRES CONTRE HERMOGENE ET LES VALENTINIENS.
Ce sont deux traités distincts. Nous ne les réunissons qu’à cause de l’identité de la matière. Ils seront plus utiles au philosophe qu’au prédicateur.
Hermogène prétendoit, avec les stoïciens, que la matière étoit éternelle; que le mouvement lui étoit adhérent; et que Dieu, qui les avoit trouvés préexistans, s’en étoit servi pour créer le monde (1). Supposition absurde, que l’incrédulité moderne n’a pas rougi de re-produire, et dont la réfutation, préparée par les lumi-neux raisonnemens de Tertullien, a été portée au plus haut point de démonstration par les savantes disserta-tions de Clarke, de Leland, d’Abbadie, de Fénelon. Quelques pages de Bossuet, dans les premiers chapi-très de scs Élévations, suffisent pour la foudroyer, et faire tomber l’idole de la matière aux pieds du Dieu de !Moïse et de !’Évangile, quia tout fait par sa parole. Voici le portrait que Tertullien nous a laissé d’Her-mogène :
(1) On peut voir l’exposition de son système dans Pluquet, Diet, des hérésies, tom. 11, pag. 116. Hermant, Ilisl. des hérés. torn. 11, pag.162.
Page 265. Son ge'nîe inquiet le portait naturellement à l’iié־ rosie. Il se croit e'loquent, parce qu’il parle beau-coup; parce qu’il ne rougit de rien, il se donne pour un homme à caractère. S’il dit du mal de tout le monde, c’est, dit-il, par principe de con-science. (Chap. I.J
Les Valentiniens tiraient leur nom de Valentin, Égyp-lien, qui avoit paru dans le second siècle. Saint Irénéc l’avait déjà combattu (1). Sa monstrueuse théologie sembloit devoir se détruire par son propre excès; cepen-dant elle avoit encore des partisans, ce qui obligea Ter-tullien à lui livrer une attaque nouvelle. Il le presse à la fois par les armes du ridicule et du raisonnement. Notre savant apologiste excelle dans l’un comme dans l’autre. La chaire chrétienne a su y découvrir des ima-ges et des maximes précieuses, celle-ci entre autres :
(1) Vox. au premier vo). de cet ouvrage, pag. 161.
(Parlant du de'mon. ) Tel que le serpent, il se cache autant qu’il peut;(Page 284.) il resserre en lui-mcme , par mille détours, sa prudence malicieuse : il se retire dans les lieux profonds ;il ne craint rien tant que de paroître. Quand il montre la tête, il cache la queue; il ne se remue jamais tout entier, mais il se développe par plis tortueux; bête ennemie du jour et de la clarté' (1).
(1) Voy. dans Bossuet l’énergique peinture que lui fournit cette si-militude de Tertullien. Semi. lom. iv, pag. 251, 252.
La vérité׳ ne rougit de rien, que de ne pas se (Page 28}.) déclarer : Nihil veritas erubcscit, nisi soltunmodo abscondi. (2).
(2) Bossuet traduit : « La vérité est une vierge , mais sa pudeur est de »n’êtrepas découverte. » Panégyr. torn. vi. pag. 279.
Nous pouvons étendre à tous les modernes hérétiques ce qui est dit ici du chef de ces novateurs.
Nous connaissons à merveille leur origine ; nous (Ibid.) savons pourquoi nous leur donnons le nom de va-lentiniens , bien qu’ils le désavouent. En s’éloi-gnant du patriarche de la secte, ils n’ont point anéanti le premier titre de famille ; et ils se cou-damnent par le changement même tju’ils ont ap-porté à sa doctrine.
(Le plus précieux avantage à recueillir de ces livres, c’est la réponse victorieuse qu’ils nous four-nissent au reproche si souvent inventé par les pro-testans et d’autres, que les Pères avoienl puisé leur philosophie dans les écoles platoniciennes (3). Il est difficile de combattre avec plus de force que ne le fait ici Tertullien les maîtres et les disciples.)
(3) Dupin et Rich. Simon, pour ne point parler des protestons de profession , affectent de faire ce reproche à nos premiers docteurs. L’abbé Racine répète cette calomnie dans son Hist, ecclés.( second siècle, art. vi, n° v, pag. 201, toni. 1, éd. in-12); elle est repoussée vie-torieiiseinent par D. Ccillier, dans sou ouvrage exprès sur cette matière.
Après avoir vengé l’unité de l’essence divine et la di-vinité du Verbe fait chair, Tertullien eut à défendre la foi de la Trinité contre un nouvel ennemi. Il l’a fait avec une égale supériorité. Praxéas étoitvenu d’Asie appor-ter à Rome, et de là en Afrique, le venin de son er-reur (1). Elle consistait à dire qu’il n’y avoit en Dieu qu’une personne, et que le Père n’étant point distinct du Fils , le Pères'étoit fait homme et avoit souffert pour nous.
(1) 11 vint â Rome sous le pontificat du pape Victor, vers 207. Sorti de l’ccolc de Montan et de Théodote de Byzance , Praxéas soulenoit que Jésus-Christ n’étoit point distingue du Père ; autrement, disoit-il, il auroit eu deux principes, ce qui détruisait l’unité. C’est pour cela qu’on appelait ses disciples les monarchiques.
Tertullien lui oppose la règle de la foi, qui nous oblige de croire un seul Dieu en trois personnes, qui, de toute éternité, a un Fils engendré par Dieu son Père , par qui tout a été fait ; qui a pris sa chair dans le sein de la vierge Marie, est Dieu et homme tout en-semble; Fils de l’homme, Fils de Dieu; a été appelé Jésus-Christ, a souffert, est mort, a été enseveli, est ressuscité, est monté aux cieux, où il est assis à !adroite de Dieu son Père, d’où il viendra juger les vivans et les morts; que ce Fils ressuscité a envoyé du sein de son Père son Esprit saint, ainsi qu’il !’avoit promis , sanctificateur de la foi de tous ceux qui croient dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Nous croyons que ces trois personnes , distinctes entre elles, composent à la fois l’essence divine, ne formant qu’un seul Dieu, une même substance , égales en toute-puissance. Telle est la règle de foi qui s'est transmise des le commencement jusqu’à nous, et qui avoit devancé toutes les hérésies, bien avant celle de Praxéas, né d’hier. ( Chap. 11.)
Toulcs les équivoques de mots qui pourraient se ren-contrer dans la suite de cet ouvrage (1) seront facile-ment levées par la précision de ces principes, et ne doivent pas suffire pour nous détourner de sa lecture.
(1) Les opinions paradoxales de Tertullien se trouvent discutées avec plus ou moins d’impartialité dans une foule d’ouvrages qu’il est inutile de rappeler. Ce n’est pas le transfuge, mais le défenseur de la foi callio-lique , non pas le sectateur de Montan , mais le maître de S. Cyprien que nous avons à présenter dans cette Bibliothèque choisie.
Le père du mensonge s’y prend de bien des manières (Page 654·) pour ressembler à la vérité. On l’a vu quel-quefois la défendre pour réussira l’ébranler ; ainsi il réclame le dogme de l’existence d’un seul Dieu, Père tout-puissant, créateur de l’univers , pour em-pêcher de croire que, parce qu’il est un, Jésus-Christ n’est pas Dieu. ( Chap. 1. )
Dans les chapitres trois et quatre, Tcrtullicn démon-tre que la trinité des personnes ne préjudicie en rien à l’unité de nature, et à la monarchie que son adver-sairc prétendoit défendre.
Ce seroit la détruire que d’admettre un autre (Page 636.) Dieu que le Créateur. Pour moi, qui ne sépare point la substance du Fils de la substance du Père, moi qui reconnais que le Fils ne fait rien sans la volonté du Père, qu’il a reçu de lui sa toute-puissance; que fais-je autre chose que défendre dans le Fils la monarchie, qu’il partage tout entière avec le Père et le Saint-Esprit?
Avant tout commencement, Dieu existoit seul ; il étoit à lui-même et son univers, et son espace, et l’universalité des êtres. Seul dans ce sens, qu’il n’y avoit hors de lui rien de créé, car avec lui étoit son Verbe, Dieu dans Dieu, Dieu lui-même. (Chap. V.)
Ne perdez pas de vue le principe que j’ai établi: que le Père , le Fils et le Saint-Esprit sont insépara-blés. Quand je dis que le Père est autre que le Fils et le Saint-Esprit, je le dis par nécessité, pour ré-pondre au système de mon adversaire en faveur de ce qu’il appelle sa monarchie exclusive ; non pour marquer diversité, mais ordre, non division, mais distinction: il est autre en personne, non en sub-stance.
(Page 640.) Dieu estPère,doncDieu a un Fils ; ces deux mots se supposent réciproquement (1). (Chap. X.)
(1) Lisons les magnifiques paroles de Bossuet daus scs Elévations sur les mystères (11' serni. 1" élévat. Dieu estjecond, Dieu a un Fils); et nous verrons que Bossuet avoit dans la pensée, et peut-être sous les yeux, ecl endroit de Tcrtullien.
(Page 641.) ( Sur la puissance de Dieu. ) Il n’y a rien de diffi-cileàDieu ; la chose est incontestable. Mais si nous voulons étendre ce principe indifféremment à lous les caprices de notre imagination, nous pourrons donc supposer que Dieu ait fait tout ce qu’il nous plaira d’imaginer, parce qu’il l’auroit pu faire. Mais ce n’est point parce qu’il peut tout que nous devons croire qu’il ait fait telle chose qu’il auroit pu faire, mais chercher s’il l’a faite. Il auroit pu, s’il l’eût voulu, donner à l’homme des ailes pour s’é-lancer dans l’air, comme aux oiseaux; mais parce qu’il l’auroit pu, l’a-l-il fait? Il pouvoit étouffer à leur naissance et Praxéas et tous les hérétiques ; sans doute; il les a laissés vivre: pourquoi ? parce qu’il falloit qu’il y eût des oiseaux de proie et des hérétiques. Dites, non pas que la chose lui eût été difficile ,mais qu’il ne l’a point voulue. Le pouvoir dans Dieu , c’est sa volonté ; ce qu’il ne peut pas, c’est ce qu’il ne veut pas; tout ce qu’il veut, il le peut, et il le montre. ( Chap. X.)
Si vous refusez d’admettre une Trinité, (Page 645.) comme étant contraire dans vos idées à l’unité de l’es-sence divine, je vous demanderai comment Dieu, avant de créerl’homme, s’il est seul, parle en nom-bre pluriel, quand il dit : Faisons l*homme à notre image et à notre ressemblance ; (Gen. 1. 26.) et encore : Voilà Â dam devenu comme l'unde nous. (Ibid. III. 22.) k.<\vû s’adressaient ces paroles ? sinon à la fois à son Verbe, son Fils, la seconde personne de l’auguste Trinité, et à son Saint-Esprit, qui en est la troisième personne, comprises l’une et l’autre dans ce mot collectif nous. Aussi son Ecriture en marque-t-elle la distinction : (Gcn.ua;.) Dieuj dit-elle, créa l’homme, il le créa à l’image de Dieu. Pourquoi pas à la sienne s’il était seul, plutôt qu’à l’image d’un autre, Dieu comme lui, de son Fils, de ce Fils qui devoit être un jour homme lui-même ? Dans les autres productions du Créateur, c’est la parole seule, son Verbe qui opère, non pas comme y ayant plusieurs dieux, mais comme personnes distinctes. (Chap. XII ).
(Page 655.) Nous avons le Fils sur la terre, le Père dans le ciel ; un seul et même Dieu. Dieu partout , jus-qu’au fond des abîmes , où il est pre'sent par l’im-mensité de son être. (Chap. XXHl).
(Page 056.) L’Ecriture tout entière nous montre Jésus-Christ; l’AncienTestament qui l’appelle le Christ, l’oint du Seigneur, le Nouveau qui le proclame Fils de Dieu. (Chap. xxiv. )
(Page 663.) C’est le Fils qui meurt et ressuscite; le Fils qui monte glorieux dans le ciel, pour s’y asseoir à la droite de Dieu son Père, non le Père à la droite (Act. Vi. 55.) du Fils. C’est lui qu’Etienne, au moment de son martyre, aperçoit au plus haut des cieux, d’où il descendra dans la même gloire qu’il y est monté: lui qui a fait descendre sur ses apôtres son Esprit saint, troisième personne de l’adorable !rinité , qui nous a fait connoîlre le secret de l’unité de Dieu et le mystère de l’économie nouvelle, repo-sanl tout entière sur la foi d’un Dieu en trois per-sonnes, Père, Fils, et Saint-Esprit. Croire que Dieu est un, mais sans vouloir admettre dans !,unité divine les personnes du Fils et du Saint-Esprit, les Juifs ne nous en demandent pas davantage Qui est-ce donc qui nous en sépare, si ce n’est cette différence capitale? A quoi bon !,Evangile et tout le Nouveau Testament, qui reconnoissenl aussi bien qu’eux la loi et les prophètes jusqu’au temps de Jean-Baptiste, si depuis il n’a pas fallu croire que Dieu est un dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit ? (Chap. XXX.)
XI. TRAITÉ DE LA CHAIR DE JESUS-CHRIST.
L’orgueil humain s’est de tout temps scandalisé de la croix et des humiliations de Jésus-Christ. Cerdon, les Valentiniens, les marcionites, embarrassés de les concilier avec la majesté divine, niaient que le Fils de Dieu eût réellement souffert; selon eux, il n’avoit fait que prendre les apparences de l’humanité.
C’est là l’erreur capitale combattue dans ce traité, l’un des plus beaux ouvrages de Tertullicn. Tertullien a prêté à tous les défenseurs de l’humanité du Verbe la plupart des raisonnemens et des expressions heure!!-ses qui se sont transmises dans nos chaires chrétiennes sur cette importante matière. Bossuet, Bourdalouc, à qui il a été si utile, ne l’ont pas épuisé. Toutes les fois que nous aurons à traiter des abaissemens du Sauveur dans sa crèche ou sur le Calvaire, allons à Tertullicn. Da magislrum.
Ceux qui, s’élevant contre la foi de la résurrection, (Page 55s.) par une témérité inouï(‘ parmi nous jusqu’à nos modernes sadducéens, vont jusqu’à prétendre que l’espérance que nous en avons n’intéresse point notre chair, ont raison de mettre en question la chair de Jésus-Christ, et de soutenir ou qu’elle n’est point ou qu’elle est autre chose que la nôtre ; de peur que, s’il est certain que la chair de Jésus-Christ fut semblable à la nôtre, ce ne soit un pré-jugé contre eux, que cette chair ressuscitée en Jé-sus-Christ ressuscitera de même dans tous les hommes. Etablissons cette certitude par les mêmes raisonnemens que nos adversaires emploient pour la combattre. Examinons quelle est la substance corporelle de notre Seigneur: quant à sa substance spirituelle, on ne nous la conteste pas; il ne s’agit que de sa chair. On dispute de sa vérité, de sa nature, de son existence, de son principe , de ses qualités. La preuve de sa réalité nous fournira la garantie de notre résurrection.Marcion voulant nier la chair de Jésus-Christ, a nié aussi sa naissance ; ou , voulant nier sa naissance, a également nié sa chair. Il craignoit que , dans la correspondance qui existe entre la naissance et la chair, l’une ne rendît témoignage en faveur de l’autre, n’y ayant point de naissance sans chair, ni de chair sans naissance. Qui a pu nous donner la chair de Jé-sus־Chrisl comme purement imaginaire, a bien pu de meme supposer que sa naissance, sa concep-lion dans le sein d’une mère vierge, tout son en-fantement, sa vie entière, n’étoient que visions; et qu’une première erreur, fondée sur une appa-rence de chair, avoit bien pu par suite tromper tous les yeux et tous les sens sur lout le reste. (Chap. I.)
Commençons par la naissance. Voilà qu’elle est annoncée par l’ange Gabriel; (Page 55g. Mattli. 1. 20.) mais que fait à Mar-cion l’ange de son Dieu créateur? On nous parle de Jésus-Christ comme ayant été conçu au sein d’une vierge, ainsi que le prophète Isaïe l’avoit déclare; (Isa. vu. !4·) qu’importe à Marcion le prophète et tout !’Ancien Testament? pourquoi ces lenteurs? il est bien plus expéditif, lui qui fait descendre Jésus-Christ du ciel sur la terre sans perdre de temps. Effacez-moi ce périlleux voyage à Bethléem , et ce rigou-reux édit qui l’ordonne; ôtez de mes yeux ce toit misérable, ces langes dégoûtans, cette crèche ignoble (1). Que les anges qui sont venus honorer sonberceaupar leurs cantiques prennent bien garde de se laisser surprendre par des illusions nocturnes.
(1) Aufer hinc molestos Cœsaris census, ci diversoria angusla, el sordidos pannos, et dura prœsepia. Ces paroles ont été mille fois ré-pétées à l’occasion du mystère de la nativité. Voy. Ch. de Neuville , A vent, pag. 585. Cambac. torn. 1, pag. 5g5, etc.
