MINUCIUS FÉLIX.

Lout ce que nous savons de cet illustre apolo-giste, c’est qu’il exerçait à Rouie la profession d’avocat. Lui-même nous apprend que la nature de ses fonctions ( et peut-être la réputation que lui avoit méritée la manière dont il les remplissait) l’avait appelé comme juge ou assesseur dans les causes de la religion. 11 est bon de l’entendre lui-même :     :

« Nous étions persuadés, dit-il, que les dire-מ tiens adoraient des monstres , qu’ils dévoraient » des enfans , et s’abandonnaient à la dissolution » dans leurs festins. Nous ne réfléchissions pas » qu’on n’avoit pas même cherché à vérifier de » pareilles accusations, bien loin de les avoir prou* »vues; que, parmi tant de prétendus coupables, il » ne s’en étoit pas trouvé un seul qui eût avoué son »crime, quelque sûr qu’il fut et de l’impunité et » de la récompense ; qu’au contraire ils faisaient »gloire de leur religion, et ne se repentaient que » d’une chose, de ne l’avoir pas embrassée plus toi. »Tandis que nous ne faisions pas difficulté de dé-» fendre des hommes coupables de sacrilège, d’in-» ceslc , de parricide, nous ne voulions pas même » entendre les chrétiens. Quelquefois,touchés d’une » compassion cruelle , nous leur faisions subir la» torture pour les forcera se sauver, en niant qu’ils »fussent chrétiens. !Sous nous servions, pour ar-» cacher un mensonge de leur bouche , de ce qui » n’a été établi que pour tirer l’aveu de la vérité. Si » quelque chrétien foible,succombant à la violence יי des tourmens , renioit sa religion , nous lui ap-» plaudissions ; comme si, par ce lâche mensonge , » il se fut purgé de tous les crimes qu’il avoit du » commettre selon nos préjugés (1). »

(1) Quoique l’auteur mette ccs paroles daus la bouche de Cécilius, ( pag. 257) Minuçius avant sa conversion devoit partager ces sentimens.

On conjecture qu’il étoit né en Afrique, parce que son style a quelque chose d’étranger qui semble appartenir à la patrie de Tertullien et de saint Cy-prien plutôt qu’à celle des Ilortensius et des Cicé-ron (2). Lié avec un Romain de la même profession que lui, nommé Octave (3), converti àu christianis-me, il eut occasion d’apprendre à mieux connoître les chrétiens. La lumière approchent insensiblemcn t de ses yeux. Il finit parse rendre àson éclat; et par-ce que la vérité ne sait pas se renfermer dans les ténèbres, Minuçius voulut que ses! concitoyens , égarés comme il l’avoit été lui-même, partageassent le bienfait dont il commençoit à jouir, et publia sa défense du christianisme. Il lui a donne la forme de dialogue , à l’imitation de ceux de Cicéron sur la nature des dieux, et le litre d’OcTAVE, comme l’orateur romain celui de Brutus et RHortcnsius à ceux de ses dialogues où l’un ou l’autre est le prin-cipal interlocuteur. L’auteur en introduit trois, dont l’un, avocat du paganisme, en expose tous les préjugés contre le christianisme; il l’appelle Cécilius(1). Octave répond, et venge éloquent-ment la cause de la religion chrétienne. Le heu où se tient la conférence, c’est le bord de la mer. Ce qui y donne occasion, c’est la rencontre faite, sur le chemin, d’une statue de Sérapis,à la-quelle Cécilius , selon la coutume des païens quand ils se trouvoienten présence de quelque idole, avoit témoigné sa vénération, en portant sa main à sa bouche pour la baiser ; sur quoi Octave s’adressant a Minucius (2) :

(2) On ignore sous quel prince il a vécu.

(3) Peut-être étoit-il lui-même Africain. Le nom Januarius qui lui est donné dans lé cours de ce dialogue a fait croire qu’il étoit prêtre ou évêque , parce que ce noni se lit au nombre de ceux qui assistèrent au concile de Carthage , dans la cause du baptême des hérétiques.

(1) Fionimé aussi Natalis dans la suite de l’ouvrage.

(2) M. iïlinuc. Fclicis Octavius, Lugd. Batav. 1672, vol. in-S'׳. Citni uolis variorum.

« En vérité, mon frère, lui dit-il , il n’est pas (pagc » ) digne d’un homme vertueux comme vous l’êtes de » laisser dans ce déplorable aveuglement un ami (page !.־׳>.) » qui vous esl si étroitement attaché , et de souffrir » qu'à vos yeux il rende un culte à des pierres in-»sensibles, couvertes d’essences et couronnées de »fleurs. La honte d’un tel égarement ne retombe-t-elle (page !9.) » pas sur vous comme sur lui ?»

Ce reproclie, entendu par Cécilius, pénètre jus-qu’à son cœur: il le rend rêveur et mélancolique: ses amis s’en aperçoivent, et lui demandentce qu’est de-venue cette gaieté aimable qui ne l’abandonnoitpas même dans les affaires les plus sérieuses. Cécilius (Page 27.) répond : « J’avoue que le mot d’Octave m’a fait une vive impression. Accuser mon ami de négligence, c’étoit indirectement faire retomber sur moi le blâme d’ignorance. Approfondissons la chose : il est bon qu’Octavc m’en rende raison.»

JjC plaidoyer s’engage ; Minutius est choisi pour arbitre. Cécilius commence:

(Page 29.)     « Mon frère (s’adressant à Minucius), quoique

votre opinion se soit déclarée dans la question qui nous partage Octave et moi,puisque, après être si long-temps demeuré sous nos bannières, vous les avez désertées, sans doute à la suite de quelque examen, pour passer dans le camp ennemi, j’ai tout lieu de croire qu’en juge équitable vous tiendrez (Page 50.) la balance assez ferme pour ne la laisser pencher qu’en faveur de la raison et de la justice, et non de votre sentiment particulier. Dans la confiance donc où je suis que vous n’êtes ici qu’un juge im-partial et dégagé de tout intérêt personnel, jem’ou-vrirai avec franchise, pour déclarer, ce qu’il n’est pas (Page 51.) difficile de démontrer, que tout ici-bas estprobié-matique, incertain et arbitraire, et qu’il y a dans les choses humaines plus de spécieux que de réalité. Qu’il y ait donc des hommes qui, découragés des vaincs poursuites qu’ils ont données à la re-cherche de la vérité, finissent par aller se reposer au hasard dans une opinion quelconque, c’est là ce qui m’étonne bien plus que d’en voir s’opiniâtrer à courir après. Cela étant, ne doit-on pas s’indigner et gémir de voir la présomption avec laquelle certaines (Page 52.) gens sans étude et sans doctrine , étrangers à toute espèce de littérature, de la dernière lie du peuple , tranchent sur la question du principe des (page 54♦) choses, de sa souveraine nature ; après que tant de sectes opposées qui se sont partagé les écoles de laphilosophien’ont produit encore jusqu’à présent que d’interminables disputes?Eh! comment en se-roit-il autrement? l’esprit de l’homme est trop foible pour franchir l’intervalle immense qui le sé-pare de la Divinité. Et ce qui s’élève par-dessus nos têtes, et ce qui est caché sous nos pieds, se dérobe également à nos regards. Il ne nous est ni donné de la connoître , ni permis de chercher à la péné-trer, sans une profane et sacrilège témérité. Ce qui (page 35) suffit à nos besoins , ce qui importe à la règle de notre conduite, c’est de travailler à se bien con-noîlre soi-même, comme le veut un sage d’autre-fois. Mais quand on veut sortir du cercle étroit où nous sommes renfermés, et s’aller jeler à travers ces laborieuses autant que stériles spéculations ; quand, courbés comme nous le sommes sur la terre, (Page 36.) nous portons un téméraire essor jusque dans le ciel, du moins ne faudrait-il pas mêler à ce premier égarement de misérables préjugés et des terreurs imaginaires.

Qu’il y ait eu primitivement des germes gé-nérateurs ramassés au sein de la nature, que fait à (Pages-,) cela un Dieu? Que la formation, que l’assemblage et l’harmonie des parties diverses dont se compose l’ensemble de !’univers résulte d’un concours for-luit d’atomes réunis, faut-il pour cela l’interven-lion d’une divinité? Qu’importe que les astres rou-lans sur nos têtes aient reçu leur lumière de l ac-lion du feu dont ils sont pénétrés, que le ciel se soit déployé de lui-même, que la terre se balance par son propre poids , que les eaux de la mer se soient creusé le vaste bassin qu’elles remplissent? quel rapport dans tout cela avec une religion , avec la crainte d’un autre monde, avec tout ce système de superstition ? L’homme , et en général tout ce qui existe , reçoit l’être et !’accroissement au gré des élémens qui forment sa substance , et dans qui l’homme , et tout ce qui respire , rentre à son tour, s’absorbe et s’anéantit. Ainsi tout revient à son (Page 38·) point de départ; tout va roulant dans le même cer-cle ; pour cela ni créateur, ni juge, ni arbitre. 11 suffit que les molécules de la matière du feu se rapprochent pour produire de brillans soleils mul-tipliés à l’infini ; que les vapeurs s’exhalent de la terre pour entretenir une atmosphère sans cesse rajeunie; qu’elles montent clans une région supé-ricure pour se résoudre en pluies: par-là s’expli-quent et les vents qui sifflent dans l’air, et les grêles qui tombent avec fracas, et ces tonnerres grondant au sein des nues qui s’entre-choquent, et ces foudres qui étincellent, et ces feux des éclairs qui en annoncent la prochaine explosion. De là l’irrégularité dans leurs irruptions sur les (Page 09.) sommets des montagnes , ou sur les cimes des ar-Bros, tantôt dans les plaines ; vous les voyez s’a-battre indifféremment sui' les lieux profanes ou sur les temples, écraser l’impie, souvent aussi le plus religieux des hommes. Parlerai-je des saisons ,(Page 40.) de leur peu d’uniformité , de leur inégalité ? Nul ordre, nulle différence dans les résultats des événemens humains. Tout en proie à un caprice aveugle et bizarre: des tempêtes oùlcnaufragecon-fond l’innocent et le coupable; des incendies où le juste n’est pas plus ménagé que le pervers; des pestes qui corrompent les sources de la vie, et font planer la mort indistinctement sur toutes les têtes; des guerres dont les meurtrières fureurs menacent surtout les meilleurs citoyens. Dans la paix y a-t-il plus d’assurance pour les bons? Tant s’en faut: c’est l’iniquité qui est en honneur, et l’on est le plus souvent réduit à se demander s’il faut ou dé-tester l’iniquité, ou porter envie aux prospérités qui l’accompagnent. S’il y avoit une Providence qui gouverne le monde, s’il existoit une divinité (Page 41.) agissant avec empire, verroit-on jamais sur le trône un Denys, un Phalaris ? les Piutilius et les Camille auroient-ils été jamais condamnés à subir (Page 42.) l’exil, et Socrate à boire le poison? Vous avez sous les yeux des arbres chargés de fruits, des moissons qui appellent la faucille, des vignes qui promettent la plus heureuse récolte: surviennent tout-à-coup des orages, des grêles qui les dévastent, et ruinent vos espérances. Après cela, appliquez-vous à la re-cherche de la vérité : elle fuit de nos yeux, abîmée sous les nuages épais qui la cachent; ou mieux (Page 45.) encore, concluez que tout ici-bas est le jouet d’un destin aveugle, sans autre loi qu'une volonté capri-cieuse et tyrannique. C’est là le seul point fixe ; par-tout ailleurs, sable mouvant. Combien donc l’ami de la vérité n’auroit-il pas plus à gagner, et pour sa conscience et pour son bonheur, de suivre les tra-dilions qui nous ont été laissées par nos pères, d’adorer les dieux que l’on nous apprend à redou-ter, avant que de nous attacher à les connoîlre ; à ne point prononcer sur l’essence divine, mais d’en croire sur parole à ce que nous en ont transmis les premières familles du genre humain , qui, dans des siècles grossiers et voisins de l’enfance du (Page ii-) monde, méritèrent qu'il leur fut donné des dieux comme des rois favorables à leurs vœux, zkussi l’histoire nous montre-t-elle chez tous les peuples du monde , dans les provinces et les cites dix erses, un culte national, des dieux qui les avoient au-paravant habitées : une Cérès à Eleusis, une Cybèle en Phrygic , un Esculape à Epidaure , un Bélus (Page 45.) à Babylonc, une Astarté en Syrie, une Diane (Page 47·) dans la Tauridc, un Mercure dans les Gaules, et (page 49·) dans Rome seule toutes les divinités. Grâces à la piété de ses habitans, la puissance romaine s’est propagée par tout l’univers; l’empire du peuple-roi (Page 51.) s’est étendu par-delà les contrées que le soleil éclaire de ses rayons, par-delà les bornes de l’O-céan : récompense des vertus religieuses qu’il a portées jusque dans le tumulte des guerres. Ses remparts les plus forts ont été le culte des dieux, la chasteté de ses vierges, son zèle à honorer, à multiplier les ministres de la religion. On l’a vu, assiégé dans l’enceinte de son Capitole, unique retranchement qui ne fût pas tombé encore au pou-voir de l’ennemi vainqueur, continuer scs hom-mages envers ces mêmes dieux qui semblaient dé-clarés contre lui, et que tout autre eûtvoulu punir par ses mépris de l’avoir abandonné; et, de ce poste sacré, bravant les regards des Gaulois étonnés de sa superstitieuse audace , opposer à leurs fureurs, pour toute armure, le culte de la religion, insulter au triomphe de l’orgueilleux et féroce étranger qui (P3gc Jf) l’a conquis, en se prosternant sous ses yeux aux pieds de ses dieux associés à la honte de sa dé-faite; chercher dans tous les lieux du monde des divinités étrangères qu’ils accueillent et s’appro-prient, ériger des autels aux dieux même incon-nus et aux mânes des morts. C’est en adoptant les cultes de toutes les nations , que Home a mérité d’en être la maîtresse. De là cet esprit religieux qui s’est maintenu constamment, et qui fut bien loin (Page ·) de s’altérer par la succession des âges ; car la véné-ration qui s’attache aux institutions religieuses comme aux édifices sacrés fut toujours en proportion (Page 63.) de leur antiquité... Parcourez ces temples qui font le soutien et l’ornement de Piome ; ce qui les rend augustes , c’est la majesté de la religion, bien plus que leur magnificence extérieure et la richesse des offrandes que l’on yporta... Puis donc que tous les peuples du monde (Page 66,67.) s’accordent uniformément, n’importe quel que soit le motif ou l’origine de cette croyance, à reconnaître qu’il est des dieux immor-tels, je ne conçois pas qu’il existe personne assez présomptueux, assez emporté par je ne sais quelle sagesse impie, pour oser vouloir renverser ou seu-lement ébranler une religion aussi ancienne, si utile, signalée par tant de bienfaits.Nommez-moi un Théodore de Cyrène , ou bien , en remontant plus haut, ce Diagoras de Milet que l’antiquité a flétri du surnom d’athée,(Page 68.) lesquels ont prétendu qu’il n’y avoit point de dieux, et par-là sapaient tous les fondemens de la société , en anéantissant dans les cœurs tout sentiment de crainte et de devoir : jamais un semblable système d’impiété sous le nom de philosophie ne s’accréditera et ne pré-vaudra parmi les hommes. Protagoras d’Abdère, qui disputait sur la divinité avec l’air d’en dou-ter plutôt qu’avec l’intention manifeste de la nier,' (pagc g9.) fut banni du territoire de l’Attique par une sen-tence de l’aréopage; le peuple assemblé condamna ses livres a être brûlés; et l’on verroit sans en gé-mir profondément (pardonnez à la chaleur a5ec' laquelle je m’exprime), l’on verroit une poignée de misérables factieux, transportés par le désespoir (pa״e elbU,v·) que donne le fanatisme, entreprendre de détrôner les dieux :malheureux qui, abusant de la simplicité d’hommes ramassés dans les égouts de la société, de la crédulité de quelques femmes, naturellement faciles à tromper, se sont fait un parti lié par la plus sacrilège conjuration; se rassemblent eux et leurs complices dans leurs nocturnes concilia-bules pour célébrer ensemble des jeunes solennels et des festins qui'révoltent la nature; formant non une secte religieuse , mais une bande de criminels. Ennemis du grand jour, ils s’enveloppent de ténè-bres ; muets en public, inépuisables quand ils sont sans témoins , méprisant également et les temples ,־ et les bûchers , vous ne les entendez parler des dieux et de nos cérémonies que pour y insulter et nous plaindre. Vous leur proposeriez les honneurs du sacerdoce et la pourpre suprême , dans leur délire , ils ne vous écouteront que pour vous bra-. ver ; et à peine ils ont des haillons qui les cou-vrent. Démence qui surpasse tout excès ; audace (Page 80.) que l’on a peine à croire ! ils méprisent les tortures étalées sous leurs yeux, et tremblent sur un avenir incertain ; et ces mêmes hommes qui redoutent si fort de mourir après qu’ils ne seront plus, vous les voyez quitter la vie sans craindre la mort. Bercés par le faux espoir d’une chimérique résurrection, ils s’élèvent ainsi au-dessus de toutes les frayeurs. Parce qu’il y a toujours dans le mal bien plus d’ac-livité à se répandre, la corruption des mœurs gagnant (page81.) de proche en proche, cette détestable con-juration a pris racine dans tous les lieux de l’uni-vers. Peut-on concevoir trop d’horreur, et s’armer de trop de sévérité contre une ligue aussi impie! Ils se reconnoissent entre eux par des signes de ralliement ; à peine ils ont besoin de se connoître pour se lier d’une nrutuelle affection ( 1 ).C’est pour eux une sorte de religion de s’abandonner à la plus monstrueuse licence ; ils s’appellent indiffé-remment frères et sœurs, changeant par l’abus d’un nom aussi saint la débauché en inceste, et, dans la superstition qui les aveugle, transformant le crime en titres de gloire. On dit, et le bruit s’en est trop (p )accrédité pour être mis sur le compte de la ca-lomnie , on dit qu’ils adorent une tete d’âne ; culte infâme dont je ne saurois pas expliquer l’étrange motif ( 1 ) ; culte au reste digne de ceux qui le décer-nent, et qui ne peut avoir sa source que dans de pareilles mœurs. On dit encore qu’ils baisent avec (p 85) respect les parties naturelles de leur président ou prêtre. Je ne garantis pas la vérité de l’accusation; mais le secret de leurs mystères justifie trop le soupçon de ces abominables coutumes.Et quand on nous parle de leur dieu comme ayant été un homme puni du dernier supplice pour cause de crime , des honneurs qu’ils accordent au bois infâme de la croix, c’est leur donner des autels en rapport avec leurs adorateurs. De telshommes n’honorent que ce (Page 8;.) qu’ils méritent. Ce que l’on raconte de leurs ini-tialions n est pas moins monstrueux: tout le monde s’accorde sur ces détails. On y apporte dans Fobs-curité de la nuit un enfant dont le corps est cou-vert de farine; l’initié sans défiance frappe la vie-time qu’il ne connaît pas ; tous en recueillent le sang, qu’ils boivent avidement; ils s’en partagent les chairs, et s’en font un horrible festin ( 1 ). Tel est le pacte qui les unit; telle est la communauté de scélératesse par laquelle ils s’engagent réciproque-ment au silence. De tels sacrifices sont pires que tous les sacrilèges. Nulle équivoque sur le mode de leurs repas. L’accusation est consignée dans un (raSe s9·) mémoire rendu public. Ils se réunissent à un jour convenu pour manger ensemble ; là tout se rend à la fois, hommes, femmes, sœurs, mères, enfans.

