LACTANCE.

Le nom de ce célèbre défenseur du chrislia-nisine est bien plus fréquemment cité dans nos chaires chrétiennes ; cl peut-être ne l’est-il pas as-sez. Nos prédicateurs, s’ils le connoissoient mieux, profiteroient de ses raisonnemens autant que de sa brillante élocution. On s’étonne que, dans le dernier siècle , où la polémique scrnbloit préva-loir dans la chaire, nos orateurs les plus renom-més en ce genre n’aient point étudié davantage un modèle qui leur aurait appris à unir la science à l’onction , la vigueur de la dialectique à la pompe du langage. Les modernes philosophes qui les obligeoient à descendre dans l’arène, avoicnt-ils d’autres argumens que ceux dont Lactance a si habilement fait voir la fausseté, en n’emprun-tant contre eux que des armes de même trempe?

Bossuet , qui l’avoit bien lu , lui doit plusieurs de ces pensées vastes, de ces expressions éclatai!-tes , qui laissent toujours dans l’âme des auditeurs une vive impression. Par exemple, après avoir commenté éloquemment, à sa manière, le texte Omnia traham ad me ipsum : « Jésus mesure, le monde, dit Lactance, et il appelle un nombre infini de nations qui viendront se reposer sous ses ailes (1).» De même que ce mot, répété si souvent par nos prédicateurs, dont la plupart ne savent pas d’où il vient (1) : Nous avez tué ceux que vous n’avez pas assistés : Occidisli quos non pavisli (2). « Ce riche inhumain de notre Evangile a dépouillé le pauvre Lazare parce qu’il ne l’a pas revêtu; il l’a égorgé cruellement, parce qu’il ne l’a pas nourri: Quia non pavisli, occidisli (3). » Bourdaloue, dans son beau sermon sur la sainteté et la force de la loi chrétienne. « Que la loi chré-tienne est admirable ! disoit autrefois Lactance; c’est elle qui a éclairé toutes les lois de la nature qui a mis la dernière main à toutes les lois divines ; qui autorise toutes les lois humaines ; et qui a dé-truit sans exception toutes les lois du vice et du péché. Quatre chefs, ajoute noire prédicateur, (pu sont pour elle autant d’éloges, et qui mérite-roient autant de discours (1)·» C’est là tout l’objet et l’analyse des sept livres des Institutions divines. Jamais sujet plus grand et plus intéressant ne s’é-toit présenté aux méditations du philosophe chré-tien ; jamais aussi sujet ne fut traité avec plus de sagesse , de force et de succès (2 ).

(1) Serm. pour le samedi de laseni. de la passion, t. vi, p. 415. Lactance : Exlendil in passione mantis suas , orbemque dimensus esl , ut jam tune oslendcret ab orlu solis u scpie ad occasum, magnum popu-lum et omnibus Unguis cl tribubus congregatum sub alas suas esse ven-turiim. Inst. lib. iv, cap. xxvi, pag. 4^7·

(1) Je l’ai entendu citer sous le nom de S. Ambroise, une autre fois, sous celui de S. Augustin. Un autre , vanté dans le temps pour sa scfe/icie, le donnoit à S. Bernard. Serm. pour l'octave des nions, im-primé par le P. Constance Ronnat, pag. 182.

(2) Bossuet, Serm. du 1vc dim. de car. tom. v, pag. 524. Le P· Le Jeune, tom. 1, 2e part. pag. 51y. La Colombier«, Serm. tom. iv, pag. 15f. Le texte original n’a pas cc4tc précision. Xous lisons : Qui succurrere periluro polesl, si non succurrerit, occidil. (/nsi. liv. vi, pag. 585; et dans l’édit, de Lcnglet-Dufresnoy, tom. 1, pag. 460.) Je m’étonne que les éditeurs de Bossuet n’aient lait nulle part celte re-marque. Les paroles ; Si non pavisli, occidisli, se lisent dans S. Am-bruise, comme l’indiquent avec plus d’exactitude les nouveaux éditeurs de Lactance.

(3) Bossuet, Se! ni. du jeudi de la 11e semaine decar. tom. v, pag. 68

(1) Domin. tom. i, pag. aôj.

(2) NonaottG, Les philosophes des trois premiers siècies , Paris, 1789, pag. 341. L'abbé Houteville en parle dans les mêmes termes. Dupia le vante comme le plus bel ouvrage qui soit sorti de la plume des écri- vains ecclésiastiques latins, Biblioth. tom. 1, pag.

Ainsi qu’Arnobe , dont il fut le disciple, Lactance avoit à lutter contre le danger des répéti-lions : mais un esprit supérieur sait trouver une abondance de nouveauté dans un sujet qui n’est j)lus neuf. N’y eût-il que l’art de présenter les memes choses dans un nouveau jour, de les appuyer de preuves différentes , d’en tirer des inductions non encore aperçues, enfin de donner à son ensemble une disposition plus raisonnée et plus lumineuse, c’est là un talent plus difficile encore que l’inven-tion ; et c’est par là que le nouveau défenseur du christianisme s’est élevé au-dessus des écrivains originaux que leur savoir et leur éloquence ont distingués dans ces temps reculés. Un mérite par-ticulier à cet ouvrage est celui de la méthode. Le plan en est parfaitement régulier : chaque chose y est à sa place : c’est une chaîne d’idées qui s entre־ tiennent par une liaison naturelle et imperceptible. On ne vante pas moins la pureté et la noblesse de son style, une certaine magnificence qui l’a lait nommer dans tous les siècles , depuis saint Je-rôme(1), le Cicéron chrétien. Quelques modernes ne se sont pas même contentés de cet éloge ; l’un d’entre eux le place au-dessus de l’orateur ro-main (2); sans doute pour l’importance de la ma-i 1ère et la gravité des pensées. Pourtant on lui re-proche, et ce n’est pas sans quelque fondement, d’avoir mêlé à la théologie trop d’idées philoso-phiques , d’être tombé dans quelques fautes par rapport à l’ancienne chronologie, et de ne s’être pas toujours exprimé sur certains de nos dogmes avec une rigoureuse exactitude : ce qui a fait dire à l’un de nos plus célèbres docteurs־, qu’il a plus de faci-lité pour détruire les erreurs du paganisme , que «le science pour établir les vérités de la loi clin■־ tienne ( 1 ).

(1) Lactaniius quasi quidam Jluvius eloquenliœ lullianœ. (Hier. <pist. l ad Paulin, tom. iv, pag. 567.) Ut in arte dicendi post Cicero neiii facile oblinueril principalum. Abb. Trithem. De script, ecclcs. Tillem. Ment. tom. vr, pag. 208. Cave, Ceillier, Fleury, etc. π Le style de Cicéron avoit été le sien; même pureté, même clarté, mémo élégance, o Feller.

(2) Pic de la Mirande : Lactaniius slylum Ciccronis effigiavit. rel, al quibusdam placet, supergressus esl. (lib. 1!1, ep. 10.) Quis non advcrtil Laclanlium œquasse Ciceroncm . et forte prœceUuisse in cio■ quendo ? ( Libr. de stud, divin, et human, philos, cap 7. )

(1) Utinani tant nostra affirmare, quant facile aliéna deslruxil. Hier. Supr.

Ce que nous avons de plus certain sur sa vie. c’est qu’il étoit né et qu’il persévéra long-temps dans le paganisme (2) ; qu’il étudia la rhétorique , c’est-à-dire l’éloquence, à Sicca, sous Arnobe; qu’il fut appelé d’Afrique à Nicomédie , pour en donner des leçons, et qu’il y resta durant laper-séçution de Dioclétien ; que ce furent même les attaques dirigées contre le christianisme par Hié-roclès et Porphyre , autant que les violences des persécuteurs, qui l’amenèrent à connoître lavé-cité chrétienne (3) ; que vers l’an 017 il fut envoyé dans les Gaules par l’empereur Constantin pour présider aux éludes de Crispe son fils; qu’au sein de l’opulence il vécut pauvre jusqu’à manquer quelquefois du nécessaire, c’est l’expression d’Eu-sèbe, son contemporain (4). Nous n’avons point de certitude précise sur l’année et le lieu de sa naissance, pas plus que sur l’époque de sa mort (5).

(2) Voy. D. Ccillicrà son article, tom. 111, pag. 588 note c.

(3) C’est ce que l’on infère d’après la manière dont il en parle an livre v de ses Instil., ch. u, pag. 460 et 46* > ,'t ch. iv. pag. 47°·

(4) ht Citron, ad ann. 518. C’est-à-dire ״ qu’il fut toujours pauvre par choix; qu’il méprisa les richesses et les honneurs, tant qu’il vécut , et qu’il ne lit jamais de démarche pour établir sa fortune » Butler, ries des saints , etc. tom. v, pag. 463.

(5) Les plus doctes commentateurs !’avaient fait naître en Afrique. Le I’. i'r. Xav. Franeesehini, savant religieux carme, a publié, de 154י־ à 160־, une suite de dissertations qui accompagnent son édition de Lactance, en 10 vol. iu.8°. Dans la seconde , qui a pour titre De Lucii Cœlii Firmiani Lactantii patria, paventibus, atque consanguineis, il éta-blit qu’il est né à Fermo en Italie. Au reste la conjecture n’étoit pas nouvelle.

 

IDÉE GENERALE DES LIVRES DE LACTANCE.

I. LES INSTITUTIONS DIVINES.

Le bul de l’auteur est de mettre en parallèle , l’une avec l’autre , les deux religions qui parla־־ geoient alors l’univers, la religion païenne et la religion chrétienne. Une semblable étude est as-sûrement la plus noble de toutes, la plus digne des méditations de tout homme raisonnable. Un principe qui vient d’abord frapper tous les yeux, c’est qu’il y a un Dieu créateur et conservateur de toutes choses. De son existence incontestable, il faut nécessairement conclure à son unité. Non-seu-lementnos écrivains sacrés, tels que les prophètes, mais les poètes et les philosophes du paganisme l’ont reconnue. Donc le polythéisme, croyance monstrueuse que réprouve la raison seule. Le dogme de la Providence s’enchaîne, par un lien immédiat, à celui de l’existence et de l’unité de Dieu. Le paganisme est donc renversé dans ses bases. Tel est l’objet du premier livre, intitulé : De la fausse religion.

l n vaste coup d’œil , porte sur les branches di-verses du polythéisme, les ramène toutes à une tige commune. L’auteur expose leurs croyances, leurs contradictions, leur grossière ignorance et leurs méprises, pour en conclure qu elles ne peuvent pas être vraies. D’où il remonte à la source de leurs erreurs , qu’il découvre dans leur histoire. S’adressant particulièrement à celle des Romains , il en rappelle les fondateurs ; et rapporte tous les égaremens de l’idolâtrie à l’oubli des premières traditions , et aux suggestions des esprits malins. Objet du second livre, qui a pour titre: De Γ0-rigiue de l’erreur.

A l’appui de ces sources d’erreur , Lactan.ce ac-ruse la philosophie , dont il donne la définition, en trace les caractères , démasque la vanité des sys-ternes les plus accrédités sur le souverain bien. De la philosophie, passant à ceux qui s’y sont le plus exercés, il parcourt en détail les sectes les plus célèbres, qu’il met en opposition les unes avec, les autres; et du tableau fortement tracé de leurs dis-putes éternelles, de la stérilité de leurs efforts pour la réforme des mœurs , conclut qu’il n’y a qu’es-prit d’orgueil et de mensonge dans les maîtres comme dans les doctrines ; ce qu’il confirme par les témoignages de l’expérience et de leurs propres aveux. C’est là ce qui remplit le troisième livre , désigné sous le litre spécial : De la fausse sagesse.

/Y cette fausse sagesse Lactance oppose la véri-table , qui n’est autre que la vraie religion. Il la fait voir dans son le'gislateur Jésus-Christ, envoyé du ciel sur la terre pour l’établir parmi les hommes, après s’y être fait annoncer solennellement par la voix de ses prophètes, comme devant être Dieu et homme tout ensemble. 11 prouve , contre les Juifs, la certitude de leurs oracles en faveur de Jésus-Christ, par l’analogie des événcmens avec les pre-dictions ; contre les païens , par la nécessité où est le législateur de justifier sa doctrine par son propre exemple ; par l’union du Verbe avec l’hu-inanité dans Jésus-Christ. Lactance explique de la manière la plus satisfaisante le bienfait de la ré-demption du genre humain par l’incarnation di-vine , sans que le mélange des deux natures ail altéré dans la personne du Fils de !’Homme la di-vinité, toujours égale, à celle de Dieu son Père, el ne formant avec lui qu’une seule et même sub-stance. Il avertit, en passant, de se tenir en garde contre les fausses doctrines qui corrompuient la vérité enseignée parle divin législateur, désignant par là les hérétiques. Ce quatrième livre est inti-tulé : De la vraie sagesse.

Le suivant a pour titre : De la justice. C est Je-sus-Christ qui l’a ramenée sur la terre, après qu’elle en avoit été si long-temps exilée avec la vraie reli-gion. La preuve qu’elle étoit inconnue dans le paganisme résulte du tableau des crimes qui se commettoient chez les païens , au nom même , et par l’autorité de la religion ; crimes qui se perpétuent par l’injustice et la violence de la persécution qu’ils font subir aux chrétiens. La justice ne se trouve pas chez les philosophes, elle n’existe que dans l’école du christianisme, parce que, seul, il apprend aux hommes à connoître Dieu et à 1 aimer, a s ai-mer et à se supporter les uns les autres, comme étant tous egalement les en fans de Dieu. De cette source féconde dérivent toutes les obligations de la vie civile et de la vie religieuse , combien toute persécution est loin des vrais principes de ka jus-lice et de la religion.

En quoi donc consistera la vraie religion? Cette question, développée dans le sixième livre, qui traite du vrai culte 3 donne lieu aux plus impor-tantes solutions. Laclance répond qwe le culte vé-rilable consiste moins dans les dehors que dans le sacrifice intérieur et spirituel, dans les œuvres de miséricorde , dans la crainte de Dieu et de ses jugemens, dans la morlmcation des sens et la pu-reté du cœur.

Le septième livre, intitulé: De la vie heureuse x est la conclusion de tout l’ouvrage. Pourquoi l’homme fut-il créé? Pour être heureux ; pour con-naître, dès la vie présente, le souverain bien, et pour en jouir éternellement dans la vie future. Il y a donc une vie future : l’âme ne mourra donc pas avec le corps. Elle est immortelle. Le monde finira; mais , du sein de ses ruines, l’âme s’échap-pera libre, vivante à jamais, pour aller comparaître aux pieds du tribunal du souverain juge, et rece-voir, de la bouche de Jésus-Christ, la sentence du châtiment ou de la récompense immortelle que ses œuvres lui auront mérité.

 

II. ABRÉGÉ DES INSTITUTIONS DIVINES.

Lactance avoit composé lui-même un abrégé de ses Institutions, sous le titre d’ Epitome (1). Il ne nous est parvenu qu’incomplet. Ce n’est pas seule-ment la substance de son grand ouvrage, mais une analyse raisonnée, à laquelle l’auteur, qui ne se répète jamais ni dans les termes ni dans les tours de phrases, ajoute des aperçus et des explications nouvelles.

(1) Scripsil Lactanùus Inslilulionum divinaruni libros seplem, el cpilomeni cjusilc/n operis in libro uno ncephalo. Ilierou. in Catal. loin. 1v, part. 11, pag. 12t.

 

III. DE LA COLÈRE DIVINE.

Lactance, en composant ses Institutions, con-eut le dessein d’un traité exprès pour prouver que Dieu n’est pas moins juste que patient. Il l’exé-cota dans le livre que nous avons sous le titre, De la colère de Dieu. Saint Jérôme l’appelle un très-bel ouvrage ; et il mérite cet éloge (2). C’est une éloquente apologie de la Providence, contre les épicuriens et les stoïciens. Les premiers nient que la Divinité' se mêle des actions des hommes. L’au-leur refute ce système également injurieux à Dieu et à l’homme ; il tend à anéantir l’essence même de la divinité; il dégrade l’homme, qui en est le principal ouvrage. Les seconds ne permettent pas à la Divinité ce qu’ils appellent les passions de l’homme : or la colère est une passion; donc, etc. Argumentation fausse: la colère, dans l’homme, est une passion brutale qui le porte à l’injustice; la colère, dans Dieu, est le sentiment même de la justice qui s’indigne contre le mal pour le ré-primer.

(2) Ilabenius ejnt (Lactautii) libruni pulcherrimum de ira Dci (J bid.)

 

IV. DE LA MORT DES PERSECUTEURS.

On ne conteste plus à Lactance le livre De la mort des persécuteurs (1), où sa belle imagination se reproduit dans toute la pompe des formes ora-toires. C’est un discours plutôt qu’un traité. L’au-leur fait reconnoitre la justice de Dieu et la vérité de sa religion dans les cbâlimens qui d’ordinaire punissent dès la vie présente les persécuteurs de son Eglise.

(1) Voy. D. Ceilliet à cet article , tom. 111, pag. j!2 et suix.

 

v. Son traité De l’ouvrage de Dieu, Deopifieio Deln’est qu’un commentaire , mais chrétien, des dialogues philosophiques de Cicéron.

Nous allons extraire de cet écrivain les passages qui nous out paru le plus importans (*).