Laissez ces bergers à leurs troupeaux ; épargnez à ces mages de !’Orient les fatigues d’une si longue route; et qu’ils gardent leurs richesses. Qu'Hérode se montre plus débonnaire ; et que Jérémie ne (Matth. h. 10. ) viennc pas se lamenter avec Piachel désolée. Point de circoncision, l’opération en est trop doulou-reuse; point de présentation au temple, elle coûte à ses parens une oblation onéreuse; laissez enfin (Luc. i.) mourir en paix ce vieillard dans les mains de qui vous le mettez, et cette Elizabeth surannée avec ses horoscopes. Voilà apparemment les charitables conseils par lesquels Marcion voudroit anéantir la foi de tant de témoignages originaux qui consta-tent la vérité de la chair de Jésus-Christ. Mais je vous le demande à vous-même, de quel droit? à quel titre ? De prophète? Où sont vos prédictions ? (Maiih. x.) d’apôtre, qui vous empêche de prêcher sur les toits? Si vous avez l’esprit des hommes apostoliques, parlez comme eux? jN’êtes-vous que chrétien; croyez ce qui nous vient de la tradition. Si vous n’êtes rien de tout cela, achevez de mourir: vous (Page 559.) avez commencé déjà, n’étant pas chrétien, puis-que vous ne croyez pas à cette foi qui fait les chrétiens. D’autant plus mort en effet, que vous avez renoncé à celte foi qui fut la vôtre, ainsi que vous en faites l’aveu dans une de vos lettres : aveu qui n’est pas contredit par vos propres disciples, et dont nous avons la preuve. Parce que vous avez cessé de croire, vous avez voulu anéantir ce que vous ne croyiez plus; et par-là même vous croyez qu'il y avoit une autre foi à laquelle vous vous sou-mettiez avant que vous ne l’eussiez abandonnée : celle-là qui nous venoil de la tradition. Or, nous venant de cette source, que pouvoil-elle être, sinon la vérité, comme nous ayant été transmise par ceux à qui il appartenoit de la laisser? (Chap. II.)
Voilà donc Marcion réduit à chercher dans sa seule imagination des־ motifs pour croire que la chose étoit, ou impossible en soi, ou peu séante à Dieu. Impossible ? mais qu’y a-t-il d’impossible à la divine toute-puissance , excepté ce qu’elle ne veut pas? Dieu l’a-t-il voulu ? c’est là toute la ques-lion. II suffira d’un simple raisonnement : S’il n’eût pas voulu prendre naissance parmi les hommes, n’importe pour quelle cause, il ne se seroit pas fait voir davantage sous une forme humaine. Car est-il personne au monde qui, en voyant un homme, allât prétendre qu’il n’est pas né? En supposant donc que Dieu n’eût pas voulu naître, il n’auroit pas voulu sembler être né; ce que l’on ne veut pas cire, on n’aime pas même à leparoîire; car il est in-différent qu’une chose soit ou ne soit pas, si, quand elle n’est pas, on peut présumer qu’elle existe. Au contraire, il importe fort qu’on ne croie pas faussement ce qui réellement n’existe pas.
«Mais, réplique Marcion, il suffit de !!’être pas dupe soi-même. Que les hommes s’y fussent trompés, Jésus-Christ ne pouvoit pas l’être. » Je réponds qu’il étoit bien plus digne de lui, bien plus conséquent à toute sa conduite, de ne pas permettre qu’ils fussent trompés sur le fait d’une naissance aussi humiliante, par cela même que vous lui attribuez tout le courage nécessaire pour supporter, malgré le témoignage de sa conscience, qu’on le crût né quand il ne l’étoit pas. Quel étrange courage que celui de laisser croire un men-songe! Eh! dites-moi quel si grand intérêt Jésus avoit-il donc à paraître ce qu’il aurait bien su n’êlre pas? « En se faisant homme réellement, as-sujetti aux misères de l’humanité, il cessait d’être Dieu ; il perdait ce qu’il étoit en devenant ce qu’il n’étoit pas. » liaison frivole; Dieu n’a jamais à courir le risque de déchoir (1).—« Je ne puis me résoudre à croire que Dieu se soit fait homme pour naître de la sorte et se revêtir d’une chair, parce que la nature d’un Dieu est nécessairement immuable : or, en prenant un nouvel être, il anéantissoit le premier; il cessait d'être Dieu, ce qui est impossible. » —Oui, tout ce qui de sa nature est sujet au changement la perd en la changeant, et cesse d’être ce qu’il était; mais il n’en est pas ainsi de Dieu ; n’allez chercher nulle part dans les choses humaines rien qui lui ressemble.
(1) Bourdaloue : « Si je me scandalise* des humiliations et des souf-»(rances d’un Homme-Dieu, c’est, disoit Marcion , pour l’intérêt même »et pour l’honneur de Dieu, dont je ne puis supporter que la majesté »se soit ainsi avilie ; et mon scandale ne peut être criminel, puisqu’il »ne part que d’un bon zèle. Zèle trompeur et faux, lui répondoit «Tertullien. Hé quoi! Dieu vous a-t-il lait le tuteur de sa divinité? » Non , non , poursuivoit cet ardent défenseur de la passion et des • anéantissemens du Verbe de Dieu; c’cst une erreur de prétendre » qu’en soulfrant il eût cessé d’être Dieu , puisque Dieu ne court jamais »le moindre risque de déchoir en quelque manière dë sa grandeur et » de dégénérer de son état. Nec putes dicere , sipassus esset Deus, esse »desiisset : Deo etiini nullum est periculum status sut. » Serm. sur le scaiul. de la croix, Dominic. tom. 1, pag. Syi.
Nous lisons dans !’Ecriture, vous-même l’y avez (Page 560.) lu et vous l’avez cru, que les anges du Créateur s’étoient (G<·!. χν!״.) fait voir sur la terre sous des formes humaines, réelles et palpables, témoin ceux à qui Abraham lava les pieds, ceux dont les mains arrachèrent Loth à la violence des habitans de Sodome, celui qui combattit corps à corps contre Jacob : en resté-rent-ilsmoins anges? n’étoient-ce que des fantômes?
Vous me demanderez ce que devenaient ces corps après que les esprits célestes étoient remon-tés au ciel ? La même puissance qui les avoit pro-duits les a fait disparaître. Si vous aviez été présent à leur création, le jour où la voix du Créateur les fit sortir du néant pour les appeler à l’existence, vous pourriez me répondre comment la même voix commande aces corps de n’être plus. N’en deman-dez pas davantage; ce qui est écrit est vrai, et ne peut point n’avoir pas été. (Chap. III. )
Ne pouvant accuser ni la puissance ni l’immuta-bïlité de Dieu, vous vous rejetez sur la prétendue bassesse de la naissance de son Verbe. Et de là un long étalage des misères qui accompagnent la con-ception et l’enfantement. Déclamez tant que vous voudrez sur la manière dont l’homme entre dans le monde: n’épargnez pas même ce sentiment de pudeur si naturel à la femme qui devient mère, sans égard pour les dangers qui l’entourent, sans respect pour le titre sacré qu’elle reçoit de la nature. Vous qui dégradez à ce point la condition de l’homme , et chargez le tableau de ses misères, vous êtes homme, vous vous estimez donc bien peu vous-même, de déprécier ainsi la dignité de votre nature (1)! Vous exhalez votre haine contre l’homme qui vient au monde ! mais comment y êtes-vous entré ? coin-ment pouvez-vous aimer votre semblable ? et vous-même, vous trouvez-vous si haïssable? Mais cet homme ne l’est devenu qu’en passant à travers ce Ion״ cortège de souillures , d’infirmités et de bas-sesscs : il n’en a pas été moins cher à son Sauveur. C’est parce que Jésus-Christ l’a aimé , qu’il est des-cendu du ciel sur la terre, qu’il a publié sa doc-trine : parce qu’il l’a aimé , qu’il s’est abaissé jusqu’à souffrir pour lui la mort et la mort de la croix. Certes il faut bien qu’il l’ait aimé pour le racheter comme il a fait, à un si grand prix (2). S’il est vrai que Jésus-Christ ne soit pas autre que le Créateur, Jésus-Christ a eu raison d’aimer l’homme comme riant sa creature ; si ce n’est pas lui qui l’a fait, son amour n’en devient que plus héroïque, d’avoir ra-clieté ce qui n’étoit pas son ouvrage. En aimant l’homme, il a conséquemment aimé la naissance de l’homme, donc sa chair; car on ne peut pas ai-mer une chose isolément de ce qui l’a fait être ce qu’elle est. Otez la naissance, où est l’homme ? Otez la chair, où esl l’objet de la rédemption? Quoi! Jésus-Christ auroit rougi de ce qu’il venoit ra-cheter? Selon vous , il étoit indigne de Dieu de racheter ce qu’il aimoil! Par une naissance toute cé-leste, il réforme notre naissance, en l’arrachant à la mort ; en se revêtant de notre chair, il l’affran-chit, il lapurge de ses souillures, il dissipe son aveuglement, la fait sortir de son engourdissement, l’enlève à la tyrannie du démon, la rappelle à la vie ; et il auroit cru indigne de lui de naître dans cette chair (1) !... Lisez, si toutefois vous ne l’avez pas effacé de votre Evangile , lisez, Marcion, (Page 561.) celle parole de l’Apôtre : Dieu a choisi ce qu il y avoit de plus insensé selon le monde pour confondre ce qu’il y avoit déplus sage. (1 Cor. 1. 28,) Qu’y avoit-il de plus insensé?־ Quoi, convertir* les hommes au culte du vrai Dieu, les obliger à renoncer à l’erreur, leur apprendre à vivre conformément aux lois de la justice, de la chasteté, patients, miséricordieux , irréprochables dans leurs mœurs ? Ce n’est pas là sans doute ce que !’Apôtre a voulu dire; cherchez donc en quoi con-siste cette folie ; et si vous présumez l’avoir décou-verte, vous verrez qu’en effeVce qu’il y avoit de plus insensé selon le monde, c’étoit de croire un Dieu fait homme , né d’une vierge., et qui s’est comme abattu de lui-même dans toutes ces bassesses de notre humanité.
(1) Développé parl’anc. évêq.dc Sénez, Serm. torn. 1, pag. 14י ; le P. Le niant, Serm. tom. v, pag. 50g et suiv.
(2) Segaud :« On n’atlend, on ne recherche, on ne rachète point à »si grand prix ce qu’on veut laisser péri! : Amavit utique quem magno «redemit. «Carême, loin. 1, pag. 528.
(1) Voy. Bossuet, Serin, sur la nativité <le Notre Seigneur. Serin. tom. it., pag. 587 ; et Bourdal. Serm. sur le scand. de la croix, Dotnin. loin. 1, pag. 075.
Ce qui ne le cède pas à cette apparente folie, c’est ce que nous croyons des humiliations et des souf-Frances de la passion ; c’est qu’avec saint Paul nous appelions sagesse le dogme du Dieu crucifié. (1 Cor. 18.50,) Dé-‘ barrassez-nous encore de cet opprobre, ô Marcion, ou plutôt commencez par celui-là ; car enfin, n’est-ce pas là , pour un Dieu , le comble de l’indignité ? Pourtant, qu’y avoit־il de plus honteux , de naître ou de mourir? de porter un corps de chair, ou de porter une croix? de subir la circoncision, ou le cru-cifiement ? de reposer dans une crèche, ou d’être renfermé dans un sépulcre? N’y croyez pas ; vous ferez preuve nouvelle de sagesse: oui, de cette (1 . Cor. 1. 18). sagesse scion le monde , qui n’est que folie .aux yeux de Dieu. Vous ne l’avez point retranché de votre Evangile, sans doute parce que, dans votre système, ce corps fantastique et purement imagi-naire n’a point été susceptible de souffrance ; mais encore une fois une naissance et une enfance purement imaginaires ne !’exposaient pas à de moindres mépris. Répondez-moi donc, ô meurtrier de la vérité : quoi! Jésus-Christ n'anroit pas été en effet crucifié? ilncscroit pas véritablement mort comme il avoit été véritablement crucifié? il ne serait pas ressuscité à la suite d’une mort réelle? Saint Paul étoit donc dans l’erreur, (1 Cor. 11.2 .) en réduisant toute la science du chrétien à connoître Jésus crucifié? il mentoit donc en disant qu’il avoit été enseveli (Ibid. xv.4i.) et qu’il s’é-toit ressuscité ? Notre foi est donc fausse, toutes nos espérances seraient donc autant d’illusions? (Ibid. 14·) O doctrine sacrilège qui se fait l’apologiste des bourreaux de Jésus-Christ! Car, quel reproche a-t-on à leur faire, si Jésus-Christ n’a pas eu réelle-ment à souffrir? De grâce , épargnez l’unique espé-rance du genre humain! pourquoi vouloir ruiner le titre infamant, mais indispensable de notre foi (1)? Tout ce qui semble indigne de Dieu m’est necessaire·, mon salut est de ne pas rougir de mon i)ieu (1). Je ne trouverais point ailleurs de sujet plus propre à m’élever au-dessus de la confusion elle-même, et à témoigner combien j’ai raison de ne pas rougir, combien je suis heureux d’être in-sensé à pareil prix (2). Le Fils de Dieu a été cru-cifié, je n’en rougis pas pour la honte qui s’attache à ce supplice : le Fils de Dieu est mort, je le crois d’autant mieux que cela paraît plus inconcevable; il a été mis dans le tombeau d’où il est sorti ressus-cité; cela est certain, précisément par son appa-rente impossibilité (3). Mais comment parler ainsi de Jésus-Christ, s’il ne fut qu’un être fantastique , s’il n’a ])as eu véritablement dans sa personne de quoi être attaché à la croix, de quoi mourir, de quoi être enseveli et ressusciter? je veux dire une chair animée par le sang, composée d’os , de nerfs vl de veines , une chair en un mol capable de naître cl de mourir; donc mie chair humaine, conséquem-ment mortelle. Comment seroit-il homme et fils de l’homme, s’il n’a rien de l’homme et de ce qui vient de l’homme ? A moins de prétendre que l’homme soit autre chose qu’un corps de chair; ou que sa chair lui vienne d’un autre principe que de (Pag«. 3Γμ ) l’homme, ou que Marie, comme mère, fût d’une nature différente de l’espèce humaine; ou bien en-core , qu’il n’y ail pour Marcion d’autre Dieu qu’un homme (1): autrement plus déraison pour que Jésus-Christ soit appelé homme , s’il est. sans chair, ni fils de l’homme sans une descendance humaine , pas plus qu’on ne peut le concevoir Dieu sans l’Es-prit de Dieu , ni Fils de Dieu si Dieu n’est pas son Père. Ainsi le fond de ces deux substances compost‘ dans Jésus-Christ l’humanité et la divinité; l’une, qui a pris naissance, l’autre qui n’en a pas ru.
(1) L’édition de Palmérins porte , Quia destruis nccessarium becxs Jidei, pag. 651, au lieu du mot dbdf.cus que présentent les diverses édit, de Rigaut. Bourdaloue et Bossuet expliquent la pensée de Ter-tullien dans ee dernier sens. Bourdaloue, Semi, sur le scand. delà croix, Dominic, tom. 1, pag. 5jg. Bossuet:״ Laissez-moi, disoit ee »grand homme, quand on lui reprochait les bassesses du Fils de Dieu , »laissez-moi jouir de l’ignominie de mon maître et du.déshonneur né-»cessaire de notre foi. Le Fils de Dieu, etc. Ainsi ( poursuit l’évêque de ״Meaux) la simplicité de nos pères se plaisoit d’étourdir les sages du »siècle par des propositions inouïes , dans lesquelles ils ne pouvaient »rien apprendre ; afin que toute la gloire des hommes s’évanouissant, »il ne restât plus d’autre gloire que celle du Fils de Dieu anéanti pour » l'amour des hommes !» ÇSerm. loin. 11, pag. 458.) Sénault avoit lait une application ingénieuse de ces mêmes paroles à un miracle de S. Main-mès, [panëg. tom. 11,pag. 555.)
(1) Saleus sum, si non conjundar de Domino meo. Bourdaloue ap-plique heureusement ce mol dans son Serin. sur le respect humain , vivent, pag. 556.
(2) Quœ me per contemplant ruboris probent bene impudenlem et féliciter slullum Bossuet :· Tertuîlien se vante que les humiliations de son maître, en lui faisant mépriser la honte, l’ont rendu impudent Ce bonne sorte , et heureusement insensé.־ Serm. torn. 11, pag. 458.
(3) Xonpudetï/uiapudendum est; eimorluus est Dei Filius;prorsus credibile est, (pria ineptum est ; et sepultus resurrexil : cerium est quia impossibile est. Bos-uet applique ces paroles aux abaisseincns de la crèche. Serm. torn. 11, pag. 458. Imilé parLa Colomb, loin, ni, p. g, 10. Vov. aussi tout le sermon 11 du P. Lejeune, fur l'élabliss. du Christian. loin. 1. Édit, de Toulouse, 1667, et Serm. ix, pag. 26f.
(1) Texte : Aut homo Deus Mat'cionis. lligaul l’explique: Homo scilicet. imaginarius el J'alstis. A quoi bon supposer ce qui laisoil le principe de Marcion? Je ne garantis pas le sens que j’ai donné au mot de Tertullien; mais pour peu que l’on connoisse le génie de ce Père, et le système qu’il réfute, on se convaincra que Marcion n’est pas. calomnié par cel'.e traduction.