(1) Dans Tertullien : Cide, inquiuut , ut iiwicem se diligunt. ( dpo-loget. cap. xxxix. ) Aveu caractéristique que la plupart des modernes ont su bien faire valoir en l’opposant au défaut de charité qui règne de nos jours parmi les chrétiens. Voy. Bourdaloue , Dominic, tom. 111, pag. 254· Molinier, Serm. chois, tom. 1, pag. 141. Bossuet, Serm. sur l'esprit du christ, pour le jour de la Pentecôte. Massillon, Carême, tom.1, pag. 145. sur l’aumône ; Le Chapelain, Cheminais, Lenfant, l’évêq. de Sénez, etc. Chez les communions protestantes, Saurin, Beausobre surtout, qui profite habilement du témoignage et du mot de Tertullien , Serin, tom. 1, pag. 52g.

(1) Tertullien nous l’apprend. S’adressant aux païens :a Quelques־ uns d’entre vous avez rêvé que les chrétiens adorent une tête d’âne. Imposture qui paroît avoir pris sa source dans le récit de Tacite. Cet historien, dans l’endroit de son histoire ( au v« livre) où il donne comme il l’entend l’origine de la nation des Juifs, l’étymologie de leur uom et l’idée de leur religion, raconte que les Hébreux, délivrés, ou, ainsi qu’on le prétend , chassés de l’Égypte, exposés à périr de soif dans les déserts de l’Arabie où ils étoient complètement dénués d’eau, furent sauvés par des ânes sauvages venus dans cette contrée pour y trouver des pâturages. En reconnoissance de ce bienfait, ilsauroient, dit-on, con-sacré cet animal, et rendroient à une tête d’âne des honneurs divins. Josèphe réfute amplement cette calomnie dans son Traité contre Ap-pion. Sous le prétexte de l’analogie de notre croyance religieuse avec celle des Juifs, on a apparemment préjugé contre les chrétiens qu’ils avoient la même superstition f (Apologét. ch. xvi, pag. 1y.) d’où vient que la haine des païens donne au Dieu des chrétiens le nom d’û/40-choctes. »Advers. nation, lib. 1, cap. χι, pag. 5g.

(1) Voy. dans le 1èr vol. de cet ouvrage les pages 25r), 305, 542, 558, et tom. 11, pag. 548. Cette absurde calomnie exposée est réfutée par les premiers apologistes. Elle prenoit évidemment sa source dans une fausse interprétation du dogme de !’Eucharistie , et devient un argu-nient invincible de son antiquité.

Après que l’on a bu et mangé, que les fumées de l’intempérance ont allumé dans les convi-ves des flammes incestueuses, on jette à un chien attaché au chandelier un morceau qu’il ne peut saisir sans aller au-delà de sa chaîne; le mouve-ment qu’il est obligé de faire renverse la seule lampe qui éclaire ce repaire affreux de lubricité ; et à la faveur des ténèbres tout se mêle au hasard, pour satisfaire à sa brutale passion ; tous en sortent incestueux par l’intention, quand ils ne l’auroient pas été par le fait. Je ne vais pas plus loin. C’en est assez de ces horreurs, prouvées, en tout ou en partie, par le mystère dont ils couvrent leur doc-trine impie. Car, encore une fois, pourquoi ce (pagc 90.) profond secret dans lequel ils s’enferment? Ce qui est honnête aime à se faire voir ; le crime seul se . cache. Pourquoi, chez eux, n’y a-t-il point de (PaSe 91־ ) temples ni d’autels? point d’images de ce qu’ils adorent(1)? Pourquoi en public ce sérieux qui les rend muets; pourquoi ces réunions clandestines, jamais ostensibles, si ce n’est qu’ils ont à craindre (Page 94.) ou à rougir? D’où leur vient le dieu qu’ils adorent? quel est-il ?quels lieux habite-t-il ce dieu unique, solitaire, e'tranger à tous les peuples du monde, libres pourtant dans l’exercice de leur religion, qui n’est connu nulle part, pas même à Rome, le rendez-vous de toutes les superstitions? De tous les peuples de l’univers, il n’y a que le Juif, peuple isolé , misérable, qui fasse profession de ne recon-noître qu’un seul Dieu. Encore lui décernent-ils un culte public; il a ses temples, ses autels, ses sacrifices et ses cérémonies. Dieu sans force, sans puissance ,nos soldats ont bien su le mettre sous le joug, lui et sa nation. Mais ces chrétiens, quelle (Page 95.) idée ils se font du leur’. Cette prétendue divinité qu’ils ne sauroient ni montrer ni découvrir, elle a, disent-ils, les yeux ouverts sur toutes les diverses actions de chacun des hommes ; elle en connoît les affections diverses, les paroles, et jusqu’aux pensées les plus secrètes; présente partout, rien ne borne son immensité. Est-ce là un dieu bien commode, avec son infatigable curiosité (1)? A les entendre , sans cesse à vos côtés, il vous pour-suit dans chacune de vos actions et dans chacun des lieux que vous habitez.. Eh! le moyen qu’occu-pé de l’ensemble, il se subordonne aux détails, ou que, partagé dans le détail, il puisse suffire à tout l’ensemble ? Ce n’est pas tout; écoutcz-les, vous (Page 96.) les entendrez menacer l’universalité des êtres, le monde lui-même avec ses globes de lumière, d’un embrasement qui n’y doit laisser que des ruines ; comme si l’ordre immuable que les lois divines de la nature ont déterminé alloit être bouleversé, ou que la chaîne sacrée qui lie tous les élémens, venant à se rompre , devoit jamais entraîner dans sa chute !’édifice immortel dont elle unit les par-ties diverses. Ils ne s’en tiennent pas à ces extrava-gantes idées ; mais ils vous débitent encore d’au-très rêveries. A les en croire, après la mort, ils renaîtront, (page 97.) de cendre et de poussière qu’ils étoient; et ils ont là-dessus une confiance qui s’entretient, je-ne sais comment, par de mutuelles impostures, si bien concertées, que déjà vous les prendriez pour des gens revenus de l’autre monde : folie contra-dictoire de prétendre affirmativement que le ciel et les astres que nous quittons dans l’état où nous les avons trouvés mourront, et de donner à des êtres qui ne sont plus, à des corps que la mort a fait rentrer dans le même néant d’où ils étoient sortis , l’espérance de revivre pour ne jamais mou-rir ! Conséquemment à cette opinion, ils condam-nent l’usage de brûler les morts, comme s’il n’y avoit que la flamme qui les dévorât; mais les seuls ravages du temps ne les rendront pas moins à la poussière. Qu’importe, après tout, qu’ils aient été (Page 98.) la proie des animaux ou des ondes de la mer; qu importe qu’ils aillent brûler sur un bûcher ou pourrir dans la terre? S’il reste à ce corps quelque sentiment, toute manière de l’ensevelir est pour lui une peine; s’il n’en reste pas, la célérité de l’exécution est un remède à la corruption. Dans ce préjugé, ils se promettent à eux-mêmes une vie éternellement heureuse en récompense de leurs vertus; à nous autres , pour châtiment de nos mé-chantes actions , des supplices qui ne finiront pas. J’aurois ici bien des choses à dire, si je ne crai-gnois d’être trop long. Que ce titre de médians leur convienne à eux plus qu’à tout autre, je l’ai (1 age 99־ ) démontré, cl cela sans beaucoup d’efforts. Mais encore, en les supposant même tout autres qu’ils ne sont, vertueux ou criminels, c’est là l’affaire du destin dans l’opinion de la plîipart des hommes , et dans la votre à vous-même; car, de quelque ma-ni ère que nous agissions, c’est Dieu qui determine (PaSc 10°·) l’action dans votre langage, comme le destin dans celui des autres. L’esprit de votre secte admet donc moins des volontés libres que des élus et des privilégiés. D’après cela, vous faites de votre Dieu un juge inique , punissant dans l’homme l’ouvrage du destin, non celui de sa volonté. Je voudrois bien apprendre de vouscomment se fera celte pré-tendue résurrection?sera-ce avec des corps , et les-quels? les mêmes ou de nouveaux? Sans corps ? il n’y a là, que je sache, ni intelligence, ni âme, ni esprit. Avec le même corps? il n’y en a plus; il s’est anéanti. Avec un autre ? ce n’est donc plus le (Page 101.) même qui se relève de ses ruines, puisqu’on voilà un de nouvelle création. Depuis tant de siècles écoulés jusqu’à nous, vit-on jamais homme ressus-cité, ne fût-ce que pour un moment, et seulement pour servir d’exemple ? Toutes fables mal tissues, qui n’ont de fondement que les conceptions vaines d’une poésie mensongère , qui veut offrir quelques dédommagemens aux peines de la vie, et dont votre crédulité ne rougit pas de faire honneur à ,votre Dieu, comme si l’expérience que vous faites dès à présent n’étoit pas capable de vous détromper de l’illusion de ses promesses et de la frivolité de vos espérances. Ce que vous avez à attendre après la mort, malheureux ! apprenez-le par ce que vous (pagc l02) êtes durant la vie. Vous le voyez: la plupart d’entre vous ,et, de votre aveu, ce qu’il y a de plus vertueux, réduits à l’indigence , en proie à la rigueur des sai-sons , condamnés à toutes les privations, vous traî-nez une existence misérable ; et votre Dieu le souf-ire ( 1 ) ; il n’en dit rien, manquant, soit de volonté, soit de moyens pour secourir ceux qui le servent, (Page !03.) impuissant ou injuste. Toi qui te berces de la posthume immortalité, en attendant, tu es assiégé de dangers, dévoré par la fièvre, déchiré par la tor-ture ; et tu ne sens pas encore ta misère, tu fermes les yeux sur ton néant. Malheureux! contre ton gré tout accuse ta faiblesse ; toi seul tu t’opiniâtres à n’en pas convenir! C’est là l’apanage commun de l’humanité; à la bonne heure : mais ces menaces, (Page ιοί.) ces supplices, ces tortures, ces croix qu’il n’est plus question d’adorer, mais sur lesquelles on va vous étendre; ces feux que vous êtes si ja-loux et de prédire et de redouter; voilà le sort réservé à vous seuls (2). Attendrez-vous de votre dieu qu’il vienne à votre aide en vous ressuscitant, quand il n’aura pu vous défendre au moment où (Page 105.) vous aviez à les subir? Les Romains ont-ils eu be-soin de votre dieu pour vaincre, pour triompher de tous les peuples, et devenir les maîtres et du monde et de vous ? Cependant, agités par d’in-quiètes et continuelles sollicitudes, vous vous pri-vez de tout plaisir légitime ; vous vous défendez les spectacles; vous fuyez nos fêtes et nos solennités; (page 16״ ) jamais on ne vous rencontre dans nos réjouis-sauces publiques ; vous vous éloignez sévèrement et des jeux où Ton combat en l’honneur des dieux, et des autels où fume l’encens qui leur est offert, où coule le vin qui leur est consacré. Vous les niez, et vous en avez peur. Jamais on ne vous voit couronner (Page !07.) vos tètes de Heurs, ni vous parfumer d’essen-ces; vos parfums, c’est aux morts que vous les don-nez; des couronnes, vous ne les accordez pas même (Page 109.) à leurs dépouilles (1 ) ; pâles, treinblans, faits pour inspirer la pitié, mais la pitié des seuls dieux que nous reconnaissons; également malheureux, et de (Page ׳»י■) ne point ressusciter après la mort, et de ne point vivre avant de mourir. Donc, avec tant soit peu de sagesse ou de retenue, vous cesserez d’interroger curieusement et les révolutions du ciel, et les des-tinées du monde, et les profondeurs de la nature. (PaSc 112)

(1) Origène répond amplement à cette objection, qui n’avoit pas échappé à la malignité du philosophe Celse. (Voy. tom. 11 de cette Bibliothèque, pag. 256, 261.) L’apparente difficulté que présente l’absence des temples et des autels publics chez les chrétiens, dans un temps où il ne leur étoit pas possible d’en avoir, se trouve parfaite-ment résolue dans l’ouvrage de Walafride Strabon. {De l'origine et des progrès des choses ecclésiastiques, ch. 11. )«Les premiers chrétiens, dit-il, cherchaient des lieux purs, éloignés du tumulte et du commerce du monde , pour y offrir leurs prières et le saint sacrifice , et de s’y edi-fier mutuellement par de saints exercices. S. Paul s’assembla à Éphèsc et à Philippe sur les bords du fleuve. Les chrétiens s’étant multipliés, ils firent des églises de leurs maisons. Mais dans les temps de perse-cution ils s’assemblèrent dans des lieux souterrains . dans des ca· vernes, dans des cimetières, dans les montagnes et les vallées ecar-tées, persuadés qne Dieu pouvoit être adoré en tous lieux parce qu’il est partout. »

(1)« Voilà pourquoi (c’est !’observation de Minucius Felix) plusieurs des païens de son temps refusoient de se soumettre au christianisme, indisposés par la corruption de leurs mœurs contre une religion qui introduisait, selon eux, un Dieu trop curieux, un Dieu qui vouloit tout savoir et entrer en connaissance de tout, sans même respecter le secret des cœurs. ״ L’abbé de Marollcs, Serm. sur la présence de Dieu, ■ tom. 11, pag. 157׳.

(1) De même, dans saint Justin, voy. plus haut, tom. 1, pag. 516.

(2) Tertullien, Jpologct. ch. xli. Lactant. Inslit. div. lib. v, cap. xxn. Les païens le diront encore au temps de S. Augustin. V0J’· De civil. Dei, lib. 1, cap. xxix.

(1) La crainte de rien faire qui ressemblât aux usages du paganisme empêchoit les premiers chrétiens de déposer des guirlandes et des couronnes sur les tombeaux. Ce qui est confirmé par les témoignages de S. Justin dans sa seconde apologie , et de Tertullien sur la couronne , ch. 11. (Voy. plus haut tom. 1, pag. 427.) Dans les siècles suivans on se relâcha de celte sévérité. Nous en avons des exemples respectables dans les hymnes de Prudence, et dans la lettre de S. Jérôme à Pain-iliaque.

G est bien assez de regarder ce qui est a nos pieds. C’est à quoi doivent se borner tant d’hommes voués a l'ignorance , à la rusticité. Incapables de com-prendre le secret des politiques humaines, corn-ment pourroîent-ils s’élever à la connoissance des choses divines? Que si pourtant l'on veut sç livrer aux discussions de la philosophie, prenons, autant du moins qu’il peut dépendre de chacun de nous, modèle sur le premier des sages ,sur Socrate. Toutes les fois qu’on pressait ce grand homme de questions sur ces sortes de matières, on connaît sa réponse : Ce Page !!s. qui est au-dessus de nous ne nous regarde pas. Sens profond. Aussi l’oracle rendit-il à sa sagesse un té-moignage éclatant.... C’est en effet une grande Page ü science de savoir reconnoitre son ignorance... Mon opinion à moi, c’est qu’il faut laisser les choses dou-teuses pour ce qu’elles sont. Et quand on voit tant d’hommes du premier mérite suspendre leur juge-ment, il y a une témérité coupable à précipiter le sien. Autrement on court le risque, ou de tomber dans une sotte et ridicule superstition, ou d’anéan-tir toute espèce d’idées religieuses.

Réponse.

(Pages 119 et ' °’) Octave: L’adversaire de la Providence a commencé son attaque par des doutes, des incertitudes, des contradictions. Est-ce son érudition qui a été en défaut? seroient-ce ses préjugés de religion qui auroient rendu sa marche ainsi chancelante? car à Dieu ne plaise que je soupçonne en lui aucun ar-tifice: sa franchise et sa politesse ne le permettent pas. Tantôt il semble croire à l’existence des dieux, tantôt il met en question s’il y en a. Semblable au voyageur qui ne connaît pas bien sa route, que (pag(. I2U) le chemin vienne à se partager, le voilà indé״ cis, n’osant ni s’engager dans l’une des routes qui se présentent, ni les essayer toutes. Tel celui qui ne peut point se répondre qu’il est dans la voie de la vérité, erre dans le doute, égaré par un flux et reflux d’opinions qui se combattent et se détruisent.

Cécilius s’attriste , il gémit, il s’indigne que des (page !2?,.) hommes pauvres d’esprit comme des biens de la fortune, entreprennent de parler des choses di-vines. Qu’il apprenne que tous les hommes, sans distinction d’âge, de sexe, ni de rang, sont nés avec une portion d’intelligence et de raison qui les met à portée de recevoir ces graves instruc-lions. Les philosophes même qui se sont acquis la plus haute réputation de sagesse, et en général tous ceux qui se sont fait un nom dans la posté-rité, avaient commencé par n’être que des ignorans,  (page 125.) des indigens pour la plupart. Ce ne sont pas les riches qui s’adonnent à ces sortes de spécula-lions ; ils s’occupent plus de leur or que des cho-ses du ciel. Au reste il ne s’agit pas ici de l’aulorilé (page 124.) des personnages, mais de ia vérité des choses.

J’admets le principe avoué par Ce'cilius, qu'avant (Page !23.) tout, on doit chercher à se connoître; qu’il faut donc examiner ce que Ton est, d’où l’on vient, où l’on va ; si l'on n’est qu’une portion de matière combinée, modifiée par le choc des élémens ou le concours des atomes ; si plutôt l’on n’est pas l’on-vrage d’un Dieu créateur. Elude qu’il est impos-siblc de faire sans embrasser jusqu’à la chaîne universelle des êtres, puisque tout dans la nature se trouve tellement lié et si bien assorti, qu’il n’y a pas moyen de connoître l’homme à moins de remonter jusqu’à la Divinité.Eh! pourquoi y auroil-11 une différence entre la brute et l’homme? L’animal, (Page ! 26.) courbé sur la terre , ne peut porter ses regards plus loin que son étable ; et l’homme, qui a reçu une stature élevée, l’homme, à qui il fut donné de contempler le ciel, l’homme, si éminemment dis-tingné par le privilège du langage et de la raison, qui lui servent à connoître Dieu et à le bénir, qui en a le sentiment et la faculté de l imiter, pourrait sans crime rnéconnoître la clarté céleste qui se présente d’elle-mème à ses regards, et vient frap-per chacun de ses sens? C’est un sacrilège, et de tous le plus punissable, de chercher à terre ce que vous ne trouverez que dans, le ciel. Imaginer que cette vaste architecture et la pompeuse décoration de l’unixcrs n’aient pas clé 1 ouvrage d’une inlel-ligence supérieure, mais qu’elles ne soient qu’un amalgame de parties rassemblées au hasard, c’est manquer 11e raison, de sentiment, c’est même n’avoir (Pa״c l2_)  pas d’yeux. Peut-on ( demande l’orateur ro-main) regarder le ciel et contempler tout ce qui s’y passe, sans voir, avec toute l’évidence possible, qu’il existe une intelligence suprême et divine qui donne à la nature entière la vie, le mouvement, sa conservation et scs lois (1)? Jetez les yeux sur le ciel, considércz-en l’étendue, la rapidité de ses mouvemens, les astres dont il est parsemé durant (pagc !28.) la nuit, le soleil qui, pendant le jour, l’éclaire de ses feux, il n’en faudra pas davantage pour vous faire reconnoitre avec quel art merveilleux la main du soüverain qui les a faits a balancé tous ces corps de lumière. Considérez la constante régularité des mouvemens du soleil, qui dans son cours partage les saisons diverses de l’année; de la lune, de qui les révolutions particulières marquent le mois, le retour successif du jour et de la nuit, pour (1>ף(^) nous ménager les intervalles réparateurs du repos à la suite du travail; tout ce bel ordre qui se fait apercevoir dans la nature subsisteroit-il à moins d’être maintenu par une raison supérieure? Comment douter encore d’une Providence attentive à (1>a  ״..ז) tous nos besoins? S’il n’y avoit que l’hiver, scs frimas seroient dévorans ; que l’été, les feux en seroient meurtriers. Le printemps et l'automne (I’age 151.) viennent les pre'parer, les tempérer par leur douce et graduelle influence, λ oyez la mer : esclave obéissante, elle cède au rivage qui ! enchaîne ; la־ (Page !52.) terre > avec tous ces arbres qu’elle fait éclore de son sein; l’océan, avec son flux et reflux; voyez ces eaux des fontaines et des rivières qui coulent et s’épanchent de leurs sources intarissables; l’har-monic qui éclate dans la disposition des monta-gnes qui s’élèvent dans l’air, des collines qui s’in-clinent, des plaines qui s’étendent; ces peuples d’animaux divers, tous pourvus des défenses qui leur sont nécessaires pour repousser leurs attaques (Page 155.) réciproques ; celui-ci c’est sa corne qui le protège, celui-là ses dents ou ses ongles, ou son aiguillon, d’autres la facilité d'échapper à l’ennemi (Page 154.) Par la célérité de la course ou du vol. La beauté du corps de l’homme ne contribue pas moins , et plus encore, à faire reconnoitre qu’il esl l’ouvrage Page 155. d’un Dieu. Je n’entrerai point dans le détail. Pas un de nos membres qui ne serve au besoin ou à l’or-nement. Et ce qui est plus merveilleux encore : avec des traits généraux par qui tous se ressein-blent, chacun de nous a sa physionomie parlicu-licre. Que dirons-nous de la génération, de la re-production des êtres? Ce n’est pas seulement dans la conservation du tout que la Providence se ma-nifesle, ses soins s’étendent sur les espèces. Là où le soleil refuse la chaleur de ses rayons, de tièdes vapeurs qui s’élèvent du fond des mers sup-ple'ent à son absence. La sécheresse de l’Egypte est tempérée par les eaux du Nil. A défaut de pluies, (Page 136.)la Mésopotamie a son Euphrate qui l’arrose. Que si vous entriez dans une maison où chaque chose (Page 139.) fût rangée à sa place avec ordre, avec de la recherche dans les orneniens, vous ne douteriez pas un moment qu’elle n’ait un maître , et qui vaut mieux que ce qu’elle renferme; et vous n’en diriez pas autant de cette vaste et si magnifique maison de l’univers (1 ) ?