(*) Luc. Cad. Lactant. Opera edit. Sere. Gallœi et variorum. Ltigd. Pal:n , in-8'’, 1660

L’auteur expose, dans une espèce d’avant-propos, l’intention de tout l’ouvrage :

(pagC 0.) jj s’est rencontré des hommes d’une trempe d’es-prit supérieure , qui, s’appliquant tout entiers à l’étude de la philosophie, ont pour elle renoncé à toute autre affaire, soit publique, soit particulière ; l’amour de la vérité les avoit convaincus qu’il étoit incomparablement plus honorable de s’introduire dans les connoissances divines et humaines, que d’amasser des richesses, et de courir après les hon-neurs. Us ne regardaient qu’avec dédain ces fragiles avantages qui se bornent à la vie présente , el qui ne peuvent rendre l’homme ni plus juste ni plus heureux. Par-là même ils se montraient dignes de parvenir à la connaissance du vrai. Ce fut cette noble passion qui porta quelques-uns d’entre eux à faire l’abandon de leurs biens , à se priver de tous les plaisirs, pour s’attacher avec plus de li-berlé à la vertu seule , qu’ils estimaient être le souverain (Page 4.) bien. Cependant ils n’ont pas atteint le but auquel ils aspiraient. Leurs travaux, leurs talens ont été en pure perte ; parce que la vérité , c’est-à-dire la sagesse et les vues du Créateur sont par elles-mêmes infiniment au-dessus de la portée de l’esprit humain ; et que si l’esprit humain y pouvoit atteindre et les comprendre, dès lors il n’y auroit plus de différence entre l’homme et Dieu.

Les hommes ne pouvant donc atteindre par eux-mêmes à ces sublimes connoissances, Dieu n’a pas permis que ceux qui désiroient sincèrement d’être éclairés par la sagesse , restassent plus long-temps dans les ténèbres et dans l’égarement. Le temps est venu où il leur a ouvert les yeux , leur a lait eonnoître la vanité de la sagesse humaine , et leur a montré la roule qui conduit sûrement à l’im-mortalité. Mais il en est peu qui s’empressent de profiter de ce bienfait céleste , parce que la vérité, restant toujours cachée sous une espèce de voile, les savans la méprisent, sous le prétexte qu’il manque quelque chose à sa complète démonstra-lion ; les autres la redoutent à cause de son appa-rente austérité et des amertumes qui se mêlent à l’exercice de la vertu. C’est pour combattre ces erreurs que j’entreprends cet ouvrage , où je me propose de faire eonnoître aux savans quelle est la véritable sagesse , à tous quelle est la vraie re-ligion.

Lactance met ses Institutions sous les auspices de l’empereur Constantin :

«Le premier de nos maîtres, vous avez banni (Page 7.) l’erreur, pour reconnoitre et proclamer la majesté d’un Dieu unique et vrai. Depuis le jour à jamais (Page 8.) fortuné où le souverain arbitre de l’univers vous a élevé au faîte de la puissance, votre gouverne-ment, commencé sous les plus heureux auspices, a été un long enchaînement de bienfaits. Avec vous la justice a recouvré ses droits depuis si long-temps méconnus , et le long crime des règnes précédens a été expié. En récompense, Dieu vous promet des jours tranquilles, une vie sans reproche , une prospérité constante. Il vous donnera de gouver-11er l’empire jusqu’à l’àge le plus avancé, avec les memes principes de justice qui ont signalé les années de votre jeunesse ; et de transmettre à vos enfants, pour la gloire du nom romain, le noble héritage que vous avez reçu de votre père. Si les justes restent encore opprimés dans les contrées qui ne sont pas soumises à votre domination (1), le jour viendra où le même Dieu tout-puissant exercera contre les oppresseurs une vengeance d’autant plus éclatante qu’elle aura été plus différée; parce que, s’il est le plus miséricordieux des pères à l’é-gard de ceux qui le servent, il sait être aussi un juge rigoureux à l’égard de ceux qui l’outragent.

(1) On peut conclure de ces paroles que Lactancc composa son livre des TÀstûntionsdu temps que l’autorité éloit encore partagée entre Constantin et Licinius, déclaré contre les chrétiens , par conséquent avant l’an 514, où sc donna la bataille de Cibale, qui délivra Constan-tin , du moins pour quelque temps, d’un dangereux compétiteur; comme du morceau qui suit on peut inférer que la guerre étoit ache-vue quand l’auteur mit la dernière main à son ouvrage.

L’ouvrage se terminera de même par le panégyrique de ce prince (*)

(*) Page 729 el suiv,. noie.

Aujourd’hui, prince, que l’arbitre du monde vous a appelé à relever le règne de la justice, à étendre vos soins paternels sur tout le genre bu-main, tous les mensonges de la superstition sont réduits au silence. Grâce à la sagesse de vos lois, nous ne sommes plus réputés des malfaiteurs et des impies, pour adorer le vrai Dieu. Les ténèbres dont la vérité fut si long-temps couverte sont dis-sipces ; et l’on ne nous condamne plus comme des hommes souillés de crimes, nous qui redoutons jusqu’à l’ombre du crime. Le nom du Dieu que nous servons n’est plus pour nous un opprobre , un titre de diffamation, un attentat à la majesté Divine, quand nous seuls rendons à la Divinité l’hommage qui lui convient, quand, au lieu d’al-1er chercher nos dieux dans la poussière des tom-beaux, nous ne reconnoissons que le seul Dieu vivant et véritable. C’est lui , c’est sa providence souveraine qui vous a fait monter à ce comble de puissance , pour vous donner le moyen de faire triompher la vraie religion, en déconcertant les perfides conseils de ses ennemis; réformer les mœurs; vous montrer le père de tous vos sujets en leur facilitant l’entrée dans les voies du salut ; ré-<luire les pervers à l’impuissance, en les abattant sous votre main victorieuse, pour manifester à tout l’univers ce que c’est que la divine majesté, ïls voulaient, ces défenseurs de cultes sacrilèges, anéantir le culte du Dieu unique qui règne dans le ciel; ils ont été renversés, ils ne sont plus ; et vous, zélateur fidèle de son nom, vous, aussi il-lustre par vos vertus que par vos exploits, au sein de toutes les prospérités vous jouissez de votre immortelle gloire. Ils ont reçu et ils reçoivent en-core le châtiment de leur impiété: vous, la main du Dieu tout-puissant vous défend contre tous les dangers : elle maintient au sein d’une paix inalté-rable votre domination que bénissent tous les cœurs. Et certes , une si haute faveur de la part du maître souverain de nos destinées prouve bien le choix qu’il avoit fait de votre personne pour le triomphe de sa religion sainte, en récompense des témoignages signalés que vous avez donnés de votre vertu et de votre piété au milieu d’une cor-ruption si universelle ; ce qui non-seulement vous écale, mais vous élève éminemment au-dessus meme de ceux de vos prédécesseurs à qui l’on accordait quelques vertus. Qu’ils eussent une ap-parence de justice, ils la dévoient aux heureuses dispositions de la nature. Qui ignore Dieu et sa providence peut-il avoir autre chose qu’une ombre d(* justice? il reste toujours bien loin de la réalité. Au lieu que vous, fortifiant les principes naturels de justice par la connaissance (le Dieu et de la ve-rite, vous marquez toutes vos actions du sceau de la justice qui les perfectionne. Voilà pourquoi le Seigneur a voulu vous associer à l’œuvre de la ré-génération du genre humain par rétablissement, de sa religion. Nous ne cessons de lui demander, par les plus ferventes prières, qu’il daigne vous soulenirde sa toute-puissance, vous à qui il a donné à soutenir le poids de tout l’empire, et vous pé-nétrer d’une volonté ferme qui vous aide à per-sévérer constamment dans l’amour de son saint nom. »

Livre premier. Engagés comme nous le soin-mes, (Page g.) par notre serment, à la défense de la vraie religion , nous à qui la vérité s’est révélée d’en-haut, nous qui marchons sous l’étendard du mai-tre de la sagesse, du Dieu source de la vérité, nous appelons tous les humains, sans distinction d’àge ni de sexe, à venir prendre partait banquet céleste. Point de nourriture plus délicieuse pour l’âme que la connaissance de la vérité.

Uu grand nombre de personnes attachées opi-niâlrément à leurs vaincs superstitions ferment les yeux à l’éclat de la vérité qui se manifeste de toutes parts ; insensés qui s’égarent dans les voies détournées, au lieu de suivre le droit chemin qui s’offre à eux, au risque d’aboutir à un précipice, et laissent là le rayon de la lumière , ]tour s’endormir et ramper au sein de leurs ténèbres. Tl faut venir à leur secours pour les sauver de leur propre égarement.

La cause de nos déréglcmens vient de 1 igno-rance de soi-même. Une fois que la lumière de la vérité aura dissipé cette ignorance, on saura vers quel but il faut tendre, et comment on doit régler ses mœurs. Cette science peut se réduire à cet abrégé: qu’il ne faut adopter aucune religion sans (Page 10.) la connaître par l’étude de la sagesse, et qu’il n’y a point de sagesse véritable sans la religion.

(Page 11.) Cicéron, bien qu’il soutînt les systèmes des académiciens, revient souvent, et avec assez d’é-tendue, sur la question de la providence (1), tant pour appuyer la doctrine des stoïciens , que pour la fortifier par de nouveaux raisonnemens (2). Il n’ctoit pas difficile assurément de répondre à des sophismes dictés par l’esprit de mensonge, de les réfuter parle témoignage universel des peuples (pii Ions s’accordent sur ce seul point.

(1) De natura Deor. lib. 11, cap. xxix etseq.

(2) «Si la raison ne va pas toute seule jusqu’à découvrir la vérité, elle va jusqu’à pouvoir détruire le mensonge. Cicéron le montre dans cet ouvrage. Privé des oracles qui nous apprennent l’essence du vrai Dieu, il trouvait dans ses lumières naturelles de quoi réfuter l’athéisme et l’idolâtrie. 11 n’en savoit pas assez pour établir la vraie religion ; mais il en savoit assez pour combattre les stoïciens et les épicuriens. On diroit que la Providence divine avoit suscité exprès un homme aussi éloquent que Cicéron, pour préparer les voies aux vérités chrétiennes ,en portant les premiers coups à ccs deux sectes. »d'Olivct, Théologie des philosophes, loin. 1, pag. 1 jj, de la traduction du livre De la nature îles dieux.

Textes empruntais à Cicéron.

Nos adversaires ne veulent pas reconnoitre, dans (pagC) nos prophètes , !’inspiration divine. « C’étoienl ou des fanatiques ou des imposteurs. >> Nous avons sous les yeux la preuve journalière du fidèle ac-complissement des prédictions qu’ils ont faites; elles portent toutes sur un seul et même objet. Je demande s’il est possible à des fanatiques, non pas seulement de prédire avec cette précision les évé-nemens futurs, mais de s’accorder entre eux avec une aussi rigoureuse conformité? Les soupçonnera-t-on d’imposture ? il n’y a rien qui ressemble moins à leur caractère. Dans leurs écrits, ils ne (p ) permettent à personne le plus léger mensonge. Dieu ne leur avoit confié d’autre mission que celle de publier sa majesté souveraine, et d’accuser bau-tement les déréglemens du peuple. On pense à tromper, à mentir, quand on a des vues d’ambition ou de cupidité. Vous n’en voyez pas la moindre trace dans la vie de ces saints personnages. Au contraire, vous les voyez renoncera tout, s’inter-dire, dans l’exercice de leurs fonctions, jusqu’aux choses les plus nécessaires à la vie ; sans inquié-Inde sur le lendemain, même sur le jour présent, et le plus souvent ne recevant leur subsistance que des bienfaits inespérés du ciel; et, pour toute récompense de leur ministère, n’obtenir que des per-seditions et la mort.

(19ci suiv.) On retrouve partout le dogme de l’unité' de Dieu; ״on pas ^ue pQn e*t unc connoissance distincte de la vérité; c’est que la force de la vérité est telle, tju’il n’y a personne d’assez aveuglé pour n’en point apercevoir la divine clarté , tant elle se montre d’elle-même à tous les yeux!

Ce que l’auteur développe par le témoignage des poètes et des philosophes de l’antiquité.

(Page 28.) Quelques sages du paganisme, éclairés par les seules lumières d’une raison supérieure, ont ap-proche' d’assez près de la vérité. Au moment de la saisir, elle leur a échappé, parce que la coutume et le préjugé leur ont fait faire des pas rétro-grades.

(Page 5j.) Jupiter, roi dans le ciel ! il ne méritait pas même de l’être sur la terre.

(Page 57.) Si le destin soumet tous les dieux et jusqu’à Jupiter lui-même; pourquoi ne pas faire du des-tin le monarque suprême du ciel et de la terre ?

Lès poètes qui nous racontent les infamies de־' leurs divinités étoient déjà coupables de les trans-mettre; mais ils ont été plus quhistoriens. Ils rapportaient des faits réels qu’ils cherchaient à embellir ; ils en parlaient, non pour en faire la (60.) satire, mais pour en ôter le blâme. L’histoire est venue avant la fable ; l’invention ne les aurait pas rendus moins criminels. Le privilège de la poésie ne va pas jusqu’à consacrer l’imposture et l’absur-dite. Nous avons, en particulier, !’histoire de Jupiter, (Page62.) qui nous a été conservée par Evhémère qu’En־ nius a copié ( 1 ).

(1) Il résultait de cette histoire que tous ces dieux , objet du culte païen , n’avoient été que des hommes déifiés après leur mort. Evhé-mère le prouvait invinciblement par !’indication des lieux où ils avoient perdu la vie , où étaient leurs sépultures. Cicéron taxoit cette opinion d’impiété (De natur. deor. lib. 1, cap. xlii ), parce qu’il rapportait à l’allégorie les traditions du polythéisme. L’une et l’autre opinion n’en ouvroit pas moins une source d’impiétés et d’infamies, contre laquelle tous nos apologistes se sont également élevés. S. Clément d’Alexan· drie, Minucius-Félix , Arnobe, Lactance, connaissaient l’ouvrage d’Evhémère , et l’étrange palliatif qu’on lui opposoit ; ils ont poursuivi le paganisme dans tous scs retranchemens. Au reste , je dois le dire , nous n’avons inséré cette note , peut-être indifférente à l’objet de notre ouvrage, que pour saisir l’occasion de venger la mémoire de Bossuet contre l’attaque qui lui est portée par un écrivain moderne au sujet de l’opinion, qui fut celle de tous les Pères, que la plupart des dieux de la fable avoient commencé par être des hommes. Blackwell, auteur des Lettres sur la mythologie , copiées par plus d’un bel esprit moderne, fait un crime à l’évêque de Meaux d’avoir avancé que cesJ'ables sont scandaleuses, et toutes leurs allégoriesJorcées et pitoyables. (Leur, xvi, pag. 20 du tom. 11.) Le nier, c’est donner le démenti à toute l’anti-quité, à tous les siècles ; c’est !évoquer en doute toute idée d’honneur, de décence et de religion.

Ce n’est pas avoir une idée juste de la bienfaisance (page 64.) divine, que de la borner à une simple assis-tance qu’elle nous donne.

Je cherche dans Dieu un être au delà duquel il (Page 67.) n’y a rien, qui seul est principe et créateur de tout ce qui existe.

(Pages 95 et 96) On se lait un titre à la gloire , à l’immortalité , d’avoir sous ses ordres des armées puissantes aux-quelles on commande d’aller ravager les provinces, incendier les cités , égorger les peuples ou les sou-mettre à sa domination; et plus un conquérant a ftndtiplié le nombre de ses victimes, plus il a pillé et fait couler de sang, plus on le proclame un grand homme, un héros. Vous assassinez un seul homme, et Ton vous réputé un brigand digne du dernier supplice : voilà un homme qui égorge ses semblables par milliers, qui inonde les campa-gnes de sang ; et l’on en fait un dieu!

(Page 97.) Si tous les hommes s’aimoient en frères, que deviendroit la gloire des conquérans? Mais hélas ! vœu stérile, chimérique supposition! ces hommes qui mettent la gloire à détruire, à dépeupler la terre, succomberoient sous le poids du repos pu-blic. Ils pilleront, ils égorgeront, ils attaqueront isolément leurs voisins ; ils fouleront sous les pieds tous les liens de la société humaine ; et se feront des ennemis, pour la prétendue gloire de les détruire avec encore plus d’iniquité qu’ils n’en avaient mis à les provoquer.

Sur les histoires des dieux. Quels exemples pour une jeunesse que sa candeur et son inexpérience entraînera dans le piège, avant même qu’elle n’ait pu le soupçonner! Et comment s’étonner que tons les vices se soient débordés de la Grèce sur tout l’univers, quand ils sont consacrés par le sceau de la religion ; quand non-seulement on ne fait rien pour les prévenir, mais qu’on les offre aux adora-tions (1) ?

(1) Les plus sages d’entre les païens mêmes s’en étoient plaints.

Tous nos apologistes ont répété le même acte d’accusation, qui ne cesse de se faire entendre encore dans nos chaires chrétiennes ; et ce-pendant ces scandaleuses histoires se reproduisent toujours sur les théâtres, dans les monumens publics, dans les livres même d’éduca-tion , à la honte des mœurs et des gouvernemens !

C’étoit, dit l’orateur romain, la vertu qu’il falloit (Page !06.) déifier, non le vice. Pas plus l’un que l’autre.

Vertu, vice, mots abstraits qui n’ont point d’exis-tence par eux-mêmes. Ce n’est pas un temple qu’il faut à la vertu : elle veut le cœur pour sanc-tuaire ; c’est elle-même que l’on doit honorer, non son image ; et !’honorer, non par quelques grains d’encens , non en lui adressant des prières qu’elle ne peut entendre, mais en pratiquant ses lois. A Dieu seul l’hommage d’un culte, et des adora-tions.

