Nous finissons l’article de Tertullien par scs Prescrip-lions, le plus célèbre de scs ouvrages après son A polo-y étique.
Il est suffisamment prouvé que l’auteur l’avoit corn-posé antérieurement à tous ses antres traités parlicu-liers contre l’erreur; il l’indique lui-même à la fin, par ces paroles:« Nous avons employé généralement contre toutes les hérésies l’argument solide et invincible des prescriptions־, dans la suite, avec la grâce de Dieu, nous répondrons encore en particulier à quelques unes. » Les traités contre Praxéas et Marcion ne sont venus qu’après. Observation importante, qui appuie l’autorité de cet ouvrage; car il n’est pas croyable, di-rons nous avec l’abbé Fleury, D. Ceillicr, Bcrcastel, que Tertullien ait écrit dans le schisme et l’hérésie un ouvrage qui détruit par le raisonnement le plus in-vincible toutes les hérésies et tous les schismes. Aussi n’y aperçoit-on aucune trace des écarts où il donna depuis; au contraire , il s’y fait gloire d’être dans la communion de toutes les Églises apostoliques (1), et surtout de !’Église de Rome, dont il fait un magnifique éloge (2). L’eût-il fait après sa chute, dent la jalousie du clergé de Rome fut, selon saint Jérome, l’occasion ou le principe (3) ?
(1) Prescr. ch. xx, xxn.
(2) Ibid. ch. xxn.
(3) Devir. Must. cap. lui, tom. iv, col. 115. Baronins, ad ann. 201 ss. 9.
Le terme de prescript ion est, comme tout le monde sait, tiré de la jurisprudence, et signifie une fin de non-recevoir, une exception péremptoire que le dé-Penseur oppose au demandeur ; et en vertu de laquelle celui-ci est déclaré non recevable à intenter cette ac-tion, sans qu’il soit besoin d’entrer dans le fond de ses raisons et de ses moyens. Ainsi notre auteur écarte à la fois et convainc d’erreur toutes les sectes ennemies de !’Église, sans s’embarrasser d’aucun de leurs argu-mens (4)· Nous verrons Saint Cyprien recommander cette méthode :»Il n’est pas delà majesté de !’Église catholique, écrivoit-il à l’évêque Antonien , de s’embar-rasser de ce que les hérétiques disent et font hors de !’Église (5). » Le saint évêque jùstifioil par avance les Pères du Concile de Trente du refus qu’ils firent d’ad-mettre les protestons à défendre leurs dogmes en leur présence.
(4) Prœscr. cap. xxxv.
(5) Epist. lv, pag. 24g, ed. Oxon.
Tertullien avoit annoncéledesscin de cetouvragcdans son Apologétique, où il s’étoit plaint que« des hommes sortis des écoles des philosophes avoient corrompu les nouveaux livres des chrétiens, en y interposant avec leurs opinions particulières des dogmes philosophiques, et d’miseul chemin droit faisant une multitude de sentiers détournés où l’on se perd. A tous ces corrupteurs de !’Évangile nous opposons, poursuit-il, !’argument in-vincible de la prescription : que la seule véritable reli-gion est celle qui, enseignée par Jésus-Christ, nous a été transmise par ses disciples (1). Tous ces novateurs ne sont venus qu’après : Hest&rnus es, ■hodiernus : Vous êtes d’hier, vous venez de naître; avant-hier on ne vous connoissoit pas (2). » S. Irénée pouvoit lui en avoir fourni l’idée (3).
(1) Apolog. cap. xlvh.
(2) Adv. Prax. cap. 11, pag. 655.
(3) Vid. S. Jrenceum ad ver s. hœres. édit. Feu-ardent, pag. 49·
C'est là proprement la prescription appelée de nouveauté, Prescrip-tio novilatis, bornée au seul argument de la possession justifiée par le laps de temps. Le traité de Tertullien est plus étendu , car il embrasse les divers genres de prescriptions à l'aire valoir contre toute invasion récente; d’où vient qu’il l’a intitulé de Prœscriptionibus adversus hœ-reticos.
Le mérite de ce livre consiste particulièrement dans un plan aussi heureusement conçu que vigoureusement rempli. Vincent de Lérins, qui en a si bien profité dans l’idée principale de son Commonit6riun1, l’a voit sans doute présent à la pensée quand il a dit en parlant de l’auteur : « Il faut se rendre malgré soi , tant son argu-mentation est vive, animée , entraînante. Autant de mots, autant de traits qui percent ou accablent. Pour lui chaque combat est une victoire : c’est la foudre elle-même (4)·”
(4) Lib. 1, cap. xxiv, pag. 545, ed. Baluz.
Le Traité des prescriptions peut se diviser en deux parties. La première, qui est une espèce d’introduction au corps de l’ouvrage, contient cinq propositions qui préparent aux prescriptions. La première : Nous ne de-vous pas nous étonner qu’il y ait des hérésies (1) ni qu'elles aient le pouvoir de pervertir'les hommes, et (pj’elles en pervertissent en effet de tous les états (2). La seconde : Nous devons fuir les hérésies, qui sont pires que les persécutions (3). La troisième : L’hérésie consiste à choisir, c’est-à-dire à inventer ou adopter de soi-même la doctrine de la foi (4). La quatrième : Les deux principales sources de l’hérésie sont une philosophie téméraire et une curiosité déréglée (5). La cinquième : Quelle est la règle de la foi qu’il faut garder inviolable-ment, sans qu’il soit permis de disputer jamais sur ce qui en est l’objet (6).
(1) Hceresis, du mot grec αφεω, eligo. Tcrtull. llœreses diclœ grceca voce ex interpretalione electiouis, (μια <p׳.is si\׳e ad insùtuendas, sive ad suscipiendas cas utitur. Prescr. ch. iv.
(2) Ch. 1-iv.
(3) Ch. iv-vi.
(4) Ch. vi-vn.
(5) Ch. vu xm.
(6) Ch. xm XV.
La seconde partie renferme dix prescriptions contre les hérésies :
1° Les hérétiques ne sont pas recevables à disputer sur les saintes écritures (7).
(7) Ch. xv-xx.
2° Jésus-Christ a enseigné sa doctrine à ses apôtres, qui l’ont communiquée aux Églises comme ils 1’avoient reçue : donc ne pas écouter d'autres docteurs que les apôtres et leurs successeurs (8). ■i ' ׳׳■'
(8) Ch. xx-xxvm.
3° La parfaite uniformité de la doctrine dans les églises catholiques en prouve la vérité, comme la diver-sité de croyance en prouve la fausseté (1). * *
(1) Cil. XXVIIt-XXIX.
4" L’antiquité de notre doctrine, autre preuve de sa vérité; comme la nouveauté delà doctrine dans l’héré-sie en démontre l’erreur (2). ? *
(2) Ch. xxix-xxxn.
5" La succession non interrompue de nos évêques remontant jusqu’aux apôtres, preuve de la vérité de notre Église; comme le défaut de succession jusqu’à ces mômes apôtres prouve la fausseté des églises de l’hérésie (3).
(3) Ch. xxxti.
6° La conformité de la doctrine de nos Églises avec la doctrine des apôtres témoigne qu’elles sont apostoli-. ques. L’opposition de la doctrine des Églises hérétiques à celle des apôtres prouve qu’elle n’est pas la doctrine des apôtres (4)·
(4) Ch. xxxii-xxxm.
7° Parmi les hérésies de nos jours, les unes ont été découvertes et condamnées par les apôtres; les autres , par cela même qu’elles sont nouvelles et postérieures aux apôtres, sont convaincues de fausseté (5.^.
(5) Ch. xxxm-xxxvi.
8° Notre doctrine est la vraie, puisqu’elle est con-forme à celle des églises apostoliques, et en particulier à celle de Rome. La doctrine des hérétiques est fausse par cette même conséquence qu'elle n'est pas celle de ΓÉglise romaine (6).
(6) Ch. xxxvi-xxxviii.
9" Les hérétiques ont corrompu !’Ecriture, et avec elle la vérité; les catholiques l’ont conservée , donc ils sont dans la vérité (1).
(1) Ch. xxxviii.
10° Mœurs des hérétiques opposées aux mœurs des catholiques (2).
(2) Ch. xli - xtv.
Voilà le plan général, et les divisions principales de ce beau Traité des prescriptions, au-devant duquel viennent échouer, dit l’auteur, toutes les hérésies posté-rieures ou contemporaines (3). C’est ainsi que Bossuet, enfermant tout le protestantisme dans le cercle des promesses faites par Jésus-Christ à son Eglise (4); et le célèbre Arnauld, toute la question de l’eucharistie dans le seul fait de la perpétuité de croyance dans toutes les églises du monde, abrègent les interminables disputes de détail. « J’arrête l’hérésie au premier pas, moi : J’existois avant vous, dit la foi chrétienne, la foi de la véritable Église; j’ai pour auteur Jésus-Christ. C’est moi qui en ai transmis à l’univers les leçons et celles de ses apôtres. Vous n’existez que depuis hier. Et si vous me contraignez de montrer comment vous avez obscurci la vérité par le mensonge de vos ténébreuses opinions, je vous oppose simplement la fidèle histoire des ditfé-rentes sectes qui m’ont abandonnée , et la liste de leurs absurdes doctrines (5). »
(3) Ch. xxxv.
(4) Instr, sur les promesses, loin, v, éd. in־i°, 1745, pag. 106 et suiv.
(5) Leufant j Serm. loin. 11, pag. 505, 506.
Saint Cyprien s’étoit pénétré de la lecture de cet ou-vrage, au point qu’il l’a imité en beaucoup d’endroits de son traité non moins mémorable de Vanité. Complé-tons-les l’un par l’autre, en les unissant dans un seul texte, traduit fidèlement, et exposé dans une analyse assez étendue pour présenter la substance des argnmcns, avec les morceaux de détail les pluséclatans. Ici, notre travail embrassera deux questionségalcment nécessaires à notre propre instruction , et à celle dont nous sommes redevables aux peuples, à savoir, de l’hérésie en gène-rat, et des caractères de L’Eglise.
Voie! le début de saint Cyprïen, qui peut servir d’exorde à nos discours à ce sujet.
(s Cj־pr‘en , ־ ê<l. O*00· page ;5·) Ce n’est pas seulement par la persecution et par des attaques à force ouverte, que !’Eglise de Dieu se voit menacée de perdre ses serviteurs. Il est moins difficile d’échapper à des dangers qui se montrent. L’appréhension du mal que l’on connoît en évite la surprise ; et l’on se prépare à la défense , quand l’ennemi s’avance à découvert. Celui-là de-mande et bien plus de défiance et bien plus de précautions, qui, déguisant sa marche tortueuse , trompe en laissant croire à la paix ; et, semblable au serpent, dont le nom lui a été donné, se glisse à travers des souterrains el par des détours cachés. Ce sont là ses artifices les plus ordinaires ; ce sont les perfides et cauteleuses manœuvres qu’il emploie pour faire tomber les âmes dans ses filets. Le genre humain étoit encore à son enfance , déjà ses insi-dieuses flatteries et ses mensongères promesses avaient entraîné dans le piège d’une malheureuse crédulité nos premiers parens encore sans expérience. (Page 76·) Il osa bien tenter ainsi jusqu’à notre Seigneur lui-même, en se masquant à ses yeux d’une apparence trompeuse; mais il n’échappa point à ses penetrans regards , (Matth. iv) et. il suffit au Sauveur de le reconnoitre pour le confondre... Furieux de voir la lumière évangélique se répandre parmi les peu-pies et dissiper leurs ténèbres , le monde tout en-tier, jusque-là sourd, aveugle, condamné à l’infir-mité, ouvrir enfin ses oreilles et ses yeux auxvéri-lés du salut, renaître à la vie ; les pieds des boiteux se redresser et accourir à !’Église ; les langues des muets se délier pour chanter et pour prier ; le culte de l’idolâtrie abandonné, ses temples et ses assem-blées désertes, grâce aux progrès du christianisme ; par un raffinement d’artifice bien propre à égarer les simples, en les trompant sous le nom même de christianisme, il a inventé le schisme et l’hérésie, à dessein d’anéantir la foi, de corrompre la vérité, de déchirer l’unité. Dans l’impuissance où il est de retenir les hommes dans la nuit de la vieille igno-rance, il essaie de les engager frauduleusement dans une route nouvelle. C’est au sein de !’Eglise elle-même qu’il va saisir ses victimes. Et, tandis que l’on se croit échappé à la nuit du siècle, on tombe, sans s’en douter, enveloppé dans des ténèbres bien plus dangereuses.
Bien que devenu étranger à l’Evangile de Jésus-Christ, à !’observation de ses commandemens , on ne s’cn dit pas moins être chrétien. Parce que l’on marche moins dans les ténèbres, on se croit, éclairé par la lumière. Dupe des fallacieuses caresses de l’ennemi qui, comme le dit !’Apôtre, (n Cor. xi.·i.) se transforme en ange de lumière, on donne à la nuit le nom de jour, de vie à la mort ; on prend un orgueil pré-somptueux pour de l’espérance , la révolte pour de la fidélité , et des paroles hypocrites pour l’ex-pression de la vérité.
Qu’il doive y avoir des hérésies dans !'Eglise de Dieu, Jésus-Christ ne nous l’a pas laissé ignorer, disent à la lois Tertullien et saint Cyprien. Scs apôtres nous en ont prévenus.