(1) Cic. De naLur. dcoi. lib. 11, cap. 11.

(1) De même.־ Atliénagore, 1tr vol. de celte ttiblioth. pag. 549· Lac-lance , liv. 11. ch. vin. D’après Cicéron , De nalur. deor. lib. 11. Tous nos modernes apologistes de la Providence sc sont rencontrés avec notre écrivain. Indiquons particulièrement Bor.rdal. Carême, tom. 11, pag. 256. Fénelon, de l'existencede Dieu. Le P. Lejeune, Serm. sur la Providence, lom . 1, pag. 5y8 et sniv. ftlontargon, Diet, apostol. tom. v, pag. 2/|f), 264·

Mais s’il est impossible de douter d’une Provi-dence, peut-être demanderez-vous s’il y a dans le ciel un ou plusieurs maîtres. La réponse n’est pas difficile. Les royaumes de la terre peuvent ici nous donner des objets de comparaison. Quand a-t-on vu jamais un empire se partager, sans que la perfi-die et la rivalité n’en aient souillé ou ensanglanté l’histoire ? Le monde est plein de ces tragiques événemens. Passons à un autre théâtre. La nature ne donne à une ruche , à tout un troupeau qu’un ( laSe »41.) se״j cJle£ · et vous voudriez que dans le ciel la su-prême puissance fut divisée? Pouvez-vous conce-voir Dieu autrement que comme Etre créateur, universel, qui n’a point eu de commencement, et ne peut avoir de lin ; de qui tout a reçu l’existence, et qui ne tient la sienne que de lui-même; qui, avant qu’il y eût un monde, étoit à lui-même son propre centre; qui a tout créé par sa parole, or-donne tout par son intelligence, perfectionne tout par sa vertu? L’œil ne peut le saisir; sa clarté absorbe (42« -יהי־.) nos foibles regards; notre intelligence n’en peut comprendre l’immensité, et nos sens bornés (r*at>c »45.) s’arrêtent au-devant de cette grandeur infinie et sans bornes ; il n’y a que lui qui puisse se connoître lui-même. La seule manière de concevoir sa na-lure, c’est de la déclarer inconcevable. A vrai dire , qui s’imagine connoître la grandeur de Dieu la dégrade. Ne lui cherchez pas de nom : Dieu, voilà (Page ,44.) comme il s’appelle. Il ne faut des expressions in-dividuelles que quand il y a pluralité. Dieu est seul, le mot Dieu embrasse.tout. Je rappellerai père, vous allez concevoir quelque chose d’humain; roi, c’est une idée terrestre ; seigneur, vous serez ra-mené à des pensées de mortalité ; supprimez les désignations, et vous arriverez à saisir quelque rayon de sa clarté ( 1 ) .

(1) Théoph. d’Antioche, dans le 1fr vol. de ccttc Bibliolh. pag. 546, 54/. Tertull. Apologét. ch. xvn. Nos modernes prédicateurs.· Le Jeune, Serm. xtv et suiv. Molinier, tom. vm,pag. 554· La Rue , Car. tom. 11, pag. 405- Neuville, C«r.tom. 11, pag. 4"4־ etc.

De tous les cœurs s’échappe le cri qu’il existe un Dieu. Le commun des hommes, quand ils éten-dent les mains au ciel, ne profèrent que ce mot : Dieu; grand Dieu , la vérité de Dieu, s3il plaît à Dieu (1). N’est-ce pas là le langage inspiré par la nature seule ? ne se trouve-t-il que dans la bouche du chrétien ? λ ous appelez votre Jupiter (Page 145♦) prince , père des dieux et des hommes: c’est, sous un autre nom, reconnoitre l’unité de la loute-puis-sance (2).

(1) Tertull. Apologét. ch. xvn; Du témoignage de l'âme, ch. 11; De la couronne, ch. vi. « Qu’on prenne bien la pensée des habiles du pa ganisme touchant la divinité , elle se réduit tout entière à l’unité de Dieu. L’erreur, toujours appuyée sur quelque vérité, bâtit ici sur la première vérité qui est demeurée au fond des esprits, d’où les philo-sophes l’ont tirée , mais couverte des nuages du paganisme qui ne pou-voient se dissiper entièrement que par l’Evangile. L’opinion commune des peuples étoit qu’il y avoit un Dieu , et vous en savez le nom, plus grand et plus puissant que les autres, qui étoit comme le prince et le roi de l’univers. ״ Molinier, Serm. chois, tom. vin, pag. 5yy.

(2) Tertullien : Nonne conceditis, de œstinialione commuai, ali-<!uem esse sublimioreni et polentiorem velut principem mundi, perfeclœ potentiœ et majestatis ? ylpolog&l. cap. xxiv. Proposition soutenue avee toute la magnificence de l’érudition par S. Justin, S. Clément d’Alexandrie , et depuis par S. Augustin dans sa Cité île Diet!.

A l’appui de cette doctrine qui vengeait si victorieu-sement le christianisme du reproche d’athéisme, le savant apologiste invoque la tradition universelle en faveur du dogme et de l’unité d’un Dieu. Il le découvre jusque dans l’alliage impur dont l’idolâtrie avoit chargé le fond de la théologie primitive, conservée sans allé-ration dans les seuls livres de Moïse.

(Page φ.) Egarés sur le mot, tous les peuples s’accordent quant à l’unité d’un être tout-puissant. Les poêles ont placé à la tète de leurs divinités un dieu su-prême qu’ils ont proclamé père des dieux et des hommes. Il y a eu de tout temps une croyance éla-blie généralement dans tous les esprits , qu’il rè-gne dans l’univers une puissance invisible qui voit tout, qui fait tout dans le monde selon sa volonté. Dans Virgile , c’est cette âme répandue dans tou-tes les parties de l’univers dont il fait le principe du mouvement de tous les corps (*). Cette idée (I’a״c 1 !8.) rectifiée n’amène-t-elle pas à celle du Dieu que nous appelons esprit, raison, intelligence universelle?

(*) Æ-ncid. lib. vi, vers. 724.

Si l’idée publique d’un Dieu suprême s’est maintenue dans les siècles les plus ténébreux du paganisme, à plus forte raison dut-elle être répandue, quand la phi-losophie ayant parcouru le cercle des erreurs possibles sur la Divinité, fut obligée de revenir au point d’où elle étoit partie , et d’ajouter ses raisonnemens au poids de la tradition antique (1).

(1) L’abbé Batteux , Hist, des causes premières, articl. iv, pag, !42, édit. in8°־, Paris, 1769.

(Page 149.) Thalès de Milet établit pour premier principe l’élément humide ou l’eau, dont il disoit que tous les êtres créés se formaient et se nourrissoient. Par-dessus celui-là, il enajoutoit un second, principe d’intelligence el d’activité, de qui la matière avoit reçu ses formes. Ce principe étoit Dieu, in-telligence infinie qui a fait le monde et qui le gou-verne parses lois (1). Idée au reste trop saine et trop simple pour avoir été conçue par le seul gé-nie de l’homme, elle ne pouvoit venir que de Dieu (a״5! ·>״.) lui-même (2), tant la conformité en est frappante avec le récit de nos livres saints (3) !

(1) Cicéron : Thaïes Milesius aquant diait esse iniliutn reruin, Deum autent earn mentent quœ ex aqua cunctafiugeret. De nalur. dear. lib. 1.

(2) Eho allior et sublintior quant ut ab !tontine potuerit inveniri , a Deo tradita.

(3) Dans la Genèse, nous lisons : L’esprit de Dieu étoit porté sur la surface des eaux, Spiritus Deiferebatur super aquas. (La masse terrestre vide et nue, créée d’aboi d, étoit enveloppée d’eau, et les eaux environ-nées de ténèbres , à proprement parler le chaos, au-dessus desquelles souiïloil l’esprit de Dieu). S. Pierre dans sa seconde epître , dit : Les cieux furent faits d’abord par la parole de Dieu , aussi-bien que la terre qui sortit du sein de l’eau, et qui subsiste par l’eau , (ou plutôt parmi l’eau). Minucius avoit raison de conclure que le système de Thaïes étoit en parfaite harmonie avec Moïse ; mais où l’avoit-il appris î 011 Pavoil emprunté des Égyptiens et des Phéniciens qui avoient conservé des restes de la cosmogonie de Moïse. » S. Justin, Exhort, adgent. pag. 2. Euseb. Prœpar. evang. lib. 1, cap. r ; lib. xiv, cap. v. S. August. De civit. Dei, lib. vin, cap. 11.

Les opinions des écoles diverses qui l’ont suivi ne s’éloignent de celle-ci que par des différences de mots. Pythagore, a dit que Dieu étoit un esprit (page 151.) répandu et agissant dans toute la nature, et que tout ce qui respire étoit autant de parcelles de sa substance (4). Ce que quelques-uns appellent la nature , n’est que Dieu lui-même sous une autre (I’agc 152.) dénomination. Il n’y a pas jusqu’à Epicure lui-même, qui, tout en n’admettant point de dieux, ou les réduisant à l’inaction , ne suppose une substance (Page 155.) supérieure. Aristote, avec ses variations éternelles, ne laisse pas de reconnoitre l’unité d’un pouvoir divin. Vous l’entendez parler tantôt d’intelligence qui gouverne le monde, après qu’il a fait le monde indépendant de Dieu, Dieu lui-même ( 1 ). Chrysippe tient à ce sentiment ; il donne indifféremment à son essence divine les noms de raison , vérilé, cause, nature, nécessité(1). Platon s’explique plus à découvert dans ses peu-sées et dans ses expressions. Sa doctrine pourvoit nous paroi tve divine, si elle n’étoil gâtée par de ridicules incohérences (2). Dans son Tirnée , par-huit de Dieu ( c’est ainsi qu’il l’appelle) : 11 est, dit-il, le père du inonde, le créateur de l’âme, le fabricateur des choses du ciel et de la terre ; qu’il est difficile de trouver, parce que son ineffable puissance le met au-dessus de nos perceptions ; et quand vous l’avez découvert , il n’est pas permis d’en faire la declaration publique (1); discrétion que nous nous imposons à nous-mêmes (1), à moins qu’on ne nous interroge sur notre profession de foi.

(4) Lactant. Div. instil. lib. 1, cap. v. Salvian. De gubern. pag. 5, ed. Baluz. S. Justin a rendu le système de Pythagore avec plus de précision qu’aucun autre. « Dieu est un, il n’est point, comme quelques-uns le croient, hors du monde, mais dans le monde même , et tout entier dans le globe entier. 11 a l’a il ouvert sur tout ce qui naît ; c’est lui qui forme tousles êtres immortels, qui est l’auteur de leur puissance et de leurs œuvres. » Cohort, ad gent. pag. 1S.

(1) Cicéron De natur. deor. lib. 111, cap. 11 : Aristote dans ses livres de physique (lib. vin) donne au premier moteur tous les attributs qui conviennent à Dieu, sans dire que ce premier moteur est Dieu. Dans son x1vc livre des Métaphysiques, il applique à Dieu tous ces mêmes attributs; et il dit que» Dieu est immuable et immobile, éternel, unique , immatériel, sans parties , ni grandeur ; premier moteur, chef du ciel et de la nature, intelligent, infiniment heureux et parlai-même. » Que manque-t-il à cette brillante définition recueillie par Duval pour être digne de nos plus exacts théologiens? Il ne s’agit donc point d’ôter ici à Aristote la gloire d’avoir porté jusque-là scs médi-tâtions , ni à la vérité un appui tel que celui d’Aristote; mais d’un autre côté il ne faut pas chercher à nous tromper nous-mêmes. En rapprochant ces expressions de la doctrine la plus habituelle du philo-sophe , il faut en revenir au mot de l’Apôtrc que toute la sagesse des hommes, quand ils sont abandonnés à eux-mêmes , n’est que folie, incertitude, honteuse contradiction.

(1) Nous avons conservé ce passage pour faire remarquer que l’abbé d’Olivet change ici d’une manière très-plausibie la ponctuation ordinaire de toutes les éditions de Minucius. Traduct. du livre De nalur. dear. de Cicéron, tom. 1, pag. Syo.

(2) Nisi persuasionis civilis tionnunquam admixlione sordesceret. 3’avoue que Je n’entends point ce que veut dire ici l’auteur, c’est là du moins uni! restriction sévère à l’éloge qu’il fait du philosophe. Stanley, Brucker et les autres ne m’ont rien appris à ce sujet. Les anciens partageaient la théologie en trois classes, civile , naturelle et fabuleuse : civile, physicum, mythicum. C’est Varron qui nous ap-prend cette distinction dans la Cité de Dieu de saint Augustin. La pre-mière étoit dans les temples enseignée par les prêtres. Ce n’est point là sans doute ce que Minucius a en vue. Quoi qu’il en soit, l’admiration que tous les Pères ont donnée au génie de Platon , jusqu’à le qualifier de divin, se trouve constamment balancée par le jugement, toujours exact, qu’ils portent de ses écarts. « Platon , a dit1 un savant et judi-cieux académicien , ayant ju׳gé à propos de mêler les idées abstraites avec les idées réelles, et même de changer de langage selon les cir-constances, ses lecteurs s’embrouillent dans scs variations. » (L’abbé Batteux , supr. pag. 278. ) Brucker en dit autant dans son Histoire de la philosophie, {Institut, histoy. philosophical, pag- 162, Lips. 1730.) Tanta iticertiluditie lectoveni involvit, ut hand pauci inter sceplicos eum referendum esse inde concluserint.

(1) Platon l’écrivoit à Denys : « Je ne vous entretiendrai que d’une maniéré obscure et énigmatique, afin que si celte lettre venoit à être interceptée, on ne puisse deviner ce qu’elle contient. ״Je doute que cette excuse soit de mise , y ayant des matières sur lesquelles on doit toujours parler nettement, et où l’obscurité devient un blâme. Deslandcs, Hist. d'il, delà philos, loin. 11, pag; 205.

(2) Ce qui s’entend du secret des mystères si follement recommande aux fidèles dans ces temps de persécution.

Je viens de passer en revue les opinions des principaux d’entre les philosophes. Leur plus beau titre de gloire est d’avoir reconnu l’unité de Dieu, bien qu’ils en aient défiguré le dogme par la di-versité des noms dans lesquels ils avoient partagé la divine essence ; d’où il résulte , ou que les chré-tiens d’aujourd’hui sont philosophes, ou que les philosophes d’autrefois étoient chrétiens.

Si nous sommes dans l’erreur de croire à la Pro-vidence, à l’unité d’un Dieu qui gouverne tout; les philosophes en ont été coupables aussi-bien que nous. Nos ancêtres ne le furent pas moins, (Ta156 ■·״.) car ils ont poussé cette croyance jusqu’à la superstition. (rag<· 15;.) Partout ils ont vu des dieux dans leurs rois, dans leurs morts les plus célèbres, dans les bienfaiteurs de leurs cités. Dieux d’étrange nature, dont on connoît la naissance et l’origine, la patrie cl les tombeaux; dieux dont les mystères eux-mêmes retracent les tristes aventures et le lamen-table désespoir qu’ils donnèrent à leurs malheurs.

(l’est là ce qui compose toute la religion de l’Egypte (pages !6;) et) et de Rome... Tels sont les mensonges et les (page’305.) impostures dont on empoisonne avec agrément (page 209.) l'esprit du premier âge , qui s’en pénètre , s’y at-tache, les conserve jusqu’à la dernière saison de la vie, y demeure jusqu’au tombeau (1); tandis que l’on a la vérité à côté de soi, il suffirait de la chercher... Et l’on veut que Rome ait dù à sa piété (Page 22S.) envers de pareilles divinités, ses Triomphes et son empire. Sa piété ! remontez aux commcncemens de son histoire, parcourez-en la suite ; elle n’est qu’un long enchaînement de perfidies, de cruautés. ! ouïes ses conquêtes, à partir de son Romulus parricide et ravisseur, appartiennent à son audace. Les tem-pies et leurs prêtres ne sont pas plus épargnés que les villes. Honorer les dieux après qu’on les (p״gc 229.) a dépouillés, n’est-ce pas plutôt les insulter et s’en moquer? c’est consacrer le sacrilège, et non pas rendre hommage à la divinité. Chaque victoire des Romains lut donc un trophée d’impiété. Ne nous (l’a״c 23!.) parlez donc plus de celte grandeur romaine comme fruit de la piété; dites que leurs attentats n’ont pas été punis. Pouvoient-ils , dans leurs guerres , comp-ter sur !,assistance de ces dieux qu’ils allaient vio-lemment arracher de leurs autels, pour se prosier-ner ensuite à leurs pieds, quand ils en avoient triomphé? De quel secours pouvoient-ils être aux Romains, quand ils n’avoientpu se défendre con-tre leurs armes? Devoient-ils leur appui à des etran-gers plutôt qu’aux nations au milieu desquelles ils avoient pris naissance, et qu’ils n’ont pu sous-traire à l’esclavage des Romains ? On nous vante le soin religieux avec lequel on les consultoit avant de rien entreprendre ; ont-ils empêché les san-״    . plantes défaites de Cannes et de Trasvmène?