Dans la plupart des lieux de l’univers, le sang (page 112.) des hommes étoit offert en sacrifice aux divinités que l’on y adoroit. A Salamine, dans la Tauride, des hommes étoient égorgés par la main des pre-1res sur l’autel de Jupiter et de Diane. Chez les Gaulois, on cherchait ainsi à se rendre propices les dieux Hésus et Teutatès. Les Latins eux-mêmes ne se défendoient pas ces abominables sacrifices. (1>age u5)

Encore de nos jours, le sang humain coule sur l’autel de Jupiter Latialis (1). Quelles prières adressera de pareilles divinités, les mains souillées du san״ de ses semblables? Quels bienfaits at-tendre de dieux aussi implacables? De semblables mœurs étonnent moins de la part des barbares. Leur religion dcvoit leur ressembler. Mais chez nous, au sein d’une nation distinguée de lout temps par son humanité, ces horribles sacrifices nous rendent d’autant plus coupables, que les progrès de la civilisation ne nous laissent pas comme aux peuples sauvages la ressource de les attribuer à ]’ignorance. Des hommes porter à ce point l’oubli de l’humanité, que leur propre par-ricide, c’est-à-dire le crime le plus monstrueux, le plus exécrable aux yeux de la société humaine, ÿ soit consacré par le nom de sacrifice ; que de Jeunes enfans , dans cet âge de la première inno-cence, qui d’ordinaire esl entouré des témoignages delà plus douce affection, soient immolés sans pitié ; que la barbarie s’emporte à des excès que les animaux eux-mêmes, et les plus féroces, ne se permettent pas à l’égard de ceux à qui ils ont donné le jour! n’esl־ce pas là le comble de la démence? Que pourraient faire de plus, dans les transports de la colère, res dieux dont la clémence demande à leurs adorateurs le parricide, et leurs enfans pour victimes? Venez nous parler encore de vertu et de piété dans des hommes qui, pour plaire à de tels dieux, renoncent à tout sentiment d’humanité! Que ne feront-ils pas dans leurs mai-sons , quand ils se permettent dans leurs temples les crimes les moins pardonnables !

(1) Tertullien : Et Lalio adhoilicrnum Jovi media in urbe hunmno sanguine ingustalur. In Scorpiac. pag. 62.4. Voy. tom.1 de cette Biblio-theque, pag. SyS, Ô79, et note.

Sacrilèges, plutôt que sacrifices, que l’on puniroit (pagC 125.) du plus rigoureux châtiment ailleurs qu’au pied des autels.

Les païens ont tort de nous vanter l’antiquité (page 135.) de leur religion : 011 en connoît et l’origine et l’es-prit, et l’histoire tout entière.

Le premier pas pour arriver à la sagesse, c’est (pagc !35.) de reconnoitre son erreur; le second , de s’attacher à la vérité.

Livre il. Avec l’opinion que Dieu ne s’embarrasse (pagc i57.) point des choses de la terre, et que tout finit avec la vie, on s’abandonne tout entier à ses pas-sions. Parce que l’on compte sur l’impunité, on s’enivre à la coupe des voluptés qui mènent à la mort sans qu’on s’en doute.

11 suffiroit d’écouter les seules inspirations de la raison pour apprendre à connoître Dieu, pour vivre dans la vertu et dans la justice, pour affran-cliir son âme de la tyrannie des illusions terrestres, pour s’élever au-dessus des impressions d’un plai-sir où l’on ne trouve que la mort. On concevroit une haute idée de soi-même; on comprendroit qu’il y a dans l’homme quelque chose de plus que ce qui se découvre à la première vue.

Le crime de l’idolâtrie serait excusable, peut-être, s’il pouvait s’expliquer par une ignorance absolue du nom de Dieu. Nais non. Au milieu même des ténèbres du polythéisme, perçoit toujours (Page 138.) le dogme de l’unité d’un Dieu. « Les païens mêmes, quand ils font des sermens, quand ils de-mandent quelque chose au ciel, ou qu’ils lui ren-dent grâce , ne nomment ni Jupiter ni cette mul-titude de dieux, mais simplement Dieu ; tant la vérité imprimée dans la nature a de force pour sortir du fond de notre âme , même malgré nous (1). »

(1) Traduit par Molinier, Serm. chois, tom. vm, pag. 550.

(Page 13g.) D’où vient un aussi prodigieux égarement? Sans doute d’une puissance ennemie, envieuse du bonheur de l’homme , sans cesse occupée d’écarter de ses yeux la vérité , qui se plaît à semer l’erreur autour de lui, à détourner ses regards du ciel, où l’appelle sa nature.

Dans la prospérité, on s’étourdit, on ne songe qu’à jouir, sans rapporter à Dieu les biens que l’on tient de sa main libérale ; l’adversité nous y ra-mène. Que la menace d’une guerre nous jette dans les alarmes; que des maladies contagieuses répandent autour de nous leurs ravages ; qu’une sécheresse prolongée épuise dans nos épis la sève nourricière; qu’un ouragan impétueux, que la grêle ruine nos moissons, on a recours à Dieu ; on implore le secours de Dieu; on le prie de faire cesser le fléau; on l’invoque au moment de la tempête, dans un danger pressant. Celui que la nécessité oblige de mendier son pain implore la charité au nom de Dieu ; c’est lui, c’est son unique nom que l’on réclame pour obtenir la pitié des hommes. Le mal une fois passé, l’on n’y pense plus.

Pourquoi le Créateur a-t-il donné au visage de l’homme cette attitude élevée ? Est-ce sans dessein qu’il nous a donné cette faculté de pouvoir diriger cl fixer nos yeux vers le ciel, si ce n’est pour y chercher la religion, pour y contempler dans le séjour qu’il habite, au moins par les efforts de notre intelligence, le Dieu que nos regards ne (page !48.) sauraient atteindre ? C’est pour le ciel, non pour la terre, que Dieu vous a faits; pour vous élever vers la patrie céleste, non pour vous abaisser et vous perdre dans la fange des passions terrestres , comme si c’étoit pour vous un sujet de peine de n’être pas nés dans la condition des animaux (1).

(1) !tendons justice à la pénétration d’esprit de qnelques-uns des anciens philosophes, toujours pour en rendre grâces?! Dieu, qui ne s’est laissé jamais sans témoignage parmi les hommes. Cicéion exprime ce sentiment, et dans les mêmes termes : » Dieu nous a faits d’une taille haute et droite , afin qu’en regardant le ciel nous pussions nous élever à la connoissance des dieux; car nous ne sommes point ici-bas pour habiter simplement la terre, mais nous y sommes pour contempler le ciel et les astres, spectacle qui n’appartient à nulle autre espèce d’ani-maux. »Dcnat. deor. lib. 11, cap. tvi.

(Page 14S.) Cicéron sentoit bien la fausseté de ces dieux que les Romains adoroient; il ne les ménage pas dans ses écrits: et cependant, par une coupable incon-séquence, il ne permet pas que l’on agite publi-quement aucune dispute à leur sujet, de peur d’af-foiblir dans l’esprit de la multitude le respect qu’elle leur porte. Grand homme! pourquoi ne pas plutôt démasquer l’erreur? Essayez du moins de désabuser cette multitude égarée. La chose en (Page >49·) vaut bien la peine; c’étoit là , pour l’éloquence de Cicéron, un assez beau théâtre. Votre talent n’avoit pas à craindre d’échouer en si bonne cause, quand si souvent on l’a vu se déployer avec quelque cou-rage dans de moins bonnes. Mais je vous devine : la prison de Socrate vous fait peur; voilà pourquoi vous n’avez pas la force de vous déclarer en faveur de la vérité. Pourtant, philosophe comme vous l’êtes, vous deviez n’avoir pour la mort que du mépris. Il y auroit eu bien plus de gloire à mourir victime de la vérité plutôt que de la médisance ; et tout l’honneur de vos philippiques ne valoit pas le mérite que vous vous seriez fait à dissiper les erreurs du genre humain, et à guérir des esprits malades. Vous craigniez? à la bonne heure, bien qu’un sage doive être au-dessus de la crainte. Qui vous obligeoit vous-même à persister dans votre égarement? Vous êtes aux pieds d’idoles, niépri-sable ouvrage de la main des hommes; vous en convenez, et vous ne laissez pas d’agir comme ces mêmes hommes livrés de votre aveu à une erreur coupable. A quoi donc vous servoit-il d’apercevoir la vérité , quand elle vous laisse également lâche et infidèle ? Si les sages eux-mêmes s’enchaînent vo-lontairement à l’erreur quand ils la reconnaissent telle qu’attendre d’une multitude ignorante ?

Les plus sages d’entre les païens ont combattu (Page 151.) les fausses religions, parce qu’ils en découvraient le foible ; de ce premier pas ils auraient dû en venir au pressentiment qu’il y en avoit une véritable. Mais c'est ce qu’ils n’ont pas fait; et c’est là une cri-minelie indifférence qui les rend plus inexcusables que le reste des hommes endormis au sein de leurs vieilles erreurs, sans soupçonner que la vérité pût être quelque part. Non pas qu'ils fussent capables d’y atteindre par leurs seules forces ; non sans doute : Je suis intimement convaincu que Dieu seul pouvait la faire descendre sur la terre. Mais la raison seule, mieux entendue, suffisait pour les amener à la pensée que, puisque ces religions étaient fausses , ils y dévoient renoncer.(Page 152.) La différence entre les ignorans et les savans, c’est que les premiers mettent le faux à la place du vrai, parce qu’ils ne peuvent discerner l’un d’avec l’autre; les seconds , étrangers à ce qui est vrai, persévèrent dans le faux, pour avoir l’air de tenir à quelque chose , ou bien ils se jettent dans une indifférence qui exclut tous les cultes sous le prétexte d’échap-per à Terreur, ce qui est le fait d’une brutale in-sensibilité. Concevoir la fausseté d’une religion , la sagesse humaine peut aller jusque-là; pousser jusqu’à la connaissance de la vraie religion, il n’y a que la grace divine qui puisse conférer ce bienfait.

(Page 171.) Parce que ces fausses religions leur viennent de leurs pères, les païens se croient obligés de les maintenir, de les défendre, sans examiner la chose de plus près. Elles sont anciennes , donc elles sont prouvées: et il y auroit, disent-ils, de la témérité à les soumettre à la discussion. C’est là le raisonne-ment que Cicéron prête à Cotta: « Voilà, lui fait-il dire , ce que je pense et comme pontife et comme Cotta. Mais vous, en qualité de philosophe, amenez-moi à votre sentiment par la force de vos raisons : car un philosophe doit me prouver la religion qu’il 5reut que j’embrasse ; au lieu que j’en dois croire là-dessus nos ancêtres, même sans preuves (!*·׳·gc 172.) (1). )) Mais si vous y croyez, à quoi bon demander une discussion qui peut vous faire changer de croyance? Si vous pensez qu’il soit nécessaire de lui faire subir un interrogatoire, c’est la preuve que vous ne croyez pas; car on ne cherche que pour s’arrêter après que l’on aura trouvé. Vous voilà instruit par votre raison que ces religions sont fausses: quel parti allez-vous prendre? à qui donnerez-vous la préférence? à vos ancêtres ou à la raison qui ne vous vient pas d’insinuation étran-gère, mais de votre propre fonds, et par un choix volontaire, après que vous avez sapé tous les cultes par leur fondement ? Si c’est la raison que vous adoptez, adieu l’autorité des ancêtres. A ous êtes dans la nécessité d’y renoncer, puisqu’il n’y a de sagesse que dans le parti de la raison. Mais si, pour satisfaire à la piété , vous suivez l’opinion des an-cêlres, vous convenez par-là qu’ils n’étoient que des insensés , de suivre des religions réprouvées par la raison, et que vous ne l'êtes pas moins qu’eux de croire ce que votre raison vous con-vainc d’être faux.

(1) De nalur. dcor. lib. 11, cap. 2. Traduct. de l’abbé d’Olivet , Join. 11, pag. !45, 144· Il ajoute en note: Cette apostrophe à Cotta :nërite fort d’être lue d’un bout à l’autre. C’cst qu’autant le paganisme avoit à redouter les sévères regards de la critique , autant le christia-nisnie avoit intérêt à désirer une discussion sage, Nihil veritas crabes-cil, nisi abscondi.

Dieu a donné à chacun de nous une portion de (p 3>) sagesse qui le met à même de découvrir ce qui esl caché, et de juger ce qui est connu parmi les hommes. De ce que les anciens sont venus avant nous , il ne s’ensuit pas qu’ils soient alle's plus loin que nous. Qui empêche même que nous ne fas-sions comme eux, dans ce sens, que, comme ils (l’jgc !;ן׳.) avoient transmis après eux l’erreur qu’ils avoient trouvée établie avant eux, nous de même nous ne transmettions à ceux qui viendront après nous la vérité à laquelle nous avons été appelés?

(Page 179.) e me demandez pas avec quoi Dieu a fait tout ce que nous voyons. Il a tout fait de rien. « Peut-être (Page 1S0.) il y avoitune matière préexistante, un chaos où les germes confus des êtres étoient ramassés pèle-mêle ,attendantle jour où l’opération divine sépara ces élémens en désordre pour faire le monde. » Rien de tout cela. Dieu a tout fait. S’il n’avoit pas fait la matière, il n’auroit pas fait davantage, ni le ciel, ni la terre , ni les eaux, ni rien de ce que nous voyons. Eloit-il plus difficile à Dieu de créer la ma-tière que de l’embellir? De deux choses l’une , ou c’est elle qui s’est faite elle-même , ou c’est Dieu qui l’a faite. Se faire elle-même? comment? par quoi? Qui lui avoit donné son principe d’exis-ience?le tenoit-elle d’elle-mêmc? A oilà donc deux principes éternels, ce qui implique contradiction. Est-ce Dieu qui a été fait par la matière , ou la ma-tière par Dieu? etc.

(Page 1S7.) Dieu n’a créé l’homme qu’à la suite de ses au-1res ouvrages. 11 falloit bien que !’habitation fut prèle avant de recevoir celui qui devoit 1 occuper.

Comment l’homme auroit-il subsiste sous un ciel et sur une terre qui commençoient à se déployer sur sa tête ou sous ses pieds, avant que le soleil n’eut été attaché à la voûte du firmament, et que les fruits destinés à sa nourriture n’eussent été produits ?

Parce que vous ne concevez pas le mécanisme (Page 188.) du monde, est-ce une raison de nier qu’il soit l’ouvrage d’une main divine? Je suppose qu’ayant habité dès votre première enfance dans l’intérieur d’une maison bâtie et décorée avec soin, vous n’eussiez jamais vu construire de maison; parce que vous ne sauriez pas comment on s’y prend pour faire sortir de terre un édifice, concluriez-vous que celui 011 vous êtes n’est pas l’ouvrage d’un homme? Que si l’homme, un être d’une nature si bornée , vient à bout d’exécuter par son intelligence des choses qui semblent au-dessus de ses forces, pourquoi avez-vous peine à concevoir que le monde ail été fait par le Dieu dont la sagesse et la puissance sont également sans bornes? A quoi bon vous tant occuper à rechercher ce qu’il ne vous est pas donné de savoir, et dont la connois-sance après tout ne vous rendrait pas plus heureux ?

(Sur les démons.) Esprits pervers qui cherchent à (Page 218.) se consoler de leur désastre en entraînant les hommes dans leur ruine : ils sèment les pièges sous leurs pas ; ils attaquent chacun d'eux corps à corps; ce sont eux qui altèrent la santé׳, causent les maladies, épouvantent les imaginations par des songes, jettent dans des transports furieux , et par les maux qu’ils font aux hommes les forcent de recourir à leur puissance.

(Page 220.) Nais leur pouvoir ne consiste qu’à nuire à ceux-là seuls qui les craignent, qui ne se mettent pas à couvert sous la protection du Dieu tout-puissant. Bien loin d’avoir aucune puissance sur les adora-leurs du vrai Dieu, ils les redoutent et les respcc-lent. Les chrétiens, par la seule invocation du nom de Dieu, les obligent à sortir, au milieu d’affreuxhurlemens, des corps qu’ils obsèdent; et les forcent, non-seulement à confesser qu’ils sont des démons, mais encore à se nommer par leur nom, n’osant mentir à Dieu au nom duquel on les conjure, ni aux justes dont la voix seule les tour-mente. Ils se cachent dans les temples, sont pré-sens à tous les sacrifices offerts aux idoles, et (Page 224.) opèrent souvent des choses merveilleuses par lesquelles ils séduisent ceux qui en sont specta-leurs (1).

(1) Voy. Bullet, Établiss. du Christian. pag. 555 et suiv. contre le système de Van-Date et de Fontenelle.

(Pa״e 256.) L1ArRE ni. Qu’est-ce que la philosophie? On la définit : l’amour ou la recherche de la sagesse. Si on est encore à la rechercher, c’est une marque qu’on ne la possède pas.

La philosophie se partage dans une foule de (Page 244.) sectes diverses qui se combattent toutes. Dans laquelle irons-nous chercher la vérité'? elle ne ré-side assurément pas dans toutes. Prenons chacune d’elles à part. Les mêmes armes qui combattent celle-ci, elle s’en sert contre les autres. Pas une qui ne renverse ses rivales pour prévaloir sur elles ; pas une qui ne les accuse d’être dans l’erreur pour échapper au reproche d’y être elle-même. Tel sys-tème de philosophie vous paroît beau, vous le croyez vrai; voilà d’autres philosophes qui vien-nent l’attaquer et le battre en ruines : à qui croire, à celui qui se vante, ou à tous les autres qui en font la satire , quand chacun à part est seul contre tous ? Il faut bien que tous aient raison contre un seul. Subtils pour se combattre, ils sont tous bien foibles pour se défendre. Si donc toutes les sectes de philosophes s’accusent et se condamnent res-pectivement, il résulte qu’il n’y a dans toutes que vanité, que néant, et que la philosophie n’a besoin que d’elle-même pour se réfuter.

En quoi consiste donc la sagesse? Λ ne point (Page 2f7.) croire que l’on commisse tout, ce qui n’appartient qu’à Dieu; et à ne point ignorer tout, ce qui ne convient qu’à la bête. Il y a entre les deux extrêmes un milieu digne de !’application de l’homme rai-sonnable ; c’est une science mêlée et comme assai-sonnée d’ignorance.