D’un coté, la chair avec ses infirmités ; de l’autre,un esprit tout divin, avec sa toute-puissance ; la morta-litc avec un principe de vit* immortelle; substances distinctes qui montrent deux natures égalementréel-les, où une même foi reconnaît la vérité de l’esprit et de la chair. L’éclat de ses miracles a manifesté sa divinité; ses souffrances ont attesté son humanité. Si les miracles ne s’opéroient point sans la vertu de !’Esprit divin qui résidoit en lui ; par la meme raison la souffrance n’agissoit point sans la chair dont il étoit revêtu. Et de même, si la chair étoit imaginaire au milieu de la souffrance , !’Esprit étoit également chimérique au milieu des miracles. Pourquoi nous ravir, par de mensongères suppositions, la moitié de Jésus-Christ?Il étoit tout vérité ( 1 ). Croyez-moi : il a mieux aimé naître que de mentir de quelque manière que ce fut, et surtout là où il s’agissoit de sa personne, en feignant qu’il avoit une chair ferme sans os , solide sans muscles, ensanglantée quand il n’y avoit pas de sang, paroi׳ssantrecouverte d’une peau cl n’en ayant pas, qui mangeât sans en avoir jamais le besoin, conversât avec les hommes sans avoir de langue, se fît entendre à leurs oreilles en trompant tous leurs sens. Ce n’éloit donc encore après sa résurrection qu’un fantôme, quand , mon-trant à ses disciples ses pieds et ses mains, il (LuC5gXX V) leur àisoit : Voyez, reconnaissez que c’est moi-même; louchez et considérez qu’un esprit na ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai.
(1) «Pourquoi le partagez-vous par le mensonge: Quid dit nidi as n Christummcndacio? comme si son saint Evangile n’étoit qu’un assem-»blage monstrueux du vrai ou du faux , etc. » Bossuet, Senn. toin. iv, pag. 265.
Répondez, Marcion : quel sens donner à une dé-duration aussi précise? Vous consentez à faire des-cendre Jcsus-Christ du Dieu souverainement bon, principe simple, et qui n’esl que bon ; el le voilà qui vous trompe, qui vous en impose, qui abuse tous les yeux, se joue de tous les sens, se laisse toucher par qui l’approche, bien qu’il ne soil qu’une ombre :ce n’étoit donc pas du séjour céleste qu’il falloit le faire descendre, mais d’une Iroiipe de bateleurs.
S’il ne fut pas homme, il ne fut pas Dieu; ce ne seroit plus qu’un vil charlatan , un imposteur, bien loin d’être le pontife de notre foi ; plus rien qu’un (il■!״·.) vain artisan de spectacles illusoires. Loin de ressus-citer les morts, il n’auroit fait que perdre les vi-vans. (1) (Chap. v. )
(1) Massillon tire les mêmes conséquences cl emploie les mêmes expressions dans son Serm. tur lu divinité de Jésus-Christ, dans son jfvcnt.
D’autres hérétiques soutiennent que le corps de Jésus-Christ ressembloit à celui des anges quand ils s’étoient montrés parmi les hommes; que sa chair étoit empruntée des astres et des parties du monde supérieur par où il avoit passé en descen-dant sur la terre.
Mais, reprendTertullien, il n’y a jamais eu d’ange (p;!565 ..) qui soit descendu sur la terre pour y être crucifié, pour y subir la mort, pour vaincre la mort par une résurrection glorieuse. Ne venant pas pour y mou-rir, ils n’avoient pas besoin d’y naître. Mais Jésus-Christ, envoyé pour cette fin, devoit naître pour mourir. L’un suppose nécessairement l'autre ; la naissance et la mort contractent un engagement réciproque ; et la condition de la mort est la cause de la naissance. (Chap. Vl).
(Page 570.) C’étoit l’homme qui avoit péri: c’étoit l’homme qu’il falloit réhabiliter. Si les anges rebelles s’é-toient perdus, leur réprobation les avoit enchaînés à un châtiment éternel : nulle promesse de retour; ce n’étoit pas pour les sauver que Jésus-Christ avoit été envoyé sur la terre. (Chap. χίλ7).
(l'a5-2 ·.״.) (Pourquoi Jésus-Christ est-il né d’une vierge?)
Celui qui alloit consacrer un nouvel ordre de naissance a dû naître d'une manière toute nouvelle. Le Seigneur avoit fait prédire par son prophète Isaïe celte naissance miraculeuse: Le signe auquel il faudra la reconnoitre, le voici, avoit-Jl dit: une (1-a. vu. 14·) vierge concevra3 cl enfantera un fils. Une vierge a conçu, elle a enfanté Emmanuel, c’est-à-dire Dieu avec nous. La voilà cette naissance toute nouvelle, où l’homme naît dans Dieu, où Dieu est ne dans l’homme; représentée comme tous les evenemens de la nouvelle alliance parles figures de l’ancienne. La terre étoit vierge encore, la main de I homme ne s’y étoit point fait sentir, nulle semence n avoit été jetée dans son sein : c’est de celle terre que nous avons appris que Dieu a forme I homme , donnant à cet homme un esprit de vie. Que si le premier (Gc״ ·״·/·) Adam a été formé de terre . le second, le nouvel Adam, comme parle ΓApôtre , a du être forme de , (cor.xv.) terre, c’est-à-dire d’une chair de qui la pureté n’avoit reçu nulle atteinte, et recevoir des mains de Dieu son Esprit de vie pour la répandre.... Eve étoit vierge quand elle laissa pénétrer dans son ame (pa״e 5;5.) la perfide parole qui alloil y élever l’édifice de la mort. C’étoit donc dans le sein d’une vierge que devoit entrer le Verbe destiné a renverser l’on-vrage du séducteur ; afin que le même sexe qui lut l’instrument de notre perte le devînt de notre ré-paration. Eve crut au serpent, Marie a cru à 1 ange : la crédulité de la première a été réparée par la foi de l’autre (1). (Chap. XVli).
(1) Le même rapprochement sera fait par S. Épiphane , et (burnira à nos prédicateurs d’heureuses applications. Voyez Bossuet, Serai. tom. vr, pag. 544· Lejeune, Bourdalouc, Cheminais, etc.
Joignant à la prophétie d’Lsaïe : Prodibit t'irga ex (page 5-5. ^־** ·'־) radicejesse, celle d’Élizaheth : Benedictus fructus ventris tzii; Tertullicn l’explique ainsi :
Jésus-Christ est désigné comme la fleur d’un rejeton poussé de la racine de Jessé. La racine de Jessé , c’est le sang de David ; le rejeton de la ra-cine, c’est Marie qui descend de David ; la fleur du rejeton , c’est Jésus-Christ, Fils de Marie ; et il est aussi le fruit, car la fleur est le fruit de la tige.
(Page 576.) Le fruit se développe par la ileur : c’est de son sein qu’il est sorti pour arriver à être fruit. L’hérésk1 s’efforce vainement d’enlever au fruit sa fleur, à la fleur son rejeton, au rejeton sa racine; vaine־ ment elle voudrait détacher de la racine ce qui en fait la propriété, celle de produire le rejeton d’où naissent etla fleuret le fruit. En toute généalogie, il faut bien remonter du dernier de la race à celui qui la commence. Dans cet ordre naturel, la chair de Jésus-Christ ne tient pas seulement à Marie, mais à David par Marie, et par David à Jessé :
(Ps. cxxxi. aussJ) Dieu jure-t-il qu'il établira sur le trône de (Act. π. 50.) David un fruit sorti de ses reins, de sa postérité, de sa chair.L’hérésie effacera-t-clle le témoignage des démons eux-mêmes , publiant à haute voix que (Luc. xvm.) Jésus est Fils de David ? anéantira-t-elle le témoignage des évangélistes, qui racontent sa généalo-gie ; les paroles si claires de saint Matthieu , entre (Mauh.) autres, Livre de la génération de Jésus-Christ fds de David, (ils d'Abraham. (Chap. xxi. xxn.)
(Page 077.) Que l’on chicane sur l’apparente contradiction que présentent les mots de vierge et de mère ; nous répondons: Chez nous, point d’équivoque; rien qui prête à double sens. La lumière est pour nous la lumière, les ténèbres sont ténèbres. Cela est, (Mauh. y.) cela n’est pas: voilà nctre code. Ce qui sort de' celte simplicilé est l’œuvre du démon. Marie (*si mère parce qu’elle a enfanté; clic est vierge, parce qu’elle a conçu sans !,opération (!,aucun homme: elk a enfanté Jésus-Christ sans aucune violence étrangère. (Chap. XXI11.)
Quiconque nie que Jcsus-Christ ail pris une chair (pa״e 578.) semblable à la nôtre , se déclare !,ennemi de Jésus-Christ. Avec sou évangéliste saint Jean, nous di-sons : Toutespril qui confesse que J êsus-Chrislestvenu ! joan. !v. dans une chair véritable} est de Dieu : par ce seul mot nous tranchons toutes disputes. Un jour vien-dra où nous la verrons tous , cette chair qui a souffert , descendre du ciel. Ce même Jésus res-suscité, nous le verrons se manifester encore aux (Toaii. XIX, 37) yeux de tous ceux qui 1 ont attache a la croix. Ils le verront, ceux-là qui !,ont traité d’une manière si inhumaine, ils le reconnaîtront dans cette même chair qu’ils ont si cruellement déchirée (1).
(1) « Alors, dit Terlnllien , vous qui n’avez pas daigné le recon-» noître à Bethléem, sur la paille de sa crèche, vous le reconnoîtrez » malgré vous porté dans les airs, etc. » Gainbac. Serm. toin. 1, pag. 4 ’-7·
11 termine en annonçant son Traité de la rèsurrec-tion de ta chair comme faisant suite à celui-ci.
XII. TRAITÉ DE LA RESURRECTION DE LA CHAIR.
La résurrection des morts est !,assurance des (pagc) chrétiens (2). Ce dogme nous fait ce que nous
(2) « Quand Tertullïen disoit que la résurrection étoit une foi par-licnlière aux chrétiens, propria fides chrislianorum resurrectio, il ne voulait pas dire seulement que c’étoit celte foi qui les distinguait des infidèles; il vonloit encore nous faire comprendre par ces paroles que tout ce que l’espérance on la crainte nous l'ait appréhender ou désirer apres la mort n’a guère de fondement plus solide que la créance de cette résurrection. ־ From· ntières, Serin, du Car. torn. 11, pag. 510■
sommes; c’est la vérité même qui nous le corn-mande ; c’est Dieu qui nous l’a révélé. Mais le vul-gaire s’en moque, on se persuade que tout finit avec la vie, et cependant vous voyez partout des institutions en l’honneur des morts. 011 les brûle , et on leur sert des repas : mélange bizarre de ten-dresse et de cruauté! Est-ce dérision? est-ce sacri-lice (1)? Des philosophesmêines partagent là-dessus les erreurs du vulgaire : Sénèque a dit que tout finit à la mort, lout jusqu’à la mort elle-même. D’an 1res (les platoniciens) admettent l’immortalité de l’âme; mais ceux-là ont marché dans le sentier delà vérité , ils n’ont pas percé jusqu’au sanctuaire. (Chap. 1.) Ainsi la foi de la résurrection se retrouve au sein même de l’ignorance qui la défigure. C’étoil à Je-sus-Christ qu’étoit réservé ! honneur de découvrir lout ce qui avoit été scellé jusque-là, de fixer les incertitudes, d’achever les connaissances qui n’é-toient qu’ébauchées, d’accomplir ce qui avoit été annoncé, d établir la certitude de notre future rége-nération non-seulement par sa doctrine , mais par le fait de sa propre résurrection. La plupart des hérétiques ne la nient point, mais rétablissent à leur manière. Parmi ceux qui croient, il en est qui sont dans l’ignorance, d'autres dans le doute; le plus grand nombre a besoin d’être instruit, dirigé, soutenu. (Chap. ïl.)
(1) Sacrifient, an insultai? Mouvement énergique. Lien souvent transporté dans les prédications modernes , sur le respect dû aux églises, sur le sainl sacrifice de la messe. L’abbé Clément : » Sortez , sortez pin-tôt de nos temples: est-ce par dérision que vous venez? eic. Serm. de la Toussaint, Arent, pag. 2^5.
Quand j’entends ces hommes qui croient que (paga 581.) Dieu les jugera, que Dieu les voit, et n’en disent pas moins: Ce qui est mort est mort, vivez tandis que vous jouissez de la vie; alors il me souvient que le cœur de l’homme, bien qu’il soit l’ouvrage de Dieu, n’est que cendre, et que la sagesse même du siècle ne nous est donnée que comme une folie. (,qor. IIU) Mais vous qui vous dites chrétien , n’avez-vous rien qui vous distingue du païen? Rendez-lui ses senti-mens, puisqu’il ne reçoit point votre doctrine, λ ous avez des yeux, cl vous vous laissez conduire par un aveugle ? C’est au païen à apprendre de vous la résurrection de la chair, plutôt qu’à vous à apprendre de lui à la nier. L’hérétique , comme le païen , ne prend conseil que des sens ; la raison di-vine, manifestée dans les Écritures, pénètre plus avant, elle ne s'arrête point à la superficie, et souvent même elle prononce contradictoirement au térnoi-gnage des sens. (Chap, in.)
Vous les entendez, ces prétendus sages, déclamer (Page 5s;!.) à tout propos contre la chair , ravalant son origine, .sa matière, ses révolutions, pour finir enfin. Et, après avoir commence par ]’abjection, s’être chive-loppe'e clans la foiblesse ,clans ],infirmité , à charge, importune à elle-même , chargee de misères ; voilà que, pour couronner tant de bassesses, elle retombe au sein de ]a terre qui fut son premier élément, pour s’y échanger contre le nom de cadavre qui ne lui demeurera pas même long-temps: si bien que l’on manquera de termes pour exprimer son néant (1). Est-il vraisemblable, demande-t-on, est-il possible (Page 582.) qu’elle meure pour renaître avec sa forme et tout ce cortège de maux qui l’accompa-gnent? (Cap. IV.) L’univers lui-même, ouvrage bien plus parfait, périra tout entier: la chair, qui n’est qu’une portion de cet univers, sera-t-elle plus privilégiée? (Chap. V.)
(1) Voy. Sénault, Panégjrr. tom. ni, pag. 4· Bossuet : « Mais en atten-«dant, il faut que ces corps tombent pour être renouvelés; ils ne lais-·seront à la terre que leur mortalité et leur corruption. 11 faut que ce ״corps soit détruit jn-qti’â la poussière. La chair changera de nature; ״lecorps prendra un autre nom ; même celui de cadavre ne lui demeu-״rera pas long-temps. La chair deviendra un je ne sais quoi, qui n’a ״plus de nom dans aucune langue; tant il est vrai que tout meurt en ״eux , jusqu’aux termes funèbres par lesquels on exprinioit ces mallieii-״!eux restes. ״ Sum. pour le jour des Morts, tom. 1, pag. !95. Ce qu’il répète dans l’Orais.^/iinibr. île la duchesse d'Orléans, pag. 4^5 <111 tom. vin. édit, in-j״ des Bénéd.
Tertullien établit cette grande différence entre l’un et l’autre : que l’un et l’autre ont bien été produits par la simple parole de Dieu ; niais que la création de l’homme se trouve marquée à des caractères qui lui donnent une prérogative plus excellente et, par-là, des destinées bien supérieures.
Certes, l’ouvrage e'ioil. moindre que celui pour qui il e'ioit fait : l’univers, destiné au service de l’homme, obéissoit à la voix, à l’ordre, à la toute-puissance du Créateur qui le faisait sortir du néant. L’homme, destiné à l’empire, sera formé par les mains de Dieu lui-même, pour être mis par elles en possession du domaine auquel il est appelé. Remarquez encore que ce qui se nomme propre-ment sa chair est ce qui reçut d’abord la dénomi-nation d’homme , et finxit Deus hominem, U-muni de terra. Tout limon qu’il étoit, c’étoit déjà l’homme, quand son Créateur souffla en lui l’es-prit de vie; et ce limon reçoit une âme vivante. Ne pouvoit-il pas le faire comme il avoit fait le reste, en un moment? 11 s’agissait donc de quel-que chose de grand , pour en travailler ainsi la matière (1). Quel honneur n’est־ce pas pour cette (Page 585.) chair d’être ainsi touchée, maniée, travaillée par de telles mains! Et pourquoi ces préliminaires? c’est que, dans ce limon qu’il avoit sous les yeux, Dieu apercevait à l’avance son Christ, son Verbe, que sa future incarnation devait en revêtir (2).(Chap. VI.)
(1) Voy. Bossuet , Elèval. ton!, vin, pag. 66, éd. in4־", Disc, sur t’hist. unir. pag. 165, éd. 111-4°, Paris, 1681. Le Jeune, tom. 1, 2e part, pag·547-
(2) ״En créant l’homme, Dieu, au commencement du monde, u’envisageoit que son Fils; par cette sagesse qui embrasse tous les » temps, lui pétrissant cet argile, en soufflant cet esprit de vie , il avoit ״ devant les yeux ce grand objet, comme un peintre qui , pour faire un nsujet juste, regarde l’original dont il trace la copie. ט L’abbé de la Tour, 5erz;1. îom. 111, pag. 22g.
Tertullien relève !’excellence de la chair, d’abord par son alliance avec l'àiue qui l'anime, en dirige les mou-venions et les actions; ensuite par les dons particuliers que lui confèrent les sacremcns.