(1) Je m’étonne que nos modernes prédicateurs ne se soient pas plus fréquemment élevés contre les ineonveniens graves qui résultent de l’élude des poètes profanes, quand elle n’est pas dirigée avec la sage discrétion que M. Rollin recommande dans son Traité des études, (tom. n» pag. 221, éd. in-4° )· Le texte de Minucius-Felix seroit ici d’une puissante autorité. Neuville et Cheminais nous ont laissé de beaux discours, les ministres Saurin et Snperville, quelques pages éloquentes, tant sur l'éducation que sur l'obligation de servir Dieu dès la jeunesse : l’occasion sembloit s’offrir naturellement à eux de combattre cet abus; tous l’ont négligée.

(Page 24Ο. ) 11 en est des augures comme des oracles ; je crois bien qu’ils ont pu quelquefois toucher de (Pa״e ?׳p) près la vérité. Et s’il étoit prouvé, parmi tant d'his-loires qui ne le sont pas. que le hasard eût quel-quefois rencontré juste! Je veux montera la source de l’erreur, et découvrir l’abîme d’où sont sor-ties tant de ténèbres. 11 y a des esprits malins, con-nus dans les écrits mêmes du paganisme sous le nom de démons , pervers et malheureux , qui, pour se venger du châtiment encouru pour leurs crimes, se sont déclarés ennemis de Dieu cl des hommes; de Dieu, en détachant de lui scs adorateurs par les faux cultes qu’ils ont introduits sur la terre ; des hommes, en les entraînant dans l’erreur par leurs prestiges. Vos poëtes, vos philosophes, entre autres Socrate, les connoissoit bien, lui qui n’avoit (Page 245.) point d’autre règle de ses occupations et de son repos queou la passion qui l’agi toit (1). (Page 245.) Ce sont eux qui opèrent ce que les magiciens font d’admirable , qui donnent l’efficace à leurs enchantemens , qui font qu’on voit ce qu’on ne voit pas , (Page 246.) et qu’on ne voit pas ce qu’on voit(2) ; et cent au-très illusions que l’on raconte. Ils s’emparent des corps, fascinent les esprits , les obsèdent de terreurs (page 249.) imaginaires , les jettent dans des transports furieux. Vous en avez la preuve sous les yeux dans les aveux qui leur échappent, toutes les fois que nos exorcismes et nos prières les forcent de (Page 252.) quitter les corps qu’ils possèdent. Vous entendez un Saturne, un Sérapis, un Jupiter, et tous ces (Page 255a) prétendus dieux, l’objet de votre culte, cédant à la violence de la douleur, déclarer ce qu’ils sont, et rendre publiquement, en votre présence, hommage à la vérité qui les accuse. Croyez-les donc (Page 204.) sur parole, alors qu’ils confessent eux-mêmes n’être que des démons ( 1 ). Au nom du seul Dieu vivant (Page 255.) et véritable , prononcé par rrûtre bouche, vous les voyez s’agiter, frémir, lutter avec violence, et finir par s’échapper. Ce sont eux qui sèment parmi vous les préventions de la haine contre les chré-tiens qu’ils redoutent; la crainte et la haine se touchent. Trompé par leurs perfides insinuations, on nous hait avant de nous connaître, de peur qu’en venant à nous connaître on ne soit amené à (Page 256.) !’obligation de nous ressembler, ou à l’impuissance de nous condamner : injustice criante de juger comme vous le faites, sans nous avoir entendus, sans même nous connaître. C’étoit comme cela que nous agissions avant d’être chrétiens ; car nous avons été ce que vous êtes (2). L’ignorance et l’a-veuglement, dont nous sommes bien revenus, nous jetoient comme vous dans ces préventions : que le christianisme se faisoit une monstrueuse idole ; que l’on y dévoroit des enfans ; que l’on y faisait des repas incestueux (1 ). Il n’entroit pas même dans notre pensée de nous demander corn-ment il se faisoit que ces contes répétés de bouche en bouche n’eussent jamais été discutés, bien moins encore prouvés ; qu’il étoit bien étrange que durant un si long temps il ne se fût pas ren-contré encore un seul des accusés qui en eut fait l’aveu, non pas seulement pour en obtenir le (Page 257.) pardon, mais pour en décliner le jugement; qu’a-près tout ce n’étoit pas un mal si dangereux que celui qui n’inspirait ni honte ni crainte à celui qui en étoit accusé, et qui ne se repentait que de n’avoir pas toujours été ce qu’il étoit devenu (2).

(1) Trad, par Bourdal. JDomin. tom. !,pag. 285.

(2) Trad, par le P. Le Brun , Hist, des superstit. tom. 1, pag. 228. Qui voudra fixer son opinion sur les oracles profanes, et sur la part qu’y avoient les démons, pourra consulter avec fruit l’ouvrage de Bullet sur Γétablissent, du Christian, pag. 524 et suiv. ; et celui de Lavaur intitulé : Concordance de lafable avec l’Ecriture sainte, art. Oracles,

(1) S. Justin , 2e apolog. Voy. 1er vol. pag. 518. Tertnll. Apolog. ch. xxm, et Réponse à Scapula, chap. 11. Origène, contre Celse, liv. vi. « Les chrétiens s'engageaient hautement de faire avouer aux dieux mêmes , quand ie moindre des chrétiens le leur commanderait, qu’ils n’étoient que des démons, et ils pressaient le défi. L’infidélité demeu-10it muette. » ]Molinier, Serm. sur la vérité de la relig. chrét. tom. xm, pag. 148, 149· Quid hac probatione fidelius ?

(2) De vestrisjuùnus. Tertull. Apolog.« 11 fui un temps où comme vous je ne croyais pas. »Théopli. d’Antioche, tom. 1, pag. 555.

(1) La haine déclarée contre les chrétiens avoit commencé à se dé-chaîner contre leur croyance avant d’attaquer leurs mœurs. On les chargea d’abord du crime d’introduire une religion nouvelle, et par-là de vouloir renverser celle de l’état ; de n’admettre point de dieux sous le prétexte qu’ils ne reconnaissaient pas ceux de l’empire. Les repro-ches d’inceste et d’infanticide ne sont point articulés dans la lettre de Pline à Trajan. Λ mesure que le christianisme s’étendait, la ca-lomnic grossissait ; elle accrédita les plus violentes comme les plus grossières imputations. S. Justin eut à répondre aux reproches des plus infâmes débauches, et de repas de chair humaine. (Voy. 1er vol. note pag■ 205.) Athénagore , Théophile d’Antioche, Origène, eurent beau le repousser avec une égale énergie {Ibid. pag. 542, 558, 35p, 560 ; et tom. 11, pag. 219, 220 ) l’imposture se soutint. Celse la reprodui-soit, sans y croire. Tertullien et Minucius-Félix se virent donc obligés d’y répondre; et les siècles suivans ont eu plus d’une fois l’occasion de s’armer de leurs raisonnemens pour réfuter d’autres calomnies éma-nées de semblable source.

(2) Utique de comperto et incipiunt odisse quodJùerant, et projlteri quod oderant ; et sunt tanti, quanti et denotamur. (Tertull. Apolog. cap. 1.) On peut voir, dans le premier volume de cette Bibliothèque, (pag. 281, 299, 526) avec quelle noble assurances. Justin, Tatien, Athénagorc, se l’élicitoient de cet heureux changement.

Lorsqu’il nous est arrivé à nous-mêmes, clans notre profession d’avocat, d’avoir à défendre ces hommes prévenus de sacrilège, d’inceste ou de parricide; nous ne croyions pas qu’il dût leur être permis en général de se faire entendre en audience publique. Quelquefois, dans l’intention de les sauver du dernier supplice , une pitié barbare a porté leurs juges à ordonner contre eux la question, pour ob-tenir de leur bouche, non la déclaration de leurs (Page 258.) crimes réels , mais la fausse dénégation de celui dont on les chargeait. Et quand, à force de tour-mens , on parvenait à arracher de quelqu’un de ces malheureux le mot qu’il n’étoit pas chrétien, tout étoit pardonné ; ce simple désaveu faisoit oublier touslcsgriefs qui les avoientfait mettre en jugement. Voilà de quelle manière nous agissions à leur égard. Ne vous rcconnoissez-vous pas vous-mêmes à ces inconséquences? Si c’étoit l’équité, non la secrète instigation des démons , qui présidât à vos ar-rets, vous les solliciteriez, non pas de désavouer qu’ils soient chrétiens, mais de dénoncer leurs incestes, leurs abominations, leurs sacrilèges, leurs infanticides, puisque ce sont là les forfaits que (Pa״e 359־ ) I on nous impute, et dont les démons ont su trop bien prévenir contre nous une multitude igno-ran te. La renommée, qui toujours s’alimente de mensonges, reste sans voix en présence de la vérité (Page 260.) quand elle peut se faire entendre. De là l'impu-talion que nous rendons les honneurs divins à une tète d’âne ( 1 ). Où sont les hommes assez fous pour admettre un semblable culte? assez fous pour le croire? Ceux qui nous accusent encore d’adorer les objets les plus obscènes ne font que nous prêter leurs propres turpitudes. D’aussi monstrueuses (pa״c 2tî0>) impuretés ne se rencontrent que chez les hommes qui ont perdu toute pudeur. Nous , il ne nous est pas permis de les entendre, et nous aurions trop à rougir de chercher à nous en justifier. Inventer de pareilles horreurs, c’est laisser croire qu’on pourvoit s’en rendre coupable. Quant au reproche fait à notre religion , d’avoir pour auteur un homme justement puni par le supplice de la croix : s’il y a du vrai dans l’objection, vous vous abusez étran-gement sur le reste, en croyant qu’il ait mérité nos adorations s’il fui un scélérat, ou qu’il eut pu les obtenir s'il n’étoil qu'un homme. On serait assurément bien à plaindre de fonder son espoir sur un homme mortel, de qui tante la protection que l’on en attendait finiroit avec lui. Nous lais-sons celle absurde idolâtrie à !’Egyptien et à d’au 1res qui se font des dieux de leurs rois, reçoivent leurs paroles comme autant d’oracles, leur immolent des victimes. Ce prétendu Dieu a beau se de'-fendre , il n’est toujours qu’un homme ; il peut tromper la conscience des autres, jamais la sienne. (Page 28}.) Nous n’adorons point les croix , nous ne courons point après. On dit et l’on croit que nos initiations se consacrent par le sang d’un enfant que nos mains ont égorgé; sur quel fondement? Nous ne nous permettrions pas même d’assister à une exé-cution, ni de nous en entretenir. Et nous sommes (300   ״. s*) si éloignés de verser le sang des hommes, que nous nous abstenons de répandre celui des ani-maux(i). Nos repas incestueux, dont on fait tant de bruit, calomnie atroce inventée par le démon (Page 303.) pour offusquer par un aussi odieux reproche la gloire de la pudeur dont nous faisons profession. Ce n’est pas chez nous, mais dans les histoires et sur les théâtres profanes qu’il faut aller chercher les témoignages trop avérés de ces scandakaüs^s (Page 30;.) débauches. Nous nous faisons un devoir d'être chastes, non pas seulement à l’extérieur, mais dans le cœur. Nous n’avons point de répugnance pour le mariage, mais seulement pour une fois, ce qu’il en faut pour avoir des enfans ; point d’autre but. (pa״e 38״.) Nos repas ne se bornent pas à être pudiques, ils sont sobres. Nous ne connoissons ni la délicatesse des mets, ni la recherche des vins : et nous mêlons, par  un sage temperament, la gaieté au sérieux. Chastes dans nos conversations, comme dans nos mœurs, (Page 3l0>) et dans nos appétits, un grand nombre d’entre nous gardent une virginité inviolable, dont ils se reu-dent le témoignage , sans en tirer vanité ; d’autres ne, se prêtent qu’à regret à des mariages les plus légitimes ; jugez d’après cela de l’horreur que nous avons pour tout plaisir qui ne l’est pas (1).

(1) Deus chtïslianorum asinus. Tcrtull. Àpolog. cap. xvi. L’origine de celte fable doit dans Tacite ,       lj v. v

(1) ErttbcscuL error veslcr çhrislianis, qui ne anùnalium quittent îangianeni tu c/julis esculentis habetnus. Tert 1111. jdpologel. cap. 1.x.

(1) « Minucius-Félix dans ce dialogue admirable, qu’il a composé contre la vanité des idoles, ose défier tous les gentils de son temps de trouver dans lés prisons un seul chrétien coupable de quelque autre chose que de sa religion ; il leur reproche leurs adultères, et ne fait pas difficulté de dire que les femmes chrétiennes ne connoissoient pas même de vue les hommes qu’il ne leur étoit pas permis d’aimer, il oppose aux festins des infidèles , oit regnoit l’iotempérance, le luxe, l’impureté ; il leur oppose , dis-je , la modestie et la frugalité , dont la joie même étoit grave et ediliante. Convivia non tantum , etc. » La. Colombière , Scrm. tom. 111, pag. 46·

On n’a pas moins tort de nous confondre dans la lie du peuple, parce que nous refusons vos honneurs (P;lgc 311) et vos charges publiques. Qualificra-t-on de factieux des hommes qui, dans leurs pacifiques réunions, apportent tous le même esprit de sagesse et de concorde qui anime chacun d’eux en parti-culier? D’où sait-on qu’en secret nous ayons un flux de paroles, quand en public on refuse de nous entendre , par honte ou par crainte? S’il est 1-r׳i que le nombre des chrétiens augmente chaque (Page 513.) jour, bien loin d’en tirer prétexte contre noire morale, concluez à sa louange. Quand elle est bonne, celui qui l’a s’y attache, et donne aux autres envie de l’imiter. Ce qui nous fait recon-noître entre nous, ce n’est point, comme vous le prétendez, quelque signe extérieur, mais l’inno-cence et la modestie. Nous nous entr’aimons, quoi que vous en disiez avec chagrin, parce que nous ne savons point haïr. Nous nous appelons frères, parce que nous sommes les enfans d’un même Père, créateur de tous les hommes, que nous avons une même foi, une même espérance pour l’avenir. Pour n’avoir point de statues, de temples ni d’autels (1) , est-ce la preuve que nous

(1) Cécilius avoit reproché aux chrétiens de n'avoir ni temples, ni autels, ni statues.

Cet endroit a embarrassé nos écrivains, même les catholiques et les protestans; d’autant plus que l’objection semble confirmée par l’aveu de Laetance et d’Origène. On y répond que la persécution ne permet-toit guère d’avoir des temples on édifices publics; que les statues ne peuvent être regardés que comme des ornemens (*). Mais il n’en »jA . pas de même des autels. Or qu’il y en eût chez les chrétiens des la plus haute antiquité, et malgré toute la fureur des persécutions, c’est là us fait à l’abri de toute contestation.Eusèbe, dans son Histoire, rapportant sur d’anciens mémoires le martyre d’un fidèle de Césarée arrivé du temps que Tbéoctène en étoit évêque , dit que ce martyr ayant eu trois heures pour délibérer, l’évêque le mena à l’église et le fit approcher de l’autel. Nous voyons le mot d’autel employé par S. Cyprien , S. Irénée, Tertullien , et par les Pères du concile d’Elvire , pour désigner la table sur laquelle on célébrait les saints mystères. L’objection se réduit donc à dire que les chrétiens de ces temps-là n’avoient point de temples , ni d’autels reconnus publiquement : Templa nulla , nulla nota simula-dira.

(*) Pourtant, avant la paix rendue à !’Église par Constantin , il y avoit des statues renommées chez les chrétiens. Eusèfce parie de deux statues de bronze servant de monument à la guérison de la femme hémor-roïssc.0 J’ai vu moi-même cette statue à la sortie de Philippes. Les païens »la rcspectoient. J’ai vu quantité de portraitsdu Sauveur, des saints ·apôtres Pierre et Paul, qui se sont conservés de la sorte jusqu’à notre ·temps. » ]list, ecclés. liv, vu, ch. xvm.

Ecclesias, Υπερώα κυρεαχα, Ευκτήριους οίκους, areas et loca Dei omni-potentis cultui sacra semper admis ere. Simile obserrare est in voce arœ, sire βωμού, a (jua abhorruere perpeluo chrisliani, allaris vero sire Θυσιαςοριου nomen ultro amplexabanlur. Joan. Fell, nolce ad 1). Gy-priait, edit. Oxon. pag. 10, not. 9.

tenions caché l’objet de notre culte? Non, la majesté (ra«c 31י־' ) de Dieu ne saurait être représentée par des simulacres, ni enfermée dans l’enceinte d’un bâ-liment ; c’est l’homme qui en fait la plus noble image, parce qu’il l'a failà sa propre ressemblance. Quel temple mes foibles mains pourraient-elles ériger en son honneur, quand l'univers, ouyrage de ses mains souveraines, est trop étroit pour son immensité? Le temple qui lui convient le mieux, c’est notre cœur. Quelles oblations, quelles vie-times peuvent lui être plus agréables qu’une con-science pure, un cœur innocent, une conduite irréprochable? Pratiquer la justice, c’est prier ; cultiver (pagc 515.) la vertu, c’cst sacrifier; s’abstenir de toute iniquité, c’est se rendre Dieu favorable ; sauver son frère du péril qui le menace, c’cst immoler la meilleure des victimes. Voilà l'essence de notre culte ; et parmi nous le plus pieux, c’est le plus juste. Nous ne faisons point apercevoir, nous ne voyons point nous-mêmes le Dieu que nous ado-rons. La raison même qui nous détermine à l’ado-rcr, c’est qu’il n’est pas possible de le voir; c’est qu’il n’est sensible que par sa toute-puissance. Sa présence éclate dans ses œuvres, dans tout le me-canisme de l’univers; il se fait voir dans chacun des phénomènes de la nature. Vous voudriez que Dieu parut à vos regards? Vous ne voyez pas le souffle du vent; vous ne soutenez pas long-temps l’aspect du soleil .(Page 516.) pour peu que vos yeux se fixent sur ses rayons ; et celui qui a fait le soleil et la lumière, vous pourriez en soutenir l’éclat ? Pour-quoi donc vous dérobez-vous aux feux de son tonnerre? A ous voudriez envisager Dieu des yeux du corps? Pouvez-vous voir, palper l’âme qui réside en vous, et qui fait le principe de voire vie, de votre langage? A ous le prétendez étranger aux actions des hommes. (fage 51;.) Enfermé dans sa cour céleste, le moyen, dites-vous , qu’il embrasse tant d’objets à la fois et en détail? Pitoyable illusion ! Que peut-il exister loin de lui? il remplit, il connoît tout ce qui est au ciel et sur la terre, et par-delà ce globe que nous habitons. Non-seulement il est près de nous, il est dans nous. Vous voyez le soleil attaché à la voûte du firmament : ses rayons se répandent et circulent sur tous les points de l’univers, voilà encore l’image de Dieu. Présent partout, il voit tout, (r־'gc 5 !8.) il sait tout: rien ne lui peut être caché: il perce dans les ténèbres, il lit nos pensées au fond de nos cœurs. Non-seulement nous agissons par son mouvement ; nous vivons , pour ainsi dire , en lui et avec lui. Ne nous exagérons pas à nous-mêmes notre multitude ; aux yeux de Dieu , nous ne sommes qu’un bien petit nombre. Nous nous partageons en contrées, en nations ; aux yeux de Dieu, le monde tout entier ne fait qu’un seul et même empire. Il faut aux rois de la terre des ministres  (pagc 3) pour connoître, par leur rapport, ce qui se passe dans leurs états ; Dieu n’a pas besoin d’auxi-liaires ; présens à scs yeux, nous sommes tous con-tenus dans son sein. Le peuple juif ne reconnois-soit comme nous qu’un seul et même Dieu; il eut un temple et des autels qu’il honorait jusqu’à la superstition ; et vous en tirez contre nous une ob-jection fondée sur leur situation actuelle , faute de connoître ou de vous rappeler le reste de son bis-toire. Apprenez que tout le temps où les Juifs vé-curent fidèles à ce même Dieu que tous nous adorons, observateurs de ses saintes ordonnances, chastes, innocens et pieux, ils en furent protégés. Foibles à leurs commcncemens, misérables, con-damnés à la servitude, ils s’accrurent au point de devenir bientôt un peuple immense, riche, indé-pendant ;ni la multitude de leurs ennemis, ni le défaut d’armes, ni le besoin de fuir l’oppression, ne mirent obstacle à leurs progrès ; Dieu les sauva en faisant concourir les élémens à leur triomphe. Consultez leurs annales , ou, si vous l’aimez mieux , lisez les écrits plus récens, ceux, par exemple, de Flavius Josèphe, ou d’Antoine Julien, qui nous en ont laissé !’histoire ; vous y verrez que c’est leur changement de mœurs qui leur a attiré les calamités où ils sont aujourd’hui, et qui leuravoient été pré-dites bien long-temps avant qu’elles ne vinssent les frapper. Ce sont eux qui les premiers ont abandonné (Page 520.) Dieu; il est donc faux de dire qu’ils aient été conquis avec leur Dieu : c’est Dieu qui les a punis de leur désertion, en les abandonnant à l’épée des Romains.