TERTULLIEN. Souvenons-nous des oracles du Sauveur (Page 251.) et de ses apôtres, qui, en nous prédisant qu’il y auroit des hérésies, nous ont ordonné de les fuir. El comme nous ne sommes pas troublés parce qu’il y en a, nous ne devons pas être surpris des suites qu’elles ont, et pour lesquelles il nous est recommandé de les fuir. Le Seigneur nous avertit qu'il viendra un grand nombre de loups ravissans , sous des peaux de brebis. (Matth. vu, 15.) Quelles sont les peaux de brebis, sinon les dehors du christianisme? Quels sont les loups ravissans, sinon des esprits Iroin-peurs qui se tiennent cachés pour ravager le trou-peau de Jésus-Christ ? Qui sont les faux prophètes et les faux apôtres qui nous étoient annoncés pour les temps lulurs, sinon les docteurs de l’er-rent‘et les corrupteurs de !,Évangile ? Qui sont les Anlechrisls d’à present et de tous les temps, sinon des homines rebelles à Jésus-Christ? H y a actuel-lenient des hérésies qui n’infectent pas moins !,Eglise du venin de leurs erreurs, que l’Ante-christ ne la déchirera un jour par les cruautés inouïes de la persécution; avec cette différence, <p1e la persécution fait des martyrs, et que l’héré-sic ne fait que des apostats.
Il lalloil, selon !’Apôtre, qu’il y eût des liéré-sies,(! Cor. xi.'9·) pour faire connoître ceux qui sont à l’épreuve et des fureurs de la persécution et de la séduction de l’hérésie. (Chap. IV.)
Saint Cyprien rappelle dans les mêmes termes et les avertissemens et les censures. Il suffit de les indi-quer (1); les transcrire ne scroit qu’une fastidieuse ré-pétition.
(1) Fieri hœc Dominas permittit, cl palitur, manenle proprice liberia lis arbilrio, etc. De unit. pag. So, et cpisl. lv ad Anton. i.ix ad Cor-nel. i.xx ad Januar. xliii ad■ Pleb. iavii ad Clcr. Hispanic, etc.
La cause du mal, quelle est-elle ? poursuit l’é-toquent (Page ;6·) évêque. C’est qu’on ne remonte pas à la source de la vérité, c’est que l’on se détache du chef, c’est qu’on s’éloigne de la doctrine descen-due du ciel avec le divin Maître.
Par ce seul argument, (Pages 79, So.) le saint docteur « combat tous les novateurs, et il ne cesse de leur opposer le concert, l’accord, le concours de toute !’Eglise catholique : Ecclcsiœ cathoiicœ concordiam ubique cohœrcntcm.
Ce n’est pas nous, dit-il, qui nous sommes séparés d’avec eux , mais c’est eux qui se sont séparés d’avec nous : Non enim nos ab iltis, sed Uli a nobis recesse· runt. Et parce qu’ils sont nouveaux, qu’ils ont trouvé !’Eglise en place, qu’ils sont tous venus après, et cum hœreses et schismata postmodurn nota sint, les as-semblées, les conciles qu’ils tiennent à part ( comme il les appelle), ne peuvent jamais se lier à la tige de l’unité. Dum conventicuia sibi diversa constituant, unitatis caput atque originem reliquerunl (1). »
(1) Bossuet, Inslr. sur les promesses, tom. v, in-4", pag. 127.
Cependant, pour la connaître cette doctrine de la vérité et du salut, faut-il de longs raisonnemens?(l’âge 77.) Non. Qu’on se rappelle les paroles de Fins-titution.
Ici Bossuet va, noix pas seulement commenter, mais traduire saint Cyprien.
« Jésus-Christ, voulant commencer le mystère de l’unité dans son Eglise, parmi tous les disciples, en choisit douze : mais, voulant consommer le mys-tère de l’unité dans lamême Eglise, parmi les douze, (Maith, x. et suiv. . ) il en choisit un. Il appela ses disciples , dit l’Evangile ; les voilà tous , et parmi eux il en choisit douze. Voilà une première séparation, et les apôtres choi-sis ; et voici les noms des douze apôtres : le premier est Simon, qu’on appelle Pierre. Voilà, dans une se-conde séparation , saint Pierre mis à la tête , et ap-pelé pour cette raison du nom de Pierre, que Jésus-Christ, dit saint Marc, (Marc. ni.16. Ibid. ix. 16.) lui avoit donne pour préparer l’ouvrage qu’il méditoit, d’élever tout son édifice sur celle pierre. Mais quand il veut mettre la dernière main au mystère de l’unité , il ne parle plus à plu-sieurs; il désigne Pierre personnellement, et en lui parlant, il agit en lui, et lui imprime le carac-tère de sa fermeté. Et moi, dit-il, je le dis à loi : (Maith. XVI.1S.) Tu es Pierre , et , ajoute-t-il, sur celte pierre je bâtirai mon Eglise, cl, conclut-il, les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle... Mais voyons encore en un mot la suite de cette parole. Jésus-Christ poursuit son dessein, et après avoir dit à Pierre, éternel prédicateur de la foi, Tu es Pierre , et sur celte pierre je bâtirai mon Église, il ajoute : El je le donnerai les clefs du royaume des deux ; ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le ciel, etc. Celte première parole, Tout ce que tu lieras, dite à un seul, a déjà rangé sous sa puissance chacun de ceux à qui on dira: Tout ce que vous remettrez... Outre que la puissance donnée à plusieurs porte sa res-triction dans son partage, la puissance donnée à un seul et sur tous, et sans exception, emporte la plénitude ; et, n’ayant à se partager avec aucune autre, elle n’a de bornes que celles que donne la règle (1). »
(1) Serm. sur t'unité, lo!n. v, edit, in-4■0 de >745, {>ag. 487 cl suiv. instr, sur tes promesses {ibid.), pag. 127. Ch. de Neuville, Mjsl. tom. 1, pag. 1g5. el Panégyr. tom. vi, pag. 145.
Traduisez ces paroles en latin, vous y trouverez le texte du saint docteur (1).
(1) De unit. pag. 76, 77· Epist. ad Jubaïan. lxxih, pag. 506 et passim.
Mais voilà, poursuit saint Cyprien, ce que Ton me'connoît, ce que l’on oublie, ce que l’on ignore. Un orgueil insolent veut prévaloir contre l’épis-copat. Une vaine et présomptueuse complaisance pour ses propres idées va jusqu’à s’emportercon-tre Dieu lui-même, en l’insultant dans l’autorité qui le représente (2). Tels sont ces hommes qui, au mépris des règles établies par le divin légis-lateur, s’ingèrent d’eux-mêmes et sans mission dans les fonctions du saint ministère, prophètes de mensonge, dans qui le Seigneur ne sauroit re-connoître ses organes. Après qu’ils ont déserté la source d’eau vive, ils osent promettre les bien-faits d’une eau pure et salutaire , oui, pour souiller, non pour laver ceux qui s’y baignent; pour coin-hier leurs iniquités , non pour s’en purifier ; pour y prendre le sceau d’enfans du démon, non celui d’cnfans de Dieu. Enfantés par le mensonge , corn-ment seroient-ils accessibles aux promesses de la vérité ? Nés au sein de la perfidie et de l’infidélité, ils sont morts à la foi. Pour eux point de paix, puis-qu’ils ont rompu la paix du Seigneur. Eh quoi! celui qui ne tient pas à l’unité se croiroit avoir la foi ! Qui se met en révolte contre !,Eglise, se pré-!endroit être dans !’Eglise, au mépris des paroles de !,Apôtre, quand il déclare qu’il n'y a qu'un (Ephes. ) Seigneur, qu'une foi, qu’un baptême, qu’un Dieu!
(2) Epist. Lxiv. r.xvm, Le Chapcl. serm. de l'autorité del'Eghse, tom. iv, pag. 5g6.
A cette source du mal, Tertullien en ajoute d’autres encore plus profondes. Comme saint Cyprïen, il en rap-porte la commune origine à la secrète envie du démon, dontl'office est, dit-il, de dérober aux hommes la vé-rite, et de contrefaire notre sainte religion pour l’avi-lir (1).
(1) Prœscript. cap. xl.
C’est lui qui a inspiré tous les hérésiarques. (Page 252.) Père de l’idolâtrie , il n’est pas moins le père du mensonge : or l’hérésie ne diffère pas au fond de l’idolâtrie, puisqu’elles ont le même auteur, qui les a formées toutes deux sur le même dessein (2).
(2) lice sunt doctrince hominum et dœmonioruin (cap. vu) a dia-bolo scilicet, cujussunt partes intervertendi verilatan. cap. xi.
Pour y réussir, les moyens qu’il emprunte, c’est d’abord (cette division est remarquable), c’est en premier lieu une sagesse toute profane qui se complaît dans scs propres forces, et s’emporte à une présomption vaine (3) ; une curiosité hautaine (4), laquelle, peu contente des lumières qui nous ont été données , s’opiniâtre à percer dans (Page 255.) ce qu’il ne nous est pas donné de connaître , et condamne ce qu’elle ne peut approfondir ; fon-de'e , vous dit-elle, sur ce qui est dit dans l’Ecriture , (Matth. mu.) Cherchez, et vous trouverez. Aussi trou-verez-vous à la tète de toutes les hérésies des philosophes qui les imaginèrent ou les ont ac-créditées (1). Esprits inquiets, amoureux de la nouveauté, plus amoureux encore d’eux-mêmes ; transfuges de la vérité catholique, à laquelle ils empruntent une partie de ses dogmes pour en troubler l’autre par un faux alliage (2) ; esprits ar-dens, infatigables à disputer et à écrire (3), ils ne sont pour nous que des enfans rebelles qui dé-chirent le sein de leur mère, s’excluent de l’héri-tage. Ne succédant à personne , et tirant leur ori-^ine d’eux seuls, ils ont renoncé à la charité , à l’es-pérance de la foi, au patrimoine de famille (4). Par le seul nom d’hérétiques , c’est-à-dire de sé-parés , ils ont imprimé sur leur front le sceau de la nouveauté, qui les accuse et les flétrit ; docteurs sans doctrine , qui pour toute autorité ont leur har-diesse, et pour toute science leurs décisions pré-cipitées (5).
(3) Prcescr. cap. vu. Apologct. cap. xr.vu.
(4) ״ Curiosité (pii est la perte des esprits, la ruine delà piété, et la mère des hérésies. »Bossuet, Serai, tom. iv, pag. 22 1.
(1) Eadem materia aptid hœreticoset apud philosophas volulalu).
(2) Ibid, et S. Cypr. pag. 261. Tous les sermons modernes.
(3) Ibid. Boss. ve Avert. aux protest, torn. 1v, pag. 85, 86.
(4) Prcescr. cap. xxxvn, xxxvm. S. Cypr. ep. 1.v. De unit. pag. 85. ad Anton, lxix ad Cornel, et De unit, passim,
(5) Boss. serm. sur l'unité , tom. v, pag. 520. Hist, des variai, liv. xv, tom. 111, pag. 618, 670.
Mais,répondrai-je à ceux-là, qu’y a-t-il de coin-inun entre Atliènes et Jérusalem, l’académie et !’Église, les Hérétiques et les chrétiens ? Notre por-tique à nous, c’est le temple (1). Avons-nous donc besoin de curiosité avec Jésus-Christ, et de recher-ches après l’Evangile (2)? Quand nous croyons, nous ne voulons plus rien croire au-delà; nous croyons même qu’il n’y a plus rien à croire (3).
(1) L’anc. évêq. de Sénez, serm. sur la parole de Dieu, tom. 1, pag. 55.
(2) Bourdal. Car. tom. 1, pag. 238. Bo.'S. Serm. tom. iv, pag. 362. Segaud, Car. tom. 1, pag. 89.
(3) Tertull. Prcescript. cap. ni, vui. S. Cypr. epist ad Anton, lv.
Je commence par poser ce lumineux principe : (Pnsc 25■l·) c’est que Jésus-Christ a enseigné pour tous les peuples un symbole de foi fixe et immuable , que tout le monde est obligé de croire , et qu’on doit chercher par conséquent pour le trouver et le croire. Mais ce symbole, unique et invariable, ne demande point des recherches infinies ; cherchez jusqu’à ce que vous trouviez, croyez quand vous aurez trouvé ; alors il ne vous reste plus qu’à garder ce que vous croyez, pourvu cependant que vous croyiez que vous n’avez plus rien à chercher ni à croire dès que vous aurez trouvé et que vous croyez ce qu’a enseigné celui qui vous défend de rien chercher au-delà. (Chap. IX.)
\oilà la règle de foi que nous tenons du maître, (Page 235.) et sur laquelle il n’y a jamais parmi nous de disputes, sinon celles qu’élève l’hérésie, et qui font les hérétiques. Non, elle ne doit jamais souffrir d’at-teinte , quoi que vous cherchiez, que vous discutiez, quelque essor que vous donniez à votre curiosité. Niais si quelque chose vous paroit obscur ou dou-toux, vous avez de vos frères qui ont reçu le don de la science , qui ont été instruits par des docteurs consommés ־, vous en avez qui, curieux comme vous, chercheront avec vous. (l’ag<) Enfin, si vous savez ce que vous devez savoir, il vous est plus avanta-geux d’ignorer le reste, de peur d’apprendre ce que vous ne devez point savoir (1). La foi consiste à ne pas se départir de la règle. La loi qui l’ordonne est formelle, et le salut est attaché à l’observation de la loi. La discussion vient de la curiosité, et abou-tit à la stérile gloire de passer pour docte. Que la curiosité cède à la foi, la vaine gloire au salut : ne rien savoir contre la règle, c’est tout savoir.