C’est la chair qui est plonge'e dans l’eau baptis-male, pour que l'âme soit lave'e de ses souillures; c'est la chair qui reçoit l’onction sainte; pour que l’âme reçoive le sceau de sa consécration , c’est sur la chair que s’imprime le signe du salut, pour ar-mer l’âme contre l’ennemi ; c'est sur la chair que se fait l’imposition des mains, pour que l’âme soit éclairée d’une lumière spirituelle. C’est la chair qui se nourrit du corps et du sang de Jc'sus-Christ, pour que l’âme soit engraissée de la substance de (Page 28.5.) Dieu(1). Assortis l’un à l’autre dans l’ope'ration, seroicnt-ils séparés dans la récompense ? Les sacri-fices agréables à Dieu, je veux dire les laborieux exercices de l’âme, tels que les jeûnes, les dures abstinences , et tout ce qu’amène la mortification des sens, la chair en prend sa part. Dites-moi vous-mème, que pensez-vous de la chair, alors qu’exposée pour la confession du nom chrétien aux regards et à la haine publique, elle soutient le généreux combat? lorsque, dans la sombre horreur (11 Tim.IV· 7·) des prisons, exilée de la lumière du jour, con-damnée à toutes les privations , en proie à l’infec-tion qui pénètre tous ses sens, abreuvée d’humilia-lions, ne pouvant pas même compter sur la liberté du sommeil, parce qu’il lui est disputé par la couche importune où elle repose, elle a déjà épuisé toutes les tortures, jusqu’au moment où appelée au grand jour elle subit tout ce que la rage des bourreaux peut inventer de plus barbare ( 1 ); déchirée, mise en pièces , dévorée par une mort lente ; heureuse de donner sa vie pourleDieu qui lui a donné la sienne, de périr quelquefois de la même mort que lui, si elle n’a pas à en souffrir déplus cruelle encore? O chair fortunée et bien glorieuse de pouvoir satis-faire à Jésus-Christ par le paiement d’une si grande dette ! (Chap, ix.) Quoi ! elle seroil sans espérance de ressusciter, celte chair que Dieu anima d’un prin-cipe de vie puisé à sa propre plénitude, et formé à son image; qu'il n’établit dans cet univers que pour lui en donner l’empire et lui en assujettir les pro-ductions diverses; qu’il a investie de scs sacremens et de ses nobles exercices ; dont il aime la culture, regarde les éprouvés avec complaisance, réclame (Λ1.1111. six-) pour lui les affections ? Le Dieu qui nous commande d’aimer le prochain comme nons-même , exécu-tera ce dont il nous a fait un précepte ־. il aimera cette chair dont il s’est rapproché à tant de titres. (h Cor. xii.) Qu’elle soit foible, c’est dans la foiblesse qu’éclate (Luc. v. 51. 1) vertu de son Dieu ; malade, il ne faut des me-decins qu’à ceux qui ne sont pas en santé ; perdue,' (Maiili. xviu.) je suis venu, nous a-t-il dit, sauver ce qui avoit (Ezccii. xvui.) péri pécheresse, il aime mieux le salut du pécheur que sa mort; condamnée, c’est le même Dieu qui (Ezccii. vii.9.) frappe et qui guérit. De quel droit reprocher à la chair ce qui attend la gloire et la possession de Dieu, ce qui espère en Dieu, ce que Dieu honore, ce qu’il ne dédaigne pas d’assister? Je dis plus : si la chair n’avoil pas eu tant de misères, il eut man-que quelque chose à la bonté , à la grâce , à la mi-séricorde , et à la toute-puissante libéralité de notre Dieu. (Chap. X.)
(1) Caro corpore et sanguine Christi vescilur, ut et anima de Deo saginetur. Expression énergique qui fournit au dogme de la présence réelle nu argument invincible. Voy. Collet, Servi, torn. 1, pag. 455, oii ce mot est cité. Molinié?: L’âme remplie de Dieu , nourrie de Dieu , engraissée de Dieu, Serin. du ciel, torn. 1, pag. 78.
(1) Per alrociora ingénia pœnarum.« Tout ce que la rage et le dés-espoir peuvent inventer de plus cruel. » Bossuet, Serm. toni. 1x, pag. 218.
Quels sont, après tout, les détracteurs de la chair? ( Tertullien ne craint pas de les démasquer.) Ceux, dit-il, qui l’aiment le plus, inimicoset nihilo-minus amicissimos ejus. « Car personne ne vit plus selon la chair que ceux qui nient sa résurrection : ds n’en admettent point le châtiment. Ils récusent la doctrine qui la règle : neganles pœnani ejus, des-pieiunl et disciplinant, (1). »
(1) Joly, (Æuv. met Serin, sur ta resurrect, de La chair, pag. 56t.
Il entre avec eux en raisonnement ; les combat, d’a-boni parla toute-puissance de Dieu, secondement par le spectacle de la nature, et par les témoignages accu-mules de l’ancien et du nouveau Testament.
La toutc-puissancedivine. Car est-il possible de croire que Dieu existe., sans lui accorder un pou-voir sans bornes? S’il est vrai qu’il ait tout créé de rien, lui sera-t-il difficile de ranimer dans sa cen-dre cette chair qu’il a faite de rien? Certes, qui a fait une chose peut la refaire ; c’est quelque chose de plus grand de produire que de réparer ; de donner l’être que de le rendre (1). (Chap.xi).
(1) Molinier, Serm. lom. xni, pag. 401, 40ÿ. Monlarg. Diet, apost tom. vin, pag. 35. Leutanl, Senn. tom. vin, pag. 106.
Voyez cette puissance se signaler dans ce qui se passe journellement sous vos yeux. Le jour expire pour faire place à la nuit, dont les ténèbres viennent (Page 587.) l’absorber et l’ensevelir. Le inonde voit dis-paraître son plus bel ornement, et un voile sombre l’enveloppe tout entier; tout est décoloré, muet, abattu ; partout et le travail et les affaires ont cessé.
On célèbre par ce deuil la perte de la lumière; attendez, et bientôt vous allez voir le jour réparai-tre, avec la pompe nuptiale de son soleil. La même lumière que vous admiriez la veille est revenue éclai־ rer le monde de tous ses feux , triomphant à son tour de la nuit qu’elle a replongée dans le tombeau, se suivi .ant continuellement à elle-même, jusqu’à ce que la nuit revienne encore «hoc son lugubre appareil. Les étoiles qui avoient lui à l’apparilion île l’aurore ont recouvre' leur brillant éclat; les planètes, un moment exilées, sont ramenées en triomphe ; la lune vient parer le firmament pour y fournir ses !évolutions accoutumées. Voyez les saisons diverses se succéder dans une perpétuelle vicissitude, avec leurs influences et leurs produc־ tions. Sur la terre, memes aspects que dans le ciel : les arbres, dépouillés de leurs richesses , étalent de nouveaux trésors: les Heurs et les plantes, qui avoient disparu, se remontrent de nouveau. Les mêmes semences qui avoient été consumées dans le sein de cell»1 mère féconde se relèvent, et ne se relèvent qu’après avoir été consumées. Secret, merveil-leux de la Providence! La terre nous prive de nos biens pour nous les conserver ; elle les dérobe pour les rendre , ne les prend que pour les garder, ne les dégrade que pour les renouveler, et commence par les absorber pour les doubler; car elle nous dédom-mage partie plus riches et de plus magnifiques pré-sens. En effet, partout, ce que la nature enlève, elle le rend à intérêt ; elle ne prend que pour restituer avec une plus abondante compensation. Tout ce qui s’offre aujourd’hui à vos regards, c’est ce qui exista autrefois ; tout ce que vous perdez reviendra. Toutes choses s’éloignent pour se retrouver à leur point de départ: tout commence après avoir fini, rl 11e meurt que pour renaître. Fuen ne péril que pour son bien. Celle vicissitude éternelle de la nature, sans cesse roulant dans le même cercle, vous donne le témoignage sensible de la future résurrection des morts. Dieu en a empreint la vé-rite sur chacun de scs'ouvrages, avant de la cou-signer dans scs Ecritures ; il l’a enseignée par les effets de sa puissance, avant de l’enseigner par sa parole. 11 a fait de la nature le premier livre qui nous amène aux instructions de la prophétie ; afin qu’après avoir pris leçon de la première nous soyons plus disposés à écouter l’autre, à conclure de ce que nous avons sous les yeux en faveur de ce qui nous est annoncé , et à croire 1er-moment que le mémePicu nous ressuscitera, quand nous le voyons tout renouveler. Toutes choses ressuscitent pour l’homme, à qui elles ont été des-tinées; el l’homme, c’est-à-dire cette chair pour qui et dans qui rien ne meurt, l’homme seul ne ressusciteroit pas ? (Chap. xil. X111.)
Nous avons de semblables descriptions dans bien des philosophes et des orateurs. Je n’en cannois pas où il y ait plus de cette poésie d’expression <;ai donne au rai-sonnemenl une force nouvelle.
Si donc la chair est susceptible d’être rétablie ; (page 588.) s'il y a un Dieu, une toute-puissance capable d’o-pérer ce rétablissement, il doit y avoir aussi une cause qui en fonde la nécessité: quelle est-elle? Ecoutez, ô vous à qui nos divins oracles appren-lient qu’il y a un Dieu également bon et juste ; bon par sa nature, juste par l’obligation où nous l’avons mis de l’être (1). Car si l’homme n’eut point pé-ché, l’homme n’eùt connu de Dieu que l’attribut de sa bonté. S’il éprouve sa justice, c’est lui-même qui l’a rendue nécessaire. Toutefois la justice s’exerce sans déroger à la bonté. Bien plus elle la suppose : car c’est être bon que de récompenser le bien cl de punir le mal. J’ai établi dans mes livres contre Marcion que c’est le même Dieu qui fait l’un et l’autre : qu’il n’y a point de partage dans les perfections qui composent sa divine es-sence: qu’il doit être juge, puisqu'il est Seigneur, Seigneur parce qu’il est Créateur, Créateur parce qu’il est Dieu. S’il dérive de ces principes qu’il doive y avoir un jugement, le dogme de la réstir-reclîon en devient la conséquence naturelle. L âme et le corps devant subir le jugement, donc il faudra que la chair ressuscite. Nous disons donc qu’il faut croire à un jugement plein, absolu, qui sera rendu par Dieu à la fin des temps, et qui sera irrévocable, (l’s. xcv.'°·) qui s’exercera en toute justice , comme ne pouvant pas agir inégalement entre l’âme et la chair, qui sera digne de Dieu, comme devant satisfaire par mi(‘ pleine d entière reparation à tant d’outrages que sa patience a supportes : condit ions qui ne se-!,oient pas remplies si le jugement ne devoil pas s’exercer sur l’homme tout entier. Or, puisque ce qui fait l’homme, c’est l’union de sa chair à son âme, c’est donc, sur l’homme tout entier (pie pur-lera le jugement. Enfin il doit être juge tel qu’il aura vécu, puisqu’il doit cire juge sur la manière dont il aura vécu. (Chap. xtv).
(1) Bossuet :«Ce que Dieu esl bon c’esl <111 sien cl de son propre fonds; ce qu’il es( juste , c’est du nôtte. » Serm. torn. ix, pag. a85. Bourd. slse.nl, pag.47. Joly, OEuvres mêlées, pag. 565, 366.
Terlullien s’arrête sur les passages de l’Ecriluie , par-ticulièrcmcnt sur les textes des épi 1res de saint Paul cl. de !’Evangile, où la foi de la résurrection de la chair et de !’immortalité de l’âme est établie invinciblement, et attestée sans réplique par la résurrection que Jésus-Christ a faite de sa propre chair ; comme sur ceux où les peines réservées au crime et les récompenses pro-mises à la vertu sont clairement exprimées. L’Ancien et le Nouveau Testament lui fournissent les témoignages les plus décisifs, qu’il enchaîne et qu’il explique avec autant de sagacité que d’érudition.
Ou l’homme est sans destinées, point de royaume céleste à prétendre, point de rigoureux jugement à redouter, point de résurrection, contre la parole expresse de Jésus-Christ : ou s’il y a pour l’homme un avenir, il faut de toute nécessité conclure que les deux substances dont l’homme se compose sont réservées au dernier jugement (Chap. XXX11. )
La chair ressuscitera: elle ressuscitera, quelle (‘ !’·׳R0 I‘2׳·) qu’elle soil, la même, et lout entière. Le péché qui entraîna la ruine de l’homme aporie'ses ravages sur tout son êlre ; sur son âme par la concupiscence, sur sa chair par la sensualité'. L’homme lout entier a élé frappe de mort : il doit êlre sauve tout entier. 11 ne seroit pas digne de Dieu de ne sauver que la moitié' de l’homme, de ne lui accorder qu’une demi-grâce, quand nous voyons les princes de la terre ne pas mettre de restriction aux bienfaits (Luc. xv. 4·) qu’ils accordent. Le pasleur qui recueille sa brebis fugitive et la charge sur ses épaules, la ramène au bercail tout enlière. Dieu auroit-il moins de puis-sance pour réparer l’homme, que le démon n’en avoit eu pour le perdre ? (Chap. XXXIV. )
(Page 405.) Jésus-Christ nous parle de pleurs el de grincemens (Matth. VIIJ.1 . 1 b) de dents, de ténèbres extérieures dans le séjour des (Maiilu xxii, 12. ) vengeances, Le téméraire qui s’est introduit dans la salle du festin sans avoir mérité d’y êlre admis par de bonnes œuvres, est jeté dehors pieds et mains liées : ces châtimens supposent des yeux, des sens, des organes, un corps ressuscité. (Chap. X\XV.) Il (Joan. v. )déclare que Γheure viendra où tous ceux nui sont morts dans les sépulcres entendront la voix du Fils de Dieu; et ceux qui auront fait de bonnes œuvres sortiront des tombeaux pour ressusciter à la vie. mais ceux qui en auront fait de mauvaises en sortiront (Page 406.) P0lir ressusciter !i leur condamnation. Qu’v avoit-il dans le sépulcre, qu’une chair morte? car qu’est-ce que les sépulcres, sinon des hôtelleries de ca-davres ? (Chap, xxxvn. )
Savant commentaire des textes de saint Paul en té-moignage de la résurrection.
Les apôtres surtout , quand ils prcchoient aux , (״ן_) Juifs le dogme de la résurrection, ne leur appro-noient rien de nouveau, à la gloire près de la ré-surrection du Sauveur. (Chap, xxxix).
L’âme et la chair ressuscitées seront en coinmii-nauté de Moire, comme elles avoient été en communauté de souffrances. (rage Z! 30.) « Il est bien juste que celle chair auparavant associée aux épreuves de l’âme , le soit à scs récompenses (1). »
(1) Joly, OEuvrcs mêlées, pag. 565,566. Et dans Ions l<׳s serinons׳ sur l’enfer.
Exemples des vierges, des solitaires et des saints confesseurs. (Chap. xl).
Jésus-Christ en quittant la terre nous a laissé (i1g ) pour gage son Esprit-Saint ; en y entrant il s'étoit revêtu de notre chair pour en faire le gage de son alliance avec nous, et l’a transportée avec lui dans le ciel, en attendant que la masse entière aille se réunir à la partie qui la représente. Rassurez-vous donc, ύ chair et sang de l’homme, Jésus-Christ vous a donné dans son humanité un litre à la pos-session du royaume céleste. Que si on vous le conteste, autant nier que Jésus-Christ lui-même habite ce mcrne ciel d’où Ton voudroit vous exclure. ( Chap. LL )
(Page ׳jio.) Le tombeau, en dévorant avec le temps laparlie mortelle (pii lui fiiï confiée, n’a rien pu sur la partie dont celle-ci n’eloit que l’enveloppe, rien sur le germe de vie qui !’avoit animée , rien sur son prin-cipe d’immortalité. (Chap. XL11.)
(Page 420. 1 Cor. xv. vers. 55.) Vous demandez : En quelle manière les morts ressusciteront-ils, et quel sera le corps dans lequel ils reviendront ? P 1\\x\ a ,prévu l’objection, et il y répond , par une comparaison avec la semence : Insensé ! (36.)ne voyez-vous pas que ce que vous semez ne prend point de vie s'il ne meurt auparavant? Le laboureur qui a semé du froment qui fui bientôt consumé dans la terre ne le voit point se changer en orge ni en une autre semence. Le grain jeté , (‘I dissous en terre, quelle qu’en puisse être la corruption , est ce même grain , formé des mêmes (démens: mais nu, (:•,-.) ajoute l’apôtre, c’est-à-dire .dépouillé du superbe tuyau qui en faisoil le sup-port et l’ornement, jusqu’à ce qu’il reçoive un corps nouveau que Dieu lui donne tel qu’il lui niait, (:•,-.) conservant à chaque semence le corps qui est propre à chaque plante. Comment seroil-il conservé s'il étoit anéanti, s’il ne doit pas ressusciter, el ressus-citer dans sa première forme? S’il esl conserve au sein de la destruction . c’est pour attendre ce non-veau corps que Dieu lui donnera selon sou bon plaisir, mais toujours analogue à son ancienne constitution; non plus nu et solitaire, mais accru de la brillante parure , soutenu par le tube qui l’clançoit, revêtu de son épi, multiplié avec une abondance qui a payé la semence largement. C’est là le nouveau corps qu’il reçoit: il a changé en s’améliorant, non en se détruisant. Ce n’est plus, si (Page 121.) vous voulez , le premier corps; mais un corps qui ne cesse pas d’être le sien, par !’accroissement qui lui est donné: image fidèle de la résurrection. Cette chair semée dans l’abjection du tombeau se relèvera comme une riche moisson: la même, (45.) bien qu’avec des formes plus parfaites : même chair pour tous, dans sa substance , mais différente selon le degré de gloire qu’il plaît à Dieu d’attacher aux divers mérites qu’il voudra récompenser, ((a* que !’Apôtre confirme par les exemples tirés des corps célestes, participant à un même principe qui (f<»,4׳·) les fait lumineux, mais avec plus ou moins d’éclat dans la lumière qu’ils répandent.) (Chap. LU.)