Que le monck doive finir un jour, qu’il doive être consumé par un soudain embrasement, est-ce là une chose si difficile à croire? faut-il être sa-vant, ne suffit-il pas d’avoir des yeux pour être convaincu que tout ce qui a commencé finit? Le futur embrasement du monde n’est pas une doctrine (Page 522.) inconnue à !’antiquité; Epicure en parlait comme devant être le dénouement général de son histoire. Platon, après avoir avancé que le monde a été créé pour durer toujours, ne refuse pourtant pas à !’Etre créateur le pouvoir de le détruire. Dieu ([Page 525.) reste maître de son ouvrage. Nous remarquerez souvent dans les philosophes une grande affinité avec notre doctrine ; non pas que nous les ayons copiés, mais parce que les divins oracles de nos prophètes, parvenus à leur connaissance, leur ont donne heu de mêler des vérités aux fables qu’ils débitent. Ainsi la doctrine de la résurrection et de l'immortalité des âmes se trouve consignée dans leurs écrits, dans ceux entre autres de Pylhagore et de Platon , mais avec des systèmes qui l’altèrent. (Page 52.}.) Toujours en est-ce assez pour constater, entre eux et nous, la conformité du fond de la doctrine. Quoi (Page 526.) qu’il en soit, je le demande à l’esprit le plus borné: en cpioi répugne-t-il que le même Dieu qui a pu faire l’homme ait également le pouvoir de le refaire? « On n’étoit rien avant de naître; on n’est rien après la mort. » Mais si Dieu a pu vous corn-mander une première fois de sortir du néant , pourquoi ne le pourroit-il pas une seconde ? il y a, ce semble, bien plus de difficulté à faire qu’une chose qui n’étoit pas existe , qu’à la renouveler apres qu’elle a cessé. (1) Parce que tel objet échappe à la faiblesse de votre vue , vous le croyez anéanti (page 527.) pour les regards de Dieu. Détrompez-vous : toute portion de matière , soit qu’elle se résolve en pous-sière, ou qu’elle se confonde avec les eaux, ou qu’elle soit dévorée par les flammes, n’est perdue que pour nous ; elle est déposée dans la masse des éléinens dont Dieu se réserve le dépôt. Nous con-lions notre dépouille mortelle à la terre, par respect (Page 528.) pour l’antique institution, la mieux autorisée , non par aucune crainte de la mort. Nous croyons à la résurrection : nous en lisons les consolans témoignages dans chacune des révolutions de la nature (1 ). Le soleil se plonge dans les ondes, et en sort brillant d’une nouvelle lumière; les astres dis-paroissent et reviennent éclairer l’horizon ; 1 hiver imprime aux arbres l’apparence de la mort, ils renaissent (Page 529.) au printemps ; la semence a besoin de pourrir dans la terre pour lever. Ce sont là tous symboles naturels de la future résurrection. Tant que l’hiver dure, n’espérez pas la renaissance. Attendez : le corps aura aussi son printemps. Je sais bien que le méchant en général aime mieux se livrer à l’espoir de l’anéantissement que de croire à la résurrection après la vie; il tremble de renaître pour souffrir; il semble confirmé dans son erreur parl’impunité dont il jouit ici-bas, grâce à !’extreme patience de Dieu, dont le jugement sera d’autant plus rigoureux qu’il aura été plus différé. Vous avez dans les écrits des sages et dans les chants des Pag<· 550. poêles les pressentimens des supplices réservés aux âmes criminelles ; ce qu'on y lit d’un tleuvc de feu, des eaux bridantes du Slyx, d’un enfer séjour de lourmens éternels, n’est qu’une imita-tion des livres prophétiques. Jupiter lui-même, le roi des dieux, jure parles eaux du gouffre infernal, et il tient à son serment’; scs regards n’envisagent qu’avec effroi la place qui l’y attend lui cl ses ado-ratcurs. Là, supplices sans terme comme sans mesure (pa״e 351>) ; là, une flamme toujours vive dévore et renou-velle sans cesse sa proie ; vous en avez l’image dans la foudre, qui brûle et ne se consume pas; dans les feux qui s’épanchent des volcans et ne s’épuisent (pa״c 552.) pas : tels les feux des enfers puisent dans leur sein leurs propres alimens, et pénètrent les corps sans les réduire. Là seront châtiés éternellement ceux qui ne connoissent point Dieu, tout aussi (pagc 555) bien que les impies et les pervers; car c’est un crime égal d’ignorer le Père, le maître universel, et de l’outrager. Mais s’il suffit d’ignorer Dieu pour mériter sa colère, il suffît aussi de le connoitre pour avoir droit à scs miséricordes. Nous ne désa-vouons pas que quelques-uns d’entre nous aient pu dégénérer de la ferveur de nos primitives in-stitutions; toutefois si vous voulez établir quelque parallèle entre nos mœurs et les vôtres, nous n’avons point à craindre la comparaison (1). Vos lois proscrivent bien l’adultère, vos mœurs l’au-tonsent; nous, nous ne sommes epoux que pour nos femmes: vous, vous ne punissez le crime qu’après qu’il est commis; nous, nous en punissons jusqu’à l’intention. A ous ne craignez que d’avoir des te'-moins; nous, nous portons le nôtre dans notre conscience, et celui-là ne nous manque jamais, y os prisons regorgent de vos criminels; vous n’y voyez de chrétien que celui que vous y jetez pour cause de religion, ou qui a cessé de l’être (1). (Page 554.) Vainement, pour pallier le crime, allégueriez-vous le destin; fortune, sort, ou destin, rien de tout cela n’empêche l’homme d’être libre; le destin n’est autre chose que l’exécution des décrets de Dieu, qui sont réglés suivant les actions des hommes (2). Le reproche que vous nous faites de la pauvreté où nous vivons pour la plupart est un titre de gloire plutôt que d’humiliation (1). La fru״alité dont elle est la source , fortifie l’âme, comme l’abondance l’énerve. On n’est point pau-vre, alors qu’on est sans besoin, qu’on ne désire point le bien d’autrui, et que l’on a Dieu pour trésor. On n’est pauvre que quand avec beaucoup de richesses on en souhaite encore davantage. Quelque pauvre que l'on soit, toujours l’est־on (l’âge 556.) moins que quand on est venu au monde. Les oi-seaux naissent sans héritage ; et chaque jour four-nit à leur subsistance. Tout ce qui est hors de nos désirs est à nous. Celui qui voyage le plus à l’aise est celui qui a le moins de bagage ; ainsi dans la route de la vie, le pauvre marche plus commodé-ment, il n’a pas l’embarras des richesses. Ce qui n’empêche pas que nous ne demandions à Dieu des richesses, si nous les croyions bonnes à quelque chose ; il ne lui en coûteroit pas de nous en accor-der, lui à qui tout appartient; mais nous aimons mieux les mépriser que d’avoir à les régler. Notre premier bien c’est d’être vertueux et résignés, d’être bons, plutôt que prodigues. Si Dieu permet (pagc 55-.) que nous ayons à souffrir des maux attache's d’ail-leurs à la condition humaine, ce n’est pas pour nous punir, ce n’est que pour nous éprouver. Le courage s’exerce dans la tribulation, et la souf-france est l’école de la vertu. Il faut à l’âme comme au corps du travail, sans quoi elle languit. Aussi tous les grands hommes que vous proposez à l’é-mulation ont-ils du leur renommée à leurs dis-grâces. Cela étant, vous êtes dans ]’erreur de croire que notre Dieu manque ni de moyens ni de bonté pour nous secourir(1). Car nous sommes tous sous sa dépendance, tous assurés de son amour. 11 nous ménage des adversités, pour faire l’essai de nos forces (2). Il balance les périls par nos dispos!-lions, et réclame notre obéissance jusqu’au der-nier souffle de la vie; il sait bien qu’il n’a rien à (Page 338.) perdre pour lui-même. C’est un spectacle digne de ses regards que celui d’un chrétien luttant contre la souffrance, se mesurant avec les menaces, les supplices et les tortures, bravant et les terreurs de la inort et l’aspect farouche des bourreaux; libre sous la tyrannie, et ne cédant qu’au seul Dieu à qui il appartient. Victorieux et triomphant, il se rit en mourant du juge qui l’a condamné : oui bien véritablement victorieux , puisqu’on l’est quand on a obtenu l’objet de ses vœux. Quel est le soldat qui, sous les yeux de son général, ne se sente porté à combattre avec plus d’ardeur? Pour avoir droit à la couronne, il faut s’être essayé. En-core ce général ne peut-il pas donner ce qu’il n’a pas; il peut bien récompenser la valeur; il ne peut rien pour celui qui n’est plus , ni prolonger sa vie. Il n’en est pas ainsi de l’athlète du Seigneur; il compte bien n’êlre point délaissé dans la souf-france, ni rester sans récompense après la vie. Le chrétien peut donc paraître misérable, il ne peut jamais l’être. Vous élevez jusqu’au ciel un Mucius Scévola (Page 55g.) qui se punit lui-même de sa méprise , en soutenant sa main sur un brasier, et qui alloit cher-cher la mort au milieu des ennemis. Combien parmi nous ont enduré, non pas seulement le sacrifice d’une de leurs mains, mais de leur corps tout en-tier livré aux flammes, sans qu’il leur soit échappé un gémissement, avec la liberté de se soustraire au supplice, s’ils !,avoient voulu ( 1 ) ! Un Mucius , un Aquilius, un Régulus, voilà vos héros : opposons-leur non pas des hommes seulement. Des femmes memes, de jeunes enfans parmi nous se moquent de vos gibets et de vos tortures, de vos bêtes féroces, et de tout l’appareil de vos suppli-ces. Aveugles! ne comprenez-vous pas qu’il est impossible que personne s’expose sans motif à de (Page 5'1o.) semblables peines , ou puisse les endurer de la  sorte sans le secours de Dieu ?Ce qui vous fait illu-sion, c’est peut-être de voir que des hommes qui ne connaissent point Dieu, nagent dans l’opulence, sont comblés d’honneurs et de dignités. Malheu-ceux! on ne les élève si fort que pour les faire tom-ber de plus haut; ce sont des victimes que l’on en-graisse pour le sacrifice ( 1 ), que l’on pare de fleurs (Page 34!.) avant de les immoler. Tels sont élevés en dignités, en puissance, pour mettre à découvert leur mal-faisant génie, afin que leur liberté même devienne (Page 342.) leur écueil. Ah! quel solide bonheur peut-il y avoir sans la connaissance de Dieu? mort réelle, songe vain , bientôt évanoui, ombre qui échappe aumo-ment où vous allez la saisir! Vous êtes roi? si l’on vous craint, vous craignez aussi ; et vous avez beau être environné d’une escorte nombreuse , vous êtes seul contre le danger qui vous atteint. Vous êtes riche ? mais on est dupe de la fortune ; un lourd bagage n’est qu’onéreux dans le court voyage de cette vie. Vous marchez pompeusement entouré de licteurs et décoré de la pourpre ? chimère! vanité de n’avoir d’éclat que par une pourpre empruntée, et d’abandonner son âme à la corruption. Vous vantez la noblesse de votre extraction ? c’est l’éloge (page 545.) de vos aïeux. Toutefois il n’y a pour tous les hommes qu’une même manière de naître; c’est la vertu seule qui établit entre eux des distinctions.

(1) Tertull. Apologét, ch. xlvih et xux et delà résurr. de la chair, loin. 11, pag. 427. Ce dogme a trouvé d’aussi éloquens défenseurs chez les Grecs. Voy. le 1er vol. de cette Biblioth. pag. 552.

Le P. Beauregard, dans un sermon sur le dernier, jugement, ״ Est-il plus difficile à Dieu de tirer du tombeau que du néant? et de laite que nous redevenions ce que nous avons clé, ce que nous n’étions plus sans avoir cessé d’etre? » Analyse, pag. 20S.

(1) Tout ce morceau a été imité par Joli, évêque d’Agen. Serm. tom. 1, pag. 567, oii il cite notre auteur.

(1) L’aveu que noire auteur lait ici de quelque relâchement 11c sau roit prévaloir contre la foule et l’éclat des témoignages que lui-même rend à la ferveur des fidèles de son temps, et qui s’accordent si bien avec ceux de Tertullien {Apologét. ch. xxxix.) et des autres apologistes, comme S. Justin, Taticn, Athénagore, Théophile d’Antioche (*). C’est là cette nuée de témoignages que nous serons toujours en droit d’invo-quer contre le relâchement bien plus réel des temps modernes.

(*) Voy. tom. 1, pag. 299, 019, 522, de cette Bibliothèque.

(1) De vestris semper œsluat career. —Nemo illic christianus, nisi hoc tantum, aut si aliudjam non christianus. (Tertull. Apologet. cap. xliv.) Athénagore et S. Justin avoient dit avant lui : Nullus christianus malus est, nisihanc religionem simulant. {Supra, tom. 1, pag. 240 et 500.) Le P. Lejeune a composé son Sermon ix, sur les six premières vertus des chrétiens, ( tom. 1, 1rc part. pag. 270 etsuiv. ) en grande partie des textes et témoignages de nos apologistes.

(2) » Qn’est-ce que cette fortune ? Elle n’est une idée que pour ceux qui se contentent des mots. On veut relever les autels de cette divinité bizarre. La fortune , c’est la Providence. » Le P. Beauregard , Analyse publiée en 1820, 1 vol. in12־, pag. 258.

(1) « Les premiers chrétiens ctoient pauvres pour la plupart, et c’é-toit pour eux un sujet de gloire plutôt qu’une infamie : Quod pleri</ue pauperes sumus, non estinjamice nostras, sedgloriœ. » Moliuier ■,Serm. chois, tom. 1, pag. 49י·

(1) Traduit par Bourdaloue .־ Serin, sur les afflictions des justes , et la prospér. des pécheurs. Dominic, torn. 1, pag. 1ig.

(2) « !Mais que fait-il ? il nous examine chacun en particulier; et à quoi se réduit cet examen ? à nous priver des biens de la vie, et à nous tenir dans l’adversité : Sed in adversis iinumquemque explorât. Ces paroles sont remarquables : Dieu sonde le cœur de l’homme ; il l’inter-roge. Par où? Par les souffrances et les aillictions : Citant hominis sciscitatur. Comme si Dieu disoit au juste : Déclarez-vous, et faites-moi voir ce que vous êtes , etc. Ibid. — Le P. La Rue ( Serin, sur les souffrances des justes, Carême, tom. 1, pag. 2g5 et 296 ) développe cette pensée avec la véhémente énergie qui distingue éminemment ce prédicateur.

(1) En niant qn’ils fussent chrétiens. S, Justin, loni. 1, pag. 2gâ. 2 1.

(1) « Quasi victimee ad supplicium saginantur. Malheur à ees riches סס siècle, à ces puissans du siècle , à ces superbes et à ces orgueilleux -du siècle, qu’il engraisse comme des victimes pour le jour de sa colère ! -C’est־ l’exptession de Tertullien. - (Bourdal., Serm. sur les afflictions des justes et la prosp. des pécheurs. Dominic, torn. 1, pag. 156.) Bour-daloue se trompe en attribuant ce mot :1 Tertullieji, il est de Minucius-Félix.

Nous qui ne marquons que par nos mœurs et notre chasteté, nous nous abstenons, non certes sans motif, de tout plaisir déshonnête, de vos solen-nités, de vos spectacles (1), parce que nous con-noissons trop bien l’histoire de vos cérémonies re-ligieuses, à quoi ils se trouvent liés, et que tout artifice dangereux à l’innocence nous fait horreur! Eh ! comment voir (le sang-froid les excès auxquels (Pa״c) on se porte dans les jeux du cirque ?V os combats de gladiateurs, que sont-ils, qu’une école de meurtre ? Dans vos représentations théâtrales , désordres non moins crians, licence encore plus effrénée ; ici, c’est l’adultère reproduit par la pan-tomime, ici la passion de l’amour qui étale ses (Page 545.) faiblesses pour se répandre dans les cœurs. La belle gloire pour vos dieux de retracer leurs dé-bauches, leurs intrigues, leurs vengeances! Ail-leurs, une hypocrite sensibilité met en étude la science du geste et de la déclamation, pour vous attendrir sur des infortunes imaginaires ; et les mêmes hommes qui pleurent si aisément sur des mensonges, convoitent le plaisir de voir couler le sang.

(1) Molin. Serin, sur Γimpureté, Serm. chois, tom. 1, pag. ·טי et sniv. La Colomb. Serm. tom. 11b pag. 1-3.

Nous nous éloignons de vos sacrifices ; nous n’avons pour vos libations que du mépris, non par aucun sentiment de crainte, mais par l’énergie (Page 546.) d’une liberté vraie. Car, bien que toutes les pro-ductions qui nous viennent de la main de Dieu ne changent point de nature par l’abus que l’on en fait, nous refusons d’en prendre notre part, pour éviter de paraître communiquer avec les démons à qui on les offre , ou rougir d'être chrétiens. Nous sommes loin de méconnoître l’œuvre du Créateur, et nous goûtons le même plaisir que vous à jouir des fleurs du printemps, à respirer ce doux par-fum qu’exhalent la rose et le lis. Si nous n’en couronnons (rage 547.) point nos têtes, nous les réservons pour l’odorat, non pour nos cheveux. Nous ne répan-dons point de fleurs sur la tombe des morts. Eh! pourquoi le ferions-nous ? qu’est-ce que cela fait à ceux qui ne sont plus? heureux, ils n’en ont pas besoin; malheureux, ce ne sont pas des fleurs qui les empêcheront de l’être. Nos obsèques à nous sont simples comme notre vie ; les couronnes dont nous aimons à les orner ne sont point tissues de fleurs sujettes à se flétrir, mais de celles qui ne craignent point les ravages du temps, et que Dieu promet aux cœurs pacifiques et humbles , à ceux qui, pleins de confiance dans ses largesses, vivifient (Page 549·) l’espérance par la ·foi, et anticipent leur béa-titude à venir par la contemplation des biens im-mortels où la résurrection les introduira. Que Socrate déclare ne rien savoir, je ne vois dans ce sage si fort préconisé par un oracle imposteur, je n’y vois qu’un pitoyable bouffon. Laissons à l’aca-demie ses doutes éternels, à tous ces graves philosophes (pagc 550.) leur orgueil, leurs basses flatteries, leurs systèmes corrupteurs et leurs déclamations contre le vice, où ils se font leur procès à eux-mêmes. Nous , ce n’est point par les dehors que nous aspi-rons à être sages; nous ne faisons point de grands discours, mais de grandes choses. Nous nous féli-citons d’être arrivés au but vers lequel ils ten-doient sans pouvoir l’atteindre. Pourquoi manque-rions-nous de reconnaissance, et nous refuserions-nous à nous-mêmes de jouir du bienfait que la bonté divine avoit réservé aux jours ox\ nous sommes? Profitons-en en réglant nos mœurs sur notre foi; que la superstition soit réprimée, l’im-pieté anéantie, la vraie religion en honneur.