(1) Même raisonnement dans Bourdal. Pensées, tom. 11, pag. 1g5.
Quand même les hérétiques ne seroient pas les adversaires de la vérité, que peut-on apprendre en conférant avec des hommes qui, de leur aveu , n’ont autre chose à vous répondre, sinon qu’ils cherchent encore et toujours ? S’ils cherchent sérieusement, ils n’ont donc rien trouvé de certain ; et ils montrent bien par là combien ils comptent peu sur ce qu’ils croient avoir trouve. Vous qui cherchez de votre côté, si vous vous adressez à des hommes qui cherchent aussi, irrésolu , incertain , aveugle , vous se-rez infailliblement conduit dans le précipice par des hommes également irrésolus, incertains et aveugles.
Quel sera donc le terme de ma recherche et de (faSc 2יי') mes découvertes, le point fixe de ma croyance? Chez Marcion ? Mais Valentin me crie de son côté : Cherchez, et vous trouverez. Chez Valentin ?Apelles me tient le même langage. Ébion, Simon, tous en un mot emploient le même artifice pour m’attirer à leur parti. Je ne pourrai donc me fixer nulle part. Que peut-on édifier avec ceux qui ne savent que détruire? quelles lumières espérer où tout est té-nèbres ? Si je renonce à la foi, me voilà apostat. En un mot, si je cherche , c’est que je n’ai pas encore trouvé, ou que j’ai perdu. (Chap. IX et suiv. )
Une autre source d’erreur familière à l’hérésie, c’est la prétention de ne s’appuyer que sur les Écritures.
L’audace des hérétiques à s’armer des Écritures (pag® 3’׳) en impose d’abord à quelques personnes. Dans le combat, ils fatiguent les plus forts, ils triomphent des foibles , ils ébranlent les autres : c’est là leur arsenal. Mais , avant qu’ils puissent en tirer des armes, il faut examiner à qui appartiennent les Ecritures, pour ne pas les laisser usurper à ceux qui n’y ont aucun droit.
On pourrait croire que je parle de la sorte par défiance de ma cause , ou dans la crainte d’engager le combat, si je n’avois pour moi de fortes rai-sons, et surtout l’autorité de l’Apôtre, qui doit être notre règle en ce qui regarde la foi. Il nous recommande d’éviter les questions inutiles ,(! Tim. vi. ) les nouveautés (Tit.210 .!״.) profanes, et de fuir l’hérétique après une répri-mande, el non après la dispute. Il interdit telle-ment la dispute , qu’il ne permet d’aller trouver l’hérétique que pour le réprimander, et cela une seule fois.
)pages •236,237) L’hérésie rejette certains livres des Ecritures ; et ceux qu’elle admet comme canoniques , elle ne les reçoit pas entiers, elle les altère, et par ce qu’elle en retranche , et par ce qu’elle y ajoute pour les plier à son système. Ceux qu’elle reçoit entiers, elle les pervertit encore par les interprétations qu’elle imagine ; car il est également contraire à la vérité d’altérer le sens ou le texte. L’audacieux novateur n’a garde de reconnoitre ce qui le con-fond ; mais il cite avec affectation tout ce qu’il a falsifié , et les passages obscurs dont il abuse. Tout versé que vous êtes dans la science de !’Ecriture, qu’espérez-vous gagner par la dispute ? Tout ce que avancerez, il le niera opiniâtrément, tandis qu’il soutiendra tout ce que vous nierez. D’une pareille conférence vous ne remporterez que beaucoup de fatigues et d’indignation.
Bossuet s’arme toujours de ces mêmes argumens contre les'églises réformées, tant dans sa Conférence avec le ministre Claude, et lcxvc livre des Variations, que dans le paragraphe quarante-six de ΓInstruction sur les promesses (1).
(1) Il y réunit habituellement l’autorité de Tertullien à celle de S. Cyprien. Voyez aux pages 127 et suiv. tom. v, édit. in4°־. Sur la même matière, on lira avec fruit le P. Chapelain ( semi. sur l’autorité del’Église, tom. iv, pag. 070), où il développe la question: Si la clarté de !’Écriture est tellement sensible et lumineuse par elle-même, qu’elle rassure l’esprit humain contre les incertitudes dont il peut être susceptible? De Trcvern. Discuss, amie. Lettre iv.
Quelles conséquences en résulteront pour ceux qui auront assisté à ces sortes de conférences?
Surpris que vous n’ayez eu aucun avantage niar-que', que de part et d’autre on ait nié et affirmé également, et qu’on soit resté au même point où l’on étoit, ils vous quitteront peut-être encore plus indécis qu’auparavant, sans pouvoir juger où est l’hérésie. L’hérétique ne se fera pas scrupule d’as-surer que c’est nous qui corrompons !’Écriture et l’interprétons mal, et que lui seul défend la cause de la vérité.
Il ne faut donc pas en appeler aux Ecritures , ni hasarder un combat où la victoire sera toujours incertaine, du moins le paraîtra (2).
(2) Nicolle, Préjugés légit. chap. xiv. 7?é/7ex. sur les différends de la relig. Paris, 1690, sect. 111, pag. 28. Cheminais , Semi. torn. 11, pag. 296.
Ailleurs , avec la même assurance : Nous sommes donc fondés à soutenir que les hérétiques ne doivent pas être admis à disputer sur les Écritures, puisque nous prouvons, sans le secours des Écritures, qu’ils sont absolument étrangers aux Écritures. (Chap, xxxvu.)
Mais quand meme ce ne seroit point là l’issue de toutes les disputes sur !’Ecriture, l’ordre des choses demanderoit encore qu’on commençât par examiner à qui appartiennent les Ecritures et la foi ; par qui, quand , et à qui a été donne'e la doc-trine qui fait les chrétiens ( 1). Car, où nous verrons la vraie foi, la vraie doctrine du christianisme, là indubitablement se trouvent aussi les vraies Ecri-turcs, les vraies interprétations, les vraies tradi-lions chrétiennes. (De là les caractères de !’Eglise.)
(1) Bossuet, Instr, sur les promesses. Supr. pag. 12S.
Nous verrous saint Jérôme, Vincent de Lérins et saint Augustin fortifier de nouvelles preuves ces argu-mens, et multiplier nos objets de comparaison.
Enfin, une troisième cause de l’hérésie, la plus active et la plus commune, c’est la licence toujours manifestée par les excès qu’elleamène (2). Noséloquens docteurs trouvent dans !’Écriture et dans l’expérience plus de témoignages qu’il n'en faut pour avoir le droit d’accuser les violences de l’hérésie, sa haine de toute autorité civile et religieuse , ses manœuvres ou clan-destines ou publiques, ses équivoques et son hypocrisie, ses calomnies séditieuses et ses emportemens contre !’Eglise, ses variations par lesquelles elle innove sans cesse sur elle-même, et que notre Bossuet a si docte-ment développées. Renfermons-nous dans l’ébauche qu’en a tracée Tertullien.
(2) Voy. Bourdaloue, Pensées, tom. 1, pag. 1g5. La Colombicre , Serin, tom. ni, pag. 21. Massill. Pensées , pag. 2SJ. Le livre intit. Les artifices des heretic/. Paris, 1690. Nicolle , Préjug. légit. ch. x.
Parleurs mœurs jugezde leur foi. (Chap. XL111.)
Je ne dois pas omettre de décrire ici la conduite (Pi)ge 47צ·) des hérétiques, combien elle est frivole, terrestre, humaine, sans gravité, sans autorité, sans disci-plinc, parfaitement assortie à leur foi. On ne sait qui est catéchumène, qui est fidèle... Le renverse-ment de toute discipline, ils l'appellent simplicité; et notre attachement à la discipline, ils le traitent d’affectation. Ils donnent la paix à tout le monde indifféremment (sous le prétexte de liberté de con-science et de tolérance religieuse ) ( 1). Opposés les uns aux autres dans leur croyance , tout leur esl égal, pourvu qu’on se réunisse pour triompher de la vérité. ( Chap. XLI.)
(1) Bossuet :« L’indifférence gagne partout. ( vi' Avertissent, tom. 1v, pag. 45S.) 11 est plus clair que le jour , qu’en rejetant l’autorité et l’infaillibilité de !’Église, la réforme a posé le fondement de l’indiffé-rence des religions. {Ibid. pag. 494·) θη voit l’état présent de la ré-forme,et la pente de ces Eglises prétendues qui ont pour fondement qu’il n’y a rien de vivant ni de parlant sur la terre à quoi on doive s’assujettir en matière de religion. Le socinianisme s’y déborde comme un torrent sous le nom de tolérance; les mystères s’en vont les uns après les autres; la foi s’éteint, la raison humaine, en prend la place, et on y tombe à grands îlots dans l’indifférence des religions. » 70. p. 512.
Tous sont enflés d’orgueil; tous promettent la science, il n’y a pas jusqu’à leurs femmes qui n’o-sent dogmatiser, disputer... (2) Habiles seulement pour détruire, ils n’entendent rien à édifier. Sans cesse ils varient, ils s’écartent de leurs propres règles. Chacun tourne à sa fantaisie la doctrine qu’on lui a enseignée, comme celui de qui il l’a Page 248. reçue l’avoit inventée à sa fantaisie. L hérésie , dans ses progrès, ne dément point sa nature et son origine. Les Valentiniens et les marcionites ont autant de droit d’innover à leur gré dans la religion que λ alentin et Marcion. Pas une secte, si on l'examine à fond , qui retienne en général les sentimens de son auteur.
(2) Le même, Instruct, sur les prunicsses, tom. v, pag. !45.
Dans cette seule proposition de Tertullien, tout le fond du grand ouvrage de Bossuet sur les variations. Notre savant évêque l’annonce dès sa préface (1). Maintenant on s’étonne qu’il y ait des héré-sies. Le grand nombre se scandalise de ce que les hérésies font tant de progrès. A la bonne heure si elles survenaient inopinément, sans avoir été prévues ; mais nous savons qu’elles avoient été prédites.
(1) Tom. m de l’édit, in-4», pag. 50.
(! Cor. xi.) J/ faut j dit F Apôtre, qu’il y ait des hérésies. Pages24!, Pourquoi? pour faire connaître ceux qui sont à l’épreuve de la séduction de l’hérésie. Il en faut : pourquoi? pour justifier les prophéties qui les ont annoncées. Pourquoi ? parce que s’il n’y en avoit pas, il manqueroit quelque chose à l’éclaircisse-ment des dogmes,aux épreuves de la religion, aux combats et aux triomphes promis à la foi, au dis-cernement entre les fidèles et les étrangers, les élus et les réprouvés. Il le fallait; il le faut encore aujourd’hui, nous le répétons, qu’il y eût des here-sies(1). Ce n’est pas à dire pour cela que l’héré-sie soit un bien; comme s’il ne falloil pas qu’il y eût aussi du mal. Eh! n’a-t-il pas fallu que Notre (Mattii. xvr. xxv'.\4.) Seigneur fût trahi? cependant malheur au traître! Qu’on n’essaie donc pas de justifier par-là l’hére-sie. (Chap, xxx.)
(1) P/'tvxc, cap. 1, 1v, xxxix, et S. Cypr. /A׳ unit. psg. 80. <1>׳. Oxon.
Saint Cyprien. Le fidèle à qui les oracles dc (Pages 262, 80, 82.) l'Évangile et des apôtres sont presens , ne doit point s’étonner de voir des hommes superbes, ennemis déclarés du pur don de Jésus-Christ, s’éloigner de !’Eglise , ou lever contre elle la bannière , après que l’Evangile et les apôtres nous avertissent qu’il y aura de ces scandales. Comment le serviteur de Jé-sus-Christ ne seroit-il pas abandonné, quand le maître lui-même l’a été par ses propres disciples, malgré tout l’éclat de ses miracles, qui attestaient si hautement sa divinité ? Cependant Jésus-Chrisl ne leur adresse point de reproches, il ne s’emporte point à des menaces; mais se tournant vers ses apôtres: Et vous aussi 3 leur dit-il, voulez-vous (Joan. v!.) ni abandonner ? par déférence pour la loi que tout homme maître de soi, arbitre de ses actions, est libre de choisir la vie ou la mort. Mais Pierre, que le même saint législateur avoit établi fonde-ment de son Église, lui répond : Seigneur, d qui irions-nous? vous avez les paroles de la vie éternelle. Nous croyons, nous avons !,assurance que vous êtes le Fils du Dieu vivant; témoignant par là que ceux qui se séparent de Jésus-Christ périssent parleur faute ; que !,Eglise, qui croit en Jésus-Christ et qui se tient attachée à la doctrine qu’elle en a reçue , ne s’éloigne jamais de lui dans aucun cas ; et que ceux-là font !,Eglise, qui demeurent dans la maison de Dieu : au lieu que ceux que nous voyons n’avoir pas la solidité du froment, mais être cm-portés avec la légèreté de la paille par les vents des tentations que le souffle de l’ennemi excite pour les dissiper, n’ont point été plantés par Dieu le Père : (1 J 1>a η. 11 '9·) tels ceux dont parle saint Jean : Ils sont sor-tis d’avec nous , mais ils n’étaient pas avec nous ; car s'ils eussent été d’avec nous, ils seroient demeurés avec nous ( 1 ).