La main du Créateur a imprimé dans le cœur de l’homme un double instinct qui le porte à recher-cher la religion et la sagesse ; l’erreur des hommes vient de ce qu’ils isolent l’une de l’autre. Ou ils embrassent la religion, sans étudier la sagesse; ou ils s’appliquent à l’étude de la sagesse , sans s’em-barrasser de la religion. L’une doit marcher avec l’autre.

(Page 265.) Je m’étonne que parmi tant de philosophes il n’y en ait pas un seul qui soit parvenu à la dé-couverte de ce qui fait le souverain bien. Ils pou-voient partir de ce principe fondamental : le sou-verain bien doit être accessible à tous. Est-il dans le plaisir? il n’est personne qui ne le recherche, les animaux eux-mêmes en sentent le besoin. Ce qui fait le plaisir n’est pas toujours ce qui esthon-nête : on s’en lasse, on s’en dégoûte, l’abus en devient funeste ; il s’use avec l’âge ; il n’est pas donné à tous de le goûter: il est inconnu à ceux qui sont dans la misère : combien donc en restent éternellement privés! conséquemment, bien loin d’être le souverain bien, il ne mérite pas même le nom de bien. Dans la richesse ? bien moins en-core. Elle n’est le partage que du petit nombre : on l’a sans savoir comment : souvent sans rien faire, ou par des voies illégitimes; et jamais l’on n’en a assez. La royauté , le pouvoir suprême ? pas davantage. Tous ne peuvent pas être rois ; et personne ne doit être exclu du droit de parvenir au souverain bien. Dans la vertu? il est incontestable qu'elle est un bien , et un bien à la portée de tous. Mais si elle est étrangère au bonheur sur la terre , si même elle consiste spécialement dans la résignation à des souffrances (pa״e !66.) qu'elle ne sauroit éviter, peut-on la qualifier du titre de souverain bien ! Pour cela restera-t-elle sans récompense ? Eh ! n'en trouve-t-elle pas déjà dans elle-même , indépendamment de celles qui l'attendent dans une autre vie? Sans doute qu'il y a , dès ce monde présent , des avantages attachés à la vertu , mais qui sont loin de la dispenser du travail nécessaire pour l'acquérir , des persécutions et des disgrâces qui la traversent. Eh ! quelle récompense encore peut s'offrir ici-bas à ses sacrifices ? combien de temps peut-elle en jouir sur la terre , où tout est borné et périssable ? (page 268.) Le souverain bien , ce bien absolu auquel il n'est pas possible de rien ajouter , pas plus que d'en retrancher rien , il ne sauroit donc exister réellement que dans l'immortalité. Les principes de la religion nous font donc connoître la fin pour laquelle nous existons ; et la vertu nous fait connoître les moyens d'arriver à cette fin, qui est d'être heureux et immortels.

(page 269.) Point de bonheur solide pour l'homme sur la terre, tant que son âme est enchaînée à la prison du corps.

(Page 2;נ.) Π n’y a de bonheur à espérer ici-bas que pour ceux qui semblent être les moins heureux, se de'-robant à tousles plaisirs , pour ne s’attacher qu’à la vertu, se condamnant à toutes les privations , à toutes les adversités, qui sont et les épreuves et les soutiens de la vertu, marchant dans la voie étroite et pénible qui seule mène au bonheur.

(Page 2-6.) Plût au ciel que Cicéron, rappelé à la vie, dai-gnât venir à l’école du dernier des maîtres chré-liens! Apprenez, lui dirois-je , à mieux eonnoître celte philosophie à qui vous donniez tant d’éloges, quand vous l’appeliez le flambeau de la vie, la maîtresse de la vertu, la règle des mœurs, la légis-latrice du genre humain. Mais qu’avez-vous donc enfin recueilli de ses leçons? elle a fait de vous (Page 280,) l’ornement des lettres latines , l’imitateur de Pla-ton (1) ; à la bonne heure. Tout ce qu’elle vous a appris, c’est de savoir que vous ne savez rien. De votre aveu , elle vous a laissé dans la plus profonde ignorance sur la conduite de la vie (2). La belle école de vertu que celle qui ne vous donne pas môme les élémens de la sagesse, et tout au plus ne vous forme qu’à la civilité !

(1) D’Olivct:« Cicéron (dans scs livres philosophiques) n’a fait que copier les philosophes grecs : mais il est tellement copiste, qu’il de-vient lui-même un original inimitable par la forme qu’il sait donner aux matériaux qn’il emprunte. » Traduction de la Nature des dieux, tom. 11, pag. 165, note.

(2) On ne retrouve point dans Cicéron le texte que Lactance rap-porte ici : mais on y peut suppléer par d’autres egalement décisifs, celui-ci entre antres:« Nous vivons au jour le jour, sans avoir d’opinion fixe ; aujourd’hui pour un système. demain pour un autre, ne suivant d’antre lumière que celle de la simple probabilité. » 'Jliéolog. des philos. Ibid. tom. 1, pag. 117.

Les philosophes se vantent de nous donner des (l’nge 282) leçons de vertu ; comment peuvent-ils enseigner ce qu’iis ignorent? comment donner ce que l’on n’a pas ? Examinez leurs mœurs de plus près ; vous les verrez emportes, courant après 1’argent et les plaisirs, chatouilleux à l’excès, gonflés d’orgueil et d’envie, habiles seulement à masquer leurs vices sous un voile de sagesse extérieure, et se livrant, dans le particulier, à des actions qu’ils blâment dans leurs écoles. Peut-être j’outrepasse la vérité pour le plaisir de les accuser ; je ne fais que répé-1er ce que leur reproche l’un d’entre eux, Cicéron lui-même. Sénèque fait le même aveu.

Epicure, choqué de voir que le partage ordinaire (Pa?e) de la vertu ici-bas c’est l’indigence et l’af-fliclion, tandis que le crime heureux marche tête levée ; que la mort moissonne indifféremment l’en-fance à peine entrée dans la carrière de la vie, comme la vieillesse parvenue à son terme ; que plus on est religieux, et plus on est persécuté; tandis que tout sourit à ceux qui méconnoisscnt la Divi-nité ou qui la servent mal ; que les temples eux-mêmes n’él oient point à l’abri des ravages de la foudre; Epicure conclut, de ce désordre appa-rent, qu’il n’y avoit point de Providence , que l’âme mouroit avec le corps , et que la Divinité, heureuse dans le inonde qu’elle habile, ne se mèloit point des choses de celui-ci. Tout son système se réduisait à ce point, que l’homme n’étoit sur la terre que pour (Page 295.) jouir des plaisirs qui peuvent s’y rencontrer. Mais en adoptant ce beau principe, sera-t-on bien dis-posé à s’abstenir des vices et des déréglemens ? car si les âmes sont mortelles, qu’a-t-on de mieux à faire que d’accumuler des richesses pour se pro-curer des plaisirs? Mais que fera-t-on si les ri-chesses manquent? il faudra employer tous les moyens possibles , fraude , dol, violence, pour en enlever à ceux qui en sont pourvus. Et puisqu’il n’est point de divinité qui s’embarrasse des affaires de ce monde , il n’y a qu’à piller, qu’à massacrer, dès qu’on pourra le faire impunément. Mal faire , quand on y trouve son avantage , c’est ce que dicte la bonne philosophie , parce que les dieux ne sont point offensés de ce que font les hommes. Faire du bien, c’est une sottise , parce que les dieux ne sont susceptibles ni défaveur ni de courroux. Don-nons-nous du plaisir tant que nous pourrons ; les momens sont courts, bientôt nous ne serons plus. En conséquence ne perdons pas un jour, pas un moment; qu’ils soient tous pour la volupté ; car ce seroit retrancher de noire vie tous ceux que nous ue donnerions pas à des soins si doux. Epicure ne le dit pas en termes exprès, mais toute sa doctrine le dit; car, établissant en principe qu’un sage , qu’un philosophe ne fait rien que pour lui ,il ne peut avoir en vue que son interet propre. Celui qui adopte ces détestables maximes, se gardera bien de rendre service, parce qu’alors il ne travaillerait que pour l’avantage d’autrui. Il ne sera jamais ar-rêté par l’horreur du crime, parce que le crime lui est avantageux. Si un e'eumeur de mer , un chef de brigands voulaient animer leurs gens , leur parle-roient-ils un autre langage que celui (!’Epicure ? Ne leur diroient-ils pas comme Epicure, que les dieux se mettent peu en peine de ce que font les hommes ; qu’ils ne sont point sujets à la colère ; (pie les bonnes actions ne les touchent pas ; que c’est une folie de craindre les peines de l’enfer, puisque l’aine meurt avec le corps ; que l’idée de société n’est qu’une chimère; que la volupté est le souverain bien, et qu’on ne peut aimer ses semblables que pour son propre intérêt?

Quand on voit dans le monde la merveilleuse (ragc 308) harmonie qui y règne , le moyen d’y méconnoître une Providence qui le gouverne? Esl-il rien qui puisse subsister sans un ordre quelconque? Une maison sans habitans se (](■grade ; un vaisseau sans pilote est le jouet des flots. Notre corps, au 1110־-ment oit '’;'une le quitte, devient la proie de la cor-ruplion ; et l’on pourrait croire que cette vaste machine de l’univers ait pu exister sans un ouvrier qui l’ait faite, ou se conserver depuis si long-temps sans une intelligence qui la gouverne ?

(Page 314.) Philosophes, j’entends vanter votre force; je vous attends à l’épreuve. On nous parle d’un de ces sages qui, pour n’avoir pas l’embarras de son argent, le jeta dans la mer. Étoit-ce sagesse ou dé-mence ? Allez.-vous-en au fond des eaux, dange-reuses richesses , s’écria-t-il ; je vous perds pour ne pas me perdre. Si tu méprises si fort ton argent, que ne l’emploies-tu à des usages utiles? fais-en un moyen de bienfaisance ; donne-le à des pau-vres qui en manquent, et non pas à la mer, où il ne sert à personne.

(Page 528.) Ce que la philosophie a soupçonné d’après la seule lumière naturelle , mais qu’elle n’a pu exé-cuter, !’Évangile l’a fait, parce que !’Évangile seul est la vraie philosophie. Pouvoient-ils , ces philo-sophes, persuader à d’autres ce qu’ils ne pou-voient se persuader à eux-mêmes, commander aux passions des autres, quand ils étoient esclaves de leurs propres passions, et qu’ils étoientréduits à dire que la nature étoit la plus forte? Il n’en est pas ainsi de la loi que nous tenons de Dieu, parce qu’elle est simple et vraie ; une expérience four-nalière dépose en faveur de son efficacité sur les (Page 52g.) cœurs. Donnez-moi un homme livré à l’emportement, à !,intempérance du langage et de ses pas-sions ; avec quelques paroles de mon Dieu je le rendrai doux comme un agneau. Donnez-moi un riche avare, opiniâtrement attaché à ce qu’il pos-sède ; je vais le rendre saintement prodigue, ver-sant son or à pleines mains. Donnez-moi un cœur pusillanime , que le seul mot de la souffrance et de la mort déconcerte; vous l’allez voir braver les croix, les bûchers, les flancs du taureau embrasé. Donnez-moi le débauché le plus effréné; vousl’al-lez voir sobre, chaste, tempérant; cette humeur féroce, sanguinaire , va se changer dans les affec-lions les plus douces. Ce pécheur abandonné à tous scs égaremens, le voilà tout à coup juste, ré-servé , tout différent de lui-même. Le bain sacré du baptême l’a régénéré : la divine sagesse qui a pénétré son corps en a banni cet esprit insensé qui l’entraînoit dans le crime. Pour un aussi mer-veillcux changement, il n’a eu besoin, ni de mai-très , ni d’argent, ni de laborieuses veilles ; il lui a suffi d’ouvrir les oreilles à la vérité, son cœur aux pressantes inspirations de la sagesse.

Quoi donc! les philosophes ne parlent-ils pas (page 55״.) comme nous ? oui ; mais ce sont des hommes ; il leur manque l’autorité d’une sanction divine.

Le sage peut être heureux au milieu des souffrances ;(p 352) mais c’est celui qui les endure pour la foi, pour la justice, pour Dieu. Il le. deviendra parson

courage à les supporter; car il n’y a que Dieu qui puisse payer la vertu ; il n’y a que l’immortalité' qui soit la cligne recompense de la vertu.

(Page 335.) Le mot de nature, abstraction faite de la Pro-vidence et de la puissance de Dieu,· n’est qu’un mot vide de sens (1).

(1) L’ancienne philosophie avoit, tout aussi bien que la nouvelle, étrangement abusé de ce mot. Le mot nature tirant son origine d’un autre mot qui signifie également naître et produire, on ]’employait tantôt pour désigner le principe qui donne l’essence et la naissance à quelque être déterminé dans son espèce , tantôt pour cet être même né et détermine. Dans le premier sens, c’étoit quelquefois Dieu même, quelquefois un principe subalterne à qui on imaginait que Dieu avoit confié le monde sublunaire ; mais le plus souvent c’étoit un certain principe spontané , un ressort physique et machinal, inhérent aux différens êtres, par lequel on supposait que les individus naissaient , croissoient, se portoient aux fins de leur espèce. Cette différence dans les acceptions du mot nature avoit amené autrefois, comme de nos jours, un chaos d’idées où la créature se trouroit confondue avec le Créateur. La nature, selon Balbus dans Cicéron , a fait ce qui se pou-voit faire de mieux avec les élémens qu’elle avoit trouvés préexistans. (De natur. dcor. lib. 11, cap. xxxtn.) Straton et Epicure, aux deux bouts de la chaîne, s'accordaient à enseigner le matérialisme.Nos doc־ teurs chrétiens ont tout réforme, dans la philosophie comme dans la théologie.

(Pa״c 53) Un ancien ( Démocrite ) a placé la vérité au fond d’un puits ; en quoi il n’est pas plus raisonnable que dans tout le reste. Qu’elle réside sur le som-inet d'une montagne, ou plutôt dans le ciel, à la bonne heure. Jésus-Christ l’en a fait descendre , quand il l'a amenée avec lui sur la terre. Toute la sa-gesse consiste donc dans ce seul point, a connoître Dieu et à le servir, λ oilà toute notre doctrine, voilà toute la science de nos écoles , et ce que tous les philosophes ont cherché sans le découvrir. Laissez donc là ces faux sages qui ne vous apprennent rien, et ne savent que répandre le trouble dans les idées. Est-ce à des malades que vous demanderez votre guérison ? Des aveugles sont-ils propres à vous conduire ? Attendrez-vous quelque nouveau Socrate mieux instruit que le premier? Voulez-vous que Démocrite fasse sortir la vérité du puits où il l’on-ferme ? Voilà une voix descendue du ciel qui nous apprend la vérité; une lumière qui brille à nos yeux, plus éclatante que les rayons du soleil. Pour-, quoi vous dérober à vous-mêmes un bienfait que tous les hommes ensemble n’auroient pu jamais vous donner? Vous aspirez à être sage , à être heu-roux. Prêtez l’oreille à la voix· de Dieu, allez à l’école de la vraie justice , apprenez pourquoi vous êtes venu dans le monde, méprisez tout ce qui est terrestre, pour ne vous attacher qu’à Dieu seul, afin de parvenir à ce souverain bien pour lequel vous êtes faits.

Livre iv. Il est bien surprenant que l’aveuglement (Page 547·) des hommes, en adoptant la pluralité des dieux, en soit venu jusqu’à ce point, qu’ils n’aient plus rien conservé de la connoissance de la vérité ni de la religion du vrai Dieu , et. qu’ils n'aient plus cherché leur bonheur (pie sur la terre, au lieu de lever les yeux vers le ciel. Si la félicité des pre-miers siècles a disparu, n’en cherchons pas la cause ailleurs que dans ce changement de religion. Les hommes ont abandonné leur Créateur et leur vé-ritable Père, ils ont offert leurs hommages à des simulacres insensibles, et nous sommes les tristes témoins des maux que ces égaremens ont attirés sur l’univers. Car les hommes, en s’écartant du souverain bien, et en abandonnant les vérités im-mortelles qui d’elles-mêmes s’assortissent à l’idée de ce souverain bien, se sont en conséquence attachés à de fausses divinités. Ils n’ont plus goûté que ce qui flatte et contente le corps et les sens, et ils se sont précipités dans la mort éternelle avec les faux dieux et les biens terrestres qu'ils ont re-cherchés. L’impiété et l’injustice ont été les suites nécessaires de ces fausses religions. C’est ainsi que les ténèbres ont succédé à cette lumière qui avoit éclairé les hommes des premiers siècles. Depuis que la sagesse a été exilée du monde, quelques hommes ont encore eu le nom de sages. On ne le donnoit auparavant à personne en particulier, parce que tous sembloient le mériter également; et plut au ciel encore que ce nom, obtenu par un si petit nombre d'hommes, n’eût pas été illusoire ! iis auroient pu, soit par la force de leur génie, soit par leur ascendant sur les peuples, arracher les hommes à leurs vices cl à leurs erreurs. Mais ni eux, ni aucun de ceux qui, venus après, se sont contentés du titre plus modeste d’amateurs de la (Page 349·) sagesse , n’a soupçonné seulement la sagesse veri-table. Il n’y avoit que chez les Juifs qu’elle eût un sanctuaire.