Oui, elle ressuscitera cette chair, elle ressuscitera (Page 429.) tout entière dans les mêmes formes perfection-nées. En quelque lieu qu’elle demeure , dans quel-ques profondes retraites qu’elle ait été ensevelie, engloutie au fond des eaux ou consumée par les flammes, ou dévorée par les animaux féroces, renfermée dans le sein de la terre d’où elle lut tirée, n’importe: (*lie y reste sous la main du Dieu qui l’y tient en dépôt jusqu’au jour de lare-surreclion générale, où le même Dieu la rendra a l’âme par qui elle fut habitée. Ces élémens où elle se trouve dispersée ne furent que des vases où elle étoit conservée. Que ces vases eux-mêmes vieil-nenl à se dissoudre, la chair s’en écoulera renou-velée, affranchie, ramenée à une existence non-velle. (Chap, LXHI.)
Bossuet a traduit vingt fois ces magnifiques expies-sions (1). Louis Giry a publié ce qu’il appelle une Ira-duclion des deux Traités de la chair de Jésus-Christ, cl de la résurrection de la chair, après celle de l’Apologéti-(pie (2). Ce n’est pas là qu’il faut aller chercher Ter-tullica.
(1) Voy. entre autres le Serm. sur la mort et L'immortalité, loin, v, où il reproduit avec la magnificence ordinaire du langage qui lui est propre , une foule de pensées et d’expressions empruntées à Tcrliil-lien ; et le Se/7». de Pâques, tom. vm, pag. 48· ljC 1’· Lenianl a de même paraphrasé avec éloquence les plus beaux textes de rertullien , dans lu prcm.part.de son Scrrn. de Pâques} tom. vm, pag. 102, 1u>,
(2) 1 loi. in-12. Paris, 1661.
Recherches philosophiques sur sa nature et ses propriétés.
L’église a condamné l’opinion capitale qui s’y trouve défendue. Tertullicn y soutient que !’âme est corporelle : scs expressions sont trop claires pour admettre aucune explication favorable (3). Il est vrai qu’il l’appelle égale-ment esprit, mais non dans le sens rigoureux que nous attachons à cc mot, qui nous présente l’idée d’une intelligence pure, indivisible, simple, dégagée de toute matière. Tertullien la conçoit sous l’image d'une sub-stance plus déliée, ])lus agile, plus pénétrante que les corps exposés à la perception des sens; distinction sub-tile qu’il fait valoir avec force contre Hcrmogène et les valenliniens, mais qui ne sauve pas l’erreur du fond delà doctrine. Séduit parles imaginations d’une femme ( Priscillc ou autre), laquelle racontait que, dans un moment d’extase, elle avoit vu une âme revêtue de qualités sensibles, lumineuse, colorée, palpable, d’une figure absolument humaine (1), Tertullien éta-blit son système, l’appuie de tous les sophismes que sa brillante dialectique et sa profonde érudition pouvaient fournir à une mauvaise cause, remporte une victoire facile sm· tous les philosophes d’avant lui, qu’il appelle des animaux de gloire, P hilosophus animal g toriœ(2)‘f et s’égarant à son tour dans ses chimères, justifie à la lettre le mot qui lui a été tant defois appliqué : Ubi bene, nemo melius, ubi male, nemo pejus.
(3) iJejinimus animant Dci flalu nalam, immorlalcm , corporalcm, effigialam.i^»\i. x.xn, pag. ô>'|.
(1) Ostensa est mihi anima corporaliler, et spùïlus uidebatur, sed noninanis et vacuœ qualitatis, imoqu.ee etiam teueri repromitteret, tenera, et lucida, et aerii coloris, et forma per omnia human a. c. ix. pag. 311.
(2) Bossuet, Panégjrr. pag. 196.
Le premier des philosophes qu’il attaque, c’est So-crate. Tertullien n’est pas dupe de l’héroïsme préten-du de ses derniers momens. L’assurance dont il fait montre dans ses entretiens avec ses disciples venus lui annoncer sa condamnation, tenoit à une affectation de constance réfléchie plutôt qu’à une conviction intime de la vérité. Socrate dissertai!tde l’immortalité en présencc de la mort ne lui paroîl qu’un faux brave qui se venge de scs persécuteurs par le mépris de leur sentence.
(Page 3״j.) Qui jamais a découvert la vérité, à moins que Dieu ne la lui ait enseignée ? A qui Dieu l’a-t-il fait connoître, que par son Christ? A qui Jésus-Christ l’a-t-il communiquée autrement que par son Esprit-Saint; et l’Esprit-Saint que par le sceau de la foi? Il n’y a que Dieu qui puisse nous apprendre à con-noître ce que nous tenons de lui : et nous ne devons pas espérer de savoir d’aucun autre que de lui ce qu’il■ nous a laissé ignorer. Ce qu’il nous cache l’est pour toujours. C’est à lui seul que nous devons demander qu’il nous éclaire. Ce qu’il n’a pas révélé, il est plus sur de l’ignorer que de vouloir l’appro-fondir. (Chap. I.)
(Pa״ç 5o5) Je conviendrai pourtant qu’il est arrivé quelque-fois à des philosophes de se rencontrer avec nous; « il n’est pas étonnant que cette longue et terrible tempête d’opinions et d’erreurs les ail quelquefois jetés au port par aventure, et par un heureux égare-ment (1). »Une sorle d’instinct naturel répandu dans tous les esprits leur laissoil entrevoir quel-ques rayons de vérité au milieu de leurs ténèbres : mais pour en faire honneur à leur sagesse : unique-ment jaloux de la gloire de bien dire, de manier habilement le pour et le contre, de se faire admi-rer plutôt que de chercher à instruire. De là lout ce vain échafaudage de systèmes et d’opinions (pii s’entassent les unes sur les autres, se heurtent et se détruisent mutuellement (1). Le chrétien n’a pas (p5 .)״״ü6>) besoin de longs discours pourconnoître ce qu’il doit savoir. La précision marche toujours à côté de la certitude (2): il n’cstpaspermis de chercher au delà de ce qu’il nous est possible de trouver. L’Apôtre ne veut pas de ces interminables questions. Plût au (! Tim. !. 4.) ciel que les hérésies n’eussent pas été un mal né-cessaire ! nous n’aurions rien à démêler sur la ma-ti ère de l’ame avec les philosophes, que j’appellerai les patriarches des hérétiques (3) ; d’où vient que saint Paul appelle la philosophie le renversement de la vérité (4).
(1) Bussiiel, Piuiêi'yr. pag. 514·
(1) Voy. Massillon, Carême, loin. 1 , pag. 108 et sniv. Et tous les discours où il est traité de la sagesse humaine, de sa Ibiblesse, de ses erreurs et de ses contradictions.
(2) Carisliano paucis ad scicntiam opus est.a Le chrétien n’a pas besoin d’une grande étude, ni d’un grand appareil de littérature; peu de choses lui suffisent pour connaître de la vérité autant qu’il lui en Tant pour se conduire. » Bossuet, Serin, tom. vi, pag. 65.
(3) Hcerelicorum patriarchal philosophi. Terlullien les avoit déjà qualifiés de la sorte (Advers. Hermogen. cap. vin, pag. 269,) ce qu’il explique par ce mot : Ipsi UH sapientice projèssores, de quorum inge-niis omnis Jueresisanimatur. Ada. Marcion. lib. 1, cap. xin, pag. 4^9·
(4) Nequis vos deprœdetur, sen concutialperphilosophiam.CoXos. 11,8, Græce. Vid. Paniel. not. ad Terltill. pag. 266. « Ce qui fait dire ce beau !nota Tertollicn : Concussio verilatis philosophia : qu’elle sapoit les londoniens de la vérité, qu’elle en étonnoit les remparts et qu’elle en a bat toit les défenses. » Senault, Panégyr. tom. 11, pag. 421. «Car, comme les beliers ébranlent les boulevards qu’ils choquent de leurs fronts de fer, on peut dire avec Terlullien que les philosophes étonnent la vérité en !’attaquant avec leur impudence , comme avec tin front d'airain. » Ici. torn. 111, pag. 5py.
Tertullien les passe eu revue, à commencer par ceux (Page jo;.) jc ja Gr£ce ״ saus Joute que la sagesse divine se seroit méprise en établissant et son berceau et son école dans la Judée plutôt que dans la Grèce. Jésus-Christ s’est trompé en appelant à la prédication de son Évangile des pêcheurs plutôt que des sophistes. ( Chap, in et iv. ) Il (lage 008. ) I(4f״(C, Cn passant, Lucrèce »( Chap, vet vi.), et revient à Platon, qu’il accuse hautement d’avoir fourni la ma-tière de toutes les hérésies (1); argumente d’après l'histoire (Page jio) de Lazare, qu’il regarde comme un événement réel. « Car à quoi bon le nommer, si ce n’étoit qu’une parabole. Au reste, parabole ou histoire, n’importe! elle n'en rend pas moins témoignage à la vérité. » ( Chap, vu.)
(1) Dolco bona fide Platonemjaclum hœreùcorum oumiuin condi-pienlciriuin. Cap. xxm.
Puis, il disserte longuement sur les sens, leurs orga-nos et nos sensations, sur le sentiment et l’intelligence, sur la raison, sur la vie dans les plantes et les animaux. ( Chap, vin, ix.)
(Contre le courage philosophique). « L’on coin־· bat la douleur avec patience; mais, dans un com-bal si opiniâtre, quoique l’ârne soit victorieuse, elle ne peut pas être sans agitation ; au contraire, elle s’agite elle-même par le grand effort qu’elle fait pour ne se pas agiter : 111 hoc lamen mfrta ne inoveretur (2). » (Chap. X.)
(2) Bossuet , Semi. tom. IX, pag. 22׳j.
« Quand la vigne est encore jeune et foible, vous la voyez qui tâche de se soutenir et de se fortifier contre l’impétuosité des vents , sans attendre pour cela le secours de la main d’un vigneron qui fat-tache ; elle se jette à ce qu’elle rencontre et elle l’embrasse avec tous les petits filets qu’elle pousse : c’est par-là qu’elle se soutient; et plus elle est vieille, plus ces appuis qu’elle a pris d’abord lui servent pour l’empêcher de tomber (1).” Même instinct dans le lierre qui, à peine sorti de terre, s’ene'lève pour aller de lui-même s’attacher à ce qu’il ren-contre , circule le long des murailles , auxquelles il s’unit e'troitement, s’y enlace plutôt que de ram-per. Au contraire, l’arbuste, qui ne sent pas le be-soin de support, s’en éloigne à mesure qu’il gran-dit ; il refuse de croître à l’ombre des murailles ; il avoit le pressentiment de son indépendance : pour-quoi ne chercherois-je pas à leur ressembler (2) ? ( Chap. xtx. )
(1) Trad, par Joly, Disc, de communion, OEuv. méléeà ,pag. 260. Voy. dans le 1er vol. de cet ouvrage les pages 224 d 225.
(2) Joly développe cette réflexion morale : « Voilà ce que vous devez faire : vous avez eu le bonheur de vous attacher à Jésus-Christ ; vous lui êtes attachés parle plus fort de tousles liens ;ne vous en séparez jamais, et servez-vous de ces premiers atlachemens pour lui être toujours unis, malgré les vents de votre propre inconstance, et les orages de vos ten-tâtions. » Ibid. pag. 261.
Il combat avec force les réminiscences de Platon , la (p״ge 5a5>) métempsycose de Pythagore. «A la place de tout cela, je veux le jugement de mon Dieu, souverain, équitable, (Page 506.) solennel, tel qu’il convient à sa justice, a son autorité, à sa majesté, qui ne soit pas dépendant comme ceux des hommes exposés à pécher par excès 011 de sévérit'é ou d’indulgence dans les peines et les récompenses qu’ils prononcent. »(Cap. xxxm.)
Sur la plénitude de la justice en Dieu :
(Page 557) D n’y a r*en P^us accompli que ce qui va le plus loin possible ; rien de plus parfait que ce qu’il y a de plus divin. Le jugement re'serve' à la fin des siècles sera donc d’autant plus absolu qu’il sera sans bornes dans les récompenses comme dans les châtimens, en vertu d’un arrêt qui embrassera l’éternité.
(Γ! e 542) ־La lum,ère que Dieu a imprimée dans notre âme peut s’y éclipser, jamais s’anéantir. ·Pas une âme, quelque dépravée qu’elle soit, où il ne reste encore quelque rayon de cette lumière primitive qui vient de Dieu ; comme aussi il n’y a pas une âme, si parfaite qu’on la suppose, où il n’y ait quelque tache. Il n’y a que Dieu qui soit sans pé-cbé; et, parmi les hommes, Jésus-Christ seul fut sans péché, parce que Jésus-Christ est Dieu. Lors-(Page 545.) yue !,âme, régénérée par la vertu céleste du sacre-ment de baptême, est entrée dans le domaine de la foi, le voile épais que son ancienne corruption avoit étendu au-devant d’elle se trouvant abattu , !’Esprit-Saint l’adopte et s’unit à elle. Alors,«comme on voit dans les mariages que la femme rend son épopx maître de ses biens et lui en cède l’usage, ainsi l’âme , en s’unissant à !’Esprit de Dieu, et se soumettant à lui comme à son epoux» lui trans-porte aussi tout son bien, comme e'tanl le chef et le maître de cette communauté bienheureuse , et la chair la suit comme une partie de sa dot; et au lieu qu’elle étoit seulement servante de l’âme, elle de-vient servante de !’Esprit de Dieu (1). » (Chap.XLl.)
(1) Trad, par Bossuet, Serin. Loin. 1, pag. 197.
Ses réflexions sur la mort sont profondes.
« C’est, dit Tertullien, par l’image de la mort (pagc 545.) que l’on s’accoutume à la foi, que l’on s’attache à l’espérance (2), » que l’on apprend à la fois à vivre et à mourir. (Chap. XLI11.) Le sommeil, mi-roirde la mort. C’est là un arrêt qui pèse sur tout le genre humain; c’est la dette de la nature, l’o-racle émané de la bouche de Dieu. On n’est entré (Gcn. !9! .״.) dans le monde qu’à la condition d’en sortir.
(2) 1’. Lame, Serm. sur la pensée de la mort, Car. torn. 1, pag.
(Chap. L.) Le premier homme n’éloit pasné mortel, il l’est devenu. Il n’eùt point été sujet à la mort, s’il n’avoitpas péché. (Chap. LU.) Tertullien raconte (Page 550.) avoir connu une femme née de parons chré-tiens , morte dans la fleur de son âge, peu de temps après son mariage. Elle s’éloit endormie dans la paix du Seigneur. Avant que l’on procédât à son enterrement, au moment où le prêtre commençoit les prières accoutumées , on la vit croiser sur sa poitrine ses mains qui ne retombèrent sur les cô־ tés qu’après que les prières eurent été finies. (Chap. Li. )
C’en est assez du moins pour attester que l’usage de prier pour les morts n’est pas d'institution moderne.
(l>age 555.) Que Terlullien ait soutenu ou non l’opinion que toutes les âmes justes, même celles des martyrs, soient retenues comme en séquestre après la mort dans un certain lieu souterrain jusqu’au jour du jugement, et il paraît assez difficile de l’en défendre (1) ; toujours som-mes-nous en droit d’y voir un témoignage de plus rendu par ce savant Père à la foi du purgatoire. Déjà, dans son quatrième livre contre Marcion , il avoit distingué les enfers d’avec le sein d’Abraham, où sont les âmes des justes, affirmant que c’est un lieu qui n’est pas à la vé-rité dans le ciel, mais qui est au-dessus des enfers (2) : JStsi non cceteslem, sublimiorem tameii inferis. Ici il prétend que toutes les âmes ne jouissent pas immé-diatement delà plénitude des récompenses, mais qu’en attendant il y en a qui sont condamnées à des souffrances en proportion de leurs péchés (3). Toujours cette opinion lui fournit-elle des expressions heureuses dont les modernes ont profité. Parlant des morts qui ressuscite-rent au jour de la mort de Notrc-Seigncur, (et parmi eux il compte les patriarches et les prophètes,) il dit que ces résurrections, dont on h’avoit pas entendu par-1er jusqu’alors, n’étoient que des suites de celle de !’Homme-Dieu, des gages et des preuves de la nôtre: Appendices resterreclionis Christi (1). (Chap, lv.)
(1) Voy. dans Dupin la note delà pag. 262, tom. 1, Biblioth. ecclés. contre l’assertion de Petit-Didier, dans ses Remarq. critiq. tom. 1, pag. 166. Tillem.Afém. tom. 111, pag. 221. D. Ceillier, Hist, desécriv, ecclés. tom. 11, pag. 522.
(2) Chap, xxxiv. Autres passages semblables : De resur. cam. cap. xvii. et Scorp. cap. vi. Les écrivains protestans conviennent que la créance du purgatoire étoit établie dans !’Église dès l’an 158. Daillé, Depœn. et satisf. lib. v. cap. vu, pag. 490· Blondel, Des sibyll. liv. 11, ch. xxiii, pag. 250.