(1) Ep. Lix ad Corn. p. 262, edit. Oxon.; et De unit. Eccles, passim.
Tertullien. Mais encore quel est le conseil qui nous est donné par rapport aux hérétiques et à l’hérésie elle-même? Les hérétiques■: c’est de les fuir. Dans presque toutes ses épîtres, saint Paul nous inculque qit’iï faut éviter les mauvaises doc-trines; (ιι Tim, 11. 16. Rom. xvi.) donc ceux qui les débitent. Les hérétiques se sont condamnés eux-mêmes par le choix d une doctrine condamnée ; par le seul fait de leur sépara-tion (2). Méritent-ils qu’on les entende? Non, puisque le procès est déjà juge. L’hérésie : ne pou-vaut l’empêcher, nous faisons du moins nos efforts pour nous en garantir. Il en est de l’hérésie comme (1>״S: 250.) de la fièvre, ce principe de douleur et de mort pour l’homme. Nous ne sommes pas surpris qu’elle existe, ni qu’elle mine le corps humain; telle est י sa nature. De même , si nous sommes effrayés que les hérésies puissent ébranler et même déraciner la foi, nous devons penser qu’elles n’existenl (|uc pour cet effet. C’est parce que nous savons que la fièvre est un mal, qu’elle nous effraie sans nous étonner. Pourquoi donc nous étonner que les hé-résies, qui nous brûlent de feux dévorans, et qui donnent la mort éternelle , puissent avoir de tels effets, au lieu d’empêcher qu’elles ne les aient?
(2) Voy. le beau développement de cette double proposition dans la 1״ Insu, sur les promesses, Bossuet, toin. v, in־i", pag. 112, 115, n' x-xii.
Au reste, elles n’ont de pouvoir qu’autant que nous nous en laissons effrayer. Troublés par la frayeur, nous nous scandalisons. 11 seroit étonnant sans doute que le mal eût tant de pouvoir, si c’é-toit sur d’autres que sur des hommes foibles dans la foi. Dans les combats d’athlètes et de gladiateurs, le victorieux n est pour l’ordinaire ni plus brave , ni encore moins invincible, mais il a en tête un foible adversaire .־ aussi lui en oppose-t-on un plus courageux. Le vainqueur est vaincu à son tour. Il en est de même des hérésies ; puissantes par notre foiblesse , elles 11e peuvent rien sur une foi ferme et solide.
Les âmes foibles sont encore entraînées par la chute de certains personnages. Comment, dit-on , des personnes si sages, si fermes, si éprouvées dans !’Eglise, ont-elles pu passer dans le parti de l’erreur? Ceux qui font l’objection pourraient eux-mêmes y répondre que ces personnes n’étoient dans le fond rien de tout ce qu’on les suppose , puisque l’hérésie les a perverties.
Mais, d’ailleurs, est-il bien extraordinaire que des hommes d’une réputation de vertu se soient dé-mentis dans la suite ?Saul, distingué parmi tout son peuple, succombe bientôt après à la jalousie. Da-vid, ce prince selon le cœur de Dieu, est souillé du double crime d’adultère et d’homicide (1 ). Sa-lomon, comblé des dons de Dieu, rempli de sa-gesse, est plongé dans l’idolâtrie par ses femmes. (L’exemple deTertullien lui-même confirme cette déplorable vérité.) Quoi! si un évêque, si une vierge, si un docteur, si un martyr même tombe dans l’hérésie, en sera-t-elle plus vraie? Jugeons-nous de la foi par les personnes, ou des personnes par la foi (2)? Point de sage que le fidèle, point de grand homme que le chrétien, point de chrétien que celui qui aura persévéré jusqu’à la fin. ( Re-marquons cette éloquente gradation. ) Homme ! vous ne connaissez d’un autre homme que l’extérieur; vous ne croyez que ce que vous voyez, vous ne voyez que jusqu’où porte votre vue. L’œil de (! Reg.xvt.) Dieu seul est perçant: il lit au fond des cœurs, tandis que l’homme s’arrête à la surface (1).
(1) S. Cypr. [De unit. pag. 84.) apporte les mêmes exemples.
(2) Scgaud', Carême, tom. 1, pag. 78; et tous les sermons sur la foi.
(1) De imitate passim, etepist. lv ad Antonian.
Saint Cyprien. Qu’importe que les auteurs de (Page 84.) ces hérésies vantent des talens illustres, et tous les prestiges de l’éloquence et du génie ? Auroient-ils (Gai. ! 8.) les lumières des esprits célestes ? Saint Paul nous apprend que quand un auge descendrait du ciel pour nous prêcher un autre Évangile , il n’y a pour lui que des anathèmes. Quel qu’il soit, et quelques perfections qu’il ait, celui-là n’est point chrétien qui n'est point dans !’Eglise de Jésus-Christ, parce qu’il a perdu la charité de Jésus-Christ (2).
(2) S. Cypr. Epist. ad Anton., lv. Bossuet semble traduire ces élo-queutes pages, tant il s’en rapproche dans le n° xiv de sa première Instruction pastorale sur les promesses faites à !Église, ton!, v, pag· 14·
Qu’ils se parent même de vertus éclatantes. Le saint évêque n’en connoît point hors de celles que l’Evangile a consacrées. Ils ont perdu, dit-il, même toutes les bonnes qualités qu’ils pouvoient avoir d’ailleurs (2). (La raison qu’il en donne, et avec lui tous les pères de cette vénérable Eglise d’Afrique (*’· 23-) (3), c’est que.·()!// n’amasse pas avec Jésus-Christ j dissipe; c’est que, ce qui ne se rencontre pas avec la vérité appartient au mensonge; c’est que, hors de !’Eglise, rien n’est méritoire pour le salut.
(3) L’Eglise a blâmé sans doute, et avec justice , l’application que les Pères d’Afrique faisoient de ce principe au baptême des hérétiques, dans leur concile, qu’elle n’a pas approuvé, improbatum. (tom. 1, Conc. Labbc, pag. 786. ) Elle n’en a pas moins reconnu le principe lui-même comme fondement de la foi catholique.
(Page 225.) Tertullien. Bonnes et profitables, tant qu’elles furent sur le sol du christianisme, ces mêmes qualités meurent, elles se flétrissent sur le sol étranger de l’hérésie. Ainsi, du noyau d’un fruit doux et nécessaire , tel que l’olive, des grains de la figue la plus exquise, sortent des plantes trom-peuses et stériles. La semence de la vérité a dégé-néré , et le mensonge n’en fait plus que des plantes sauvages (1).
(1) Tort. Prœsc. c. xxxvi.
Tertullien et saint Cyprien. Us affecteront de l’austérité, de la réserve dans leur langage, tout l’extérieur du zèle et de la piété : masque trom-peur qui ne séduit pas long-temps. Ils feroient même des miracles; du moins ils s’en vanteront, et leurs partisans ne manqueront pas de le crier bien haut : il a été écrit aussi qu’il se rencon-treroit des séducteurs qui feroient des prodiges pour accréditer une doctrine fausse et pernicieuse (Tim. in.) (2). Ils subiroient la mort, ils répandroient π Thess. h. leur sang pour le nom de Jésus-Christ. La mort ne sera point la couronne de leur foi , mais le châtiment, de leur apostasie. Ce sera, non un gjo-rieux martyre, mais un désespoir. Qu’ils soient immolés, ils n’ont pas droit «à la couronne. La confession du nom de Jésus-Christ est un corn-menceinent de gloire ,.elle n’en est point la con-sommation. C’est la foi, non pas le supplice qui fait les martyrs. Là où il n’y a plus de charité, il n’y a plus de christianisme (1). Saint Paul l’a déclaré en ces termes exprès : Quand j’aur ois, nous dit-il, (!. c״r. w.) la foi jusqu'à transporter les montagnes , si je n’ai c ” pas la charité, je ne suis rien,״ et quand je distribuerais aux pauvres tout ce que je possède , que je livrerais mon corps en proie à la flamme des bûchers; sacri-lice perdu. Or, plus de charité, plus d’Eglise, plus de Jésus-Christ, plus de Dieu , là où l’on a rompu les liens de la foi chrétienne par une cri-minelie défection.
(2) Pritscr. cap. xuv.
(1) S. Cypr. Epist. ad Anton, lv, pag. 2|6 , ad Jubaian. lxxiii. pag. 308-312, Occidi talis potest, non coronari. Application dans Fromen-lières, Carême, tom. 1, pag. /!2.
Bourdaloue fait valoir énergiquement les mêmes motifs contre Tertullien lui-même (2).
(2) Panégyr. tom. 1, pag. 3;0. et serm. sur la sévérité chrétienne Dominic, torn, n, pag. 282.
L’histoire ecclésiastique ne manque pas de monu-mens qui attestent la vérité de cette doctrine. Rappelons, quand il en sera temps, à nos auditoires les séductions qu’opérèrent parmi les peuples les vertus pharisaïques, les talens, l’apparente austérité de mœurs d’un Montan , d’un Arius, d’un Nestorius, d’un Pélage, d’un Arnaud de Bresse, d’un Luther lui-même, avant qu’il ne se fût démasqué par le scandale de ses déporlemens. « C’étoit, écrivait le duc de Saxe au roi d’Angleterre, c’étoit le zèle des prophètes contre les abus de la maison d’Israël; et ce fut sous ce masque qu’il commença, au grand applaudissement des spectateurs, la tragédie qu’il a jouée sur le théâtre du monde presque tout en-tier (1). Mais les triomphes de l’erreur sont comptés. Ces Églises tout humaines, bâties sur un sable mouvant, finissent bientôt (nous disent tous les Pères )par ne plus se ressembler à elles-mêmes ; Astres errans, c’est l’expression dont se sert l’apôtre saint Jude , pour dire (Jud. 13.) qu’elles se glorifient dans leurs routes nouvelles et écar-tées, sans songer qu’il leur faudra bientôt disparoître ; torrens qui roulent avecfracas, mais qui s’écoulentavec la même rapidité (2). Ou bien, si Dieu permet, pour le châtiment des peuples, qu'elles jouissent de quelque durée, c’est qu’il les réserve à sa justice, lente, mais inévitable. Qu’importe la durée des siècles à celui qui a l’éternité pour se venger?
(1) Boss. Hist, des variât, liv. 1, n° 5.Artif.des hérét. ch. vin, p. 115. S. Irénée, Adv. hteres, pag. 55 et 62, édit. Fcu-Ardeut. ׳
(2) Ferunturliœreses prosuo eloquentiœ cursu, quemeumque obvium et levem uwenerunt secum trahunt, sed tanqnani torrentes velociter transierunt. S. Jérôme, Bossuet, Sertit, sur l’unité, pag. 520. Et 1" fnstr, sur les promesses, tom. iv, pag. 117.
(Page 81.) Saint Cyprien. Et certes, à quelles récompenses prétendre ? quelle paix peuvent-ils se promettre de la part de Dieu, quand ils n ont pas su con-server la paix avec leurs frères? quels sacrifices peuvent-ils célébrer? quelles expiations? croient-ils que Jésus-Christ soit avec eux, lorsqu’ils sont assemblés, quand ils ne sont assemblés que hors de ],Eglise?Celui-là ne peut arriver au royaume , qui abandonne celle qui doit régner. « En méprisant, les évêques et les abandonnant, ils élèvent autel contre autel, composant une autre prière avec des prières illicites, et profanant par de faux sacrifices la vérité de !,hostie divine (1). «Le seul crime de la séparation les rend abominables aux yeux du Sei-<211eur.
(1) Traduet. de M. de Trevern , Discuss, amie, loin. 1, pag. 34b
Exemple de Coré, Dathan et Abiron, dévorés tout (Num. xxvi.10.) vivans dans les entrailles de la terre , qui tout à coup s’entr’ouvre pour les engloutir eux et leurs complices.
Par où !’Écriture nous déclare que c’est s’atta-quer à Dieu même, que de vouloir détruire ce qu’il a ordonné. L’apôtre saint Paul ne cesse de nous en avertir: s’il s’élève avec tant de force contre les schismes et les divisions, qui sont sans contredit des maux, c’est qu’il les regarde comme des sources d’hérésie. (i. Cor. 1. 1o. Ephés. iv- 5.) Aussi leur joint-il immédiatement après les hérésies ; d’où il prend occasion d’établir qu’il ne faut pas se laisser troubler par les plus fortes tentations, de peur de tomber dans le plus grand des maux, qui est l’hérésie (2).
(2) S. Cypr. De unit. pag. 85, 8f. TerluII. Prcescr, cap. v.
Telie est la doctrine de Tertullien et de saint Cypricn sur l’origiihc, les caractères, les dangers de l’hérésie. Ce qui nous donne non-seulement les plus riches ma-tériaux, mais les plus lumineux développemens. Je n’ai rien inventé, rien paraphrasé; je n’ai fait qu’élaguer ce qui n’appartient pas immédiatement à la seule question des hérésies dans les deux traités des Près-criptions et de V Unité, et le ramener à un ordre plus favorable à !’instruction que nous devons aux peuples.