On s’étonne que l’amour de la vérité, qui engagea (Page 351·) un Platon, unPylhagore, de l’aller chercher au sein de l’Egypte , de la Chaldée et de la Perse , parce qu’ils soupçonnaient qu’ils la pourroient décou-vrir dans leurs pratiques religieuses, on s’étonne, dis-je, qu’il ne les ait pas portés à poursuivre leurs savantes excursions chez les Juifs (1), qui seuls en étoient dépositaires, et où il leur en auroit bien moins coûté pour l’apprendre. C’est apparemment qu’ils en furent détournés par le conseil secret de la divine Providence ; elle dédaigna de la manifester à des étrangers qui ne méritaient pas de connaître la religion du vrai Dieu cl les principes de la justice. Dieu réservait cette cou-naissance à la plénitude des temps où devoit être envoyé du ciel le législateur chargé d’en retirer le flambeau du milieu d’un peuple ingrat pour le transporter aux nations étrangères.

(1) L’opinion contraire pent sc défendre avec avantage comme clic l’a etc par des savons d’une haute renommée.

S’il y a une Providence bienfaisante qui gou-ג erne le monde et !’entretient avec une bonté toute paternelle, la conséquence est que les hommes eu soient reconnoissans, et qu’ils se montrent tels. Peut-il y avoir une religion, peut-il y avoir une simple sagesse sans rcconnoissance pour lesbien-faits du ciel ? car les mots de religion et de sagesse sont synonymes.

(Paîrc 552.) Pas une religion qui n’ait un culte manifesté par des cérémonies, par des prières dont l’objet n’est pas seulement d’honorer la divinité, mais de lui rendre hommage pour scs bienfaits.

Il ne peut pas plus y avoir deux religions diverses dans le monde, que divers pères dans une même lamillc. Rendre à Dieu un autre culte que celui qu’il demande, c’est imiter le crime de l’esclave qui méconnoîl ou fuit son maître, le crime d’un enfant qui ignore son père ou qui l’outrage.

(ra^c5sCj6j) Antérieurement à tous les écrivains grecs, nous avons nos prophètes. J’insiste sur leur antiquité, pour répondre à l’objection de la nouveauté du christianisme , objection qui n’a d’autre appui que l’ignorance où l’on est de la source d’où dérive notre sainte religion. La connoissancc des temps suffit pour le démontrer.

(Page 565.) Le monde n’avoit pas encore été créé; Dieu avoit un Fils égal à Dieu son Père en puissance, en majesté. C’est lui dont Salomon a célébré la (Piov. v!״.) naissance par ces paroles: Le Seigneur in a possédée au commencement de scs voies; j’étois avant tous ses ouvrages. J'ai reçu lu puissance souveraine des le commencement י etc. Nous reconnoissons dans ce Fils deux generations : l’une spirituelle, l’autre charnelle. Parla première, il esl le Verbe de Dieu; par l’autre il est son envoyé', le Messie (l’agc Ô71.) venu sur la terre pour y établir la religion seule digne de Dieu, et le règne de la justice. (Page 373.) 11 y est venu , non dans la pompe de la celeste gloire , mais dans toute l’abjec-lion d’une chair dévouée aux infirmités , aux souf-francos, à la mort ; ainsi que les prophètes 1’avoienl annoncé dans la longue succession des siècles. On nous objecte le scandale de sa passion.(Page 400·) «C’est là l’opprobre de notre religion, d’adorer un homme mort sur une croix.» J’y vois, moi, le triomphe de la puissance , de la vérité et de la sa-gesse divine.

Outragé par des soufflets et des crachats infâmes, (Page 410.) par les plus indignes Irai tenions, Jésus-Christ n’ouvre pas même la bouche pour se plaindre. Scs bourreaux finissent par l’attacher sur un infâme gibet entre deux voleurs. Il meurt par le supplice de la croix. Où trouver une abondance de larmes égale à l’atrocité de cet attentat? Par quelles exprès-sions en pourrai-je retracer l’énormité? Ce n’est pas ici le supplice d’un Gavius , et cette croix éle-véc sur le promontoire de Sicile, que Cicéron a décrite avec toute l’éloquence du sentiment le plus passionné et toute la chaleur de son génie, quand il sécrioil « <jue c’étoit le plus monstrueux de tous les crimes, d’avoir condamné un citoyen romain , contre toutes les lois, à mourir par ce genre de supplice. »» Gavins, tout innocent qu’il étoit, étoit un homme mortel; et celui qui avoit commandé cette exécution n’avoit aucune idée de justice. Mais un Dieu attaché à la croix parles mains d’un peuple qui se vantoit d’adorer Dieu et de recon-noître sa justice, comment retracer un semblable forfait (1)? Quelles couleurs assez vives , quel pa-thélique assez puissant, quelle éloquence assez féconde pour déplorer comme il faut celte mort d’un Dieu expirant sur une croix , dont la nature entière ne put soutenir l’aspect sans témoigner sa profonde douleur par un bouleversement général?

(1) Le fait que Lactance rappelle, se lit dans la dernière des Ver-vines n’ 160 et suiv. On peut voir le commentaire que ftl. Rollin en a fait dans son Traité des études, (liv. iv, art. n, § vu, pag. 505 et suiv. tom. 11, in4°־. ) La chaire chrétienne s’est plus d’une fois enrichie de ce tableau. Nous citerons entre autres, Molinicr, Semi, chois. I. mi, pag. 55. Semi, du Vendredi saint.

(Pages 425, et suiv.) Dans les tribunaux de la justice humaine, il suffit, pour asseoir un jugement, ou de témoignages , ou d’argumens. Nous, dans la cause de la religion, nous avons tout à la fois à produire , et les témoi-gnages les plus décisifs, et les argumens les plus invincibles.

«Pourquoi donc, nous demande-t-on, cet abais-sement de !’Homme-Dieu? pourquoi et ces souf-francos et ces ignominies de sa croix? ne valoit-il pas mieux n’imposer scs lois qu avec I autorité d’un Dieu paraissant dans toute la pompe d une majesté à laquelle tous les hommes se seraient soumis sans effort? Pourquoi venir sur la terre dans un étal, de foiblesse qui le livroit à leurs me-pris et à leurs brutalités ? Pourquoi en sortir avec cette abjection, en s’abandonnant à toutes les in-suites d’hommes d’une nature aussi miserable, sans penser à échapper de leurs mains par la vertu de sa divine toute-puissance ? Pourquoi , du moins au dernier moment, ne pas faire preuve de cette force supérieure qui élève un Dieu au-dessus de tout ? Au lieu de cela , se laisser traîner en jugement , condamner comme un criminel , mettre à mort comme le dernier des hommes ! » Je réponds qu'ici encore il y a eu dans la conduite du Fils de l'Homme la plus haute, la plus admirable sagesse. Et , pour peu que l'on veuille bien réfléchir , non-seulement on cessera d'être surpris qu'il ait pu consentir à tant d'humiliations , mais on se persuadera sans peine que Dieu lui- même n'auroit pas obtenu de créance s'il en eût autrement agi.

C’est un principe incontestable, que pour avoir le droit de donner des lois aux hommes, et d’en réformer les mœurs, il faut justifier par scs propres mœurs la doctrine que l’on prêche ; autrement on décrédile scs préceptes; car, s’ils sont bons et uliles, le législateur peut-il s’isoler de ceux avec qui il se trouve dans un rapport si immédiat, et doit-il vivre d’une manière différente de celle qu’il veut établir? Il n’y a personne qui, en fait de croyance, aime à se laisser imposer un joug qui attente à sa liberté ; personne qui dans ce cas ne répondît au réformateur: Je ne puis me résoudre à faire ce que vous me dites; car la chose estimpos-sible d’après votre propre exemple. Vous me coin-mandez de fuir la colère, la mollesse , la cupidité, les raouvemens des passions ; de ne craindre ni la douleur, ni la mort. Tout cela est au-dessus des forces de la nature ; la preuve, c’est que vous-même vous n’en faites rien. Et de quel droit ve-nez-vous contraindre ma liberté , et mettre à ma volonté des entraves dont vous êtes le premier à vous affranchir? Commencez donc.par apprendre ce que vous prétendez enseigner; et mettez-vous à la réforme avant d’y mettre les autres.

Le moyen de contester la justesse de cette ré-ponse? Votre docteur ne doit s’attendre qu’à des rebuts; et parce qu’on le soupçonne de vouloir se jouer des autres, on ne manquera pas de lui rendre le change. Comment donc venir à bout de per-suader et de prescrire d’aussi dures obligations ; d’enlever tout prétexte à la désobéissance? Aussi voyez les plus philosophes ; qui est-ce qui les écoute ? On veut moins de paroles que de faits : ce ne sont pas les discours qui coûtent, ce sont les œuvres. Que ce soit un homme qui s’érige en ré-formateur , on le récuse comme étant sans auto-rite. Que ce soit un Dieu, on lui oppose la fragi-lilé humaine: et pourtant c’est (lu ciel que doi-vent descendre la sagesse et la religion; autrement nulle autorité, nulle force, nulle sanction; et le législateur manque son effet s'il ne réunit dans sa personne tousles caractères de perfection qui sub-juguent et déterminent la confiance. Je suppose donc , avant de le démontrer, que l’œuvre de la réforme s’agite dans les conseils de la sagesse éter-nolle. 11 y est arrêté qu’un Messie viendra sur la terre qui l’attend. Mais dans quelle forme y pa-roîtra-t-il? Sous une forme purement humaine ? ce ne sera qu’un philosophe comme un autre , un sage plus parfait peut-être que les autres, mais te-nant toujours au limon de la terre par l’imperfec-tion inévitable de ses connaissances et de ses ver-lus. Un prophète, comme Moïse par exemple, mais dont la puissance souveraine sur les élémens échouera contre les cœurs ? ce ne sera toujours qu’un homme comme un autre. Se montrera-t-il sous une forme toute divine? sans parler que des regards humains ne pourraient soutenir l’éclat d’une ma-jesté divine, comment prêchera-l-il la vertu s’il n’en connaît pas les épreuves, s’il n’en exerce pas les laborieux combats et les sacrifices? la victoire sur les sens? si , étant Dieu, il n’a pas un corps susceptible des impressions des sens ; le triomphe sur les passions et sur les faiblesses de l’humanité? s’il n’en est pas tributaire; le mépris de la ri-chcsse efdes honneurs? s’il n’est pas éprouvé par l’indigence et par l’ignominie; de la vie et de la mort? s’il ne vit et ne meurt à la manière des hommes; les vertus les plus inaccessibles, ce semble à notre nature, et toutefois les plus nécessaires à notre bonheur pour la vie présente et pour la vie future ? si sa vie tout entière n’est un miroir ac-compli et un modèle de toutes les perfections, fa-cile à imiter dans toutes les conditions comme dans toutes les circonstances de la vie humaine. Il n’y a qup l’exemple qui réponde efficacement à toutes les oppositions. Il faut donc un législateur tout particulier, unissant tous les droits de la divi-nité à tous les caractères de l’humanité ; vraiment homme par son volontaire abaissement à toutes les misères humaines, vraiment Dieu par la toute-puissance de ses œuvres, opérées par sa propre vertu ; naissant, vivant, mourant comme le dernier des hommes; naissant, vivant, mourant comme un Dieu seul a pu naître, vivre et mourir; prati-quant tout ce qu’il enseigne, et, par l’autorité de son propre exemple , consacrant , facilitant l’ob-serration de ses commandemcns ; ôtant tout pré-texte à la révolte, toute excuse à la mollesse, en même temps que, par l’attrait des récompenses divines, il environne ces mêmes commandemens des motifs les plus énergiques qu’un Dieu puisse proposera l’émulation de ses serviteurs.

Ce plan résolu, le Fils, le Verbe de Dieu se charge lui-même de son exécution ; il se failchair, il habile parmi les hommes , il parle, il agit en Dieu. Voilà tous les secrets de la crèche et du Calvaire; voilà l’intention du mystère de l’incar-nation manifestée ; et le scandale de la croix de-venu en effet le chef-d’œuvre de la sagesse di-vine (1).

(1) Ces magnifiques idées sont développées dans quatre chapitres, depuis le xx״e jusqu’au xxvi® ( de la pag. 4^5 à la pag. 455 ). Il nous a fallu les resserrer considérablement. Ou en retrouve l’esprit dans tous les prédicateurs des diverses communions chrétiennes. Voy. Bossuet, «Serm. ton!, n, pag. 567 et suiv. ־Bourdal. Avent, pag. 199 e( suiv. Saurin. Monchon, Serin, tom. 1, pag. 152, etc.

J’expliquerai le motif pourquoi notre Dieu a (p׳Jge 457·) choisi de préférence la croix comme instrument de son supplice. C’étoit par elle qu’il devoit être exalté, par elle qu’il devoit être manifesté à tous les peuples.En se faisant élever sur la croix, il se melloit en vue à tous les regards; aussi n’y a-t-il aucun peuple du monde qui ne connoisse la puis-sauce du Sauveur. Du haut de celle croix il étend les bras et mesure toute la terre, pour faire voir que, d’un bout à l’autre du monde, un grand peu pie, formé de toute langue, de toute tribu, vien-droit se rassembler sous ses ailes, et que tous ses adorateurs imprimeroicnt sur leur front le signe auguste de la croix.

(Page 439.) Comme, durant sa vie, Jesus, d’une simple pa-rôle, metloit les démons en fuite, et calmoit les plus violentes émotions dans les corps que ces malins esprits tourmenloient ; ainsi à la voix des disciples de Jésus, par la seule impression du signe de la croix, voyons-nous les mêmes effets s’opérer encore aujourd’hui. Dans les sacrifices offerts aux idoles, qu’il vienne à se rencontrer un chrétien armé de ce signe, le sacrifice est in-terroinpu; le prêtre, sans voix, interroge vaine-ment ses oracles; et c’est ce fait, de notoriété pu-blique, qui souvent a fourni aux méchans princes l’occasion et le prétexte de persécuter les chré-tiens ( 1 ).

(1) On rapporte en effet à cette cause la persécution de Dioclétien. Ce prince, d’un naturel fort timide , disent tous les historiens , imtno-loit quantité de victimes, pour trouver dans leurs entrailles la connois-sancede l’avenir. Un jour qu’il sacrifioit à Antioche , des officiers chré-tiens qui accompagnaient l’empereur, Grent sur leur front le signe de la croix, qui mit en fuite les démons, et troubla le sacrifice; un des pontifes s’écria par !’inspiration de ses démons, que les dieux ne répon-doient point parce qu’il y avoit là des profanes. On entendit bien ce que cela voulait dire, et Dioclétien, au lieu de reconnoitre la faiblesse de scs dieux, qui cédaient si honteusement à des hommes, s’emporta de fureur contre les chrétiens et ordonna que. toutes les personnes du palais sacriGassent, sous peine d’être battues de.verges. (Voy. Tillem. Mém. tom. v, pag. 18; d’apres Lactance, De mortepersecutorum, n° x.)

(Pa״e 450.) L’Eglise catholique est seule en possession du vrai culte de Dieu. C’est là la source de la vérité, le domicile de la foi, le temple de Dieu. Quiconque ou n’y entre pas, ou en sort, perd tout droit à l’espérance de la vie et du salut éternel !

Livre v. La lecture des écrivains profanes, philosophes, (page 456.) orateurs, poètes, n’est point sans dan-gcr; elle trouve des cœurs sans défiance, qui se laissent aisément prendre aux charmes du lan-gage, et séduire par les artifices d’une harmonie décevante ; c’est du miel sur les bords d’une coupe empoisonnée.

Du temps que je professois la rhétorique à Nicomédie, (page 460.) pendant que l’on exécutoit les ordres donnés par l’empereur pour la démolition des temples, deux hommes, foulant sous les pieds (dirai-je avec plus d’insolence ou plus de bassesse?) la vérité hors d’état de leur répondre, écrivirent contre nous. L’un étoit un philosophe; on connoissoit (page 46!,) ses mœurs. Ce précepteur de morale n’é-toit pas moins signalé par son avarice que par ses débauches. Fastueux dans sa manière de vivre, quand il affectoit, dans ses leçons, de vanter l’é-conomie et la frugalité; grand mangeur à la table du prince, plus encore qu’à la sienne; du reste couvrant ses vices de son manteau de philosophie, et, ce qui les sert toujours le mieux, d’un étalage d’opulence qu’il avoit grand soin d’entretenir en se ménageant avec adresse d’utiles protecteurs, disposant de leur crédit, se faisant payer chèrement sa faveur auprès deux, et s’en servant pour s’agrandir aux de'pens de ses voisins et s’enrichir encore de leurs de'pouilles. Le moment où les chrétiens e'toicnt en proie à la plus inique persécu-tion fut celui qu’il choisit pour lancer trois livres remplis de calomnies contre notre religion et contre (rage 462.) le nom chrétien. A l’entendre, il alloit faire briller la lumière, dissiper les ténèbres de l’erreur, amener le triomphe de la vérité. Il n’a recueilli que le mé-pris public : on ne vit en lui qu’un lâche adula-leur qui se mettoit aux gages de la plus odieuse cruauté. L’autre nous attaqua par des traits plus piquans. Il se trouvoit être du nombre de nos juges, cl avoit été un des plus ardens provocateurs de la persécution. Non content de nous combattre par les édits de proscription, il nous fit une guerre de plu-me; mais déguisant sa tactique, pour n’avoir pas Page 465. !’air de nous attaquer directement, il adressoit aux chrétiens des avis charitables, comme pour les dé-sabuser, cherchant à mettre nos saintes Écritures en opposition avec elles-mêmes ; se donnant, par de secrètes révélations, pour avoir été des nôtres ; s’attaquant surtout à nos apôtres Pierre et Paul, qu’il déchiroit sans pitié, comme ayant répandu dans l’univers leur doctrine mensongère , les ac-cusant de n’être que des ignorons, sans lettres, sans culture ( 1 ).

(1) Les critiques sc partagent sur la question ; Quel étoit le premier de ccs deux antagonistes du christianisme ? 11 y en a qui croient y rc-eonnoître le philosophe Maxime dont l’empereur Julien avoit suivi l’école à Nicomédic. D’autres, Baronius <1 leur tète, veulent que Lactance ait eu en vue le célèbre Porphyre. Ce sentiment souffre des difficultés. Quant au second, il est évident quec’étoit Iliéroclcs, dont nous avons parlé au 1ct vol. de cet ouvrage , pag. 236.