(Page 551. )    ( L’entretien finit. Ce'cilius avec chaleur) : Je n’attendrai point la sentence de notre arbitre (1); Octave et moi, sommes également victorieux ; lui, (Page 552.) il triomphe de moi, et moi de l’erreur où j’élois.

(1) Tillemont et plusieurs autres avant ou après lui veulent que le Gécilius , dont il est ici parlé , soit le même qui depuis aida si puis-samment à la conversion de S. Cyprien. ( Mém. ecclés. tom. iv, pag. 51.) Quoiqu’il n’y en ait aucune preuve plausible, l’opinion de ce savant n’a pas laissé de prévaloir.

Je crois à la Providence ; je me rends à Dieu , et je confesse que la religion des chrétiens, au nombre desquels je me mets dès à présent, est la seule qui enseigne la vérité.

Saint Cyprien a beaucoup profité de la lecture de ce dialogue ; il en cite des pages entières, sur-tout dans son Traité de la vanité des idoles.

 

ARNOBE, en 303.

Arnobe naquit à Sicque, ville d’Afrique, dans la province proconsulaire. 11 y professoit la rhé-torique avec la plus haute réputation , sous l’em-pire de Dioclétien, lorsque, pressé par de secrets avertissemens du ciel (1), il voulut examiner de plus près cette religion chrétienne dont le nom ne retentissoit autour de lui qu’avec les qualifications les plus propres à exciter contre elle le mépris et la haine. Toutes ses préventions cédèrent à l’évi-dence ; et il abjura le paganisme pour la religion de Jésus-Christ.

(1) Eusèbe les appelle des songes: Somnüs compulsas. (Chron. ad ami. 20.) Les historiens les plus estimés rapportent divers exemples de conversions semblables opérées par des songes ou visions snrnatu-relies. On peut voir nommément ce que dit Eusèbe de celle de S. Ba-silide, soldat, ( liv. vi, c. 5.) mais il faut laisser parler Origène à ce sujet :« Plusieurs ont embrassé le christianisme par l’esprit de Dieu qui frappait leurs âmes d’une impression subite, et qui leur envoyoit des visions tant le jour que la nuit ; j’en ai vu plus d’un exemple. Je prends Dieu à témoin que mon but est de faire aimer la religion de Jésus-Christ, non par des contes inventés à plaisir, mais par la vérité et parle récit de ce qui est arrivé en ma présence. ״ ( Conlr. Cels., libr. 1, pag. 35.) L’histoire de S. Augustin permet encore moins d’en douter.

Transfuge de l’idolâtrie ,Arnobe voulut signaler par une profession de foi éclatante son entrée dans le christianisme, et donner à sa religion nou-velle des otages qui lui méritassent la grâce du baptême (2); car il n’étoil encore que catéchumène quand il publia son ouvrage contre les gen-lils. Les conjectures les plus probables en rap-portent la publication à l’an 505 de Je'sus-Christ, vers la dix-huitième année du règne de Dioclé-lien (1).

(2) Les chrétiens de Sicque ne jugèrent d’abord d’Arnobe que comme ceux de Damas avoient auparavant jugé S. Paul. Leur évêque ne voulut point lui conférer la grâce du baptême qu’à titre de réeom-pense , et sans qu’il n’eùt rendu un témoignage public de la foi qu’il venoit d’embrasser, après l’avoir violemment combattue avant sa con-version. Arnobe se pressa d’obéir, et composa sa réfutation du paga-nisme, partagée en sept livres.

(1) Voy. D. Ceillier Hist, des écriv. ecclés. tom. ni. pag. 54־·

Il devenait impossible que le nouvel antago-niste du paganisme, venant après tant d’autres, ne parut les répéter. Aussi rencontre-t-on, surtout dans les derniers livres, une foule de choses dont ses devanciers s’étoienl emparés. Saint Cyprien avoit abrégé à l’excès l’dpologélique de Tertullien; Arnobe l’a commentée sans mesure (2).

(2) S. Jérôme lui reproche une fatigante prolixité qui le jette dans le défaut d’ordre et de méthode: Înœqtialis et nimius, et absque operis suipartitione confustisAom.™. part, ni, pag. 56y, col. 1. Epist. lxxxih, ad jMagn.

Tertullien, saint Clément d’Alexandrie, Tatien , Origène , et les autres apologistes , semblaient avoir posé les bornes de l’érudition humaine sur lespra-tiques et les dogmes du paganisme, ses dieux, ses temples, ses oracles, ses sacrifices, ses jeux, ses spectacles, ses consécrations et ses augures. Ils avoient fouillé dans cette antiquité si jeune auprès de nos annales sacrées, et réduit scs défenseurs à se réfugier dans de chimériques subtilités dont il n’avoit pas été difficile de leur enlever le frêle re-tranchement. Ces savantes discussions, en se repro-(luisant sous la plume d’Arnobe, ne perdoient rien de leur intérêt pour les contemporains; elles en ont moins pour nous, surtout quand l’attrait de la curiosité s’est épuisé sur les premiers combats. Ce n’est pas assez pour l’athlète qui entre de non-veau dans la lice de déployer une force, une sou-plesse égale à celle de ses devanciers; il a besoin pour fixer les regards d’offrir des ressources aux-quelles on ne soit pas accoutumé.

Saint Jérôme , qui est bien loin de lui refuser les brillantes ressources de ! imagination, ne permet néanmoins de le lire qu’avec précaution (1). Juge-ment qui s’applique surtout à certaines opinions de l’auteur sur des points de foi qu’il n’avoit pas eu le temps d’approfondir. On remarque de même qu’Arnobe ne cite jamais les livres de l’ancien Testament, et rarement le nouveau. Son principal mérite est donc celui qui nous intéresse le moins; la connoissance profonde qu’il avoit du paga-nisme, qui lui sert à l’écraser par la force de ses raisonnemens, par l’immense étendue de ses lec-turcs, par le témoignage de ses écrivains les plus accrédités, et par l’impossibilité absolue où il le ré-duit d’excuser en aucune manière les ridicules et les abominations de son polythéisme.

(1) Epist. LVi ad Tranquillin. pag. 589, col. 1, tom. iv.

Les écrivains protestans, Bayle entre antres, ont étrangement abusé de cette décision de S. Jérôme. Us ont été jusqu’à accuser Arnobe d’hétérodoxie; ils enveloppent Lactance dans cette accusation. On lira avec intérêt les moyens d’attaque et de défense auxquels l’un et l’autre a donné occasion. C’est l’objet d’un mémoire curieux du P. Merlin, jésuite, dans les Mémoires de Trévoux et Mêm. d’une société célèbre . publiés par l’abbé Grosier, torn. 1, pag. !52 et suiv.

De son temps on accusoilles chrétiens d’être la cause des malheurs de l’empire. Les dieux cour-roucés vengeoient, disoit־on, par l’irruption des barbares et la défaite des armées romaines, leurs autels abandonnés ,elles progrès toujours crois-sans de l’Evangile.Nos premiers apologistes avoient foudroyé déjà cette accusation : Arnobe la reprend en sous-œuvre , et en fait le début de son ouvrage.

(Page 1.) Livre premier(*). Comme je me suis aperçu depuis quelque temps que certains prétendus sages, aveuglés par leurs préjugés, débitent avec un ton fanatique que, depuis que la religion chrétienne a été introduite dans le monde, les dieux avoient rc-nonce à leurs soins tendres et bienfaisans, parce que leurs autels étoient déserts, et que le genre bu-main avoit été accablé par des fléaux de toutes les espèces ; j’ai résolu d’employer le peu que j’ai de lumières et de talens à détruire toutes ces calom-nieuses imputations, et à faire évanouir tous les prétextes de haine contre le nom chrétien. Mon intention est d’empêcher que les adorateurs des dieux, en ne débitant que des propos souveraine-ment méprisables, ne s’en applaudissent encore comme s’ils avoient dit les choses les plus impor-tantes, et ne prétendent, si nous ne présentions aucune défense , que ce n’est pas par notre silence , mais par sa propre foiblesse que notre cause a succombé.

(*) Αγ.λοειι Afri adversus génies tibri vm. Lug. Balav,, 1651.

L’accusation inventée contre nous ne sauroit être plus grave ; et je conviens que nous sommes dignes de la haine la plus implacable, s’il est con-stale' que nous sommes la cause que tout est bou-leversé dans l’univers et que la terre est désolée par les plus terribles fléaux. Examinons donc ce point tranquillement et de sang-froid. J’espère démontrer, (Page 2.) par l’enchaînement des raisons et des preuves, que ce n’est point nous qu’il faut charger du crime d’impiété, mais que cette odieuse accu-sation ne peut retomber que sur ceux qui sont at-tachés au culte des dieux et aux anciennes su-perstitions.

Arnobe prouve que ces fléaux s’éloient fait sentir long-temps (Pages 3 et suiv.) avant rétablissement du christianisme, et que s’il y a quelque différence depuis les trois cents ans que le christianisme a commencé, c’est que les fléaux depuis lors ont été beaucoup moindres et beaucoup moins fréquens.

(Page 7.) « Le ciel est sans eaux, la terre sans moissons. »

Mais de quoi vous plaignez-vous? λ ous voudriez que les élémens s’assujettissent à servir vos prétcn-dues nécessités? qu’ils fussent les tributaires de votre mollesse et de votre luxe?

Les païens insistoient :

« Mais d’où viennent donc les maux que nous éprouvons , si ce n’est de vous ? »

D’où viennent les maux ? répond Arnobe. C’est une chose que je ne me charge pas d’expliquer. (t’age 9·) Je ne me charge que de répondre à vos accusations, votre question ne fait rien à la cause présente.

(Pages 15,) De qui viennent les maux? C’est le Dieu que nous adorons qui les répand sur la terre, ou ce sont vos dieux. Optez : sont־ce vos dieux? ils sont donc injustes. D’où vient qu’ils vous punissent de nos crimes? nous devrions seuls être immolés à leur courroux. Est-ce le Dieu des chrétiens? les vôtres ne sont donc pas des dieux; puisqu’ils ne peuvent ni arrêter ni suspendre ce que le nôtre a ordonné.

D’où il conclut que tous les événemens, dans l’ordre politique comme dans l’ordre naturel, sont dans la main de Dieu, seul maître des rois et des empires, seul souverain, seul puissant, se jouant à son gré des pas-sions des hommes, qu’il rend tributaires de sa sagesse ou victimes de sa justice; et préparant toutes les révo-lotions humaines pour le règne immortel de Jésus-Christ et de son Eglise.

Puis s'interrompant par une éloquente exclamation:

Oh! s’il m’éloit possible de rassembler tous les (p;!gc !6.) homines de la terre dans une même enceinte, et que là ma voix put se faire entendre à tout ee vaste auditoire, je leur dirois : Nous, coupables d’impiété! nous, accusés d’être des athées, de mauvais citoyens, quand nous honorons le Dieu principe et conservateur des choses , quand nous lui rendons les plus profonds hommages ! Ces noms odieux, à qui conviennent-ils à plus juste titre qu’à ceux qui parlent d’un autre Dieu ?N’est-ce pas à lui que nous sommes tous redevables du premier des bienfaits, celui d’exister? d’être au rang des hommes, de goûter, avec le présent de la vie, les charmes qui l’embellissent? Ce monde que vous habitez, à quel maître appartient-il? Qui vous a donné d’en recueillir les fruits ? D’où vous vient ce globe lumineux qui vous éclaire , et dont la chaleur vivifiante anime la nature et féconde les élémens ?

Vous mettez le soleil, la lune, au rang des divinités, sans songer qui leur a donné l’être. Vous ne vous occupez pas davantage de rechercher pourquoi vous êtes dans le monde, sous la dépendance de qui vous y vivez.... O Créateur, souverain universel! Essence sublime qui échappe à tous les regards, comme à toutes les intelligences, c’est à vous, à vous seule qu’appartiennent les hommages de la reconnoissance et de l’adorai ion: vous, la première des causes , vous, à la fois le lieu, l'espace, le fonde-ment de tout ce qui existe; vous, Esprit incre'é, immortel, immense, au-dessus de tout langage, au-dessus de toute conception humaine , qu’il est éga-lement impossible et de dc'finir et de comprendre, autrement que par l'adoration ! « Vous êtes, ô grand Dieu, vous êtes ; voilà ce qu’on sait de vous. Vous n'êtes rien de ce que nous sommes. Rien de ce que nous voyons, rien de ce qu’on dit de vous n’exprime ce que vous êtes. 11 faut se taire, et se retirer au dedans de soi-même ; toutes les choses extérieures étant bannies , saisir une ombre de ce que vous êtes quand elle passe devant notre esprit ; car enfin il seroit étonnant que l’homme comprît la gran-deur de votre être ־, il ne l’est pas qu’il ne vous comprenne point (1). »

(1) Traduit par jMoliuier, Serin, chois, tom. vm, pag. 55g, 560.

Du reste, il convient qu’il y auroit de la témérité à prétendre sonder tous les desseins de Dieu et de sa pro-vidence. Ce qu’il applique à nos dogmes, blâmant la curiosité qui cherche à les approfondir.

On ne vous blâme pas, disoient les païens, de ce que vous adorez le grand Dieu, le Dieu Tout-Puissant; maisonvouscondamnedeceque vous adorezun homme, et un homme mort sur une croix.

(Page 25.) Que fait à l’éclat de sa vie l’ignominie de sa mort? Pythagorc et Socrate sont morts, comme lui, d’une mort violente : en adrnire-t-on moins leurs vertus ? L'innocent que l’injustice immole meurt sans rien perdre de sa gloire. Si vous n’avez pas craint de mettre au nombre des dieux des hommes dont toute la célébrité leur vient d’une mort violente, n’aurions-nous pas aussi nos rai-sons pour adorer Jésus-Christ comme Dieu, mal-gré l’humiliation de sa mort? Oui, certes, nous en avons, et d’assez puissantes pour lui mériter à lui seul les honneurs divins. N’étoit־il en effet qu’un (1 age 26.) homme celui-là dont le simple commandement, dont une parole guérissoit les maladies, chassoit les démons des corps qu’ils tenoient obsédés ? N’étoit-il qu’un homme celui-là dont le simple attouchement rcndoit les paralytiques à la santé, les morts à la vie ; qui ordonnait aux flots de la mer, soulevés par la tempête, de s’apaiser, et la mer obéissait ; qui dans le désert nourrissait cinq mille hommes avec cinq pains, et faisait remplir douze corbeilles de ce qui n’avoit pu être cou-sumé? N’étoit־il qu’un homme, et à quel autre peuple qu’au peuple chrétien appartient-il, celui-là dont l’œil perçant lisent au fond des cœurs les pen-sées les plus secrètes; celui-là qui, enseveli dans le tombeau se ressuscita de lui-même, et se fit voir à une foule de témoins dans une vie non-velle ; dont le nom seul met encore aujourd’hui les démons en fuite , et impose silence aux oracles de vos fausses divinités? Avez-vous de semblables prodiges à nous raconter d’aucun de vos dieux? et (Page 31.) votre Jupiter lui-même , avec sa prétendue toute-puissance, a-t-il donne' jamais à personne un Page 30. pareil pouvoir? Mais vous ne croyez pas que Jésus ait fait rien de pareil? Interrogez ceux qui en fu-rent les témoins, qui les ont vus de leurs propres yeux, et qui nous en ont transmis le récit fidèle. Si les faits dont il s’agit n’avoient pas eu l’évidence et l’éclat des rayons du soleil, les aurai t-on jamais crus? Ceux qui les ont rapportés étoient-ils , ou assez fourbes pour se dire témoins oculaires de choses qu’ils n’avoient point vues , ou assez insen-sés pour aller les débiter par tout le monde, quand il n’y avoit à gagner pour eux que la haine pu-blique et la mort? Si cette histoire est controuvée , comme vous le supposez , d’où vient qu’elle a pu s’accréditer et se répandre en si peu de temps d’un bout à l’autre de l’univers, et soumettre à sa creance tant de nations si éloignées les unes des autres, et de mœurs si différentes? ils auraient donc été dupes des plus grossières illusions, et se seraient sacrifiés pour de chimériques espérances, jusqu’à renoncer à tout! Il n’y a que la force de la vérité qui ait pu les engager à l’embrasser au risque des plus affreuses tortures.

Pages 34,    « C’étoient, dites-vous, des ignorans, des hommes simples. » Ptaison de plus pour les croire : on ne les soupçonnera pas d’avoir voulu en imposer par Par-tiiice du langage. La vérité ne connoît point la pompe des exagérations : elle parle simplement quand elle dit ce qu’elle a vu.

«Mais si Jésus-Christ étoit Dieu, pourquoi s’esl-il l'ait voir dans une forme humaine? » Mais la divine essence, toute spirituelle de sa nature, pouvoit-ellc, dans le dessein où elle étoit de se prêter au monde, de se manifester aux regards des hommes, pouvoil-elle, dis-je, l’exécuter sans l’intermédiaire d’une chair semblable à la leur? Ne lalloit-il pas bien qu’elle tempérât, sous les voiles de l’humanité, l’éclat (Page 37.) de ces rayons que nuis regards humains n’au-voient pu soutenir? Elle a donc consenti à se revê-tir d'un corps assujetti à toutes les conditions de l’humanité, toutefois sans déroger à sa divine sub-stance et à l’indépendance de son être souverain. Si Jésus-Christ a souffert, s’il est mort, ce n’est pas comme Dieu, la divinité est impassible; mais comme homme. Qui donc étoit suspendu sur la (Page 58.) croix? qui est-ce qui rendoit le dernier soupir? L’homme dont il avoit fait l’enveloppe de sa divi-nité. Mystère caché dans une obscurité profonde, mais accessible à votre intelligence , si elle voulo.it s’éclairer de la lumière de la foi.... La mort, oui, cette mort que vous nous reprochez tant, elle ne faisoit que le dépouiller de l’humanité, mais sans attenter à son être. Il n’a souffert, il n’est mort que parce qu’il l’a bien voulu, que parce qu’il l’avoit ainsi arrêté dans le plan de sa divine sagesse. Eh! ne pouvoit-il pas, s’il l’eut voulu , s’affranchir de la puissance de ses ennemis, lui qui corrjman-doit à toute la nature ? lui en eût-il coûté beau-coup pour désarmer ses persécuteurs , les précipi-ter dans la mort, lui qui d’une parole ordonnoil aux paralytiques de marcher, et arrachoit du tom-beau les morts rendus à la vie (1) ?

(1) Imité par Bossuet dans scs sermons du Vendredi saint.