C’est encore d’après ces seuls Pères que nous allons présenter la substance de tout ce que notre enseigne-ment peut désirer de plus concluant en faveur de !’Église.
Après avoir prouvé qu’il n’y a dans l’hérésie qu'une Église/iumaine, adultère, c’est l’expression de saint Cyprien (1), il nous reste à démontrer que notre Église à nous est la véritable. La divinité de Jésus-Christ suppo-sée, il ne peut y avoir de véritable Église que celle qu’il a éct. (!v. 12.) fondée : ATcc enim aiïudnomen est sub cœlodatum ho-minibus, in quo oporteat nos salvos fieri. De ce prin-cipe dérivent les divers caractères de !’Église, renier-més dans ces paroles du symbole : Credo in unam sanctam, catholicam et apostoticam Ecclesiam. Les textes qui nous restent à produire de saint Cyprien et de Tertullien fourniront de précieux matériaux pour le développement de ces maximes fondamentales.
(1) Cypr. De unit. pag. 78, edit. Oxon.
Bossuet a exposé, dans une traduction aussi précise qu’énergique, la doctrine de saint Cyprien sur le dessein de Jésus-Christ dans l’institution de son Église, et le fondement de son unité (2). Le grand évêque de Meaux oppose en vingt endroits à tous les novateurs le nom et l’autorité du saint évêque de Carthage. « 11 ne faut que »voir comment le saint martyr a parlé de l’imité de ))!’Église, «dit-il dès le commencement de scs Instr uc-tiens pastorales sur les promesses (1). Ce que nous avons rapporté de saint Cyprien sur l'origine commune à toutes les hérésies, et la condamnation qn’cllcs s’im-priment à elles-mêmes.par le seul fait de leur sépa-ration d’avec l’unité catholique, Bossuet le répète, non-seulement dans ses éloquentes controverses avec les protestans, mais dans plusieurs de ses sermons, tels que celui de là résurrection de notre Seigneur (2), et dans le sermon sur l’unité, prêché devant l’assem-blée du clergé en 1681 (3).
(2) Voy. plus haut pag. 21'!
(1) Tom. v, pag. 126. M. de Trcvcrn, Discuss, unite. Lettre h.
(2) Serm. loin, vin, pag. 184.
(3) Tom. v, édit, in-p, pag. 4g5.
Après avoir rapporté les textes qui établissent ce prin-cipe de l’unité, saint Cyprien entre en matière. (Page 78. Ephes. 1v. et suiv)
Le bienheureux apôlrc saint Paul pose dans ces termes le fondement-sacré de !’unite : II riy a par-mi vous qu'un corps et qu un esprit, une même es-pérance à laquelle vous avez clé appelés; un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu. Tel est le principe de l’unité, à quoi nous devons rester inviolablement attachés, nous sur-tout qui, à titre d’évêque , avons l’honneur de pré-sider dans !’Eglise.
Comme il n’y a qu’un seul Jésus-Christ, il n’y a aussi qu’une seule Eglise, une seule chaire fon-tlée sur saint Pierre par la parole même de Jésus-Christ: donc un seul autel, un seul sacerdoce; il (Mallh. xn. 50.) ne peut y en avoir deux, il ne peut y en avoir une autre: Quiconque recueille ailleurs, dissipe. Il n’y a qu’une coupable démence, une impiété sacrilège qui puisse se croire en droit de violer l’ordre que Dieu lui-même a établi (1).
(1) De unit, pag.85. Epist. adPleb. pag. 529, ed. Oxon.
Il n’y a qu’un épiscopat, partagé entre divers membres, dont chacun possède solidairement une partie : (Pages 8־ et 2/(g.) Episcopatus unus est, cujus a singulis in soli-dum pars tenetur.
Ce texte est fameux. Saint Cyprïen le reproduit en vingt endroits dans les mêmes termes. Bossuet l’explique ainsi: « Les évêques n’ont tous ensemble qu’une même »chaire, par le rapport essentiel qu’ils ont tous avec »la chaire unique où saint Pierre et ses successeurs sont »assis. En conséquence de cette doctrine, ils doivent »tous agir dans l’esprit de l’unité catolique, en sorte que »chaque évêque ne dise rien , ne pense rien que !’Église »universelle ne puisse avouer (2). »
(2) Serm. de l’unité, supr. pag. 495. S. Hilaire de Poitiers s’exprime dans les mêmes termes que S. Cyprïen in Psalm, χιν.
Saint Cyprïen poursuit: Comme il n’y a qu’un épiscopat, ainsi n’y a-t-il qu’une seule Eglise, ré-pandue dans la vaste multitude des membres qui la composent. De même que l’on voit sortir du so-leil une foule de rayons, mais qu’il n’y a qu’un seul centre de lumière; que du corps d’un arbre sortent des rameaux en grand nombre, mais que le corps tout entier tient à un tronc fortement attaché à la terre par sa racine; que d’une même source s’épanchent divers courans d’eau qui re-montent à leur commune origine , malgré l’abon-dance des ruisseaux qui la diversifient : vous ne sauriez séparer un rayon du corps du soleil, plus de lumière là où il n’y a plus de rapport avec le principe de la lumière ; détachez une branche de l’arbre, la branche rompue ne prendra point ra-cine; isolez un ruisseau de sa source , il va tarir et disparoîtrc. Telle est l’image de !’Église : la divine lumière qui la pénètre embrasse dans son rayon le monde tout entier, mais elle vient d’un point unique qui distribue sa clarté dans tous les lieux, sans que l’unité du principe soit divisée ; son iné-puisable fécondité' propage ses rameaux sur toute la terre ; elle épanche au loin ses eaux abondantes ; c’est partout le même principe, partout la même origine , la même mère manifestant sa force par le nombre de ses enfans.
De semblables similitudes relèvent singulièrement la doctrine. Elles corrigent la sécheresse de l’enseigne-ment, lui donnent à la fois plus de précision et d’éclat. C’est là le langage habituel de saint Cyprien , et ce doit (Page ;S.) être le nôtre.
Revenons au texte.
C’est là le sein qui nous a enfantés à la vie, le lait qui nous a nourris, l’esprit qui nous anime. L’épouse de Jésus-Christ n’admet point d’alliance adultère; elle est chaste, elle est inviolable, elle ne council qu’une maison; elle se dérobe atout profane embrassement. C’est elle (pii nous con-serve à Dieu, elle <jui nous marque pour le royal héritage auquel ses enfans sont destinés par le droit de la naissance. Il n’est plus possible, d’avoir Dieu pour père, alors qu’on n’a plus !’Eglise pour mère. (]'age -e Joan, x, 50.) Si aucun de ceux qui étoient hors de l’arche a pu échappera !inondation, à la bonne heure, que ceux-là soient sauvés qui sont hors de !’Église. (1 Joan. v.) Notre maître a dit: Mon père et moi sommes un. Et son apôtre , parlant du Père, du Fils et du Saint-Esprit: Ces trois ״ dit-il, ne font qu un. Et l’on viendroit nous dire que cette unité qui a pour fondement l’infaillibiPité de la parole divine , pour ciment les sacremens venus du ciel, puisse im-punément être rompue dans !’Eglise, et anéan-lie par l’opposition des sentimens! Qui ne tient pas à l’unité , ne tient pas davantage ni à la foi du Père et du Fils, ni à la vérité, qui est nécessaire au salut.
Ce sacrement de l’unité, ce lien indissoluble de la concorde entre tous les membres de la famille, nous est représente par la tunique de Notre Sei-gneur respectée dans son intégrité par ses hour-reaux eux-mêmes, qui la tirèrent au sort, plutôt que de la mutiler en la partageant.
(Cnnt. VI. s.) Le saint docteur parcourt les autres images par les-quelles cette union est encore retracée dans !’Ecriture.
La comparaison qu’il en fait avec la colombe, d’après ces paroles de !’Ecriture , Una est coliunba men, lui (Cant. r!.s.) fournit un mouvement plein de chaleur.
La colombe est, dit-il, un oiseau plein de simplicité ( 8°·) et d’agrémens ; Sans fiel, sans amertume, qui n’a point ni de dents pour inordre , ni de serres pour déchirer ; fidèle dans ses attachemens, amie de l’homme et de la vie commune : telles sont les qualite's auxquelles !’Eglise se fait recon-noître, tel est le modèle qu’elle présente à ses en-fans. Que fait dans une ame chrétienne la sangui-naire férocité dés loups ? qu’y fait le mortel venin du serpent? Laissez se séparer de !’Eglise ceux qui y portent de telles mœurs ; ils ne s’y rencontrent que pour faire la guerre aux colombes de Jésus-Christ, que pour infecter le troupeau de Jésus-Christ. L’amertume ne s’assortit pas avec la dou-ceur, les ténèbres avec la lumière , la guerre avec la paix, ni les tempêtes avec le calme. Tant mieux pour !,Eglise , quand de tels hommes se séparent d’elle. IjCS colombes et les agneaux n’ont plus à craindre le danger de la contagion.
Ce ne sont pas les bons qui se séparent de 1 E-glise; il n’y a que la paille légère qui soit.empor-tée par le vent, le froment reste. Il n’y a que les foibles arbrisseaux qui cèdentà l’orage. L’arbre qui tient à de profondes racines se rit de la tempête.
Ou’il y ait , dans certaines localités, quelques (t’;1״e 251.) différences de discipline, on ne rompt point pour cela l’unité.
(page 29ס·) Il est trop vrai pourtant qu’il y a des prévarica-leurs, des traîtres, qui élèvent autel contre autel, et frappent des memes coups la foi et la vérité. Mais nous comptons aussi des Mathathias (, Mace. 11. 19·) qui soutien-nent avec vigueur la cause de la loi du Seigneur ; des Elie qui,(ni Keg. xix.) au milieu de la défection de leurs frères, combattent généreusement; des Daniel, (Dan. vi. 20.) qui, loin de céder aux perfides attraits d’une contrée étran-gère, ou aux menaces opiniâtres de la persécu-lion , ont remporté de nombreuses et honorables couronnes, et triomphé ,jusqu’au sein de la capti-vite, d’un roi à qui tout étoit soumis. Même dans les jours mauvais où nous sommes, la fermeté évangélique n’a point fléchi; la vertu et la foi chrétiennes se sont maintenues inébranlables ; et, bien qu’il y ait eu des ruines et de déplorables naufrages , le sacerdoce a su conserver avec cou-rage l’honneur de la majesté divine et de sa propre dignité. Bien loin de s'affoiblir par la chute de quelques-uns, il n’a fait que s’élever avec plus de gloire ; conformément à cette parole de ΓApôtre :(Rom. 111.5.) S’il en est qui n’ont pas cru 3 leur infidélité anéan-lira-t-elle les promesses de Dieu? Tant s’en faut , car Dieu est véritable (1).
(1) Epist. lxvii, edit. Oxon.
Le lieu de celte unité, saint Cyprien le voit conslam-ment dans la communion avec !’Église dç Rome. On l’a pu reconnoitre déjà dans les paroles de cemênic livrede l’unité, que nous en avons transcrites d’après Bossuet( 1). Le saint évêque ne cessera d'y revenir dans ses épîlrcs à l’occasion des schismes de Novation et de Félicissimc. Dans sa doctrine publique et particulière, confiden-tiellc, ou solennellement manifestée; ce qui fait l’unité, c’cst !’union entre tous les membres de !’Église, Eccle-sia una, et cathedra unit; !’union des fidèles aux pas-leurs, Grex pctslori adunatus; l’union des pasteurs entre eux, Episcopatus unus; et leur union au chef visible de !’Église, Exordium ab unitale : Primatus Pxtro datur; Petrus, cul ov es suas Dominas p as cen-das tuendasque commendat, super quem posait et fundavit Ecclcsiam, etc. (2) « Pour que, dans le gouver nement institué par Jésus-Christ, l’autorité de Jésus-Christ fût représentée, ilfalloit y établir un chef consti* tué par Jésus-Christ pour conduire tout le troupeau dans scs voies (3). » Parce que !’Évangile devoit se pro-pager jusqu’aux extrémités du monde, les apôtres insti-tuer les évêques et des ministres inférieurs dans tous les pays où ils porteraient la lumière, il falloit, disent avec saint Cyprien tous les évêques de France , pour maintenir dans l’unité d’une même foi et d’un meme gouvernement toutes les Églises particulières dispersées sur la surface de la terre, et le peuple immense qui se formeroit de toutes les nations; il falloit, disons-nous, une puissance supérieure à laquelle toutes les Églises fussent subordonnées, et capable de réprimer par son autorité les divisions qui naîtraient au milieu d’elles.
(1) Supr. pag. 215.
(2) Epist. i.ix ad Ccrncl. pag. 262. Epist. i.xvi ad Pupian. pag. 286. Voy. Barruel, Du pape et de ses droits, tom. 1, pag. 205.
(3) Bossuet, Exposit. de la docte. cathol. ait. xxu.