Nous croyons à la tlivinilé de Jésus-Christ, (rage 469.) moins pour les œuvres extraordinaires qu’il a faites, que pour les prophéties qui !,avoient annoncé (1). Si nous n’avions à vous raconter que ses miracles , vous le mettriez au meme rang qu’un Apollonius, qu’un Apulée : nous montrons sa croix prédite par tous les prophètes.

(1) C’estle sensdu mot de Va^ôtie-.Habcmusfinniorcmprophcticum scrmoncm{'.! Petr. 1. 19.) M. l’évêque du Puy :« Les miracles eu »particulier suffiraient, au défaut de toute antre preuve, pour le » triomphe de la foi sur l’incrédulité. -Toutefois, s’il est permis à l’esprit »humain de comparer ensemble, non les œuvres divines en elles-»mêmes, mais les diverses impressions qu’elles font en lui, il semble » qu’il doive être plus étonné d’une prophétie que d’un miracle, cl que » ne pouvant nicconnoître dans l’un et dans l’autre l’opération de Dieu, »ilia trouve plus marquée dans une prédiction de l’avenir que dans »nue interruption des lois de la nature. » L'Incrédulité convaincue par les prophéties. Disc, prélimin. col. 5 et G, ed. in-4”, Paris, 1;5y.

Si Dieu seul étoit honoré sur la terre, il n’y auroit (Page480 .) plus parmi les hommes ni guerres ni dissen-sions. Ils sauroient qu’ils sont tous les enfans d’un même père ; plus de pièges tendus à la bonne foi.

Ils penseroient aux châtimens terribles dont la jus-tice divine punira les assassins des âmes . elle à qui rien n’échappe, ni les crimes commis dans T ombre, pas même les pensées les plus secrètes.

Plus de fraudes ni de rapines. Dociles à la voix de Dieu , les hommes, contents de peu, se bornant à l’usage de ce qui leur appartient, préféreraient à des richesses fragiles et périssables, les biens solides qui ne meurent pas. Plus d’adultères, ni de honteuses prostitutions, ni de voluptés cou-pables; plus de ces désordres qui souillent la terre, s’il s’établissoit parmi les hommes une sainte ligue en faveur de la loi de Dieu, si la société tout en-tière du genre humain exécutoit ce que fait aujour-d’hui le peuple chrétien. Ce serait l’âge d’or ra-mené sur la terre ; ce seroit le bonheur même avec l’innocence, la paix, la tendre commisération et le support mutuel, la justice et la tempérance. Il n’y auroit plus besoin , dans cet heureux état de choses, ni de ces codes si divers et si multipliés qui régissent les hommes, ni de prisons et de châti-mens pour contenir ou réprimer le crime , puis-que la loi de Dieu suffirait à tout, et que sa douce influence, pénétrant le cœur, se répand dans la conduite.

(Page 482.) D’où vient cette haine qui s’acharne contre la vérité? Est-il dans l’essence de la vérité de pro-duire la haine, comme l’a dit un des poètes latins? est-ce que les medians rougissent de le paraître en présence des justes ? ou peut-être l’un et l’autre ?

Que n’a pas inventé contre nous la haine des per-sécuteurs? Des volumes nombreux ne suffiraient pas pour en il écrire tous les raflinemens. La carrière une fois ouverte, chacun s’y est jeté avec l’instinct de cruauté qu’il avoitreçu de la nature. Les uns, par excès de timidité, ont porté la barbarie plus loin qu’il ne leur étoit commandé ; les autres par le sentiment d’une haine invétérée, contre les gens de bien, les autres par un secret penchant à la féro-cité, d’autres pour faire bassement leur cour et mériter de plus hauts emplois par leur servile coin-plaisance, ont fait couler les flots du sang chré-tien. On en a vu s’ériger eux-mêmes en bour-reaux, insatiables de massacres, comme ce Phry-gien qui, de sa main, mit le feu à l’église où tous les chrétiens se tro avoient rassemblés, pour que pas une victime n’échappât. Encore, cette épou-vantable barbarie étoit-elle clémence, auprès de cette autre persécution, déguisée sous le nom d’hu-inanité, qui épargne le sang pour égorger avec plus de cruauté (1).

(1) Celle, par exemple, de Julien.

La persécution ne s’est pas bornée à une seule contrée. Du point de départ où il commença scs premiers ravages, le monstre s’est étendu surtout (pagcs/iSp,) l’univers, dont il a fait sa proie, s’acharnant non pas seulement sur les membres de ses victimes, mais jusque sur leurs restes ,n’épargnant pas leur cendre, leur enviant jusqu’à l’asile des tombeaux.

J’ai vu en Bithynie un de ces magistrats se livrer (r:'ge 4î;i.) à d’aussi vifs transports de joie que s’il eût subju-gué une nation barbare, parce qu’un chrétien, qui avoit ' courageusement résisté deux ans entiers, avoit fini par paroître céder. C’étoit pour lui une victoire. Et réellement toutes ces violences de nos persécuteurs n’ont pas d’autre but que de !!’être pas vaincus parla constance des martyrs. C’est une lutte qui s’engage entre le bourreau et la victime. Tout l’art du premier consiste à enlever à l’autre l’honneur d’expirer dans les tourmens, comme s’il falloît la mort pour en déterminer le triomphe, et que la rigueur des supplices ne fût pas un titre encore plus éclatant pour la gloire de la vertu.

Dans le délire de la haine qui les anime, ils commandent aux exécuteurs de ménager avec une savante gradation les tortures des confesseurs, de les varier, de les renouveler, sans épuiser leurs forces, de réserver continuellement de nouveaux membres pour de nouveaux tourmens. Quoi de plus miséricordieux, de plus charitable, de plus humain? Voilà les leçons qu’ils tiennent de leurs dieux; voilà les sacrifices qu’il faut à ces divinités.

(Pag<‘492.) Êtes-vous donc ennemis de la justice au point que, dans l’égarement de vos esprits son nom soit l’expression de tous les crimes? L’innocence seroit - elle donc tellement anéantie , que vous croyiez encore lui faire grâce en ne la tuant pas d’un seul coup, el ·pie ce soit à vos yeux s’être rendu coupable de tous les crimes de n’en avoir point à se reprocher? De deux choses l’une, ou nous sommes des sages, alors imitOz-nous ; ou des in-sense's, dans ce cas méprisez-nous. Mais pourquoi nous déchirer, nous mettre à la torture ? Nous ne vous envions pas votre sagesse : notre folie nous plaît ;loin d’y renoncer, nous l’estimons heureuse, puisqu’elle nous commande de vous aimer, et de faire à ceux qui nous haïssent tout le bien qui de-pend de nous.

Cependant', malgré les persécutions, le nombre des chrétiens ne fait que s’accroître de jour en jour. (page.494) La vérité subsiste par sa propre énergie. Mais d’autre part, on n’en persiste pas moins à fermer les yeux à sa lumière. On trouve étrange que des hommes libres d’éviter les supplices et la mort, préfèrent d’y courir. On les accuse de démence, comme s’il pouvoit y avoir de la démence où il y a unanimité de religion et de culte dans cette pro-digicuse quantité de chrétiens de tout âge, de tout sexe, de toute condition, répandus d’une extré-mité à l’autre de l’univers, tous également à l’épreuve des supplices. Que si, dans cette multitude immense, quelques-uns succombent, vaincus par la force des tournions, aux premiers rayons de la paix rendue à !’Eglise (page.495) ils viennent expier leur faute par la pénitence, et rentrent à son service avec plus de ferveur qu’auparavant.

Mais quelle est !,impression que produit sur l’esprit des peuples la vue de nos généreux con-fesseurs déchirés avec une aussi odieuse barbarie, et conservant une invincible patience sous les coups des bourreaux épuisés de lassitude ? On finit par croire , ce qui est vrai, qu’une croyance aussi étendue, qu’un héroïsme aussi persévérant ne sont pas des illusions ni du fanatisme, et qu’il faut né-cessairement !’assistance d’une force supérieure pour soutenir ainsi le courage au milieu d’aussi cruelles tortures. En effet, que l’on voie les mal-faiteurs les plus vigoureux sous la main de la loi qui les frappe; leurs forces les abandonnent, ils gémissent, ils s’écrient, la souffrance les abat parce qu’ils ne sont pas soutenus par cette force d’en haut. Chez nous ce ne sont pas seulement les hommes, mais l’âge, comme le sexe le plus délicat et le plus foible, qui triomphent de leurs bourreaux par leur silence. La flamme même des bûchers n’arrache pas un gémissement de leur bouche. Qui les contraint à souffrir ?Ce n’est pas la néccs-sité ; pour s’en exempter il leur suffirait de le vou-loir: c’est leur confiance dans le Dieu qui anime et fortifie leur courage.

(l’âge 501.) Platon nous a transmis beaucoup de choses sur l’unité d’un Dieu créateur de l’univers ;il ne dit rien du culte qui lui est du. Il rêva Dieu; il ne le connut pas.

Dieu, qui donne à tous les hommes I’elre et l’intelligence, (l’âge •2»«׳.) nous a tous fait naître sous une meme loi. 11 nous a tous appelés à la sagesse, nous pro-met à tous d’immortelles destinées. Personne n’est étranger à ses bienfaits. 11 partage également entre tous tous les rayons de son soleil, l’eau des fou-laines, les alimens nécessaires à leur subsistance, les douceurs du sommeil, les principes de justice et de vertu. Il ne connoît dans son empire ni es-clave, ni maître, parce que, étant également le père de tous, tous ses enfans sont également libres. Il n’y a, à scs yeux, de pauvre que celui qui esl in-digentde justice ; de riche, que celui qui abonde en vertus; de noble , que celui qui est homme de bien , irréprochable ; d’illustre et de grand, que celui qui exerce les œuvres de miséricorde; de par-fait, que celui qui a passé par tous les échelons de la vertu.

Oh! combien sera frêle et impuissante la vertu (Page 5Ί5.) qui n’est pas soutenue par l’espoir de la récom-pense! Si elle n’en attend que de Dieu, quelle jalouse et barbare cruauté de lui disputer des biens qu’elle n’attend que d’en haut ! Elle trouve, me répondez-vous, en elle-même sa propre récom-pense. Oui, lorsqu’on lui fait un crime de son nom, et que son éclat même devient le titre de sa cou-damnation. Vous insistez : Dans les horreurs même de l’exil et de l’indigence, dans l’obscurité des cachots, sous le glaive des bourreaux, dans les flammes des bûchers, elle ne manquera point sa récompense, à moins de s’anéantir elle-même; et ce n’est plus la vertu. Dites que c’est Dieu qui la |ni réserve ; et pour une vje nouvelle qui ne lui sera pas enlevée. Autrement, point de mécompte plus extravagant que d’être vertueux. Et c’en est assez de ce seul raisonnement pour témoigner que l’âme n’est point condamnée à mourir, et que Dieu lui assure une récompense digne d’elle et de lui.

Aimer mieux se mettre en pièces que de brûler quelques grains d’encens sur l’autel d’une idole, semble être un trait de folie pareil à celui d’un homme qui, dans une violente agression, mena-geroitla vie de son adversaire plus que la sienne propre. Ceux qui parlent ainsi ne savent pas quel crime c’est d’adorer autre chose que le Dieu souverain (51C>) créateur du ciel et de la terre; comme s’il pouvoit jamais être permis à un serviteur de trahir les intérêts de son maître, à un fils de déshonorer son père.

(t’iigc 51·».) Puisque les persécutions n’ont fait qu’étendre !’Eglise de Dieu , bien loin de l’anéantir, que n’em-ploie-t-on d’autres argumens que les échafauds ? Que l’on veuille bien substituer le raisonnement à la violence; que les pontifes et les sacrificateurs . nous provoquent au combat; qu’ils prennent en main la cause de leurs dieux ; qu’ils nous opposent des témoignages puisés à des sources divines, comme nous le faisons , nous, dans la défense de notre religion; il ne faut pas ici ni des fureurs ni des injures. La religion ne se contraint pas: que l’on nous combatte par la discussion , non par la tyrannie. S’ils ont de légitimes preuves, qu’ils les produisent, nous sommes prêts à les entendre. (t’iigc 51·».) Car enfin, tant qu’ils se taisent, le moyen de les croire? Mais ce n’est point à leurs arrêts de pro-scription que nous céderons. Qu’ils fassent comme nous. Nous ne forçons personne à rester avec nous malgré soi. Dieu ne veut pas à son service celui qui manque de foi et d’amour. Tant que l’on reste sous une bannière, c’est que l’on y croit. Seulement qu’ils prennent garde que le plus simple enfant parmi nous ne sera pas dupe de leurs divinités; que l’on connoît leurs généalogies , les lieux où ces prétendus immortels ont pris naissance, ceux où ils sont morts; et par cela seul ils apprendront la différence qu’il y a entre la vérité et le mensonge , puisqu’eux, avec toute leur éloquence, ils ne peu-vent.nous persuader, tandis que les plus ignorans parmi nous connoissent à fond tous les dogmes de notre croyance, parce que nous avons pour nous la vérité et l’évidence elle-même. Pourquoi refu* scnt-ils de s’en instruire auprès de nous, si ce n’est qu’ils ont peur que nous ne les démasquions ? Us aiment bien mieux envelopper les leurs des ombres du mystère , et laisser le peuple dans l'ignorance de ce qu’il adore. Mais nous, qui connaissons les uns elles autres, pourquoi nous défendre de les divulguer?(Page 520.) La leur est, nous dit-on, la religion natio-nale ; il faut la soutenir. A la bonne heure, mais comment? non en versant le sang des autres, mais le sien propre; non par des exécutions, mais par la patience ; non par le crime, mais par la créance. Soutenir une religion par les échafauds , par la persécution, ce n’est pas la venger, c’est la dégra-der et !’outrager. Ptien de plus libre que la con-science. Tout sacrifice contraint, anéantit la rcli-gion. C’est donc une conséquence naturelle de savoir souffrir et mourir pour sa religion quand on la croit véritable. C’est une œuvre agréable au Sei-gneur, cl qui rehausse l’autorité de la religion. Car si le soldat qui s’expose bravement à la mort pour le service du prince, quand il échappe au danger en devient plus recommandable et plus cher à son maître, et s’il succombe emporte avec (page521) lui une éclatante gloire, combien n’est-on pas tenu davantage à être fidèle envers le maître de tout, qui a des récompenses à donner non-seule-ment durant la vie, mais après la mort? Comment Dieu aimcroit-il cet adorateur qui n’a point pour lui d’amour? comment cxauceroil-il des prières qui ne lui sont point adressées du fond du cœur? Or voilà les sacrifices que les infidèles offrent à la divinité : rien d’intérieur, rien qui leur soit propre; absence totale de recueillement et de crainte. Le sacrifice fait, ils ont laissé la religion à la porte du sanctuaire; ils en sortent comme ils y éloient en-très, sans en rien rapporter. De telles religions sont donc incapables de produire la vertu; bien moins encore de lui imprimer une durée fixe et invariable.

Qu’est-ce donc que cette religion païenne, qui (Page 526.) est révérée dans les temples, tournée en ridicule sur les théâtres, outragée par les philosophes et les poètes, méprisée de ses propres sectateurs?

Et c’est nous qu’on persécute avec la cruauté la plus inouïe,comme les ennemis de cette religion, tan-dis que ceux qui l’outragent avec audace sont applaudis et comblés d’honneurs!

Mais les persécuteurs auront leur tour. Les (page 554.) loups dévorans, qui ont fait périr tant d’âmes justes et innocentes, auront un juge et un vengeur terrible. Pour nous, tous nos soins seront que les hommes ne trouvent à punir en nous que notre religion cl notre justice, et que nous puissions obtenir de Dieu de n’être vengés de nos souffrances que par les récompenses qui leur sont promises.

LtVRE VI. Ce soleil, placé à la voûte du firmament, (page 544.) qui, à raison de la distance où il est de nous, semble n’offrir à nos regards qu’un globe d’un si foible diamètre, il vous est impossible de soutenir l’éclat de ses rayons; et pour peu que votre vue se fixe sur lui, vous en êtes ébloui, aveugle'; quelle doit donc être, à proportion, la vive lumière de ce grand Dieu qui ne connoît point de nuit!

(Page 548.) Le sacrifice que veut la Divinité', c’est l’inno-cence et la pureté' du cœur; c’est la pratique des vertus qui viennent de Dieu et remontent à leur source: le culte ve'ritable , c’est l’oblation de l’âme pure qui se donne elle-même à Dieu comme une victime sans tache; il ne consiste pas dans f'appa-reil exte'rieur de victimes d’animaux, et d’unpom-peux cérémonial.