(3) Les paroles par lesquelles Tertullien achève ce traité ne laissent nulle équivoque à cet égard : Puisque nous entendons par enfer la prison dont parle Jésus-Christ dans son Évangile ( Matth. v. 25.), et parle paiement de la somme entière jusqu’à la dernière obole (Ib. 26.), la faute en apparence la plus légère ; nous devons également entendre unlieu d’expiation oùelle est punie jusqu’à la résurrection.· Insumma, quum carcerem ilium quern Evangelium demonstrat, inferos intelliga-mus, et novissimum quadrantem, modicum quodque delictum, mora resurrectionis ïllic luendum interpretemur. Aussi les adnotateurs de Tertullien observent-ils : In mora resurrectionis purgari animas, et modicum quodque delictum eluere, quid aliud quam purgatorii pœna! edit. Rig. pag. 30ק.
(1) Joly, Disc, pour la veille de Pâques, OEuvr. mél. pag. 351. Bourdaloue applique ce mot aux pécheurs convertis, et devenus par leur pénitence « abrégés et copies de la résurrection de Jésus-Christ. >> Car. torn, ni, pag.282.
C’est particulièrement de l’oraison dominicale que (Page *49-) traite ici Tertullien, comme étant la prière par excel-lence , puisqu’elle a pour auteur !’Esprit, la parole, la raison de Dieu, notre Seigneur Jésus-Christ, qui l’a en-seignée de sa bouche sacrée à ses disciples. Elle est l’abrégé (Matth. vi. g.) de tout le christianisme. C’est par elle que toutes les demandes faites à Dieu doivent commencer et finir.
Ce sont toutes expressions de Tertullien.
Ce traité peut se diviser en deux parties dont l’une regarde la morale, l’autrç la discipline.
Tertullien développe chacune des propositions qu’elles renferment ; et l’on a eu raison de dire que personne après lui n’en a su mieux pénétrer le sens, ni en tirer une instruction plus solide (1). A son exemple, la plu-part des Pères se sont exercés sur ce sujet; et l’on s’étonne qu’on l’ait presque entièrement abandonné dans les temps modernes.
(1) Rigalt. In no lis ad Tcrlull. pag. 129, note n.
Saint Cypricn, venu après lui, a beaucoup profité de son travail. Son traité sur le même sujet n’est, à pro-promeut parler, qu’une répétition de celui-ci, à quel-ques additions près. Nous les réunirons à l’article du saint évêque de Carthage.
(lage 255.) jæ scu! mot 1)aptgjne excite dans Fame de Ter-tullicn un vif sentiment de recon noissancc pour le bien-fait de ce sacrement, où l’eau dans laquelle nous sommes plongés nous fait passer du coupable aveuglement où nous étions à l’héritage delà vie éternelle. (Chap. 1. ) Tout le livre est divisé en deux parties, dont la pre-mière concerne le dogme et l’autre la discipline. Dans la première, il défend la nécessité et !’efficace du sacre-ment de baptême, contrôles hérétiques appelés Caïni-tes, dont l’oracle étoit alors une certaine Quintilla, montanistc fanatique.
Piien ne déconcerte plus les idées humaines que la simplicité des opérations divines dans ce qui frappe nos sens, rapproché de la magnificence des effets qui en résultent, et des espérances qui s’y attachent. Un peu d’eau, une cérémonie sans beaucoup d’appareil extérieur, quelques paroles pour purifier l’homme, laver son âme de ses péchés, et lui mériter les récompenses de l’éternité! A la vérité, le paganisme avec la pompe de ses solenni-tés semble mieux fait pour commander la vénéra-lion. Malheureuse incrédulité , qui conteste à Dieu ce qui n’apparlieni qu’à lui, le pouvoir d’unir la sim-plicité à la toute-puissance! Oui sans doute, c’est quelque chose d’extraordinaire que le bain sacré du baptême triomphe de la mort ; mais toute mer-veilleuse qu’elle est, est-ce donc une raison de n’y pas croire ? Bien plus : parce que le vrai caractère (Page a56.) des opérations divines est d’être au-dessus de toute admiration, nous aussi nous en sommes dans l’étonnement, parce que nous y croyons; tandis que l’incrédulité s’en étonne faute d’y croire. Ce qui est simple lui paroît illusoire ; ce qui est magnifique lui semble impossible. Ainsi l’oracle s’accomplit, que Dieu a fait choix de ce que les (’·Co1*,,a"·) hommes estiment n’être que folie, pour confondre toute leur sagesse. Et ce qu’ils répulent difficile ne coûte rien à la divine toute-puissance. ( Chap.π, III. )
A remonter jusqu’aux premiers jours du monde, nous voyons « que Dieu n’a rien fait qu’avec de l’eau ; et soit qu’il ait étendu le ciel sur nos têtes, soit qu’il ait affermi la terre sous nos pieds, il a employé cet élément pour opérer ces deux miracles. (1) (Chap, iv.) Avant meme la cre'ation de (Gen. !. 2.) l’homme , !’Esprit de Dieu porté sur les eaux leur imprimoit son principe de vie et de fécondité ; il sanctifioit l’eau par sa propre vertu, et lui commu-niquoit la vertu de purifier, en agissant sur l’âme, effaçant ses péchés, de même qu’elle lave le corps (Page 257.) des taches qui le souillent. Ces péchés qui la cor-rompent, on ne les voit point à l’extérieur; vous êtes idolâtre , impudique , menteur: nulle trace de ces vices sur votre chair; l’âme seule en est infectée. Ainsi, par une opération intérieure , l’eau du bap-tême agit sur les souillures intérieures. Quand l’âme pèche, la chair en devient la complice par la liai-son intime qui les unit l’une à l’autre : ainsi encore la vertu du sacrement administré à l’extérieur se produit-elle sur l’homme tout entier, qui en sort renouvelé. (Chap. IV.)
(1) Trad, de Scnault, Panégyr. torn. 11, pag. 507·
(Page 258.) Dans l’ancienne loi, lapiscinedeBethsaïde, dont Joan., v. 2. |’eau remuée par un ange guérissoit les malades qui pouvaient s’y plonger, n’étoit que la figure des guérisons spirituelles qui s’opèrent dans la pis-çine sacrée du baptême. Là, nos iniquités nous sont remises, la sentence de mort est effacée, la tache une fois ôtée la peine est aussi remise, l’homme redevient ce qu’il avoit cessé d’être, l’image de Dieu. (Chap.v.) L’eau ne nous donne pas encore la plénitude de !’Esprit-Saint, mais elle nous prépare à la recevoir. Comme le saint précurseur pré-paroit les voies à Jésus-Christ, (Matlli. ni.) ainsi l’ange présent au baptême prépare la voie au Saint-Esprit, par l’absolution de nos péchés, que nous obtenons par la foi, confirmée et scellée par l’invocation du Père, du Fils et du Saint-Esprit. (Chap. VI.) Au sortir du baptistère, nous recevons l’onction qui imprime à notre âme le caractère du royal sacer-doee ; puis on nous impose les mains pour attirer sur nous le Saint-Esprit. A ce moment, !’Esprit divin , source de toute sainteté, descend volontai-rement, d’auprès de Dieu Père, sur cette chair purifiée et consacrée par la bénédiction (1). (Chap. VII, VIII. )
(1) Développé par Bourdal. Serin, sur le caractère du chrétien, Dominic, torn, iv, pag. 65. Montargon , Diet, apost. tom. 1, pag. 582.
(Page 25g.) La vertu du baptême nous est encore retracée parles figures de !’Ancien Testament; tantôt par le miraculeux passage de la mer Ptouge , (Exod. xiv.22.) où Israè'l trouva son salut, en laissant englouti dans les eaux son cruel persécuteur; (Ibid. xv.25.) tantôt par cette eau qui, d’amère qu’elle étoit, devint douce, par la vertu du bois que Moïse y jeta ; (Ibid. xvii.6.) tantôt par l’eau découlant des rochers: toutes prophéties de Jésus-Christ et de l’efficacité qui devoit se commuai-quer à l’eau du baptême. L’eau intervient dans les principales circonstances de la vie de notre Sei-gneur: l’eau intervient à son baptême , au miracle (Joan. 11. 1.) (Jes noces de Cana, (Joan. 1v. 7.) dans son entretien avec la Samaritaine, (Ibid. xix.) jusque dans sa passion, par l’eau épan-dice de son côte', sous le fer de la lance qui l’a (Ibid. xhi. 5.) percti· U prend de l’eau pour laver les pieds à ses (Mal2^· x,v*) apôtres; il marche sur les eaux, et leur fait reconnoître (Ibid. x. 42.) sa puissance ; il fait d’un verre d’eau donné en son nom la matière de la plus magnifique récompense; (Joan., 1v.) il promet à ceux qui ont soif de la justice de leur faire boire d’une eau qui ne tarira jamais. (Chap. IX.)
(Page 260. Marc. 1.8. k) ( A l’occasion du baptême conféré par saint Jean) Tertullien affirme bien qu 11 etoit divin, par l’autorité divine qui le commandoit, mais non quant à son effet, ne donnant rien de céleste, mais préparant aux choses célestes par la pénitenec , (Ibid. 15.) ainsi que saint Jean le déclaroit lui-même.( Chap.x. xi.)
Les ablutions judaïques se réitéroient chaque jour, parce que chaque jour on péchoit : le chré-tien ne reçoit le baptême qu’une fois, pour déclarer qu’une fois qu’il a été reçu on ne doit plus pé-cher. « Que lu es heureuse, eau du baptême, eau mystique, qui ne laves qu’une fois, qui ne sers point de jouet aux pécheurs, qui, n’étant point souillée de beaucoup d’ordures, ne gâtes point ceux que tu laves (1) ! >»
(1) Trad, par Bossuet, Svnn. tom. 11, pag. 106, et tom. v, pag. 14g.
Les questions qui suivent roulent sur la nécessité du (l>a״e 0G’’) baptême, sur le ministre du sacrement; sur quoi, Ter-tullien remarque que :
C’est à l’évêque surtout qu’il appartient de le conférer; et après lui, les prêtres et les diacres, toutefois avec sa permission, «l’honneur de l’épis-copat établissant la paix de !’Eglise (1) ; » sauf les cas de nécessité, où toute personne, excepté les femmes, peut !’administrer. (Chap. XV11.)
(1) Bossuet, Panégyr. de S. François de Sales [ad hune locum), Panégyr. pag. 45·
Réflexions sur l’état et l’âge où l’on doit le recevoir, sur le temps le plus propre à l’administration du bap-tême, enfin sur les pieux exercices nécessaires pour s’y bien préparer.
Parce que les catéchumènes, pressés d’un désir page264. impatient de se voir incorporés dans !’Eglise de Jésus-Christ, demandoient avec instance qu’on les , admît au baptême, ce que l’on jugeoit quelquefois à propos de différer pour avoir des preuves plus certaines de leur foi ; Tertullien leur remontre que, s’ils avoient bien compris ce que c’étoit que le baptême, ils l’auroientplutôt craint qu’ils ne l’au-roient souhaité (2), vu les sérieux engagemens à quoi il oblige, et qu’il caractérise par cette ex-pression remarquable : Le poids du baptême, pondus baptismij que la plupart de nos pre'dicateurs lui ont emprunte'e (1). (Chap, χνίπ.)
(2) Bourdaloue explique ce sentiment de Tertullien. Serm. sur l'amour de Dieu, Car. torn, nr, pag. 62.
(1) Voy. Bourdal. Supra. Joly, Domin. toni. 1, pag. 190 et suiv. Le P. Lejeune, Serm. sur le baptême, torn. 1, seconde part. pag. 8go, ont développé la doctrine de Tertullien.
Il termine en leur disant:
(Page 265.) L’unique grâce que je vous demanderai , c’est de n'oublier pas dans vos prières Tertullien pe'clieur.
(Page 13g.) Apres avoir exposé les diverses manières dont nous péchons, Tertullien développe le principe, les avan-tages et les conditions de la pénitence. Exemples : Adam après sa chute; le peuple de Dieu, toujours ingrat, toujours rappelé àla pénitence par les prophètes ; Jean-Baptiste prêchant la pénitence avant d’admettre au baptême.
Irrité contre cette foule de crimes dont le père de la race humaine avoit donné le fatal exemple à sa postérité, Dieu l’en a puni en chassant Adam du paradis , en !’assujettissant à la mort, et lui lais-sant à elle-même la misère pour apanage. Depuis, (Page !40.) n’écoutant que sa clémence , il a consacré la péni-tence par son propre exemple (2), en révoquant l’arrêt, désarmant ses vengeances, et pardonnant au coupable qu’il avoit d’abord créé à son image.
(2) · Jésus-Christ n’est entré dans le ciel que par cette voie : Pœni-tentiam in se ipso dedicarit. » Brettev. Essais de serin, totn. 1, pag. 26.
Lebien, le mal, tout est comptable à Dieu; rien qui puisse échapper à sa justice.
« Le cœur est le premier criminel, il doit donc être le premier puni (1) : » la chair fut sa complice. Associé à ses prévarications, il doit également l’ê-tre à son châtiment (2).
(1) Traduit par Larne, Serin, sur la pénitence, Arent, pag. 528.
(2) Froinentières, Carême , tom. 1, pag. 298.
Contre les demi-pénitences :
C’est un abus de dire : Je le voulois, mais je ne rage !4!. l’ai pas fait; car ou vous ne l’avez voulu qu’à demi, et cette demi-volonté ne suffisoitpas pour la péni-tence , ou vous l’avez voulu pleinement et efficace-ment, et alors il étoit naturel que vous en vinssiez à l’exécution.En effet, s’il étoit vrai que vous l’eus-siez bien voulu, pourquoi cette volonté, si agis-santé en toute autre chose, n'auroit-elle rien produit dans un sujet si important ?... « Vous n’avez rien fait de tout ce qu’il falloit, et dès le premier piège que le démon vous a tendu, après quelques légers re-mords que votre conscience a étouffés, vous avez suivi l’attrait et le charme de la tentation ; et vous voulez que je croie que vous avez eu le propos sin-cère et véritable de la pénitence? mais moi j’aime bien mieux, pour l’honneur de la pénitence, et pour l’intérêt de Dieu et de sa grâce , présumer que vous vous trompez, et que vous ne vous êtes pas bien connu vous-même (3).» (Chap. III.)
(3) Canissimuni est dicere : Kolui, nectamen, etc. Bourdal. Serm. sur la rechute, Dominic, tom. iv, pag. 107 et 108. Étendu dans la prem. part, du sermon du P. Larue, sur les mauvaises confessions, Car. ton!, ni, pag. 273 et suiv.
Que le péché ait été commis dans le fait ou dans l’intention j toujours est-il péché; donc il doit être expié.
(Page 142.) La même autorité qui a réglé la peine par le juge-ment, a garanti le pardon par la pénitence ; elle a dit à son peuple: (Jérém. vnr. 6.) Faites pénitence 3 et je vous sau-verai; et encore: (Ezech. xvnt. 32.) En vérité je vous le dis, moi le Dieu vivant, j’aime mieux la pénitence du pécheur que sa mort. La pénitence est la vie , puisqu’elle est mise en opposition avec la mort. Pécheur, qui l’êtes comme moi, moins encore que moi, car voilà l’unique point par lequel je vous surpasse, attachez-vous à la pénitence , elle vous servira de planche dans le naufrage. Repentez-vous d’avoir aimé ce que Dieu n’aime point. Nous-mêmes permettons-nous aux derniers de nos serviteurs de ne pas haïr ce qui nous déplaît?
Il y auroit une insolente témérité à vouloir exa-miner si ce que Dieu commande est bon et utile , car c’est moins parce qu’il est avantageux que nous devons nous y soumettre, que parce que l’ordre en émane de Dieu. La majesté de la puissance divine, voilà ma première raison pour obéir; et certes, le droit de celui qui est le maître passe avant l’intérêt de celui qui sert. Pourquoi déli-bérer s’il faut, ou non, faire pénitence? Dieu l’a commandé (1). Non content de nous en faire un commandement,il y jointl’atlrait des recompenses. Il y engage sa parole, il la ratifie par serment, 7wo ego, elicit Dominas· Bienheureux, certes, que Dieu ait bien voulu jurer pour l’amour de nous; mais bien malheureux , si nous n’ajoutons pas foi à Dieu meme lorsqu’il jure (2) ! (Chap. IV.)
(1) «Dieu nie commande de pardonner une injure, d’aimer mon ennemi, de faire violence à mes passions, de faire pénitence. Pourquoi me fatiguerois-je l’esprit pour chercher si Dieu a raison ou non de me commander de telles choses? Pœnitentiam agere bonumest : Quid re-volvis? Le Seigneur l’a commandé : voilà pour tous la grande raison : voilà toutes les raisons d’obéir réunies : Dominusprœcepù. » Molinier, ôe/zn. c/zoiszs, tom. viti, pag. 425. Voy. aussi Joly Dominic, tom. 1v, pag. 580.
(2) La Colombière paraphrase la pensée de Tertullien dans ces pa-roles pleines d’onction : « Je t’engage ma parole, dit le Seigneur, son-viens-toi que c’est la parole d’un Dieu; je t’engage ma parole que je prendrai soin de toi et que je pourvoirai à toutes tes nécessités. Qu’il suffise que je suis ton père et que je n’ignore pas tes besoins. Demande-moi tout ce que tu voudras, je n’exccpte rien , je suis prêt de te l’ac-corder. C’est beaucoup promettre; mais encore une fois c’est Dieu qui s’engage. N’est-ce pas encore assez? Je te jure par moi-même qui suis la vie et la vérité éternelle, par moi qui bais le mensonge et qui punis le parjure d’éternelles peines, par moi qui ne puis non plus mentir ni tromper personne que cesser d’être ce que je suis; je te jure que je le servirai de bouclier contre tous tes ennemis, de médecin dans toutes tes maladies , de guide dans toutes tes voies, de conseil dans tous tes doutes, d’asile dans tous les périls, de ressource infaillible dans les plus grandes extrémités, et lorsque tu seras abandonne de tonies les créatures. ׳> Serm. loin, iv, pag. yo.