<· Images vivantes de Jésus-Christ, dans 1’Eglise, c’est à nous autres évêques, disoit saint Cyprïen, à soutenir et à défendre avec zèic l’unité de l’épiscopat, qui est indivisible (1). » Ainsi s’exprime en particulier l’un de ces mêmes évêques de France : « Pierre est déclaré pas-leur de tous, Pasce agnos, pasce oves (2).» Donc, concluent tous nos docteurs avec saint Cyprïen , le centre nécessaire, le lien immortel de l'unité , c’est Pierre. « Pierre n’est pas seulement chef, il est ce chef dont l’abandon devient la source de tousles schismes, de toutes les erreurs auxquelles sont livrés ces hommes qui, se disant chrétiens, n’en marchent pas moins dans les ténèbres et dans la mort (3). Son Eglise n’est pas simplement la première; elle est, répétera saint Cyprien, la mère, la racine de toutes les Eglises, Ma-trem etradiccm. Elle n’est pas simplement la plus ho-norable; elle est celte chaire qu’on ne saurait abandon-nersans sortir de !’Église. « Et voilà, poursuivra Bossuet, le mystère de l’unité catholique, et le principe im-mortel de la beauté de !’Église. Elle est une dans son tout, et une en chaque membre , parce qu’il y a un lien divin qui unit entre elles loules les parties qui for-ment le tout. Ce n’est pas assez qu’elle soit unie au dedans par le Saint-Esprit; elle a encore un lien coin-mun de sa communion extérieure, et doit demeurer unie par un gouvernement où l’autorité de Jésus-Christ soil représentée (1).»Et à la suite de cette profession de la foi catholique sur la primauté de Pierre , l’évêque de Meaux ne manque pas de nommer saint Cyprien parmi les Pères qui ont enseigné la même foi (2).
(1) Collect, ecclés. torn. 1, pag. 281. Exposât, des évêques de Cassent-blée de 1791.
(2) Collect. ecclés. tom. in, pag. 15y. M. l’êvêq. d’Aire.
(3) Tous les évêques François. Voy· Barruei, Supra, pag. 203 ; notre Collect, ecclés., publiée sous le nom de l’abbé de Barruei; et YÉpilre dédicat. des brefs du pape Pie vi, pag. 15 et suiv. Paris, 1 798.
(1) Serin, sur l’unité, pag. 487. Appendix ad Déclarai. Clerïis Gallic, pag. 105, edit. Amstel. 1745.
(2) Serm. sur l'unité, pag. 4g5.
Saint Cyprien s’étendra moins sur les caractères de la sainteté et de la catholicité de !’Eglise. On ne les lui contcstoit pas. On les croyoit si intimement liés à la cause de la vérité chrétienne, que, pour paroîtrey tenir, les hérétiques les plus relâchés dans leur conduite, et les plus emportés dans leur séparation , affectent de se mettre à couvert du reproche, par l’apparente austérité de la réforme, et par l’usurpation du titre de catho-liques. C’est là . dit Bossuet en vingt endroits, l’artifice ordinaire des novateurs, qui, pour ôter aux peuples l’idée de leur odieuse innovation, tâchent de laisser croire qu’ils vivent et qu’ils pensent comme tout le monde chrétien. Les histoires si connues de Paul de Samozatc, de Pélage, d’Abailard, de Luther, des nouveaux calvi-nistes déguisés sous le nom que l’on sait, ne justifient que trop cette accusation. Ici les principes sont les mêmes que pour l’unité; et les conséquences en jaillis-sent sur tous les autres caractères.Saint Cyprien a établi les uns et les autres avec une égale vigueur.
De ce que !,Eglise a pour chef Jésus-Christ, seul, elle participe à la sainteté de son auteur. Car (Pages 82,85, 252.) toute église qui n’est pas sainte ne vient pas de Dieu ; et celle qui vient d’un autre principe n’esl pas une véritable religion, ni la véritable Eglise : car Dieu ne sauroit approuver ce qui a quelque tache d’impiété, et bien moins en être la cause.
( Toute !’Eglise d’Afrique le répétait avec lui:) L’Eglise de Jésus-Christ est sainte ; elle est chaste, inaccessible à toute souillure (1). Sainte par la grandeur et la majesté de ses mystères, par l’ex-cellence de sa morale, par la pureté de son culte, par la vertu de ses sacremens (que notre illustre (Page 29ל·) docteur appelle les sceaux de l’unité et de la vérité); (Page84.) tellement sainte, qu’il n’est point, hors de son sein, ni vertu , ni mérite , et que le martyre même ne donne point de droit à la récompense. Pourquoi? (rage 85.) Parce que (ne cesse-t-il de répéter) le seul .fait de la séparation d’avec !,Eglise catholique (Pages 82,232) sappe les fondemens de toute la vertu chrétienne, qui est la charité.
(1) Adulleruri non potest sponsa Christi, incorrupla est, et pudica. Epist. S. Finnil. Inter epist. S■ Cypr. !.xxv.
Cent passages de cette force, qu’il n’est pas nécessaire de rapporter, mettent saint Cyprien à la tête des saints docteurs qui ont répandu le plus beau jour sur toute cette matière.
La cause de la catholicité sera toujours défendue avec un égal avantage par l’autorité du même saint Cyprien. Il combat tous les novateurs par ce seul argument, et il ne cesse de leur opposer le concert , l’accord , le con-cours de toute !’Eglise catholique, Ecctcsiic catholiciv concordiam ubi que coliœrentcm
(Page 249.) Novation ne sucède à personne, il commence à lui-même; il fait une église à part: il n’est donc point dans !’Eglise catholique ; il est hors de l'Église: car il est impossible que !'Eglise soil à la (l’ae« 2*8.) fois dehors et dedans. Ce n’est pas nous, encore une fois qui nous sommes séparés d’avec eux, !nais eux qui se sont séparés d’avec nous. Et, parce qu’ils sont nouveaux, qu’ils ont trouvé !’Eglise en place, et qu’ils sont tous venus après, leurs assemblées, lesconventicules qu’ils tiennent (page 2.Î9.) à part, comme ils les appellent, ne peuvent jamais se lier à la tige de l’unité ; c’est une église humaine, ce n’est plus !,Eglise catholique.
Pour l’apostolicité, voici comme eu parle le saint (pagCS51,s 2’ג·) confesseur :
Dans toute question qui intéresse la foi et les mœurs, commençons par remontera la source de la tradition ; avec ce flambeau , plus d’obeurités , plus de ténèbres. Que l’eau d’un canal vienne à manquer, on commence par remonter à son point «le départ: quand vous êtes arrivés, vous recon-noissez si la cause du défaut d’eau provient de ce «pie l’eau, tarie à sa source , a cessé de fournir de. l’aliment aux ruisseaux qui en dépendoient, ou bien si elle se trouve arrêtée dans son cours par quelque obstacle étranger. Ainsi doit-on agir toutes les fois qu’il vient à s’élever quelques doutes: re-montons aussitôt à l’Evangile et à la tradition «les apôtres ,afin de ramener toujours la vérité au point d'où elle a tiré son origine.
Mais c’est surtout dans Tertullicn qu’il faut chercher le développement étendu de ce caractère si émincm-ment propre à notre Église catholique.
(Page 25y.) Tertullien. Quel que puisse être Noire-Seigneur Jésus-Christ (qu il me permette de parler ainsi dans ce moment ) , quel que soit le Dieu dont il est le Fils , quelle que soit la nature du Dieu-Homme , la foi dont il est l’auteur, la récompense qu’il a lui-même promise , tandis qu’il étoit sur la terre, soit dans ses discours au peuple, soit dans ses in-structions particulières à scs disciples, ilaensei-gné ce qu’il étoit, ce qu’il avoit été, les volon-tés de son Père dont il étoit chargé , et ce qu’il exigeoit des hommes. Parmi ses disciples, il en choisit douze pour l’accompagner, et pour deve-nir dans la suite les docteurs des nations. Après qu’ils eurent reçu le Saint-Esprit qui leur avoit été promis, le don des langues et des miracles, ils prêchèrent la foi en Jésus-Christ, et ils établirent des Eglises, en commençant par la Judée. Ensuite, s’étant partagé l'univers , ils annoncèrent la même doctrine aux nations, et fondèrent des Eglises dans les villes.
C’est de ces villes que les autres ont emprunté la semence de la doctrine, et qu’elles l’emprun-tent encore tous les jours à mesure qu'elles se forment. Par cette raison, on les compte aussi parmi les Eglises apostoliques , dont elles sont les (!,;igc 2>s.) fdlcs. Tout se rapporte nécessairement à son origine. C’est pourquoi un si grand nombre d’Eglises si considérables sont censées la même Eglise, la première de toutes, fondée par les apôtres, et la mère de toutes les autres. Toutes sont apostoli-ques, toutes ensemble ne font qu’une seule Eglise par la communication de la paix, la dénomination de frères, et. les liens de l’hospitalité qui unissent tousles fidèles. Tout ce que nous venons de dire a (Ia{5') pour base l’unité de la foi et de l’enseignement, que prouvent toutes ces Eglises.
Or, si Notre-Seigneur Jésus-Christ a envoyé ses apôtres pour prêcher, il ne faut donc point rece-voir d’autres prédicateurs, parce que personne ne connoîl le Père que le Fils, et ceux à qui le Fils l’a révélé, et parce que le Fils ne l’a révélé qu’à ceux qu’il a envoyés pour prêcher ce que lui-même leur a révélé.
Mais qu’ont prêché les apôtres ? c’est-à-dire que leur a révélé Jésus-Christ? Je prétends qu’on ne peut le savoir que par les Eglises que les apô-1res ont fondées , et qu’ils ont instruites de vive voix, et ensuite par leurs lettres. S’il en est ainsi, il devient incontestable que toute doctrine quis’ac-corde avec la doctrine de ces Eglises apostoliques et matrices , aussi anciennes que la foi, est la véri-table , puisque c’est celle que les Eglises ont reçue des apôtres ; les apôtres, de Jésus-Christ: Jésus-Christ, de Dieu: et que toute autre doctrine par consequent ne peut être que fausse, puisqu’elle est oppose'e à la vérité des Eglises, des apôtres, de Jésus-Christ et de Dieu.
Il ne nous reste qu’à démontrer que notre doc-trine vient des apôtres, et que, par une consé-quence nécessaire, toutes les autres sont fausses. Nous communiquons avec les Eglises apostoliques, parce que notre doctrine ne diffère en rien de la leur: voilà notre démonstration.
Mais comme elle est si claire et si précise qu’elle ne laisse rien à répliquer quand elle a été mise dans tout son jour, avant de le faire, écoutons ce que peuvent opposer nos adversaires. Ils ont coutume de faire des objections contradictoires , mais tout aussi extravagantes l’une que l’autre : « Tantôt les apôtres n’ont pas tout su; tantôt les מ apôtres ont tout su, à la bonne heure, mais ils » n’ont pas pour cela tout enseigné à tous. »
C’est donc Jésus-Christ même qu’ils accusent d’avoir choisi des disciples ou peu instruits ou peu fidèles. Mais quel est l’homme sensé qui pourra soupçonner d’ignorance les disciples du Sauveur qu’il avoit donnés pour maîtres à !’univers, qu'il avoit eus dans sa compagnie tous les jours de sa vie mortelle, à qui il expliquoit en particulier tout ce qui avoit besoin d’éclaircissement, leur disant qu’il leur étoit accordé de pénétrer des secrets (Joan viu.10) inaccessibles à la multitude ? Qu’est-ce qui a pu être caché à Pierre, ainsi appelé parce que sur lui, comme sur lapierre fondamentale, fut bâtie !’Église; (Matt!u XTI.) à Pierre qui avoit reçu, avec les clefs du royaume des cieux, le pouvoir de lier et de délier tant dans (Ibid. 19.) les cieux que sur la terre ? Il est vrai que le Sau-veur avoit dit auparavant à ses apôtres : J’aurais (Joan χνι) encore à vous parler de bien des choses; mais vous ne pouvez pas les parler a présent. Mais aussi il ajou-ta : Lorsque Γ Esprit de vérité sera venu, il vous ensei-gnera lui-même toute vérité. Il marquait clairement par-là qu’ils !!’ignoreraient plus rien lorsqu’ils seraient remplis de l’Esprit-Saint qu’il leur pro-mettait (1).
(1) Pnvsc. cap. xx-xxiv.
Tertullien rappelle le différend qui eut lieu entre saint
Pierre et saint Paul. D’où il tire cet argument :
Cette contestation n’empêcha pas que Paul, devenu de persécuteur apôtre , Paul, accueilli par Gai. !. !8. les frères, présenté aux fidèles par ceux qui avaient reçu la foi de la prédication des apôtres, Paul qui voulut aller à Jérusalem dans le dessein avoué par lui-même d’y connaître Pierre, en témoignage d’une même foi et d’un même apostolat , n’eùt en effet la même foi que lui ; autrement sa présence auroit-elle excité dans l’assemblée des fidèles ces mouvemens d’admiration et d’allégresse qui s’y manifestèrent en reconnaissance du merveilleux changement qui s’était opéré en lui ? L’auroit-on accueilli de la sorte, s’il eut été en opposition avec Pierre? En se partageant le saint ministère, ils ne prêchaient point un Evangile différent. Pierre res-toit attaché aux Juifs; Paul étoit chargé des gen-tils. Tout le différend porloit non sur la doctrine, mais sur la conduite : Paul ne prêchait pas un au-tre Dieu que le créateur, ni un autre Jésus-Christ que celui qui est né de Marie, ni une autre espé-rance que celle de la résurrection. Les apôtres re-prenaient, selon la différence des temps, des per-sonnes et désintérêts, ce qu’ils eussent fait eux-mêmes dans d’autres circonstances. Pierre n’étoit pas moins que lui en droit de le reprendre d’a-voir circoncis son disciple Timothée après qu’il avoit défendu la circoncision.