Il a fait plus que se venger de ses ennemis ; et sa divine toute-puissance éclate bien mieux par le miracle de douceur qu’il étale, en se livrant en proie à la féroce brutalité de ses bourreaux. Par l’hé-roïsme de sa patience , il justifie éloquemment la doctrine qu'il étoit venu apporter au monde, et la vertu de sa toute-puissance , abattant à ses pieds le faste de l’orgueil, triomphant parson humilité de tous les vices, prenant sur lui toutes nos misères, et nous guérissant de tous nos maux. Pour tant de bienfaits, ne lui rendre que des outrages, que d’implacables persécutions, quand jamais personne n’eut à se plaindre de lui ! est-ce de la sorte que vous en agissez avec vos rois? ils peuvent impuné-ment piller les temples, ravager les cités, s’aban-donner aux plus infâmes désordres. Vous permet-t-ez à vos écrivains d’outrager la pudeur par la licence de leurs écrits, de se jouer des mœurs pu-bliques et de l’honneur des particuliers, de prcco-niser l’adultère et la débauche; vous leur prodiguez et les éloges et les applaudissemens ; vous faites de leurs ouvrages l’ornement de vos bibliothèques ; vous leur décernez des récompenses, des statues, des chars de triomphe ; vous consacrez, autant qu’il peut dépendre de vous , leurs noms à l’immortalité, par la magnificence des titres accordés à leur mé-moire :il n’y a que Jésus-Christ seul sur qui se con-centrent vos fureurs et les impuissans efforts de votre haine. Mais quel est donc son crime? D’avoir rempli la mission que son Père céleste lui avoit donnée de sauver les hommes, de leur avoir ap-porté du ciel le bienfait d’une vie éternelle , de les avoir initiés aux plus magnifiques espérances.

Quelle sacrilège iniquité, quel monstrueux aveu-glement! Qu’un médecin vînt d’une contrée loin-taine et inconnue vous apporter la promesse de vous guérir de tous les maux du corps, quelle affluence , quel concours autour de lui ! quels accueils et quels empressemens ! on voudrait s’a-bandonner à ses soins, sans même attendre que l’expérience eut justifié ses promesses ; rien ne coûterait pour se procurer ses remèdes, et pour en faire l’essai : Jésus-Christ est venu vous annoncer (rage 41·) et vous offrir le moyen le plus infaillible de vous enlever à toutes les maladies spirituelles, en vous sauvant; non-seulement on le méconnaît, mais on épuise contre lui tout ce que la fureur a de plus barbare.

(rage 42·) Livre Π. Qu a donc fait Jésus pour provoquer contre sa personne et contre les siens cette rage insatiable de tourmens? s’est-il montré comme un conquérant farouche qui porte la guerre au sein de nations paisibles, et les soumette à un joug ty-rannique? comme un ambitieux avide de richesses, qui envahisse les possessions étrangères pour en grossir son domaine ? a-t-il attenté aux saintes lois de la pudeur, violé la sainteté des mariages, étalé un faste arrogant, écrasé les hommes sous l'e poids de son orgueil? Rien de tout cela. On le (rage 43·) hait, pourquoi? parce qu’il est venu abolir le culte des fausses divinités , et faire connoître aux hom-mes l’objet de la vraie religion, le seul Dieu véri-table que tout homme est forcé naturellement de reconnoitre pour ’»’auteur de tout bien , et le créa-teur du ciel et de la terre.

« Mais il parle de promesses et de récompenses, de menaces et de châtimens pour l’avenir ; et peut-on compter sur ce qu’on ne voit pas ? qui sait ce qui doit arriver après nous ? »

(rage 44·) Si nous ne pouvons pas connoître d’une manière sensible et frappante ce qui doit arriver après nous, la raison seule ne nous dit-elle pas d’abord qu’en-tre deux choses incertaines. il vaut mieux croire celle qui remplit l’âme d’une douce espérance, que celle qui n’en donne aucune? Dans le premier cas, si I on se !rompe, on ne risque rien; dans le second cas, on risque tout, c’est-à-dire le salut éternel (1). Que dites-vous à cela, hommes insen-ses, hommes les plus dignes de notre pitié! vous ne craignez pas que ce qui lait aujourd’hui le sujet de vos railleries et de vos mépris ne se trouve vrai un jour ; vous ne craignez pas que ce que votre perversité vous empêche de croire maintenant ne soit un jour le sujet de vos regrets et de vos châ-timens ?

(1) Dilemme sans réplique, que nos apologistes ont de tout temps opposé à !’incrédulité. Pascal le développe éloquemment dans les premier et cinquième chapitres de ses Pensées. Tillotson y ramène ses lecteurs dans la seconde partie de son sermon sur la folie des incré-r/uZes, tom. 1, pag. 154. On ne s’étonne pas que Voltaire ait essayé de l’attaquer dans ses Réflexions sur les Pensées de Pascal; il en sen-toit toute la force, et ne cherchoit qu’à en obscurcir l’évidence par de misérables sophismes. On s’étonne qu’elle ait échappe au ministre Saurin , qui, dans un de scs sermons , prend à tâche de l’aflbiblir.

Et cependant quelles raisons pressantes n’auriez-vous pas de vous décider et de croire comme nous? Ces grandes vérités ne sont-elles pas répandues par toute la terre ? Est-il quelque nation si barbare dont elles n’aient adouci les mœurs ? combien de grands génies, orateurs, jurisconsultes, rhéteurs, philo-sophes, médecins, qui les ont embrassées! corn-bien d’époux qui ont renoncé aux liens du mariage, (page 45·) d’enfans aux biens de leurs parens, de ci-toyens à la vie , plutôt que de renoncer à la foi ! Mais à quoi ont abouti tous ces raffinemens de la plus atroce barbarie inventés contre les chrétiens , sinon à les multiplier, et à faire courir avec plus d’ardeur sous les e'tendards de la foi, malgré tous vos édits de proscription? Est-ce sans raison , est-ce sans des motifs bien puissans que tout cela s’est fait? Ne falloit-il pas une puissance toute divine pour triompher de la rage des bourreaux, et faire ״outer un charme ineffable dans la connoissance de notre religion , et dans l’amitîé de notre Jésus, pour élever ainsi les âmes au-dessus de tous les tourmens et de tous les sacrifices?

Direz-vous que ce ne sont que des hébétés ré-pandus sur toute la surface de la terre, qui se laissent conduire par ces dogmes et par cette croyance?

Mais êtes-vous donc les seuls éclairés ? avez-vous seuls la sagesse en partage? et d’où vous vient cette sagesse profonde , cette vivacité d’es-prit, ces lumières, cette pénétration ? Quoi ! parce que vous savez affecter le beau langage, employer les expressions choisies, éviter les locutions qui ne sont pas d’une exactitude grammalicale ; parce que vous savez par cœur quelques opuscules fri-voles; parce que vous avez appris les subtilités et les chicanes du barreau ; vous vous croyez pour cela en état de discerner toujours entre le faux et (Page) |c vrai, (]e juger de ce qui se peut et de ce qui ne se peut pas, de décider également sur les choses les plus sublimes comme les plus ordinaires: c’est sur cela que vous prononcez qu’il n’y a que foi-blesse et puérilité' dans nos espérances ! Et n’avez-vous pas entendu souvent retentir cette belle pa-role: Que toute ία sagesse humaine n’est que folie (!Cor. ■19.״.) devant Dieu ?

Mais que devient donc toute cette penetration, lorsque vous discourez sur les choses purement intellectuelles , ou que vous voulez raisonner sur les secrets ,de la nature? ne faites-vous pas voir alors que vous ne connoissez rien aux choses mêmes que vous soutenez avec le plus d’opiniâtreté; et que chacun de vous donne néanmoins son senti-ment particulier comme une chose démontrée? Une vérité bien essentielle, et que nous devrions tous reconnoitre, c’est que nous sommes à la fois si orgueilleux et si aveugles, que, quoique réelle-ment nous ne sachions rien , nous sommes cepen-danl tout boursouflés d’orgueil, comme si nous étions des abîmes de science.

Vous riez de la simplicité de notre foi, vous (pa״e47.) vous égayez sur ce que vous appelez notre crédu-lité ; mais citez-nous quelque chose de tant soit peu important dans la vie, qui ne suppose pas une foi «pii en soit le préliminaire et le mobile. Vous vous mettez en voyage; vous courez les mers; vous la-boutez et confiez diverses semences à la terre ; vous prenez une femme; vous appelez le médecin, en maladie; vous faites la guerre; vous avez une religion quelconque : tout cela est la foi de vos espérances : vous croyez au succès de votre voyage, de vos spéculations , de votre récolte, du bonheur dans votre ménage ; vous croyez recouvrer la santé, remporter la victoire, vous concilier la faveur de telles et telles divinités à qui vous portez vos hom-mages. Vous ne vous en reposez pas sur votre seul témoignage : les disciples de telle école en (Page 48.) a4Optent Jes systèmes sur la foi du maître qui l’a instituée. Quelque incertaines , quelque contradic-foires que soient leurs opinions, n’importe ־, vous épou3״ez, les uns le sentiment de celui-ci, les autres de celui-là. Vous êtes libres, à la bonne heure, de (Page 49·) croire à qui vous voulez, à Platon , à Chronius, à Numénius, à tel autre qu’il vous plaira de nom-mer. Nous , nous croyons à Jésus-Christ : laissez-nous donc, à nous, la liberté d’y croire. Ce qui nous a déterminés à y croire, c’est la puissance de ses œuvres, c’est la divinité de ses miracles. Vous, quels motifs plus pressans avez-vous d’ajouter foi à vos sages, que nous de croire à Jésus-Christ ? Nommez-m’en un seul qui jamais ait pu, d’un seul mot, apaiser les tempêtes , commander aux flots d’une mer irritée, rendre la vue a des aveugles-nés, arracher les morts du tombeau ; moins que cela, guérir d’une parole la plus légère blessure. Que l’on vante tant qu’on voudra la subtilité de leur esprit, l’étendue de leur science : sont-ce des syllogismes et des enthymèmes qui mènent à la connoissance (1>a‘"c 51) de la vérité ?

Apprécions nos maîtres, non par l’éloquence, mais par les œuvres. Le vrai mérite consiste ici, non à parler avec subtilité, mais a justifier ses promesses par des actions vraiment divines. Or, comparons les œuvres de vos philosophes avec celles de Jésus-Christ, les succès des premiers avec ceux qu’ont obtenus Jésus-Christ et ses apô-très. Voyez ce qu’a opéré son Evangile chez les Indiens, les Sères, les Perses, les Modes, les Arabes, les Égyptiens, les Syriens, les Galatcs, les Parthes; ce qu’il a opéré dans l’Achaïe, la Ma-cédoine, l’Épire, dans toutes les régions qu’éclaire le soleil; enfin à Rome même, où, malgré les su-perstitions introduites par Numa, des milliers d’hommes ont renoncé à tous leurs anciens pré-jugés pour embrasser la religion de Jésus-Christ. Ces Romains avaient été témoins de la chute du fameux magicien Simon, à 1Λ prière de l’apôtre saint Pierre, et au nom de Jésus-Christ ; ils le vi-rent les jambes fracassées , et sans mouvement, sur la place, d’où il fut transporte à Brindes : c’est là que, ne pouvant soutenir sa honte et ses douleurs, il trouva sa fin en se précipitant d’un lieu très élevé et très escarpé (1).

(1) C’est cc même Simon . célèbre dans le livre des Actes (Act. vm.18 et scq.') par la demande qu’il osa faire aux apôtres de lui vendre pour de l’argent les dons du Saint-Esprit, et le pouvoir de les répandre, « devenu par la , dit un pieux écrivain , le patriarche de ceux qui cher-״client dans les charges de !’Église, ou l’honneur des hommes, ou le .profit et l’intérêt, quoiqu’ils ne les aient pas achetés à prix d’argent.״ (Tillem., tom. 1, pag. 152.·) La vive réprimande de S. Pierre ne le corrigea pas pour long-temps. Il alla à Rome faire la profession pu· blique de magie sous l’empereur Claude, qui lui accorda quelque protection. 11 en trouva plus encore à la cour de Néron. Les saints apôtres Pierre et Paul, qui jugeoient combien ses illusions pouvoient être dangeieuses pour la foi des fidèles , l’y poursuivirent. Simon » pré-tendant qu’il eteit le Christ, et voulant montrer que , comme Fils de Dieu , il pouvoit monter dans le ciel, et de l’état d’un homme passer à la puissance divine , se fit élever en l’air par deux démons , dans un chariot de feu, se servant pour cela de la puissance de sa magie ; mais S. Pierre s’étant mis en prière avec S. Paul, cet imposteur fut aban-donné de ses démons . tomba par terre et mourut de cette chute ; mais non sur le-champ. Il se cassa seulement les jambes ; et ayant été porté à Brunde ( que ce fut la ville de ce nom, ou un quartier de ce nom dans Rome), il se précipita, de douleuret de honte, du haut d’un logis en bas. » Ce récit est de Tillemont, qui traduit S. Augustin, et l’appuie des témoignages d’Arnobe, de S. Cyrille de Jérusalem, de S. Ambroise, de Sulpicc Sévère , de S. Isidore de Péluse , de Théo-doret. ( Voy. Mèm. ecclés., tom. 1, pag. 176.) On a élevé des doutes sur ce fait. On s’étonne que les païens n’en aient point parlé; et le sceptique abbé Pluquet traite ce fait d’apocryphe , comme ayant été , dit-il, inconnu de nos premiers apologistes ; on n’a commencé , dit-il, à en parler qu’au cinquième siècle. ( Diet, des hères, tom. 11, pag. 515. ) Niais Arnobe , mais Hégésippe , étoient bien antérieurs au cinquième siècle ; et ce sont eux qui le racontent. {lieges. lib. 111, c. 2. ) Niais S. Épiphane et l’auteur du livre des Constit. apost., attribué à S. Clé-ment Romain, en font mention, l’unau liv. 1, Contre les hérésies, pag. 51; l’autre, liv. vi, ch. g. Quant aux païens, leur silence n’est point un argument: cependant Suétone parle dans la vie de Néron d’un homme qui, sous le règne de ce prince, s’éleva en l’air et se brisa en tombant. On peut y joindre les aveux des Juifs, :i qui ccs prétendus miracles n’étoient pas inconnus. (Voy. Bullet, Etabliss. du Christian. pag. 109, d’après le livre Scpher toldos Jeschu : on y lit que Simon Kepha , Pierre , l’apôtre , que l’on y confond avec Simon le magicien , demande qu’on lui bâtisse une tour, comme pour s’élever dans l’air.') Tout cela ressemble fort h l’histoire de Simon. Pluqnet lui-même con-vient qu’une ancienne tradition portoit que Simon voloit. (Ibid, note.) Pouvoit-il le faire sans quelque secours surnaturel? A-t-il été plus difficile au Dieu de S. Pierre de le précipiter, qu’au démon de Simon de le soutenir en l’air ?

(Page 51. et suiv.) Arnobc passe au dogme de la résurrection de la chair et de l’immortalité de l’âme, discute l’opinion de Platon sur l’origine et la nature de nos âmes, disserte avec étendue sur ces matières, combat parses conséquences le système d’Epicure, qui enscignoit que Faîne mouroit avec le corps.

C’est l’espérance de la glorieuse immortalité qui (l’age 55.) nous entretient dans l’innocence. Avec elle pointde plaisir déshonnête qui nous séduise, point de eu-pidité qui nous entraîne.

Le chrétien sait faire marcher de front toutes les vertus. Nulle différence parmi nous de mœurs , pas plus que de créance (1 ).

(1) Nous avons vu tous les apologistes d’avant Arnobe rendre un semblable témoignage aux chrétiens de leur temps. L’exemple de leur vie arrachoit aux païens eux-mêmes cet honorable aveu, que l’histoire a long-temps confirmé. Notre chaire française a souvent rappelé ces glorieux souvenirs, pour les faire contraster avec les mœurs modernes. D’anciens prédicateurs à qui les nouveaux doivent beaucoup , entre autres Le Jeune et La Colombière, aimoient à s’étendre sur ces inlé-rossantes oppositions. Il y a dans le premier un sermon entier sur les effets de la foi prouvés par les vertus des premiers chrétiens (c’est le 1xc du premier tome) qui peut-être a donné à Massillon l’idée de son beau discours de {,absoute.

Mais il avance des propositions insoutenables, telles que celle-ci :« Que l’âme de l’homme n’a point été (Page 62, 6S.) »■׳créée par Dieu ; qu’elle est trop foible, trop bornée, »trop indigente, pour avoir reçu l’être d’un Dieu pria->>cipe fécond de tous les biens; qu’elle n’éloit immor-«telle , ni mortelle de sa nature; qu’elle peut mourir, »si Dieu, par une grâce particulière, ne la rend immor-·telle, et qu’effeetivement celles des impies et des in-«fidèlesmeurent (1). »

(1) On dit qu’Arnobc a trouvé des défenseurs (Butler, fies des saints, tom. v, pag. 462, note), et l’on en cite, dans ce nombre, D. Ceillier (tom. 111, pag. oÿô). C’est en effet à cette page que corn-menceson article; mais la prétendue justification que l’on suppose dans cet écrivain ne sc trouve nulle paît. 11 fallait aller à la pag. 58.[, oit l’exact bénédictin excuse niais ne justifie pas les erreurs d’Arnobe, sur ce qu’alors Arnobe ״ n’êtoit que médiocrement instruit des dogmes de notre religion , et des vérités contenues dans nos divines Ecritures. »

(Page 80.) D’où il passe à la question du bien et du mal.

(Page 82 etsu1'■) Au reste, ces sortes de questions sont enveloppées de lénèbres impénétrables . Il est indifférent d’ignorer ou de savoir ce que Dieu a voulu déro-ber sur la terre à la curiosité humaine ; l’essentiel est de s’attacher à voir uniquement dans Dieu la source de tous les biens. Permis d’ignorer toutes ces choses, sans aucun préjudice pour la religion , et sans que les païens puissent en tirer aucun avan-tage contre les chrétiens, puisqu’ils sont eux-mêmes dans une ignorance bien plus profonde sur toutes ces matières. Rendcz-moi raison des mystères de la nature, expliquez-nous l’origine des choses, donnez-nous le secret de tant de phéno-mènes qui nous environnent : jusque-là trouvez bon que je ne cherche pas même à examiner des questions que Dieu a mises au-dessus de toutes nos intelligences.

Puis donc que vous ne marchez qu’à travers une épaisse obscurité j que vous n’avez rien à répondre sur l’origine et le dessein de la plupart des choses qui vous entourent ; de quel droit nous reprocher noire ignorance sur ce qu’il nous est impossible de connoître ici-bas, quand nous eu convenons de bonne foi, quand nous ne nous embarrassons pas même de le connoître ? Voilà pourquoi Jésus-Christ, (Page 85.)  Dieu , oui, Dieu, répétons-le malgré toutes vos clameurs ; Jésus-Christ, Dieu , parlant par les ordres de Dieu son Père . et parlant dans une forme humaine, pour couper court à toutes les vaines recherches où s’engage une téméraire curiosité sans jamais y trouver d’issue, nous a commandé de laisser là ces questions inutiles, comme trop (Page 86.) au-dessus de notre entendement, et de borner au-tant que possible l’essor de nos pensées à la raé-ditation de ses divins attributs, à la reconnaissance de ses bienfaits: avec cette science on a tout.

On nous demande pourquoi Jésus-Christ, envoyé (Pa®e 8׳"·) sur la terre pour sauver tous les hommes, leur a fait si long-temps attendre sa venue ? Que vous importe le motif? il vous suffit de savoir que vous êtes du nombre de ceux qu’il est venu sauver.

Voilà la source ouverte ; elle l'est à tout le monde. Le reste ne vous intéresse point.