Vainement rejetteriez-vous sur l’ignorance la re-chute dans le pêche', accusez plutôt votre opiniâ-trelé ;(Page 143) car si vous vous étiez repenti d’avoir péché parce que vous aviez commencé à craindre le Sei-gneur, quand vous retombez dans votre péché c’est que vous avez cessé de le craindre. Or cet oubli de la crainte du Seigneur, qu’est-il autre chose qu’opiniâtreté, criminelle ingratitude? Le péché commis dans l’ignorance ne resteroitpas sans châtiment, car il est bien difficile de supposer l’ignorance, après l’éclatante manifestation que Dieu a faite de lui-même par tant de magnifiques bienfaits qu’il a répandus sur tout le genre humain. Mais le dédaigner quand on a appris à le connaître, mais étouffer par des infidélités nouvelles le rayon de lumière qu’il avoit communiqué à votre intelli-gence et qui vous avoit appris à discerner le bien du mal, mais commettre le mal quand on avoit eu déjà la force de l’éviter, c’est repousser à la fois et le bienfait et la main qui l’avoit donné ( 1). Or je de-mande si c’est faire à Dieu un médiocre outrage, que de relever dans son cœur le démon que l’on y avoit terrassé, d’en redevenir l’esclave et la conquête , quand on en avoit triomphé d’abord , et de lui donner un insolent trophée sur Jésus-Christ lui-même ? N’est-ce pas là en quelque sorte sacri-fier Dieu au démon ? et après que l’on a appartenu à l’un et à l’autre, prononcer que l’on ne balance plus entre les deux, et que l’on a enfin choisi pour son maître le rival et l’ennemi de Jésus-Christ ? Ainsi, lorsqu’on avoit. semblé vouloir satisfaire à Dieu par la pénitence de ses péchés; « maintenant, par une pénitence toute contraire, et qui est, en quelque manière, la pénitence de sa pénitence même, aux dépens de Dieu le pécheur apaise le démon , et lui satisfait (1). » (Chap, v.)
( 1 ) Joly , Dominir. tom. 1. pag. 65.
(1) Bourdal. sur la rechute, Dominic. I. 1v, p. 122 :«De sorte, etc.״ Tout ceci est encore de Tertullien.
« Mais, dit-on, Dieu se contente de l’hommage du cœur : les œuvres sont-elles si nécessaires? ne peut-on conserver la crainte et là foi, en ne renonçant pas au péché ?» D’après ce raisonnement, on pourra être adultère avec chasteté, empoisonner son père par tendresse filiale ; mais aussi, enpéchant nonob-slant la crainte, on ira dans l’enfer nonobstant le pardon.
Dieu ne promet le pardon qu’à la sincérité de la pénitence , et d’une pénitence proportionnée aux délits. Quand vous vendez quelque chose, vous vous assurez bien de la monnaie dans laquelle on vous paie; ainsi Dieu éprouve-t-il la pénitence avant de livrer la récompense qu’il a mise à ce prix. Vous obtiendrez une absolution furtive; vous en (Page !44.) imposerez aux regards des hommes par des dehors trompeurs : « mais Dieu saura bien pourvoir lui-même à son trésor (qui est la grâce de son sacre-ment ), et il.ne souffrira pas que des sujets indignes comme nous, par une pénitence subreplice, aient l’avantage de la recevoir : Thesauro suo providet, nec sinit accipere indignes (1). (Chap. VI.)
(1) Bourd., dans le même dise. pag. 105. Larue, Serm. sur la pé-nil. Avent, pag. 344· Ch. de Neuville , Car. tom. 11, pag. 184·
Loin donc de nous ces frauduleuses interpré-tâtions qui ouvrent les voies au péché parce que la bonté divine les ouvre à la pénitence , s’armant des bienfaits de Dieu lui-même pour l'outrager avec plus d’insolence. « Ainsi l’excès même de la clémence d’un Dieu ne serviroit qu à entretenir la témérité des hommes (2) , » d’autant plus crimi-nels qu’il est plus miséricordieux, et toujours péchant parce qu’il est toujours disposé à par-donner (3)!
(2) Bourdal. Supr. pag. 121. Collet citant ces paroles de Tertullien , les applique au saint ministère dans le tribunal de la pénitence : «A Bien ne plaise que par un lâche silence noue trahissions notre ministère, et que nous permettions au pécheur d’être méchant parce que le maître que nous servons est plein de bonté. Absit, dit Tertullien, ul redun dantia clemenliœ cœlestis libidinem j'acial humanœ lemeritatis. a Serm. tom. 1, pag. 46·.
(3) « C’est-à-dire que nous sommes méchans parce que Dieu est bon ; et qu’au préjudice de tous ses intérêts, le moyen unique qu’il nous a laissé pour retourner à lui, et pour rentrer dans la voie du ciel, nous est comme une ouverture aux égarcmens de nos passions et à la corruption de nos mœurs » Bourdal. Ibid. pag. 12.·.
Tertullien veut qu’on mérite la grâce de l'initiation , mais non pas qu’on !’envahisse.
Qui la désire, !’honore ; qui s’en croit digne , n’est qu’un orgueilleux. Dans le premier, c’est une modestie respectueuse; dans le second, empressement présomptueux. L’un se précipite, parce qu’il compte sur son mérite ; l’autre diffère, parce qu’il attend qu’on l’en juge digne. Le premier (pnge !45.) reçoit, l'autre violente. La vraie pénitence ne va pas sans crainte.
Voyez ceux qui ont échappé au naufrage : il est rare qu’ils ne disent pas adieu à la mer et à la navigation : le souvenir du danger auquel ils ont échappé dirige leurs hommages vers la Providence bienfaisante qui les a sauvés ( 1 ). Crainte louable, judicieuse défiance qui ne veut pas importuner la divine miséricorde par de nouvelles demandes, tremble de hasarder ce qu’elle a obtenu, évite de courir une seconde fois les risques d’un événement qu’elle, a déjà appris à redouter !L’homme qui craint le Seigneur, !’honore (2). Mais que fait l’ennemi du salut? Dans scs éternelles conjurations, jamais de trêve. Il redouble de fureur quand il voit le pé-cheur échappé à ses liens ; et sa haine s enflamme à mesure qu’il voit les passions s’amortir. Il faut bien qu’il s’afflige, qu’il se désespère, de voir que la grâce accordée à l’homme anéantisse en lui tant d’œuvres de mort, annulle tant de litres de condamnation qu’il avoit encourus. Quelle douleur pour lui de penser qu’un pécheur, devenu le serviteur (!Cor. vi.5.) de Jésus-Christ, le jugera lui et ses anges!
(1) ״ Plusieurs, dit Terlullien, par une manière de parler assez «hardie, font divorce avec la mer, quand un coup de vague les a jetés «au rivage. Je lotie leur prudence; ils honorent le bienfait qu’ils ont »reçu du ciel par la mémoire du péril; il ne veulent plus être à charge »à sa bouté, ni lasser sa miséricorde qui lésa une fois sauvés. » (Senault, Panégyr. tom. ni, pag. 55 et 5y.) Bossuet a également emprunté celte similitude dans une de ses oraisons funèbres; il se contente d’indiquer la souree. {Qrais.Jiinèbr. de la reine d’Angl. tom. vm, in-4°> pag. 435, et Semi. du 5e dim. de car. tom. v. pag. 144·) Bourdaloue l’emploie et la commente éloquemment dans un de ses serm. sur la conception de la sainte Vierge , Myst. tom. 11, pag. 4>·
(2) « Quand Tertullien parle de la défiance salutaire que nous devons avoir de nous-mêmes , pour nous préserver du péché, il dit un beau mot, savoir :» que la eraintc de l’homme est alors un respect et un honneur que l’homme, en vue de sa foiblesse et par un esprit de religion, rend humblement à Dieu : Timor hominis honor Dei.* Bour-daloue , supra. Ailleurs , il développe la même pensée avec autant d’énergie que de justesse, Serm. sur le désir et le dégoût de la commu-nion. Dominic, tom. 1v, pag. 522-027.
En conséquence, il l’épie, il l’attaque , il l’obsède, essayant de surprendre, tantôt ses regards par la concupiscence des sens, tantôt son cœur par l’at-trait des affections terrestres, ou d’ébranler sa foi par la crainte de la tyrannie, ou de la détourner du droit chemin par de fausses doctrines. Scan-dales, tentations, il met tout en œuvre... L’indul-gente providence de notre Dieu a placé à l’entrée du vestibule la pénitence (1). Mais n’en abusezpas (2).
(1) « Pœnitentiam in vestibulo collocavit. Comme Dieu mit autre-»fois un chérubin avec un glaive de feu à la porte du paradis terrestre, »de même il a mis la pénitence à la porte du ciel : il faut passer par '»ce glaive de la pénitence avant que d’y entrer.» Bretteville, Essais de semi. tom. 1, pag. 26.
(2) Tertullien va plus loin : Mais, dit-il, pour une fois seulement, Sedjam semel... sed amplius uunquam. Doctrine désespérante , que l’auteur avoit lui-même réfutée à l’avance parce mol : Toties delinquendo, quolies ignoscilur (c&Tp. vit■, pag. 145). Tertullien ne connoît que deux sortes de pénitence ; la première qui précède le baptême, la seconde qui le suit, mais dont il faut bien se garder d’abuser. On peut voir ici les notes de M. de l’Aubespinc ( évêq. d’Orléans ) sur cet eu-dioit de Teitull. dans l’édit, de Rigaut, pag. »25 et 126.
Gardez-vous bien de vous décourager, de vous abattre, si vous vous trouvez redevable à la péni-tence.Humiliez-vous d’être tombé, mais ne vous humiliez pas de vous repentir. Rougissez d’avoir une seconde fois succombé, mais ne rougissez pas de vous relever une Seconde fois. Point de fausse honte : à de nouvelles blessures il faut de nouveaux remèdes. Le moyen de témoigner votre reconnaissance (Page 146.) au Seigneur, c’est de ne pas rejeter le don qu’il vous offre : vous l’avez offensé, mais vous pouvez obtenir la réconciliation. (Chap. VU. )
Tertullien appuie cette consolante doctrine de quel-ques-uns des passages que l’ancien et le nouveau Testa-ment fournissent abondamment à notre ministère.
La disposition de Dieu à pardonner se manifeste jusque dans les menaces qu’il adresse aux pé-c heurs.
On pourrait en douter , si lui-même n’avoit manifesté (Luc. xv. 21.) en vingt endroits la sainte profusion de sa miséricorde. La conversion d’un pécheur qui fait pénitence est une fête pour le ciel et pour les anges répandus sur la terre. « Prends courage , âme pénitente , considère attentivement en quel lieu l’on se réjouit de ta conversion (1). » Eh! qu’a voulu nous faire entendre le Sauveur par ses paraboles de la drachme retrouvée, (Luc. xv.8. 6.) de la brebis, égarée ramenée au bercail? Pour une brebis qui s’égare, le berger n’a-t-il pas son troupeau qui lui reste, et qui lui doit être plus cher qu’une seule brebis ? Non ; celle-là lui fait oublier toutes les autres: c’est après celle-là qu’il court: et quand il l’a trouvée, il la charge sur ses épaules, sans plus songer à la fatigue qu’elle lui a déjà coûté (2). Et cet enfant prodigue que l’excès de sa misère a ramené enfin sous le toit paternel : quel empresse-ment de lapart de ce miséricordieux père à lui ou-vrir sa maison! avec quelle bonté il l’accueille, il tue le veau gras, et célèbre un banquet de réjouis-sance! Eh! pourquoi non ? il a recouvré le fils qu’il avoit perdu, et ce fils qu’il a gagné de la sorte lui est devenu plus cher encore. Quel est le père dont il s’agit ici ? Eh ! quel père sait l’être comme Dieu ? Vous êtes son fils, tout prodigue que vous êtes: votre nudité n’empêche pas qu’il ne vous reçoive.
(1) Traduit par Bossuet {Panégyr. des saints anges, pag. 415.) à la suite d’une magnifique description du bonheur que donne aux habi-tans du ciel le retour du pécheur pénitent.
(2) Multuni enim errando laboraverat. Bossuet l’entend, non du pasteur, mais de la brebis : « Errant deçà, delà , elle s’est beaucoup tra-raillée dans ses malheureux égaremens. Serin, tom. vi, pag. 105. Nous indiquons ici un morceau plein de chaleur et de la plus touchante one-tion dans le Servi. i.xv sur la miséricorde de Dieu envers le pécheur. par le P. de la Colonibiére, loin, iv, pag. 55.
Il lui suffira que vous soyez revenu à lui; et votre retour lui donnera plus de joie que toute la fidélité des autres; pourvu toutefois que votre repentir soit sincère, que la comparaison du dénuement où vous vous êtes plongé, avec l’abondance des biens de sa maison, vous fasse goûter vivement le bonheur d’y être rentré ; que vous fassiez un éternel divorce avec les impures jouissances qui vous entraînèrent loin de lui; qu’en allant vous jeter aux pieds de ce Père si justement courroucé, (Luc. xv. n.) vous lui disiez: J’ai péché , mon Père, et je ne mérite plus d’être appelé votre fils. On se soulage du poids de ses péchés en les confessant, autant qu’on l’ag-grave en refusant de les reconnoitre. On témoigne en les rcconnoissant que l’on veut satisfaire à Dieu; en les dissimulant, qu’on y persévère. (Chap. Vin.)
La confession dont parle ici Tertullien est Vexomo-logése, accusation faite à Dieu, en présence de Fassent-blée des fidèles.
Ce mot, dont l’étymologie est grecque, exprime l’action de confesser à Dieu notre péché; non pas qu’il l’ignore, mais pour nous disposer à la satis-faction par l’aveu que nous en faisons, produire la pénitence par la confession, et par la pénitence apaiser la colère du Seigneur. (Chap. 1X.) L’exo-mologèse, ou confession, est donc un exercice qui
tend à humilier l’homme, à l’anéantir (1); à en faire un objet de pitié' qui de'sarme la justice de Dieu, provoque sa miséricorde, en imprimant à tout son extérieur le caractère de suppliant, le courbe sous le sac et sous la cendre , entretient la prière par un long jeûne, lui fait négliger son corps qu’elle abat dans la poussière, nourrit son esprit des plus accablantes méditations, et (2) change en moyens de pénitence tout ce qui fut l’instrument du péché. Aussi voyez-vous nos pénitens ne boire que de l’eau, se réduire au pain pour tout aliment, et encore ce qu’il en faut seulement pour s’empêcher de mourir ; ne se soutenir que par la prière et par les larmes; éclater sans relâche en gémissemens et en sanglots; se rouler aux pieds des prêtres et des confesseurs , embrasser leurs genoux pour leur demander la paix; solliciter les prières de tous les frères, les sommer d’être leurs mandataires auprès de Dieu (3). L’exomologèse est tout cela. Voilà comme elle garantit la penitence ; elle rend au Seigneur l’hommage de la crainte que lui imprime sa justice, elle se déclare contre le (Page 17׳·) pécheur qu’elle accuse et châtie ; se substituant elle-même à toute l’indignation divine (1), sup-pléant par les rigueurs qu’elle s’impose à la puni-tion éternelle qu’elle anticipe pour y échapper.
(1) Prosternendi et humilificandi hominis disciplina est. Bourda-loue traduit : « La pénitence est donc un art ou une science dont Dieu »se sert pour humilier l’homme , et par où l’homme a appris lui-méme »à s’humilier.» Serm. sur laconfess. Dominic, tom. ni, pag. 298.
(2) Jejuniis preces alere .· « Comme s’il disoit que les prières sont »languissantes quand elles ne sont pas nourries par la pénitence.» Scnault, Panégyr. tom. 111, pag. 40 et 381. Voy. aussi l’abbé Poulie, Serm. tom. 11, pag. 31y. Massillon Serm. sur les élus, Car. tom. 11, pag. 287 et sniv.
(3) Le Jeune, tom. 1, Serm. lxvh, pag. 887. La Colomb, tom. iv, pag. 225. Ch. de Neuville, tom. iv, pag. 558·
(1) In peccatorem ipsa pronuncians, pro Dei indignatione Jungilur. Encore une de ces images fécondes, si familières à Tertullien, qui ouvrent un vaste champ au développement moral. « Il faudra donc que la pé-»nitencc fasse ce que feroit la justice de Dieu.» Brettev., Choix de serm. tom. 1, pag. 15. Voy. dans Bourdaloue, un lumineux common-taire de ces admirables paroles dé Tertullien , Avent, pag. 160 et 161.
Ainsi, en abattant l’homme, la pénitence le relève ; en l’accusant, elle le justifie; en le condamnant, elle l’absout, a Autant les pécheurs sont rigoureux יי censeurs de leurs vices, autant Dieu se relâche יי en leur faveur de la sévérité de ses jugemens. » In quantum non pepcrceris tibi, in tantum tibi, credo, Deus parcet (2). (Chap, x.)
(2) Bossuet, Serm. du 1er dim. de l'Avent, tom. 1, pag. 226.