(Page 2ί<>.) G est une égale folie, en avouant que les apô-très n’ont rien ignoré, et qu’ils n’ont pas prêché des doctrines opposées, de prétendre cependant qu’ils n’ont point communiqué à tous tout ce qu ils savaient . mais qu’ils ont enseigné certaines choses publiquement et à tout le monde, et d’au-très en secret et à un petit nombre de personnes seulement... Jésus-Christ parlait en public, et n’a jamais demandé qu on tînt secret aucun article de sa doc trine ; il disait au contraire à ses disciples : (Matth. x.) Ce que vous entendez en particulier et dans les lënc-bres, prcchez-le au grand jour et sur les toils. Il (Ibid. !·י· ·) remarquoit qu on ne meltoil pas la lumière sous le boisseau, mais sur le chandelier, pour éclairer toute la maison. Les Apôtres n’auraient point entendu tout cela, et n’en auraient tenu aucun compte, s’il étoit vrai qu’ils eussent caché une partie de la lu-mière, c’est-à-dire de la parole de Dieu et de ΓΕ-vangile. Ils ne redoutaient ni la fureur des Juifs, ni celle des païens. Et comment n’eussent-ils pas parlé librement dans !’Eglise , tandis qu’ils parlaient avec tant de hardiesse au milieu des synagogues et dans tous les lieux publics? Jamais ils !!’auraient converti les Juifs, ni persuadé les païens, s’ils ne leur eussent expliqué avec ordre et avec clarté la religion qu'ils leur annonçaient. Bien moins croira-t-on qu’ils aient pu cacher à des églises déjà avancées dans la connaissance des mystères de la foi certains dogmes qu’ils auraient réservés à quelques initiés. Quand même ils auraient tenu des conférences particulières sur la foi, il est contre toute vraisemblance qu’on y enseignât un symbole de foi différent de celui qu’ils avaient enseigné pu-bliquement; qu’ils annonçassent un Dieu dans !’Eglise, et un autre Dieu dans les maisons ; un Christen public, et un autre Christ en secret; une résurrection pour la multitude, etune résurrection particulière pour quelques personnes choisies. Les apôtres, dans leurs épîlres, ne recommandent-ils pas instamment aux fidèles de tenir tous un seul et même langage, sans souffrir jamais de schisme ni de division, parce que tous les ministres de l’Evangile, soit Paul ou tout autre, enseignoient absolument la même doctrine? Us se souvenaient (Matth. xv.11) du précepte de leur divin maître : Dites cela est, cela n’est pas, oui ou non. Ce c/ue vous ajouteriez de plus vient d’un mauvais principe. Il vouloit qu’il ré-gnât une parfaite uniformité dans leur enseigne-ment.
Toutes les subtilités de l’hérésie ancienne et moderne viendront éternellement échouer contre ce principe d’une doctrine apostolique venue de Jésus-Christ, et transmise par son Église, de siècle en siècle, jusqu’à nous; Tertullien l’ajoute.
Il n’est donc pas croyable que les apôtres aient ou ignoré ou caché quelque chose de la doctrine qu’ils étoient obligés de prêcher. « ]Niais peut-être que les églises ne ]’auront pas entendue;» car il n’est point de chicanes auxquelles nous ne soyons ex-posés de la part des hérétiques.
Il faut donc supposer que toutes les églises se soient trompées ; que le Saint-Esprit ait délaissé les églises ; que le ministre de Dieu, le vicaire de Jésus-Christ, ait manqué aux fonctions qu’il avoit à remplir. Est-il vraisemblable que tant et de si nombreuses églises se soient réunies pour la même erreur? Où doit se rencontrer une diversité pro-digieuse, la parfaite uniformité ne sauroit régner; l’erreur aurait nécessairement varié. Non, ce qui se trouve le même parmi un très grand nombre , n’est point erreur, mais tradition. Qui osera faire remonter l’erreur à la source de la vérité?
Ce seul argument établit à la fois et le fondement de notre Église, par la perpétuité de son enseignement depuis nous jusqu’aux apôtres , et la ruine de l’hérésie, par les variations et l’inconstance de sa doctrine.
Mais, de quelque part que vienne l’erreur, elle a donc régné jusqu’à ce qu’elle ait été détruite par l’hérésie? La vérité attendoit donc que les mar-cionites et les Valentiniens vinssent la délivrer? Cependant on prêchoit mal, on croyoit mal; tant de milliers de milliers étoient mal baptisés, tant d’œuvres de foi mal faites , tant de prodiges mal opérés, tant de dons surnaturels mal conférés, tant de sacerdoces et de ministères mal exercés, tant de martyrs enfin mal couronnés ( 1 ) ?
(1) Prcescr. cap. xxvi-xxix.
Tout le beau sermon du P. Le Chapelain sur Vauto-rite de ΓÉglise, et le quinzième livre de !’histoire des K aviations des Eglises protestantes, ne sont qu’une sa-vante application de cette doctrine au fait de la sépara-tion des réformés (2).
(2) Voyez surtout les pages 680 et suiv. du tom. 111, édit, des Bénéd
Revenons à ce principe , que la vérité a existé dès le commencement, et que l’erreur n’est venue qu’après. 11 suffit de faire attention à l’ordre des temps, pour conclure que ce qui a été enseigné le premier est vrai et divin, et que ce qui a été ajouté depuis est faux et étranger. Voilà ce qui confondra (Page 243.) à jamais les hérésies modernes, dont aucune ne saurait répondre à elle-même d’avoir la vérité de son côté.
Au reste, si quelques-unes de ces sectes osent se dire contemporaines des apôtres pour paraître en venir, faites-nous donc voir, leur répondrons-nous, l’origine de vos églises, l’ordre et la succession de vos évêques, en sorte que vous remontiez jusqu’aux apôtres, oujusqu’àl’unde ces hommes apostoliques qui ont persévéré jusqu’à la fin dans la communion des apôtres ; car c’est ainsi que les églises vraiment apostoliques justifient qu’elles le sont(1). Ainsi l’église de Smyrne montre Polycarpe que Jean lui a donné pour évêque: l’église de Piome, Clément ordonné par Pierre : toutes également nous montrent à leur tête un apôtre qui les a établies et à qui commence la chaîne de leur tradition. Que les hérétiques imaginent semblable généalogie. Après tant de blasphèmes, tout leur est permis. Mais ils auront beau inventer, ils ne gagneront rien; car leur doctrine, rapprochée de celle des apôtres, prouve assez, par son opposition , qu’elle n’a pour auteur ni un apôtre ni un homme apostolique. Les apôtres n’ont pu être opposés les uns aux autres dans leur enseignement: les hommes apostoliques n’ont pu l’être aux apôtres, si vous exceptez ceux qui les ont abandonnés. Oui, que les hérétiques montrent la conformité de leur doctrine à la doc-trine apostolique, c’est le défi que leur font les églises qui, professant la meme foi que les apôtres, n’en sont pas moins regardées comme apostoli-ques, à cause de la consanguinité de la doctrine.
(1) De tous les écrits modernes oil cet aigunient se reproduit avec le plus d’éclat, celui qui nous paroît avoir le mieux développé la pen_ sée de Tertullien, c’est l’ouvrage de mon respectable maître, l’abbe Barruel, publié en 1805 , sous ce titre : Du pape et de ses droits, 2 vol. in-8°. Personne ne presse comme lui la preuve qui se tire de la perpétuité du siège apostolique.
Toutes les hérésies sont donc sommées par nos églises de justifier, parleurs doctrines ou par leur origine, qu’elles sont apostoliques, comme elles le prétendent. Mais elles ne sauroienl justifier ce qui n’est point. La différence de leur doctrine dé-montre au contraire qu’elles ne sont rien moins qu’apostoliques : c’est pourquoi aucune église apos-tolique ne les reçoit à la paix et à la communion (1).
(1) Presser. cap. xxxm.
C’est donc à elles, à elles seules qu’auroient été (page) révélés les mystères de la divinité ? Le démon , ce superbe rival de Dieu, lesauroil donc éclairées au point que , contre la parole du Sauveur, if aurqit rendu les disciples plus savans que le maître dans ces sciences empoisonnées ? Que les hérésies choi- ' sissent les temps auxquels elles voudroient rappor-ter leur origine, il n’importe, puisque jamais elles ne prouveront qu’elles viennent de la vérité. D’a-bord celles dont les apôtres n’ont point parlé n’étoient point de leur temps , autrement ils n’eussent pas manqué d’en faire mention pour les condamner ; et celles qui étoient de leur temps, ils les ont en effet condamnées. Soit que les hérésies de nos jours soient les mêmes pour le fond, mais seulement plus polies et plus raffinées, elles se voient, dès les temps apostoliques, frappées d’anathème. Soit qu’elles n’aient fait qu’emprunter quelques dogmes de ces anciennes sectes, dès qu’elles par-tagent leur doctrine , elles doivent aussi partager leur condamnation. Quant aux hérésies qui n’au-roicnt rien de commun avec celles qui ont été déjà proscrites, leur nouveauté seule fait leur condam-nation.
(Page 245.) En un mot, notre doctrine est la plus ancienne de toutes , elle est donc la véritable ; la vérité est la première partout. Les apôtres, loin de condamner notre doctrine, la soutiennent; car, ne la condam-nant pas après avoir condamné toute doctrine étrangère, ils témoignent assez qu’ils la soutiennent, parce qu ils la regardent comme leur propre doc-trine.
Voyez avec quelle force Bossuet presse ce raisonne-nient contre les calvinistes dans la 1" instruction sur les promesses, et d’apres le seul Tertullien, dont il a accumulé les passages (1).
(1) Tom. v, pag. 127 et suiv.
Mais voulez-vous satisfaire une louable et salutaire curiosité ? parcourez les églises apostoliques où président encore, et dans les mêmes places , les chaires des apôtres; où, lorsque* vous entendrez la lecture de leurs lettres originales, vous croirez les voir eux-mêmes , entendre le son de leur voix. Etes-vous près de l’Acliaïe? vous avez Corinthe ; de la Macédoine ? vous avez Philippes et Thcssalo-nique. Passez-vous en Asie? vous avez Ephèse; êtes-vous sur les frontières de !,Italie? vous avez Rome, à l’autorité de qui nous sommes aussi a por-tée de recourir. Heureuse église , dans le sein de qui les apôtres ont répandu et leur doctrine et leur sang; où Pierre est crucifié comme son maître ; où Paul est couronné comme Jean-Baptiste ; d’où Jean l’évangéliste , sorti de l’huile bouillante sain et sauf, est relégué dans une île! Voyons donc ce qu’a appris et ce qu’enseigne Rome, et en quoi elle communique particulièrement avec les églises d’A-fri que (1).
(1) Prœscr. cap. xxxiv-xxxvi. '
Qui êtes-vous? peut dire !’Eglise aux novateurs ; depuis quand et d’où êtes-vous venus ? que faites-vous chez moi, n’étant pas des miens? à quel titre, Marcion, coupez-vous ma forêt? qui vous a per-mis, V alentin, de détourner mes canaux ? qui vous autorise , Apelle, à ébranler mes bornes? comment osez-vous penser et vivre ici à discrétion ? c’est mon bien. Je suis en possession depuis long-temps; (Page 246.) je suis en possession la première ; je descends des anciens possesseurs, et je prouve ma descendance par des titres authentiques. Je suis héritière des apôtres, et je jouis conformement aux dispositions de leur testament, au serment que j’ai prêté. Pour vous, ils vous ont renonces et déshérités comme étrangers et comme ennemis. Mais pourquoi les hérétiques sont-ils étrangers et ennemis des apôtres? parce que la doctrine que chacun d’eux a inventée ou adoptée suivant son caprice est directement op-posée à la doctrine des apôtres (1).
(1) Tbid. cap. xxxvii. Bossuet, Inslr. sur les promesses, tom. v, pag.129.
Tertullien termine son traité des prescriptions par une éloquente prosopopée.
(Page 248.) Oh demeurera invinciblement attaché à celte croyance, si l’on se souvient du jugement futur, où nous comparaîtrons tous au pied du tribunal de Jésus-Christ, pour y rendre compte de nos œuvres, et en particulier de notre foi. Que répondrez-vous alors, vous qui aurez souillé par le commerce adul-1ère de l’hérésie cette foi vierge que Jésus-Christ vous avoit confiée?... Apparemment que vous oblicn-drez grâce, tandis que ceux qui auront été fidèles aux oracles du Seigneur et de ses apôtres courront risque de leur salut. J’avois annoncé , il est vrai , (Marc. ״״.) leur dira lc Seigneur, qu’il viendrait des maîtres 22־ de mensonge , en mon nom, au nom de mes prophètes et de mes apôtres ; j’avois ordonné à mes disciples de répéter les mêmes prédictions ; j’avois (!»Tin>. ׳ ·׳״·) confié à mes apôtres mon Evangile et le symbole de la foi : mais comme vous refusiez de croire , il m’a plu ensuite d’y faire des cliangemens... Je (Page 2h·) vous avois défendu de prêter l’oreille aux héré-tiques: mais c’étoit moi qui étois dans l’erreur.