(Page 549 et suiv.) L’homme, jeté sur la terre, s’y trouve placé entre deux chemins qui aboutissent, l’un au séjour des célestes récompenses , l’autre au fieu des châtimcns. Le premier, qui est le chemin de la vertu , est, à son entrée, rude, escarpé, couvert de rochers et de cailloux, hérissé d’épines et de buissons , bordé de précipices et de torrens. Il faut ,pour y avancer, de continuels efforts ; il faut gravir, ne marcher qu’avec la plus sévère circonspection. Mais que l’on ait le courage de franchir ces premières dif-ficultés ; plus on avance , plus la route s’aplanit ; la scène change ; ce n'est plus qu’une avenue déli-cieuse, éclairée d’une douce lumière, où il n’y a plus ni travaux, ni dangers; mais repos, mais jouissances inaltérables. Malheur à ceux qui se sont laissé effrayer par les difficultés de l’abord ! le pied leur manque, et ils tombent dans l’autre roule. Celle-ci, au premier coup d’œil, est douce, cieuse, riante; elle est large et spacieuse, abon-dante en fleurs et en fruits, tout ce que l’on appelle ici-bas des biens, richesses, distinctions, plaisirs, toutes les amorces du 5ûce ; avec elle injustice, cruauté'» orgueil, perfidie , intempérance, discorde, ignorance, fraude, toutes les passions. Quel en est le dénouement? Après avoir quelque temps marché dans cette route, il faut bien en venir au terme; plus de moyen de reculer; les as-peels enchanteurs s'effacent; tout a disparu tout-à-coup. A peine on a le temps de reconnoitre son erreur, que l’on se trouve au fond de l’abîme (1). On s’est laissé séduire par ces brillantes apparences des biens de la terre; tout entier au soin de les acquérir, et de les conserver, on ne pense pas au lendemain; on vit sans défiance sur les suites de la mort, on s’est éloigné de Dieu; et l’on va expier dans les enfers sa coupable erreur. 11 eût י bien mieux valu marcher par ce sentier étroit et difficile où se rencontrent la justice, la tempérance, la vé-ri lé , la douceur, la vraic science, et la vraie sagesse, toutes les vertus ; ne pas borner scs espérances au jour présent, et se passer des faux biens de ]a terre. Ce chemin est trop étroit, trop glissant pour que l’on puisse y marcher avec assurance quand on y traîne l’importun bagage des richesses et des dignités humaines. Aussi, le juste, engagé dans cette route pénible, se garde-t-il bien de s’en embarrasser. Et parce qu’il marche sans ce cortège éblouissant, on le dédaigne, on n’a pour lui que haine et que mépris. Tous ces misérables esclaves de la fortune ou de la volupté ne le voient qu’avec des yeux d’envie; on ne lui pardonne pas ce calme intérieur dont il jouit, et que le vice est bien loin de donner. Il faut donc qu’il se résigne à l’indi-gence, à l’obscurité , à tout ce qu’il y a de plus dur et de plus amer. Mais arrivé au terme, c’est alors que sa vertu reçoit sa récompense , et que les biens de l’immortalité le dédommagent des fatigues de sa carrière laborieuse.

(1) Nul doute que Bossuet n’ait eu présente à la pensée celte belle allégorie de Lactance, quand il a composé son fameux morceau: La vie humaine est semblable à un chemin, etc. {Serm. de Pâques, torn, vin, pag. 256.) 11 suHisoit à son génie de l’avoir lu, pour en tirer ־ l’aperçu qu’il a si magnifiquement développé.

Tel est le partage que Dieu a établi entre la vie présente et la vie future. Dans la première, tout passe bien vite , et les biens et les maux. Dans la vie future, les biens et les maux seront éternels, parce qu’elle ne finira jamais.

(Page 569.) Les philosophes ont cherché la vérité ; mais ils l’ont cherchée sur la terre, où elle n’est pas. Ils se sont égarés ainsi que sur une vaste mer où l’on voyage sans avoir de point fixe ni de guide. Leur vue auroit dû se diriger vers le ciel. Ils ne l’ont pas fail : le navire, marchant an hasard, adonné dans ions les écueils.

Sans l’espérance de l’immortalité, la vertu, avec (p;,gc 575.) les sacrifices qu’elle impose el les épreuves qui l’ac-coinpagnent, n’est plus que vanité. S’il n’y a point pour elle de récompense après la mort, à quoi bon se refuser les biens que dispense la bonté divine?

Est-ce ingratitude? est-ce défaut de mérite? Pour les avoir, qu’importe que l’on soit un scélérat, un impie? Mieux vaut l’être, que de vivre dans l’indi-gence, que de se dévouer au travail, aux supplices, à la misère, puisque c’est là l’ordinaire partage de la vertu.

Le premier caractère de la justice est de connoître (pagc 5-6.) ses devoirs envers Dieu; le second, qui ne fait qu’un avec l’autre , est de connoître scs devoirs envers le prochain, qui est l’image de Dieu. Le premier c’est la religion ; l’autre c’est la miséri-corde ou l’humanité. Tous deux remontent à une source commune , Dieu, principe, auteur de toute vertu. Dieu, en refusant aux animaux le privilège de la raison, les a pourvus de moyens naturels pour se défendre contre les dangers. Outre !’.avantage particulier de la raison que Dieu a départi à l’homme, en le faisant naître nu et foible, il lui a donné le sentiment qui le porte à aimer son semblable, à !’assister de ses secours, de ses soins; ce qui établit parmi les hommes l’échange des scr-vices mutuels. Le lien le plus sacré de la société c’est donc l’humanité; le rompre, c’est se rendre criminel et parricide: car s’il est vrai, comme on n’en sauroit douter, que tous les hommes tirent leur commune descendance d’un premier père, dont l’origine remonte à Dieu son créateur, il s’en-suit que l’on ne peut, sans un attentat sacrilège, haïr aucun homme , fût-il même coupable. Aussi Dieu nous défend-il, dans sa loi, toute espèce d’inimitiés. Pourquoi? Parce qu’étant tous son ouvrage, nous sommes enfans du même père, tous membres d’une même famille, unis par des liens plus étroits encore que ceux de la nature. C’est donc renoncer au pacte de famille, se reléguer dans la classe des animaux féroces, que de se livrer à des vengeances, à des haines, à des persécutions. En vertu de cette communauté qui nous lie les uns aux autres, le souverain législateur ne permet pas que nous fassions à nos semblables autre chose que du bien. Le bien qu’il nous commande, quel est-il? il s’est lui-même expliqué là-dessus. C’est de secourir ceux qui sont dans l’affliction et dans la peine, de partager notre subsistance avec ceux qui en manquent. Essentiellement miséricor-dieux, il a fait l’homme à son image, il nous a créés pour la société. Nous devons donc nous con-sidérer nous-mêmes dans chacun des hommes. Nous ne méritons pas d’être secourus dans nos. dangers, si nous les délaissons dans les leurs; nous perdons tout droit à leur assistance, si nous leur refusons la nôtre.

Ce n’est pas dans les livres des philosophes que (Page 5;8) vous trouverez cette morale. Tous leurs bizarres systèmes sur !,origine de !,homme, sur la formation dessociétés,n’offrentd’autres résultats que d'isoler les hommes. Insensés! qui, bien loin de reconnoî-tre les droits de la miséricorde, !,ont osé pro-scrire du code de l’humanité, comme une vertu étrangère et nuisible à l’homme. Nous conservons l’humanité, comme la vertu propre à !,homme. Eh! que faut-il entendre par ce mot? Aimer le prochain; par cela seul qu’il est homme, et qu’à ce titre il est tout ce que nous sommes. Cicéron l’a (Page 581.) dit, et avec raison : L’homme qui obéit à la nature ne sait pas nuire à un autre. Si c’est manquer à la nature que de nuire au prochain, c’est la suivre que de l’assister; c’est se dépouiller du nom d’homme, abjurer !,humanité, que d’etre sans mi-séricorde. Je demanderai à ces philosophes, qui croiraient dégrader leur sagesse en se montrant compatissans : si vous voyiez un animal féroce se jeter sur un homme, ou le feu dévorer sa maison, vous croiriez-vous obligés de le secourir ; oui ou non? La réponse ne seroit pas embarrassante.

Hésiter, seroit se déclarer étranger à l’espèce humaine; car, enfin, dira-t-on, la meme chose ne peut-elle pas m’arriver à moi aussi bien qu’à lui (1) ? Indépendamment de tout intérêt personnel, n’y a-t-il pas une force de courage estimable à sauver une victime qui va périr? Mais, dites-moi, la misère qui le presse n’est-ellc pas aussi une bête féroce? la fièvre qui le consume n’est-elle pas aussi un feu dévorant?

(1) « L'humanité, a dit un évêque illustre des temps modernes, est une affection du cœur qui nous porte vers ceux qui ont avec nous une nature commune. C’est une sorte de surabondance de l’amour de nous-mêmes qui s’épanche sur ce qui nous environne. La charité chrétienne va beaucoup plus loin, parce que son principe remonte bien plus haut.« M. l’évêq. de Langres, card, de la Luzerne, Inslr. past, sur l’exccll. de la relig. pag. 40, in-4״·

Vous m’allez dire : mais la miséricorde doit-elle s’exercer indifféremment ? ne doit-elle pas plutôt choisir ceux qui sont dignes de ses bienfaits? Je réponds qu’il suffit d’être misérable pour avoir droit à votre humanité. Cet homme ne reconnoîtra point le service que vous lui rendez : que vous importe? vous aurez fait le bien par principe de justice ,de religion·, d’humanité, si vous l’avez fait sans espoir de retour. L’humanité n’est pas un trafic. Vous déshonorez votre bienfait en ne l’ap-pliquant qu’à ceux qui en sont dignes. C’étoit donc dans l’espérance d’être récompensé que vous fai-siez un acte de justice ! où en est le mérite ?Quoi ! sous le prétexte qu’il ne l’a pas mérité, il faudra que ce pauvre meure de faim, de soif, de misère? il faudra que ce riche opulent, et qui regorge de biens, en laisse manquer celui qui est réduit à loutes les extrémités du besoin? Si la vertu ne cal-cule pas les chances de l’avenir, il faut la prati-quer pour elle-même; estimez-la donc pour elle, et non dans les vues du retour. Si vous avez des pre'dilections , qu’elles soient pour celui de qui vous n’avez rien à espérer. Pourquoi choisir ? pour-quoi soumettre à cette inquisition les membres de son corps ? Quel qu’il soit, n’est-ce pas un homme ? et un homme qui ne s’adresse à vous que parce qu’il vous croit un homme? Piepoussez cette ombre vaine de justice que vous vous faites. Donnez à cet aveugle, à ce boiteux, à ce pauvre abandonné, qui va mourir si vous ne lui donnez pas. Il est inutile à la société, il ne l’est pas à Dieu, qui lui a donné l’être, le souffle qu’il respire, la lumière qui l’é-claire. Empêchez, tant que vous le pouvez, que ce ne soit là pour lui un fardeau plutôt qu’un bienfait.

Qui peut secourir le malheureux qui périt, et 11e (585.) le fait pas , l’assassine (1). Mais voyez ces hommes qui méconnoissent également et la nature et la ré-compense réelle attachée à la miséricorde; dupes de leurs propres calculs, ils perdent pour craindre de perdre ; ils tombent dans le mal qu’ils cher-client à éviter. Quel prix recueillent-ils de ces ri-chesses qu’ils dissipent, ou qu’ils ne gardent que pour si peu de temps ? Ils refusent aux indigens une modique aumône ; ils consentent à être hu-mains pourvu qu’il ne leur en coûte rien ; ils se ruinent à des dépenses frivoles pour des jouissances d’un moment, et qui, loin de leur profiter, ne ser-vent qu’à leur préparer de sévères châtimens; ils s’épuisent pour des ingrats qui les auront bientôt oubliés. Ce qu’ils auroient donné aux indigens , ils Γauroient placé à grand intérêt. L’avantage le plus vrai, le plus précieux de la richesse , c’est de n’en user pas pour son seul plaisir, mais pour le bien de plusieurs ; non pour la commodité pré-sente et passagère , mais pour la justice , qui seule ne passe point. Il faut donc établir pour principe, dans la dispensation de l’aumône, qu’elle doit être d’abord désintéressée. Dans toute œuvre de misé-ricorde et de charité, c’est de Dieu seul qu’il faut attendre sa récompense. Si vous comptez sur la reconnoissance des hommes, ce n’est plus humanité, ce n'est plus que spéculation; c’est s’obliger soi-même, et non pas le prochain.

(1) Bossuet :« Tons les saints pères disent d’un commun accord que » ce riche inhumain dépouille le pauvre Lazare, parce qu’il ne l’a » pas revêtu ; qu’il l’a égorgé cruellement, parce qu’il ne l’a pas nourri .־ »Quia non. pavisti, occidisù. » (Serm. tom. 1, pag. 68.) Les sa vans bénédictins éditeurs des sermons de l’évêqne de Meaux citent à la marge Lactance comme auteur de cette maxime, et renvoient à ce passage de ses institutions. Le vrai texte est: Qui succurrere périt uro potest, si non succurrerit, occidil. Ce mot, si plein de vérité et d’éiier-gie, a été depuis employé dans toutes les exhortations sur l’aumônc;< il est devenu en quelque sorte proverbe dans la chaire chrétienne , mais avec plus ou moins d’exactitude dans la citation. La Colombière le donne à S. Ambroise (Senn. tom. iv, pag. 15j ), Neuville l’a répète d’après lui ( Carême, tom. 11. pag. 5/5), et ils ont raison. Bretteville le cite sous le nom de Lactance (Essais, tom. 11, pag. 166, 555); d’aulres sous celui de S. Augustin.

(Page 585.) En tâte des œuvres de miséricorde je place le devoir de l’hospitalité. Faut-il n’entendre, par ce précepte, avec les sages de la profane anti-quité (Cicéron et Théophraste ) , qu’un commerce de civilité qui consiste à ouvrir sa maison à d’illus-très étrangers ? Préférence non moins injuste que celle que je viens de combattre. Les personnages (Page 586.) distingués par le rang ne sont pas ceux qui ont besoin de vos largesses ; c’est le pauvre qui les réclame. Vous irez çà et là , courir à toutes les por-tes, offrant votre maison pour asile à des gouver-neurs de provinces , à des généraux d’armées qui sauront bien en trouver ailleurs, et vous rendront le change. Ce n’est pas là l’hospitalité : c’est échan-ge de service, un prêt et non pas un don.

Le rachat des captifs n’entre pas moins dans les (Page 587. et suiv) obligations de la justice : charité miséricordieuse que je mets encore au-dessus des largesses de la bienfaisance. L’exercice de celle-ci veut de la richesse; elle ne suppose pas toujours le sentiment pur de la justice. Il n’y a que le juste proprement dit qui se fasse un devoir de nourrir les pauvres, de racheter les prisonniers qui ne s’attendaient pas à l’être. La bienfaisance s’exerce sur un pa-rent, sur un ami; est-ce là un si grand mérite? elle n’a fait qu’acquitter une dette rigoureuse , im-posée par la nature , par les bienséances , par l’in-térêt de sa réputation et la crainte du blâme. Mais se montrer généreux envers un étranger, un inconnu, c’est là le véritable mérite, parce que l’humanité seule en a été le mobile. Mais délivrer -les captifs, assister la veuve et l’orphelin , soula-ger les malades, ensevelir les morts à qui leurs familles n’ont pu rendre cet office, ce n’est pas seulement suivre un sentiment naturel, c’est obéir à la loi de Dieu, c’est s’offrir soi-même comme victime au Seigneur, et se ménager les plus ma-gniliques récompenses. Quoi! ensevelir les raorls! eh ! qu’en ont-ils besoin ? Pourquoi donc les 110m-mes l’auroient-ils fait, si ce n’étoit une œuvre bonne et humaine ? Qu’elle soit indifférente aux morts, à la bonne heure! mais il est question ici de l’âme , et non pas du cadavre : c’est l’intention que nous jugeons, non pas le fait. O brutale in-sensibilité que celle qui ne verroit dans ces restes de l’homme que la proie des vers ou des oiseaux, là où le chrétien recommit encore l’œuvre et Γ1-inaee du Créateur! Ce n’est plus à l’homme, à une poussière inanimée que vous rendez ce dernier service, mais à Dieu-même.

Vous m’allez dire : «Si je me dépouille de la sorte, il ne me restera plus rien ; et qu’il vienne à se rencontrer un grand nombre de pauvres expose's aux privations de la faim, de la soif, de la captivité, mourans; faudra-t-il donc que je sacrifie tout mon bien en un jour, leur abandonner tout ce que je possède , tout ce que m’ont acquis les sueurs de mes ancêtres, au risque de me mettre moi-même, à l’aumône ?» Nais avez-vous donc !,âme assez pu-sillanime pour craindre la pauvreté', après tous les e'ioges que les philosophes mêmes lui ont don-nés, comme étant de toutes les situations la plus tranquille et la plus assurée ? Ce que vous redoutez si fort est un port qui vous met à l’abri des ora-ges et des sollicitudes. Ignorez-vous à quel danger vous exposent ces perfides richesses? heureux si vouslesperdez sans faire naufrage! Ces dépouilles que vous tenez de vos ancêtres, excitent contre vous la secrète envie de ceux qui aspirent à la (!Page 592.) vôtre. N’hésitez donc pas à placer mieux ce qui peut-être vous sera enlevé par des voleurs, par une soudaine proscription, par quelque ennemi. Que craignez-vous de rendre éternel un bien fragile et passager, de confier vos trésors au plus fidèle des dépositaires, à Dieu qui les tiendra en réserve dans un lieu où il n’y a plus ni voleurs, ni temps, ni tyrans qui puissent vous les ravir? Qui est riche devant Dieu ne peut jamais être pauvre. Si vous avez de la justice l’estime que vous lui devez, dé-faites-vous de cette charge importune pour y marcher avec plus de liberté. Affranchissez-vous de ecs entraves qui arrêtent votre essor vers le ciel : élevez-vous par une vertu sublime au- dessus de toutes les choses de la terre. Que si vous n’êtes pas capables d’un aussi noble désintéressement, je vais vous rassurer : le précepte ne s’adressant pas à vous seul, il est général. Cet héroïsme de per-lection est au-dessus de vos forces; eh bien! soit: bornez-le à l’étendue de vos moyens, en sorte néan-moins que si vous l’emportez sur les autres en ri-chesses, vous l’emportiez aussi en bonnes œuvres. Ne croyez pas que l’on veuille vous porter à re-trancher de votre nécessaire , encore moins à e'pui-ser votre bien, mais seulement à employer en cho-ses bonnes et salutaires ee que vous emploieriez en superflu. Donnez au rachat des captifs cet or que vous destiniez à l’achat d’animaux. Nourrissez les pauvres de ee superflu que vous donnez à l’en-tretien de votre luxe. Portez à l’ensevelissement des morts cet argent dont vous enrichissez de san-guinaires gladiateurs et tous ces hommes dont on paie si largement l’oisiveté et la corruption. Votre (Page 595.) miséricorde ne restera pas sans récompense : Dieu vous promet pour cette vie la rémission de vos péchés ; il fera de votre miséricorde envers les pauvres la mesure de celle qu’il exercera envers vous. Si vous fermez l’oreille aux prières qui vous implorent, Dieu sera sourd à la vôtre; il vous ju-géra d’après vos propres lois. Toutes les fois donc qu’un pauvre vous demande de l’assister, figurez-vous que c’est Dieu lui-même qui vous lente pour éprouver si vous êtes digne d’être exaucé par lui. N’abusez pas des grâces attachées à l’aumône pour pécher: elle ne vous dispense point de la péni-tencc, pas plus que la pénitence ne dispense du devoir de l’aumône. Expiation du péché, l’aumône en est aussi le préservatif.