(Page 88.) «Si votre Dieu , nous dit-on, a tant de pouvoir et de bonté , s’il aime tant à sauver les hommes; qu’il change mon cœur, qu’il me force par sa seule puis-sance à croire à ses promesses. » Ce seroitlà de la contrainte, non une grâce. Je ne veirois point dans cette conduite de Dieu la libéralité qui con-vient à un grand monarque, mais la puérile ambi-tion d’un rival qui ne veut que soumettre son ennemi, il y aurait de sa part injustice à vous arra-cher à votre propre volonté, à enchaîner votre li-berté, à forcer un consentement que vous lui re-fusez. Mais vous qui demandez qu’on vous fasse violence , et que l’on vous convertisse malgré vous; pourquoi ne pas exécuter de bonne grâce ce que vous désireriez obtenir par contrainte ? C’est, ré-pliquez-vous, parce que je ne m’en soucie point du tout. De quoi donc vous plaignez-vous ? \ ous accusez Dieu; ce n’est pas Dieu qui vous manque. Vous voudriez qu’il vînt à votre secours; et quand ses dons s’offrent d’eux-mêmes, vous les repoussez avec un mépris insultant! —Je ne puis donc être sauvé à moins d’être chrétien? — \ ous l’avez dit.

(Pages 90 et suiv.) Les païens nous reprochent la nouveauté de notre religion. « Pourquoi, nous dil-on , avoirre-noncé à celle qui jouissoit d’une si longue prescrip-tion, pour l’échanger contre un culte né d’hier?»

Mais eux-mêmes, combien de fois n ont-ils pas changé leurs institutions, leurs mœurs et leurs usages, même religieux? « Notre religion est non-velle. » Est-ce par l’antiquité qu’il faut estimer une religion, plutôt que par la grandeur du Dieu qu’elle adore? Elle est nom elle; mais attendez, et elle cessera de l’être. La vôtre est ancienne; quand elle commença, elle étoit nouvell e.Elle est ancienne? vos dieux n ont pas deux mille ans d’antiquité' : on sait l’origine de chacun d’eux. La nôtre , il est im-possible de lui assigner un commencement, car (p3ge ()5.) elle remonte jusqu’à Dieu , qui n’en a point. Que connoissez-vous de plus ancien que lui ? Montrez-nous quelque chose qui lui soit antérieur, soit pour l’existence , soit pour le nom. Seul il n’est point ne' dans le temps; seul il est éternel, seul immuable: le premier avant lout ; à la tête de la chaîne des êtres, c’est de lui qu’ils ont reçu la naissance. L’éternité même n’existe que par lui ; et cette longue série de siècles qui composent le temps n’est qu’une partir de son immensité. L’objel de notre culte n’a donc rien de récent ; c’est nous qui ne l’avons connu qu’à une époque moderne, nous qui avons su trop tard ce que nous devions adorer et croire, en qui nous devions placer l’espérance du salut, et de quelle part al tendre les moyens nécessaires pour y arriver. Nous ne cherchons point à pénétrer pourquoi cette divine révélation s’est manifestée si lard, et nous nous soumettons à tous ses décrets.

De la part de Dieu rien ne peut être arrivé tard; (pagc 97.) parce que dans l’éternité il n’y a point d’hier, point de demain ; elle n’a ni commencement, ni lin ; donc rien avant, rien après. C’est nous autres hommes qui désignons le temps par la succession des époques; l’éternité n’en a pas.

(Page 98.) Nous vous demanderons à vous-mêmes pour-quoi vos dieux ont été si long-temps à paroître ; pourquoi, encore aujourd’hui, ils vous protègent si mal contre les fléaux divers qui assiègent et vos cités et vos campagnes, λ ous m’allez dire que le notre ne nous met pas davantage à l’abri de leurs atteintes. En voici la raison: il ne nous a été rien promis pour la vie présente; et les espérances des chrétiens ne se bornent pas aux étroites limites de ce monde d’un jour. Les menaces de la tyrannie, les mauvais traitemens nous louchent peu. Que peu-vent-ils avoir de redoutable pour des hommes que la mort ne fait qu’émanciper, et dont elle hâte leur affranchissement des liens de cette prison mor-telle? Ce que vous nommez persécution n’en est pas une ; c’est notre délivrance , non une calamité; ce qui mène à la liberté et au séjour de la lumière ne peut-être un châtiment. Ne regarderiez-vous pas comme un insensé celui qui, pour faire souffrir un prisonnier, déchargerait sa fureur sur le geôlier, ou sur son cachot, dont il briserait les portes? Loin de lui faire aucun mal. ne seroit-ce pas plutôt lui rendre service, puisqu’il !’enlèverait à son obscurité ? C’est là l’image fidèle des persécutions auxquelles nous sommes en butte, λ os bûchers, vos chevalets, vos amphithéâtres, ne nous ôtent point la véritable vie; ils ne servent qu’à faire tomber l’enveloppe charnelle qui nous couvre.

Hommes d’un jour! ne compromettez pas vos sublimes (Page 9£>־ )espérances par de futiles spéculations...

Jetons-nous dans les bras de Dieu. Que l’incré-dulité ne l’emporte pas dans notre esprit sur l’idée que nous devons avoir de sa puissance , de peur qu’en cherchant des raisons pour nous abuser et persuader que ce qui est réellement vrai n’est que fausseté, notre dernière heure n’arrive, et que nous ne devenions la proie de la mort.

Livre ni. 11 y a long-temps déjà que la vérité (Page 100.) du christianisme a été vengée contre toutes les attaques de la calomnie et de la haine, parles es-prils les plus excellons et jugés dignes d’etre admis à la connaissance de la vérité chrétienne. Pas une des difficultés qu’on lui oppose qui n’ait été réso-lue, et réduite à la plus complète impuissance. Elle n’auroit pas trouvé d’apologistes, elle aurait contre elle l’univers tout entier, qu’elle n’en serôit pas moins ce qu elle est, l’œuvre de Dieu ; mais quel préjugé en sa faveur que la multitude et la supé-riorité des hommes qui ont consacré leurs talens à la défendre !

Arnobe poursuit sa réfutation du polythéisme.

On nous dit : «Pourquoi vous isoler de nous , en refusant à nos divinités le culte que nous leur rendons? »11 suffit de répondre : Pourquoi?D’abord (Page 10t.) parce que nous n’adorons que ce qui mérite de l’être, le seul Créateur et maître souverain de l’u-nivers ; en second lieu, parce que nous ne pou-vons reconnoitre pour des dieux des idoles dont les païens eux-mêmes ne peuvent constater ni l’existence, ni le nombre, ni la nature, ni le do-micile qu’ils occupent. Plusieurs écrivains , tant chez les Grecs que chez les Piomains, ont essayé (Page 105.) de porter la lumière dans ce chaos; Cicéron entre autres a cru pouvoir, sans manquer à la majesté , exposer franchement ce qu’il en pensoit. 11 sem-bloit qu’après lui la cause fut jugée , et que les chrétiens dévoient être dispensés de la reprendre en sous-œuvre. Mais parce qu’il n’est pas rare de rencontrer des esprits opiniâtres qui ne tiennent pas les dieux pour battus , parce qu’ils s’obstinent à ne pas lire la savante réfutation qu’il en a faite ; parce qu’il m'est arrivé à moi-même d’entendre des gens exprimer avec beaucoup d’humeur le vœu qu’il y eut un décret du sénat pour anéantir des livres favorables à la cause des chrétiens, et outra-geans pour l’antiquité ( 1 ) ; j’ai cru devoir reproduire ce nouvel aclc d’accusalion contre les dieux qu’adore le paganisme.

(1) Un tel vœu ne pouvoit qu’être favorablement accueilli par la haine répandue contre le christianisme. Plus la religion nouvelle se propagçoit dans tout l’empire et jusque dans le sénat, plus les partisans de !‘ancienne dévoient redoubler d’eftbrts pour en réparer les ruines et en prévenir l’entière décadence. Aussi est-on fondé à croiie que le décret fut rendu. On peut conjecturer avec Tillcmont ( Mém. tom.v, pag. 56) que ce fut sous le règne de Dioclétien. D’après l’opi-nion des païens sur les ouvrages philosophiques de Cicéron , il devient surprenant que des chrétiens aient émis un vœu semblable à celui des fanatiques du paganisme. N’a-t-011 pas fait un crime à l’abbé d’Olivet de nous avoir fait connoître , par une excellente traduction et des re-marques pleines de critique et d’érudition , ces mêmes livres auxquels S. Augustin en particulier accordoit une estime si déclarée ? L’attaque dirigée contre le savant et pieux traducteur fut portée si loin , qu’il se crut obligé de s’en défendre. Voy. te loin. 1 de ses Entra, de Cicéron sur la nature des dieux, pag. 212.

Arnobc parcourt savamment !’histoire de ces divinités, leurs généalogies, leurs images, leurs fonctions , leurs aventures, les rites elles mystères des diverses religions, leurs simulacres cl les sacrifices qui se célébraient en leur honneur. Il mêle l’ironie, le sarcasme même , à !’argumentation. C'est là l’objet et le style de tout le reste de l’ouvrage. « Scs raisonnemens sont pleins de »force, a dit un moderne, et présentés d’ailleurs avec «cette grâce que communique le coloris délicat d’une »imagination brillante(1). » Sur ce champ immense d’une érudition stérile pour notre ministère, il peut se présenter quelques traits heureux que nous allons en détacher, pour épargner à nos lecteurs la peine de les chercher־

(1) Butler, Pies des saints, ton!, v, pag. <62 ; d’apres Iloutevillc , Disc, prélim. nage lxi.

Sur la nature de Dieu, (Page 111.) «lout ce que nous disons de Dieu, tout ce que nous en concevons dans le secret de notre pense'e, tient de la grossie-reté de notre nature , et est altéré par nos pensées humaines ; et il n’y a qu’une voie certaine de con-cevoir sa nature, qui est de se bien persuader que rien dans nos paroles ne peut exprimer ce qu’il est (1). מ

(1) Traduit par Molinicr, Serm. choisis, tom. vin, pag. 55g. (Jnus est honunis inlellcclus de Dei nutui a, Si scias cl senlias nihil de illo posse !noria h oratione depromi.

(Pages 148, >49·) Livre iv. Afin de couvrir l’horreur et l’in-décence dont est remplie l’histoire de leurs dieux, les païens disent que c’est là l’ouvrage de l’imagina-tion des poètes, qui n’avoient cherché qu’à amuser par leurs chansons. Mais qui croira jamais que des hommes aussi éclairés que les poètes aient chanté dans leurs vers d’autres sujets que ceux qui étoient dans la connaissance et dans la bouche des hom-mes; ou qu’ils aient été assez extravagans et assez impudens pour débiter des choses qui dévoient leur attirer le courroux des hommes et des dieux? Peut-on vous pardonner à vous de ne pas venger les dieux de ces outrages, et de ne pas employer contre ces poètes impies toute la sévérité des lois ? Laisser le crime se répandre impunément, c’est en être le complice et le protecteur. La crainte des dieux , l’honneur de la religion, vous faisaient un devoir d’empêcher, par les plus rigoureuses ordonnances, que l’on osât . par des discours quelconques, attenter à la majesté divine. Vos • dieux méritoient-ils moins d’égards que ceux d’entre vous dont on se permet de compromettre la réputation par d’injurieux propos? On se ren-droit coupable du crime de lèse-majesté, si l’on alloit dans l’ombre trouver à redire à la conduite (pages !50,) du prince. 11 y auroit. les plus grands risques à courir à manquer de respect envers la personne d’un magistrat, d’un sénateur. Les décemvirs ont établi sagement que l’on ne pourroit impunément attaquer l’honneur de qui que ce soit par des li-belles diffamatoires. Il n’y a que la majesté divine que I on puisse outrager à son gré , sans avoir rien à craindre de la sévérité des lois.

Mais est-il vrai que vos poètes aient seuls le droit de retracer dans leurs chants les abomina-tions de vos prétendus immortels? Vos pantomi-mes et vos acteurs, tons ces essaims de corrup-leurs qui circulent au grand jour , ne font-ils pas métier d’insulter à ces dieux, et d'en dégrader la majesté par leurs burlesques ou cyniques repré-sentations?Cependant on les écoute , on y court à l’envi ; les pontifes et les magistrats, les vestales, ces chastes conservatrices du feu sacré, le peuple et le sénat, tout assiste à ces infâmes spectacles ; on y applaudit avec fracas ; et les acteurs de ces (Page !52.) farces impies obtiennent pour récompense des im-inunités et des couronnes!

Si c’étoit un sentiment religieux qui vous tnspi-ràt l’indignation dont nous sommes l’objet ; ces livres où la divinité est jouée sans pudeur, ces théâ-très où elle est exposée à la risée publique, vous devriez les anéantir, les condamner aux flammes. Il n’y a que les livres des chrétiens à qui vous ne faites point de grâce. Les lieux où ils se rassem-blent , vous les détruisez sans pitié ; vous les proscrivez avec la plus barbare inhumanité, quand nous ne nous y réunissons que pour prier, pour implorer le secours du ciel en faveur des princes et des magistrats , pour le succès de vos armes , pour ceux qui nous aiment, pour ceux même qui nous haïssent. L’unique langage qui s’y fasse entendre, c’est celui de la paix et du pardon ; c’est l’amour de la pudeur, de la décence, de la charité, de la générosité envers ses semblables ( 1 ); et parce que . vous avez la force en main, vous nous traitez d’im-pies, à cause que nous détestons vos impiétés.

(1) ״ Assemblées ou tout sentoit son christianisme , d’où l’on sortoil toujours plus humain , pluschaste , et plus léscrvé , plus disposé à s’ac-quitter de tous les devoirs des véritables chrétiens : In i/uibus, dit le giand Arnobc, aliud auditur nihil, nisi quod humanosJaciut, nisi quod miles, uerecundos, pudicos, castos. » La Colomb. Serm. tom. ni, j.ag. i; et 1 yâ.

(Pages 15;,et suiv.) Livre V. Voilà donc vos dieux, voilà vos mystères et vos cérémonies! Des dieux dont le nom seul est un opprobre ; des mystères trop intéres-scs à s’envelopper des ombres du secret et de la nuit \ des ceremonies qui ne se montrent au grand jour que pour faire outrage à la pudeur: voilà les religions que vous voulez nous contraindre, par (page 1;-) , la proscription, par le 1er et par le feu, par tout le formidable appareil des plus cruelles tortures , à embrasser (1) ; mais ces dieux , vous-mêmes vous ne voudriez point leur ressembler, ni qu’aucun de ceux qui vous appartiennent leur ressemblât.

(1) Ce qui prouve que l’ouvrage d’Arnobe a été composé du temps de la violente persécution suscitée par Dioclétien en 505 de Jésus-Christ. Elle commença, disent les historiens , par la ruine de l’église que les chrétiens avoient à Nicomédie , vis-à-vis le palais des empereurs. Ce fut le signal pour les démolir toutes. On brûla dans les marchés pu-blics les livres des saintes Écritures. Voy. Tillem. tom. v, pag. 20 et suiv.

Permettriez-vous à vos filles, à vos épouses (Page 178.) d’assister aux chastes initiations de Cérès ? Seriez-vous bien envieux que votre jeunesse allât se for-mer à l’école d’un Jupiter incestueux ? quelle vertu, je vous le demande, pourroit résister à l’exemple du crime consacré par la religion ? quel homme pensera à réprimer ses passions, quand il voit ses dieux s’abandonner sans pudeur à toutes les débauches, et qu’il trouve , dans ce qui doit être le plus respectable, l’apologie de ses foiblesses (2) ?

(2) S. Justin et Tertullien pressent avec vigueur le meme raisonne-ment ;le premier au livre de la monarchie, pag. 40; l’autre dans son Apologétique, ch. xivet xv.

Qcoo oivos deceit, cm min toute tutem?

Dans VEunuque de Terence, un jeune homme s’excite à nue cri-minelie intrigue par l’exemple de Jupiter séduisant Danaé. (Act. 111, sc. v. ) Sénèque a dit : « Croire que les dieux ont été sujets au vice, qu’est-ce autre chose que d’y exciter les hommes ? Qu*cst-cc faire autre chose que de leur fournir un sujet légitime d’excuser leurs désordres par l’exemple des dieux ?» Quelles puissantes autorités en faveur du z< le que déploieioit un prédicateur contre l’étude des fictions mylbo-logiques, quand elle n’est pas diiigee par d’habiles maîtres !

(l’age 179.) Que le ciel manifeste son courroux, vous vous en prenez aux chrétiens : les coupables , c’est vous ; vous qui, par vos outrages envers la Divinité, en provoquez l’indignation et les vengeances.

(page 180.) Ces dégoi'1 tantes histoires , on essaie de les expli-quer par l’allégorie, « Allez plus avant, nous dit-on, le langage commun cache des mystères profonds. » Défaite frivole, pour pallier une cause perdue ! so-phisme maladroit, qui ne sert qu’à enflammer l’ai-trait du vice qu’il déguise ! Si la chose est bonne en soi, pourquoi la revêtir d’une représentationindé-cente?Qu’importe après tout qu’il yait un autre sens (Page 181.) que celui qui vient d’abord s’offrir aux sens et àl’i-magination pour les corrompre? Ce n’est pas ce qu’on devine qui blesse la majesté , c’est ce que l’on voit. En faut-il donc plus pour l’avilir? Eh! comment encore prouveriez-vous que les écrivains avoient réellement dans l’esprit ces allégories ? Chacun n’est-il pas libre de les expliquer comme il l’entend ?Aussi combien d'interprétations diver-ses! Pt, dans cet océan d’opinions qui se poussent et se détruisent les unes les autres, à quel point (Page 1SC.) fixe devient-il possible de s’arrêter ? Autrefois l’allégorie avoit pour but de voiler, sous les images les plus honnêtes, les objets qui ne l’étaient pas , el de sauver, par la pudeur du langage, l’aspect de choses qu’il ne fallait point appeler par leur nom ; dans le paganisme c’est tout le contraire.

Que la chose soit honnête en soi, l’expression en (r״§e ,8'־ ) est indécente et criminelle. Quel mal y avait-il d’appeler les choses par leur nom ? Vos dieux n’é-toient que des adultères ; pourquoi ne pas le dire ? (Page !88.) Les en accuser hautement, c’eut e'té mettre un frein à la passion de ceux qui auraient voulu les imiter.

Nous ne voyons guère Arnobe cité que dans les an-eiens sernionnaires. Alors on affectoit de paroître avoir tout lu. Bossuet et Bourdaloue l’ont cité quelquefois; le premier entre autres dans un sermon sur la mort. « Que »la place est petite, que nous occupons en ce monde »( s’écrie l’éloquent évêque) ! si petite certainement et »si peu considérable, que je doute quelquefois avec »Arnobe si je dors ou si je veille : V iyilcmus aliquamlo, »an ipsum vigitarc quod dicitur somni sit perpetui »portio. Je ne sais si ce que j’appelle veiller n’est pas »peut-être une partie un peu plus excitée d’un sommeil »profond, et si je vois des choses réelles, ou si je suis »seulement troublé par des fantaisies et par de vains »simulacres (1). »

(1) Serm. tom. v, pag. zp(>. Ainob. iibr. ״, nag. 46

Bourdaloue :« Les païens ne pouvaient souffrir ( c’est la remarque d’Arnobe quelque déterminés qu’ils fus-sent à être médians, qu’on le fût par profession de religion; et la plupart au moins de ceux qui passaient pour sages, ayant mieux aimé vivre sans religion que d’en reconnoitre une pour bonne qui ne les obligcoil pas à être meilleurs (1). »

(1) Serin, sur la sainteté et la force de la loi chrétienne , Dom. tom. 1. pag. 240.

Nous n’avons rien de bien précis ni sur le genre ni sur l’année de sa mort. On l’a confondu à tort avec un autre écrivain de même nom, qui lui est postérieur de plus d’un siècle, et dont nous avons un commentaire sur les psaumes.