Cependant on recule devant la pénitence, on remet de jour à autre cette déclaration publique de ses péchés, sacrifiant son salut à une fausse honte. De la honte à satisfaire à un Dieu que l’on a offensé! Belle excuse que la honte! Vous mar-chiez dans le crime tête levée; vous n’osez cour-ber la tête pour conjurer le châtiment (3).
(3) Toutes ces pensées se retrouvent dans nos modernes prédicateurs qui les ont puisées ou dans Tertullien on dans leur expérience. Vo\. Larue , Serm. du car. tom. iv. pag. 2S9 et suiv. Massillon, Car. tom. 1, pag. 409.
En quoi puis-je supposer qu’il y ait de la honte à faire ce qui doit m’être profitable, même avec un peu de honte? Vous pourriez en concevoir, si l’on se prévalait de votre action pour vous insulter comme on fait dans le monde , où l’affliction de l’un fait le triomphe de l’autre ; mais ces frères devant qui vous vous accusez, ils ont avec vous une même espe'rance , une même joie, une même tris-tesse, par l’esprit qui nous unit tous dans un même Père; les croyez-vous d’une autre nature que vous ? Leur jugement vous fait peur : ne sont-ils pas hommes comme vous? ne partagent-ils pas vos foiblesses (1)? membres du corps dont vous faites partie, pouvez-vous être en souffrance, sans que tout le reste ne souffre·, et ne se fasse un devoir de soulager votre peine ? Quand vous vous humiliez ainsi aux pieds des frères, vous n’y êtes pas seul; vous y êtes avec !’Église tout entière, avec Jésus-Christ; ce n’est pas lui seulement que vous priez, vous et ceux qui mêlent leurs larmes aux vôtres : c’est lui aussi, c’est Jésus-Christ lui-même qui prie et qui pleure avec vous; lui qui demande votre grâce à Dieu son Père. Un Père sait-il rien refuser à son Fils ?
(1) Montargon, Diet, apostol. article confession, citant le texte de Tertullien, toi״. !, pag. ;78■־־.
Il en coûtera sans doute à l’amour-propre de s’a-vouer coupable; mais vaut-il mieux se perdre en secret que d’obtenir grâce en public? Le remède est douloureux; mais si vous ne pouvez guérir qu’à ce prix, l’amertume a de quoi se corriger par le bienfait. (Chap. X.) ·
Cet extérieur de pénitence répugne à votre dé-licatessc : Renoncer au bain ,ne paraître qu’avec des habits, pauvres, sales et déchirés, la tête couverte de cendre ,mater son corps par le jeûne, s’inter-dire toute joie !... Mais est-ce donc dans la pourpre et dans la soie que vous prétendez fléchir le cour-roux du ciel ? Eh bien ! à la bonne heure, augmentez votre dépense, ajoutez au luxe de votre table, à votre mollesse, à vos sensualités ; et lorsqu’on vous demandera pourquoi vous savourez ainsi les plaisirs de la vie, répondez: J’ai péché contre Dieu; je suis en danger de périr éternellement, c’est pour cela (Page !48.) que je me travaille et m’épuise en laborieuses rc-cherches pour me rendre propice le Dieu dont j’ai excité la colère.
Dites-moi, ceux qui sollicitent des magistra-turcs , les voyez-vous épargner leur corps et leur âme? sont-ils arrêtés par la honte, par le dégoût? Tant s’en faut: ne leur parlez point de privations, de rebuts, de mortifications de toute espèce à dévorer pour y parvenir ; l’habit le phis négligé est celui qu ils profèrent; pas une antichambre qu’ils n’assiégent avant le jour, pas un personnage con-sidérable devant qui ils ne rampent ; plus de ban-quets, plus de re'unions de plaisirs : esclaves mi-sérables de leur ambition , ils renoncent à toute joie , même à la liberté ; et tout cela pour acheter une satisfaction qui fuira ·avec l’année. Ce qu’un frivole honneur obtient de l’orgueil humain, l’in-térêt de notre éternité ne sera-t-il pas assez puis-sant pour l’obtenir? (Chap, xi.)
Si la pénitence vous fait peur, pensez, pensez donc à ces feux dévorans qui brûlent dans les en-fers , et que la pénitence peut éteindre. Comrnen-cez par concevoir l’horreur du châtiment, et le remède ne vous paroîtra plus si dur à embrasser. Quelle idée ne devons-nous pas nous faire de ce trésor inépuisable d’un feu vengeur, quand nous en avons sous les yeux une foible image dans le feu de ces volcans de qui les éruptions ont englouti des villes entières, ou menacent celles qui subsistent près d’eux. «Voyez ces montagnes qui vomissent tant de flammes de leurs entrailles; elles subsistent au milieu de leurs ardeurs; elles vous prouvent par ce miracle l’éternité de vos peines ; et se nourrissant, s’il est permis de parler ainsi, des flammes même qui les dévorent, elles vous ap-prennent que l’on peut toujours brûler dans les enfers, sans y pouvoir jamais mourir (1). » Ceux-là finiront; mais les feux des enfers jamais. Λ11 ! quand vous avez dans la pénitence le moyen de vous y soustraire, pourquoi renoncer à vous sau-ver? pourquoi balancer ? Voyez le roi de Ninivc , à (Jon. m.6.) quelle pénitence il se condamne ! il s’est couvert de sac et de cendres; devenu un spectacle d’horreur à tous les yeux, il trouve grâce à ceux du Seigneur. Pharaon au contraire, opiniâtre dans son pèche', (Exod-xiv.) périt immole tout entier à la vengeance divine. Pécheur (et qui l’est plus que moi?) « ne'seulement pour la pénitence, comment est-ce que je m’en lairois , puisque Adam même, le premier auteur de notre vie et de notre crime , restitué en son paradis par la pénitence , ne cesse de la publier (1). »
(1) Traduit par Senault, Pancgyr. loin. 11, pag. 550.
(1) Trad, par Bossuet, Panégyr. pag. 205. Nulli rei nisi pœnilen-tiœuatus. V. aussi Joly, Serm. pour la dédicace, OEuv. mêlées, p. 290.
(*) De jejuniis. C’est le même qui se rencontre souvent cité sous le titre dérisoire .־ Adversus Psychicos (1). Tertullien, devenu moulanisle, y déclame contre les orthodoxes, qu’il accuse faussement de. condamner le jeûne et l’abstinence, parce qu’ils n’en blàmoient que les excès. L’Eglise de Jésus-Christ a toujours repoussé de la même main le vo-luptueux qui, pour satisfaire à sa sensualité , viole le précepte ou l’in-terprète au gré de ses caprices, et le rigoriste qui se pare d’nne per-fection exagérée. La morale chrétienne présente l’heureux tempéra-ment de la sévérité et de la douceur. « L’esprit du christianisme, a dit un évêque également célèbre par ses lumières et ses vertus, est la mo-dération qui exclut l’un et l’autre excès, qui tempère jusqu’à l’exer-cice des vertus , et qui recommande la sobriété même de la sagesse. » M. l’évêq. de Langres , Instr, pastor, pag. 25, éd. in-4n.
(1) Psychicos veluti animales dixit, cpiouiam ex ι/ιιυ Monlanijaclus est assecla, spiritalem se vocavit, ex Paulo : Ηυχιχος οε άνθρωπος ον οε/εταε τα τον ■πνενρατο; τον Θεού. Animalis homo non percipit ea quœ Spiritus Dei sunt. 1 Cor. 11, not. edit. Rigaut. pag. 525.
En réduisant l’obligation du jeûne aux règles tracées par !'Église, ce livre peut être d’une grande utilité au prédicateur.
Tertullien fait remonter le précepte de l’abstinence aux premiers jours du monde (1). Il en voit !’institution (Gen. ״.) dans la défense faite à Adam de manger du fruit de l’arbre de la science du bien et du mal, sous peine de mort (2).
(1) Voy. le P. Lejeune, Serm. lxh, tom. 1, pag. 688. tom. n, 717. La Colomb. Serm. tom. iv, pag. 235. Montarg. Diet, apostol. tom. 111, pag. 4· Fromentières, Car. tom. 1, pag. 116. Moliuier, Bourdal., etc., sur l’institution du jeûne , sa nécessité et ses caractères. Tertullien fournit à tous des textes précieux. Reverere igiturjejuniorum caniliem.
(2) «En exceptant un certain fruit, Dieu l’obligeoit à un demi-jeûne : Exceptio eduliorum quorumdam portionale jejunium erat. » Fromentières, Car. tom. 1, pag. 114*
(Page ;02.) Adam céda à sa gourmandise, plutôt que d’obéir à la loi divine ; la mort fut le prix de son intempé-rance. Il eut été sauvé, s’il s’étoit privé du fruit d’un (Page ;05.) seul arbre. « Le plaisir que lui donna le fruit dé-fendu lui ravit son innocence, le priva de son au-torité, et le chargea de confusion, de misères et d’opprobres (3). » ( Chap. III.)
(3) Senault, Panégyr. tom. 1, pag. g2.
(Page ;0$.) Quand Dieu voulut s’attacher un peuple parti-culier, il lui imposa la loi du jeune. Le premier peuple élu ne s’y montra pas plus fidèle que lepre-mier homme. (Chap. V.) Il est dit que le peuple s’assit pour manger et pour boire, et ils se levèrent ensuite pour jouer. (Exod.xxn.6.) Remarquez avec quelle reserve !’Ecriture s’exprime. Si les jeux auxquels ils se li-vrèrent n’eussent pas été criminels, on ne leur en feroit point un reproche. Qui s’adonne aux plaisirs de la table , a bientôt oublie Dieu et sa religion. Il se dégrade jusqu’à perdre sa qualité d’homme. Point de discipline qui ne se perde ou ne s’affoi-!disse par l’intempérance. (Chap, vi.) Ce scroit un prodige qu’un homme chaste dans ses mœurs, avec l’amour de la bonne chère : l’intempérance ne marche guère qu’avec la débauche et lamollesse (1 ). Moïse mérita par un jeûne de quarante jours de voir (Exod. XXIV.18.) le Seigneurdans sagloire, d’entendre les oracles qui sortoient de sa bouche; et déjà par son exemple il apprenoit que l’homme ne vit pas seulement de pain, (Matth. iv. 4.) mais de la parole divine ; tandis que ce même peuple, engraissé par ses alimens, avoit peine à soutenir le visage de Moïse (2).(Exod.xx. 19.) Elie ne pratiqua pas moins le jeûne ; Jésus-Christ n’appela près de lui sur la montagne du Thabor, (in Reg.) parmi les prophètes anciens, que ceux qui avaient pratiqué la loi du (Matth. xvii) jeûne. (Chap, vi.) «Observons la difference avec laquelle Dieu parle à Adam dans le paradis terrestre, (Gen. ni. 9.) et dans !e désert: à Adam, Où es-tu? en quel éloignement de moi, tout immense que je suis, te trouves-tu par ton péché? Λ dam , ubi es? et à Elie , Mon serviteur, mon prophète, que faites-vous ici ? en quel étrange lieu les intérêts de ma gloire vous ont-ils forcé de vous retirer? (in Reg.xix.) Quid bic agis; Ella? cette voix sans doute est bien plus douce que l’autre (1). » Pourquoi? C’est que la demande faite au premier homme étoit le re-proche de sa gourmandise et l’expression de la menace : celle qui s’adresse au prophète est une parole de consolation et la récompense de scs jeûnes. « Les Juifs ont plus remporté de victoires par l’abstinence que par leur valeur; et toutes les fois qu’ils alloient donner une bataille, ils cher-choient des forces dans le jeûne, et ils engageoienl le ciel dans leurs intérêts, en se privant des plai-sirs de la bouche (2). » Telle est la force du jeûne, qu’il fait violence au ciel même. Ninive^ menacée d’une ruine entière, fut sauvée parle jeûne; Sô-dome et Gomorrhe n’auroient pas péri si elles avoient fléchi la colère du ciel par le jeûne. Achab (in Reg.xxi.) obtint grâce pour s’être humilié dans le jeûne et la (Pag/yoô.) cendre , etc.; Anne , mère de Samuel ;David, après son péché; Daniel, àBabylone. Son jeune prolonge soutient sa prière à qui il imprime un suc vrai-ment nourricier. L’oblation en devient plus agréa-ble aux yeux du Seigneur. (Chap. X.) Voilà ce qu’ignorent ou méconnaissent ces hommes fri-voles qui composent aujourd’hui la multitude. ( Chap. xi. )
(1) Gula sine luxuriaest monslrum. (cap. 1.) Appendices scilicet gulœ lascivia atque luxuria. (cap. xvn.) Voy. Bourdal. Serm. sur la tempe-rance chrétienne , tom. 1, pag. 19, 2 1 el suiv.
(2) Dan» le traité de la résurrection de la chair, Tertullien avoit dit : « Moïse et Élie, par leur jeûne de quarante jours, n’avoient que Dieu pour aliment, Solo Deo alebantur. Déjà ils justifiaient l’oracle que Jésus-Christ a prononcé depuis : Que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de la parole de sou Père. (Matth. iv, 4·) cap. r.i. »
(1) Fromcntièies, Car. tom. 1, pag. 115.
(2) Senault, Panég) r. tom. 1, pag. 55y.
Le jeûne est avantageux, non-seulement pour (pag1~ ״O.) expier nos fautes et désarmer la colère du ciel; il ne l’est pas moins pour nous disposer aux adver-sites. C’est là l’école où le chrétien apprend à sup-porter la faim et la soif; là qu’il se dispose à en-trer dans la prison comme il en sortira, à pré-venir l’office de la mort en macérant sa chair, à s’en dépouiller de telle sorte que les tourmens n’aient plus de prise sur elle. Ainsi accoutumé à la mort par un exercice journalier de la mort, « il ( le chrétien ) la contemple avec un visage riant; elle ne lui est pas inconnue, et il y a déjà trop long-temps qu’il s’est familiarisé avec elle , pour être étonné de ses approches. Les jeûnes et la péni-tence , la lui ont déjà fait voir de près, et l'ont sou-vent avancé dans son voisinage : Sœpe jejunans, mortem de proximo novit. Il sortira du monde plus légèrement, il s’est déjà déchargé lui-même d’une partie de son corps comme d’un empêchement importun à l’àme : Prœmisso jam sanguinis succo, tanquam animai impedimcntis (1). » (Chap, χπ.) (Page 711.) Accorder à son caprice ce que l’on refuse au commandement du Seigneur, quel désordre ! Quoi donc ! l’homme voudrait se donner plus de carrière que la toute-puissance même ? Quant à moi, je suis libre, je le sais; mais pour m’affranchir de la servi-tude du siècle, non pour me soustraire à l'autorité du Seigneur. Mon devoir est de satisfaire aux de-voirs qu’il m’impose , comme son droit est de me les prescrire ; je lui dois obéir, non-seulement par soumission , mais par tout l’empressement de l’a-mour (2) : par la première je lui témoigne ma dé-pendance,par le second ma liberté. (Chap, χιπ.)
(1) Traduit par Bossuet, Panégyr. pag. 17S. SeuauJl, Panëgyr. tom. 1,pag. 86, et tom. 111, pag. 666. Bourd. Domin. tom. 111, pag. 5g5.
(2) · Un célèbre auteur ecclesiastique a dit que la majesté de Dieu ·est si grande, qu’il y a non-seulement de la gloire à lui consacrer ses »services, mais qu’il y a même de la bienséance à descendre pout »l’amour de lui jusqu’à la soumission de la flatterie : Non tantum » obsequi ei deben, sed et adulait. ״ Bossuet, Serm. tom. 11, pag. 180.
Au reste, dit Tertullien, la question qui s’agite entre nous et nos adversaires doit être résolue par l’autorité.
C’est un usage établi dans la Grèce, qu'il se tient en certains lieux déterminés des assemblées formées de toutes les Eglises répandues dans le monde, où l’on traite en commun des questions les plus importantes; assemblées vénérables qui représentent toute la famille chrétienne. Combien en effet n’est־il pas dans l’ordre de se réunir tous ensemble sous les auspices de la foi aux pieds de Jésus-Christ! C’est là le beau spectacle que chante le Prophète dans son cantique où il dit : O qu’il est bon, qu’il est doux que ceux qui sont frères Vivent ensemble dans l'union ! ( Chap. XIV. )
La loi du jeune étoit en vigueur même chez les païens. Quand le ciel refuse à la terre ses rosées (paSP 7!s.) vivifiantes, on voit les magistrats, dépouillant les ornemens de leur dignité, essayer de fléchir le courroux céleste par des prières publiques, par des sacrifices qu’accompagnent les marques du deuil et de la pénitence. Dans quelques colonies il y a des jours consacre's à des jeûnes expiatoires.
« Il n’est pas jusqu’aux enfers où Jésus-Christ ne veuille que la loi du jeûne soit reconnue: Neque apud inferos jejunii admonitio cessavit, nous ap-|)renant que la gourmandise d’un riche y est pu-nie, comme dans le ciel le jeûne d’un pauvre y est récompensé (1).»
(1) Fromcnl'ièrcs , Car. tom. 1, pag. 1 !G.
Laissons les gladiateurs s’engraisser; ils ont be-soin de force , bien qu’ils soient dans l’usage d’en (Page ׳!ד!,) chercher dans l’abstinence. Nous qui nous occu-pons d’autres combats , ce n’est point par la chair et par le sang , mais par la foi et par l'esprit de force que nous devons faire tête à l’ennemi (2), (Chap. XVII.)
(2) Le même, Serm. loin. 1, pag. 4 1-.