Si les adorateurs des faux dieux s’empressent de Page 5<s4. couvrir de magnifiques ornemens les images de leurs idoles insensibles, combien n’cst-il pas plus raisonnable et plus méritoire de revêtir les vivantes images du vrai Dieu!

La religion n’anéantit pas les passions, elle les (Page 595 et suiv.) épure , elle en corrige les vicieuses inclinations.

Retrancher les passions du cœur de l’homme, ce seroit détruire la vertu elle-même ; car si clic consiste à en réprimer les excès , il n’y a point de vertu là où il n’y a rien à réprimer, comme il n’y a point de victoire à moins qu’il n’y ait eu un ennemi à soumettre (1). Sur cette terre pas de bien qui ne touche à quelque mal. Le cœur de l’homme est une terre qui ne peut rester ste'rile ; si vous ne la cul-livez point, il y croît des épines. Les vices sont les épines du cœur. Le' fidèle s’applique à les corn-battre; il s’arme contre les vices, pour faire croître les vertus. C’est Dieu lui-même qui, en créant l’homme, a mis dans son cœur les germes des passions ; c’est à l’homme à en faire, la matière de ses vices 011 de ses vertus. Il est donc important de se défier des vices même les plus indifférens en apparence , de les attaquer à leur commencement, pour tourner vers le bien cette même activité de passions qui se porteroit au mal.

(1) Cambacérès, parmi les modernes , développe la même théorie sur les passions dans son sermon sur le bonheur, (tom. 1, pag. 96.) La doctrine qui ordonne de les combattre sans ménagement est bien plus sûre. Le prédicateur qui aura cetlc matière à traiter consultera avec fruit l’instruction vraiment dogmatique de M. l’évêque deLangres, cardinal de la Liucrnc, sur l’excellence de la religion, pag. 32, 35 de i’edit. in-4°;et s’écriera avec l’aigle de Meaux :« Nos passions contre » nous, nus passions sur nous, nos passions au milieu de nous ; trait per-״ çant contre notre sein , poids insupportable sur notre tête, poison dé-»vorant dans nos entrailles. » Serm. du 5e dim. de l’Avent, tom. !1, pag. 276.

(!’«617 ·'&·׳.) Bien loin d’avoir de l’indifférence pour les spectacles, on les goûte , on les recherche , on y assiste avec plaisir. Parce qu’il n’y a rien qui excite plus puissamment au vice , rien qui ne soit plus propre à corrompre le cœur, c’est pour nous un de-voir de les combattre comme inutiles et dangereux. Cet homme, bien que justement condamné pour ses crimes , se faire un divertissement de voir cou-1er son sang, c’est un acte de cruauté qui engage la conscience et qui la souille. On n’assiste pas à un meurtre exécuté dans l’ombre, sans y parti-ciper ; et l’on donne le nom de passe-te mps à des spectacles où l’on voit couler à grands flots le sang humain ! Où est l’humanité de se faire un jeu de ce qui tue les aines (1) ? Quel sentiment de justice, et de religion peut-il rester à des hommes qui, voyant des malheureux prêts à expirer et deinan-dant grâce , non-seulement les laissent égorger de sane-froid , mais en sollicitent l’exécution par leurs féroces suffrages, et n’ont pas encore assez de tout le sang qui a déjà coulé; qui demandent que l’on revienne à la charge sur la victime expirante, de peur qu’elle ne soit pas bien morte ; s’indignent qu’elle ne succombe pas assez vite ; et quand on n’en peut plus douter, insatiables de carnage, veulent encore de nouvelles recrues pour la mort? Une fois que l’habitude en est prise , adieu tout principe d’humanité. Celle pitié, que vous refusez aux coupables , vous ne l’accorderez pas même aux innocens ; vous appliquerez à tous les hommes indifféremment ce que vous a fait éprouver le sup-plice d’un criminel. S’associer, par une secrète connivence, à des meurtres publics, ne convient (Page 618.) pas à des hommes qui s’efforcent de marcher dans les voies de la justice. La loi par laquelle Dieu nous défend de tuer ne concerne pas seulement la dé-fense d’exercer le métier d’assassins et de voleurs publics, les lois humaines elles-mêmes s’y oppo-sent; elle va plus loin, elle interdit tout ce qui y y mène, bien que toléré ou permis par les lois humaines. Tuer par le glaive ou par la langue , crime égal aux yeux de la souveraine justice.

(1) La princesse Anne-Henriette de France (morte à Versailles le !()février 1/52) disoit un jour à une personne qu’elle lionoroit de quelque confiance , qu’elle ne eoncevoit pas comment on pouvoit goûter quelque plaisir aux représentations du théâtre ; que pour elle c’étoit un vrai supplice. La personne à qui elle parlait ainsi ne put s’empêcher d’en marquer de l’étonnement, et prit la liberté de lui en demander la raison. Je vous avoue, répondit la princesse, que quelque gaie que je sois en allant à la comédie, sitôt que je vois les premiers acteurs paraître sur la scène , je tombe tout à coup dans la plus pro-fonde tristesse : voilà, me dis-je à moi-même, des hommes qui se damnent de propos délibéré pour me divertir; cette réflexion m’occupe et m’absorbe tout entière pendant le spectacle. Quel plaisir pourrois-je y goûter ? » Rapporté par l’abbé Clément, Maximes pour se conduire chrétiennement dans le monde. Després de Boissy, Leur. sur les spect. pag. 251.

Les théâtres sont-ils moins coupables ? J’en doute. Que voit-on sur la scène? Des représentations (Page 719.) d’intrigues amoureuses, où la pompe du lan-gage, le charme d’une poésie harmonieuse, laissent dans la mémoire el dans l’àine du spectateur l’im-pression vive des passions les plus criminelles. Ces tragiques événemensquç l’on y reproduit mettent sous les yeux le parricide, l’inceste, tous les (Page 620.) crimes en cothurne. Quelle école pour les mœurs que les mouvemens de comédiens sans pudeur, que ces pantomimes où l’on ne reçoit que des leçons de corruption; où l’on apprend à devenir adultère par le plaisir que I on goule à le voir re-tracé! Quels exemples pour la jeunesse qui voit et que Ton exerce sans honte une semblable proies-sion, et que l’on assiste sans scrupule à de pareils spectacles! n’est-ce pas l’autoriser à en faire au-tant? n’est-ce pas jeter dans tous ses sens le feu de la passion, qui s’irrite surtout par les yeux, et l’enhardir aux mêmes faiblesses que Ton approuve puisqu’on leur applaudit (1)?L’imagination pleine de ces impressions funestes, on rentre chez soi avec tous les germes de corruption qui fermentent, non-seulement dans l’âme des jeunes gens encore sans expérience, et qu’il faut toujours défendre contre les premières influences du vice , mais dans celle des vieillards, que la seule bienséance devrait en écarter. Il faut donc éviter tout ce qui est spectacle; (Page 621.) non-seulement pour garantir son cœur de tous les mouvemens orageux qui en troublent la pureté; mais pour se défendre contre toutes les amorces des voluptés coupables qui nous détour-nent du service de Dieu et de l’exercice des bonnes œuvres.

(1) Voy. plus haut p. lyyctsuiv. « N’est ce point (concluoit Lactance), n’est-ce donc point aussi un avertissement trop persuasif de ce que vous pouvez faire , Àdnioiientur quid Jacere pussint, quand les exemples des héros, leurs sentimens , leurs discours, leurs actions, leur bonheur jusqu’à leurs infortunes, tout autorise la passion? Àdmonentur quid facere possint, et inflammantur libidine. » L’abbë Clément, Serin, sur lesspect. Carême, tom. n, pag. 201 et 205.

Je ne goûte pas davantage ces concerts domes-tiques où le vice et la séduction se glissent par ce (Pa״c 622.) que l’on entend : qu’importe que vous le trouviez chez vous, ou que vous l’alliez prendre au theatre ! (pa״c 650.) Le beau mérite d’être chaste, parce qu’on est dans l’impuissance de faire autrement! La chasteté n’est vertu qu’autant qu’elle est une vertu surnaturelle, qu’on l’embrasse volontairement; ce qui suppose des sacrifices.

L’adultère, non pas seulement dans le fait, mais dans la pensée, est un crime sévèrement défendu par la loi divine. Votre corps seroit pur;vous ces-sez de l’être, si votre cœur s’est livré à de criminels désirs.

On s’imagine qu’il est bien difficile de mettre un frein à sa convoitise, d’arrêter les écarts d’une imagination qui se jette hors des bornes d’une rigoureuse chasteté. Pourquoi donc seroit-il corn-mandé à tous les hommes de triompher des affec-lions déréglées des sens ? Nous voyons des per-sonnes chastes, et en grand nombre.

Dieu n’a pas fait de la chasteté un précepte ah-soin; l’intérêt de la société, le besoin de la pro-pagation ne lepermcttoitpas.Ce n’est qu’un conseil de perfection à quoi sont, attachées les plus magnifxques (Pagc 631.) récompenses. On s’élève à la gloire de Dieu lui-même, en imitant sa vertu. Difficile? non pour celui qui foule sous ses pieds toutes les affections terrestres pour prendre un essor plus dégagé vers h* ciel. Et quand la chose seroit difficile, n’est-ce point par les diflicultés mêmes qu’il nous faut marcher, nous qui aspirons au souverain bien?

Une fois que l’on a goûté de la coupe des voluptés (page 635.) criminelles , il devient plus difficile de s’en détacher. On marcherait avec bien plus de sécu-rité dans la route du bien , si l’on avoit su dé-fendre son cœur de leurs perfides amorces.

Vers la fin de ce livre ( ch. xxv, pag. G58) Lactance, dissertant sur le culte qui esl dû à Dieu , soutient que les sacrifices les plus agréables au Seigneur ne sont pas ceux cpii lui sont offerts par la multitude des victimes et l’effusion du sang , mais qui viennent d’un cœur pur. Nous le disons encore tous les jours. Mais il ajoute que la majesté divine ne demande pas des temples cons-truits à grands frais : Non tempta illi congcstis in alli-tudinem saxis exstruenda sunt. Sur quoi les éditeurs protestans argumentent contre la magnificence de nos églises. On peut répondre par le seul fait de la pompe des églises chrétiennes dès ccttc haute antiquité. Celle de Nicomédie, que Dioclétien fit abattre, étoit remar-quable par son élévation et par sa richesse. ( Eusèbc , Hist, cedes, lib. x, cap. 1v. ) Les églises que Constantin, ou sainte Hélène sa mère, fil bâtir peu de temps après dans plusieurs des villes de son empire, étoient pour la plupart d’une magnificence dont les nôtres ponrroient à peine approcher. Elles furent égalées par celles que saint Paulin fit construire sur le tombeau de saint Félix. (Voy. Tillem. Ment. tom. xiv, pag. 107. ) Les ornemens et les images n’en étoient pas exclus, témoin ceux dont nous avons la description dans la lettre lxi” de saint Nil au préfet Olympiodore. On peut consulter, sur la magnificence des églises des premiers siècles, Muratori, Dissert, xv! dans Anecdot. eccles. mediolan. Mediol. in4°־j 1697, pag. ’85 et suiv.

(Page 658.) Livre vu. Quel ouvrier s’est amuse' jamais à faire quelque ouvrage sans dessein, ou sans espé-rance d’en tirer profit? On construit une maison: n’est־ce que pour en faire une, ou plutôt pour qu’elle soit habite'e? Citez-moi personne au monde qui travaille en quoi que ce soit, sans se proposer un but d’utilité'. Voilà le monde créé; est-ce pour lui seul intrinsèquement qu’il l’a e'te' ? Matière insen-sible, il n’avoit besoin ni de la chaleur du soleil, ni des vents qui le rafraîchissent, ni des pluies qui le fe'condent, ni des fruits qui parent sa surface. Dieu, qui l’a fait, l’auroit-il fait pour lui-même? Dieu subsistoit auparavant sans qu’il y eût un monde; il pouvoit donc s’en passer. Il a donc fait le monde pour l’homme, puisque c’est l’homme (Page 661.) qui en jouit; et l’homme pour lui seul, pour qu’il adorât ses grandeurs, reconnut sa providence, lui rendît un solennel hommage comme à son Cre'ateur (Page 666.) ef à son Père, et trouvât dans sa fidélité à lui obéir le gage de son immortalité.

Du dogme incontestable de l’immortalité suit (Page 6S0.) nécessairement le dogme de l’éternité des peines et des récompenses ; par conséquent d’un jugement où les unes et les autres seront décernées dans la proportion des mérites.

Ce jugement, qui suivra la dissolution de l’uni-vers, aura pour avant-coureurs des signes pareils à ceux dont le Seigneur frappa autrefois l’Egypte.

Λ son approche, l’iniquité prévalant de plus en (rage 698.) plus dans l’univers en a encore changé toute la face ; la corruption générale est montée à un excès tel, qu'auprès d’elle la dépravation dont nous sommes aujourd’hui témoins, toute monstrueuse qu’elle est, seroit une espèce d’âge d’or. A peine quelques traces de justice dans le monde : l’avarice, la cupidité, la débauche, n’ont pliis de frein; le peu qui reste de gens de bien est la proie des médians qui s’emparent de toutes les richesses pour ne leur laisser en partage que les humilia-lions, le dénuement, les persécutions. Le droit est méconnu; plus de lois, tout à la pointe de l’épée, tout au pouvoir de l’audace et de la force.

La bonne foi, la paix, l’humanité, la vérité, ont disparu, et avec elles la douce sécurité, l’ordre social tout entier : point de trêve dans le mal. Le monde est un vaste théâtre livré au désordre. La guerre exerce partout scs fureurs ; et tous les fléaux répandus sur la terre en moissonnent les habitans. La dévastation et le désordre allant toujours crois-sant; Rome elle-même, Rome, la dominatrice du monde, périra. Son empire passera à l’Asie, !’Orient prévaudra, et !’Occident sera asservi. Ne vous étonnez pas qu’un royaume si solidement affermi, l’ouvrage de tant de siècles et de héros, doive succomber un jour. Est-il rien de ce que les hommes ont fait qui ne soit condamné à périr comme eux? Ainsi a-t־on vu successivement les plus florissans empires se précipiter dans la mort. Égyptiens, Perses, Grecs, Assyriens, brillèrent tour à tour sur la scène du monde ; Rome leur a succédé, Ptome dont la chute sera d’autant plus éclatante que son élévation fut plus haute... S״on empire démembré se partagera en principautés (Page 705.) diverses. Tout à coup du fond du septentrion pa-roîtra l’ennemi le plus formidable qui fut jamais : son joug de fer pesera sur tout l’univers; pour lui rien de sacré: lois divines et humaines, il boule-versera tout. Les flots de san״ couleront autour de celui. Des villes opulentes seront détruites, non-seu-lement par le fer et par le feu, mais par de con-tinuels tremblemens de terre, parles débordemens, par la contagion. Les plus effrayans phénomènes se succéderont sans relâche dans le ciel et sur la terre, et glaceront tous les cœurs d’épouvante: quand enfin le son de la trompette fatale se fera (Page 715.) entendre... Alors les abîmes s’ouvriront, les morts ressusciteront pour être jugés par le souverain juge, à qui Dieu son Père a donné toute-puissance pour ce jour formidable; et ceux dont le mal qu’ils auront fait l’emportera sur le bien , seront condam-nés au châtiment. Le caractère des peines qu’ils auront à subir est détermine' par nos saintes Ecri-turcs. Parce qu’ils ont péché avec leur corps, leur (Page 715.) corps ressuscité expiera leurs péchés ; non plus un corps tel qu’ils !’avoient auparavant, mais un corps d’une substance nouvelle, désormais incorrup-tible et impérissable, pour servir d’éternel aliment aux supplices, et à des feux qui ne finiront jamais.

Ne jugez pas de ce feu par celui qui sert à nos usages, et qui s’éteint faute de matières combus-tibles. C’est un feu divin, immortel, subsistant par sa propre énergie, et de qui l’activité n’a besoin de rien qui l’entretienne. Un feu qui brûle et renou-velle ses victimes, qui sans cesse renaît de lui-même, (Page 719.) qui sans cesse répare les corps qu’il con-sume, et porte en soi son principe d’immortalité.

Ne cherchons pas à en pénétrer le mystère. S’il m’est impossible d’expliquer comment Dieu fit une première fois le corps de l’homme, croyons, sans vouloir l’approfondir, qu’il n’aura pas moins de puissance pour le renouveler. Adorons, prions le Seigneur Dieu du ciel que les conseils de sa jus-lice soient réservés à d’autres temps, et que nous ne tombions point sous le joug de cet exécrable tyran ( l’Antéchrist), dont la funeste apparition précédera la consommation des siècles.