Voilà les absurdités que sont forcés de dévorer ceux qui s’écartent de la règle, et qui ne sont point en garde contre le danger de perdre la foi (1).
(1) Ibid. cap. xuv. cap. ultimo.
Saint Cyprien termine de même son traité de l’unité (Pages 85,86) par un mouvement plein de chaleur et d’onction, où l’effusion de la charité paternelle se môle à l’autorité du ministère apostolique. En exhortant les fidèles à la paix et à la concorde, il leur propose l’exemple des premiers chrétiens, parmi lesquels respiroit une seule âme et un seul cœur. A ce tableau il oppose celui des dissensions qui menacent d’anéantir la foi, et ré-veille la piété par la perspective du terrible avéne· ment de Dieu.
Bossuet, à leur exemple, finit son admirable sermon de Vunité (2) par une exhortation pathétique, où, après avoir déploré la contagion des mœurs nouvelles, il adresse à son auditoire ces touchantes et prophétiques paroles :
(2) Prêche devant l’assemblée du clergé de 1681. I’. 520, t. v, in-4"·
«Tremblez à l’ombre même de la division; songez au malheur des peuples qui, ayant rompu l’unité, se rompent en tant de morceaux , et ne voient plus dans leur religion que la confusion de l’enfer et l’horreur de la mort. Ah ! prenons garde que ce mal ne gagne. Déjà nous ne voyons que trop parmi nous de ces esprits libertins qui , sans savoir ni la (J״d. 10.) religion, ni ses fondemens, ni ses origines, ni sa suite , blasphèment ce qu ils ignorent, et se corrompent dans tout ce qu’ils savent. Opposons à ces esprits légers et à ce charme trompeur de la nouveauté la pierre sur laquelle nous sommes fondés , et l’auto· rite' de nos traditions , où tous les siècles passés sont renfermés, et l’antiquité, qui nous réunit à l’origine des choses. »
Nous n’avons rien de bien constant sur la mort de Tertullien ; on s’accorde seulement à dire qu’il vécut jusqu'à un âge très avancé (1).
(1) terlur vinsse usque ad deciepilaui œtalcm. S. Jérôme, in Calai, e. ».»11 , tom. !v, pari. 11, pag. 115, edit. Bencd.
L’on ignore les principales circonstances de sa vie. Les savantes recherches de Scaliger, de San-maise , de Rigault, de Pamelius, ne nous donnent que des dissertations vagues , des tables chronolo-giques incomplètes , et très peu de faits. Saint Je-rôme nous apprend bien qu’il fut en butte aux ja-lousies du clergé de Rome, et que ce fut là la cause qui le jeta dans le parti de Montan, où il persista jusqu’à la fin de sa vie (2) ; mais il n’en développe point les. effets. Il s’arrête davantage sur sa séparation d’avec !’Église catholique (1). Qu’un si beau génie ait pu donner dans les ex-travagances du montanisme, lui qui les avoit si solidement combattues, tant par son principe général contre toutes les nouveautés, que par une réfutation directe (2) , c’est là une de ces contra-dictions faites pour intimider et humilier à jamais l’esprit humain. «Entre un hérétique et nous, il »n’y a, dit à ce sujet un pieux et savant écrivain , » de différence que celle que la miséricorde de Dieu » y met, en nous donnant la foi, qui est le premier »de ses dons (3.) » Ce qu’il y a de plus déplorable encore pour la mémoire de Tertullien, c’est que ses écrits ne nous laissent point, comme ceux d’Ori-gène , la ressource de rejeter sur les disciples le reproche d’hérésie (4)· Qu’i 1 ne soit pour rien dans les imputations faites aux sectaires venus après lui, et qui se sont décorés de son nom pour accréditer leurs assemblées séditieuses et leurs abominables excès , nous n’en doutons pas ; et c’est dans ce sens qu’il faut entendre saint Augustin, quand il dit que Tertullien , qui a donné son nom aux tertullia-nistes, autrement appelés calaphrygiens, ne doit pas être compté au nombre des hérétiques (1). Mais que d’autre part il soit possible de le justi-lier des erreurs vraiment coupables qu’il puisa à ]’école de son prétendu Paraclet, nousne le croyons pas davantage. Saint Jérôme indique particulière-ment ceux de ses ouvrages où Tertullien s’est dé-claré sans déguisement contre la foi catholique (2); et il est impossible de les lire sans y remarquer la sorte d’affectation avec laquelle l’auteur manifeste la séduction où il s’étoit laissé entraîner (3). Il y combat sa propre doctrine, se fait gloire de son changement, proteste y vouloir persévérer (4), ac-cusc à son tour les catholiques avec la même éner-gie qu’il avoit déployée contre les adversaires des traditions catholiques, et ne néglige rien de tout ce qu’il fallait pour mériter la sévère censure dont saint Jérome et Vincent de Lérins ont frappé ses nouveaux écrits (1).On nous objectera qu’il a trouvé des apologistes, à la tête desquels il faut placer le grand cardinal Baronius. A quoi je répondrai que l’on confond parmi les erreurs de Tertullien celles qui supposent une défection absolue avec !’Eglise romaine (et certes Baronius n’a point prétendu le justifier sur ce point), et celles qu’il a mêlées à des ouvrages d’ailleurs justement recommandables. Quant à celles-ci, l’indulgence est non-seulement permise; nous croyons qu’elle estmême un devoir, non pour les adopter ni les couvrir du nom de ce grand homme : nous lui appliquerons à lui-même sa maxime, d’une incontestable vérité, Ex personis probamus fidem, an ex fide personas (2)? mais uni-quement pour les excuser comme dans plusieurs autres Pères qui les ont partagées avec lui, sans que l’on puisse en rien préjuger contre la sainteté de !,Eglise , qui n’en a pas moins consacré leur me-moire en condamnant leurs opinions. Là-dessus nous nous en référons volontiers au jugement d’un de scs plus célèbres éditeurs : qu’alors bien des questions n’avoient pas encore été' suffisamment éclaircies par la discussion, ni fixées par l’autorité des conciles ; et que les erreurs dans ces sortes de matières doivent être réputées des paradoxes plutôt que des hérésies proprement dites (1). Il n’en est pas moins regrettable qu’un si beau génie ait besoin que sa mémoire soit défendue.
(2) Ibid.
( 1) Ce qui a fourni à Bourdaloue le judicieux commentaire 011 il rap-pelle les services de Tertullien et ses erreurs. Panégyr. tom. 1, p. 370.
(2) Accesserunt aliihœretici qui dicunlur secundum Phrygas. (Tert. De preset', cap. lu. ) Illius hcereseos auclores ex ea jiierunt provincia, Apelles, Montanus, etc. (Nota Pamelii in hune locum, pag. 223. Feu-Ardent. Not. in S. Irœn. ad1>. lucres., pag. 121> col. 1.)
(3) Duguet, Confier. ecclés. Dissert, vi, tom. 1, pag. 105, col. 2.
(4) Larue, Huet, Dissert prœv. in Origen. Duguet, Dissert. x!e, Tcrtullianistœ n Tertulliano. S. August, torn, vin, pag. 24■ Libr. de hceresib.
(1) Nec lamen hinc hœreticus creditin'Jactus. ( S. August, lib. de lianes. t. vin, p. 25.) A (juibus postea divisas, ne plebs Montant nomen Tcrtulliani viderctur cxcludere,J'udit a se omnem Phi'Ygiæ vanitatem, et tertiillianislarum conventicula propagavit : nihil lamen in Jide mutavit. (Anonymus (juem llincmarus remensis ttyginum per errorem vocal. Apud Rigaut, Teslim. de Tcrlull. initio operis.
(2) Specialitcr adversus Ecclesiam lexuit volumina de pudicitia, de pcrsecutione, de monogamia, de ectasi libros sex, et septimum qucin adversus A polloniiim compostât. S.IIieron. siipi·.
(3) Dcveland. Pligin. c. 1. De anim. c. ix, etc.
(4) De pudicit. c. 1.
(1) S. Hieron. supr. Vincent. Lirin. Common, pag. 545, édit. Baluz. Mutata deinceps senlentia Jccit ad extremum quod de eo beatus cou-Jessor Hilaiius quodam loco scribit : Sequent!, inquit, errore detraxit scriptis probabilibtis auctorilalein ; cl full ipse quoque iu ecclesia ma-gna tentatio.
(2) Prcescr. c. 111.
(1) Quce tunc novella fide, nondum radicitus avulsis profianœ pliilosophiœ placitis, nondum constituta conciliorum catholicorum auctoritate, in plerisque illius œvi Patj'um commentants Ecclesia tôle-rabat. Nie. Rigaut, de Tertidl. initio edit. Slice.
Il est certain que Tertullien avoit été élevé dans le paganisme (2), qu’il étoit de famille patricienne; que, s’il n'exerça point la profession d’avocat, il s’étoit fortement appliqué à l’étude des lois, comme à celle de l’antiquité et de la langue grecque, dont il fait passer le génie et les expressions dans la langue où il a écrit ; d’où vient l’obscurité qu’on lui repro-che (3). Il n’est pas moins certain qu’il fut marié. Etoit-il prêtre? saint Jérome n’hésite pas de l’affir-mer : étoit-il à la fois prêtre et marié? Daguet ne le pense pas, et l’on peut s’en tenir à son opinion (4 ).
(2) De vestrisfiuimus. Tert. Apolog. c. xvm.
(3) Quo fit, ut ( vel Rhenano adnotante) nemo mirari debeat grœ-cam auctoris loquendi consuetudinem. Pamel. in Tertidl. vita. Vas-sout, Prèf. de la traduct. de l’Apologèl. Béraut-Bercast. Hist, de l'Eglise, tom.i, pag. /μο, édit. Besançon. Du Fossé, l'ie de Tertullien.
(4) Voy. Confier, ecclés. tom. 11, pag. 152, col. 1. (a)
(a) La question du célibat ecclésiastique a été si doctement discutée dans les temps modernes , qu’il devient superflu de s’y arrêter. Que les dissidens elierclient dans l’antiquité des exemples d’évêques, de prêtres ou de diacres qui aient été mariés ; qu’ils en rencontrent jus-ques dans les temps apostoliques et plus particulièrement à ces coin-mencemens où il eût été bien difficile de trouver des personnes qui eussent de l’âge et de la maturité, et qui n’eussent pas été engagées dans le mariage ; qu’ils en fassent trophée ; ils ne voient pas, ou ne font pas semblant de voir que tout cela est inutile, et qu’on pourrait leur répondre en deux mots que la question n’est pas si les personnes en-gagées dans le mariage ont été élevées aux ordres sacrés, puisque nous l’avouons, mais si ces personnes, depuis leur ordination, ont eu d’autres épouses que leurs églises , et d’autres enfans que les fidèles ; et c’est ce qu’ils ne prouvent jamais. Ceux qui seront curieux d’appro-fondir la matière pourront consulter avec fruit les lettres de Schem-mafer ; la quarantième dissertation de l’abbé Duguet, dans ses Confer, eeclés. ; les conciles de Labbe, au tom. ix, pag. 10, S.j, et tom. vm, pag. .{71 ; ï’Entretien sur le célibat eedésiust., Paris, 1791, par l’abbé Ermês, etc.
Ce qui souffrira bien moins encore de contesta-lion , c’est l’éclat de son talent. Peu d’hommes ont reçu de la nature un aussi beau génie; peu d’hommes l’ont cultivé par d’aussi profondes éludes , et ma-nifesté par d’aussi excellens ouvrages. Quoique nous en ayons déjà parlé au commencement de cet article, nous aimons à y revenir encore en le ter-minant, pour exciter de plus en plus nos lecteurs à le connaître , à s’en pénétrer, comme le faisoient. un saint Cyprien , un Minucius Félix , Laclance lui-même qui ne lui a pas rendu justice (1 ), et qui n’ont fait que l’abréger ou que l’étendre. Disons haute-ment qu’il estlepremier des Pères de !’Église latine; et nous ne sommes pas les seuls de cet avis (2).
(1) Divin, instit. liv. iv, cap. iv.
(2) Apud latinos noslrorum omnium facile princeps. Vincent de Lerins, Common, cap.xvm, Euseb. Hist, cedes, lib. 11, cap. π.
Bossuet lui offre un rival. On a pu observer, dans les notes ajoute'es par nous à son texte, quelle e'tude particulière l’évêque de Meaux avoit donnée à ce père (1). Tertullien et saint Augustin marchaient toujours avec lui de compagnie (2). S’il pense avec l’évêque d’IIyppone, il parle avec le prêtre de Carthage. Lui seul a bien traduit ce grand homme. Terlullien outra le génie comme la vertu. Imitons־le dans ce qu’il a de bon ; c’est le plus admirable modèle que nous puissions offrir à l’i-mitation : Ubi bene ; nemo melius.
(1) « L’usage heureux que Bossuet fait souvent d’un grand nombre de passages de Tertullieu montre combien il avoit étudié ses ouvrages.» M. le cardia, de Beaussct, Vie de Bossuet, tom. 1, pag. S3.
(2) » Il n’alloit jamais même en voyage qu’avec un Tertullien et un volume deS. Augustin. » Burigny, Vie de Bossuet, pag. 4θ· —Vassout : «On peut conclure qu’il y a’peu de livres plus propres à former d’excel-»lens orateurs.» Préface de sa traduct. de ].'Apologétique.