DES
PÈRES DE L’ÉGLISE GRECQUE ET LATINE,
OU
Après trois siècles de ]a haine la plus effrénée dans scs calomnies contre le nom chrétien, si elle ne le fut pas toujours également dans ses violences, la paix est enfin donnée au christianisme. Constantin, vainqueur par la croix, fait hommage de sa victoire à ce même Dieu crucifié, dont le nom n’étoit la veille encore prononcé que pour faire des mar-tyrs (1). Les cachots et les mines rendent à leurs peuples les confesseurs que le glaive ou la famine n’ont point consumés (2). Les églises abattues par les ordres de Dioclétien et de Maximien se relèvent de leurs ruines ; les sanctuaires de l’idolâtrie sont ren-versés à leur tour, ou transformés en des temples consacrés au vrai Dieu (1). La croix, établie sur les enseignes militaires, dans les places ci les monu-monts publics (2), est proclamée le sceau de la recon-ciliation du ciel cl de la terre, le trophée de la victoire de Jésus-Christ sur les tyrans et sur l’enfer, leboulevart de l’empire (3). Jésus-Christ est reçu en triomphe dans le palais des Césars. Des constitutions bienfaisantes cicatrisent les plaies de !’Eglise (4)· L’é-loqucnce chrétienne ne fait plus retentir les gémisse-ni cuts de la souffrance et les chaînes de la servitude. Sortie des catacombes, elle proclame ses oracles sous les voûtes de ses basiliques , devant les peuples as-semblés. Elle se fait entendre avec éclat, en présence des maîtres du monde, pour leur commander leurs devoirs, et abattre toutes les majestés terrestres au devant de celui qui seul est véritablement grand, seid est le monarque de l’univers (5).
(1) Lactant., Instit. div., in proem., pag. 8 , edi(, varier.
(2) Ensèb., Fit. Constant., lib. n, cap. xxxir.
(1) Eusèb., Hist, cedes., lib. x, c. 11, ni. Vit. Const., lib. rn, cap. tvni. et Panegyr. Constant., cap. vin.
(2) Ibid., Vil. Constant., lib. 1, cap. xxx et xl; et lib. iv, cap. xxi.
(3) Ibid., Panegyr. Constant., cap. ix. Hist, cedes., lib. x., cap. ιν.
(4) Pard’éclatantes restitutions cl des largesses magnifiques, ibid.
(5) Ibid, et Panegyr. , cap. 1.
Cette heureuse révolution ouvre un nouvel ordre de choses. Avec la pompe des cérémonies et la nia-jesté du culte divin, la prédication a pris un carac-tore plus solennel. Le dogme et la morale chrétienne, développés sous la plume , ou dans la bouche des nouveaux apôtres que le Ciel tenoit eu réserve pour les jours de gloire de son Eglise, vont cire le prin-cipal objet des ouvrages proposés à nos études.
Parce que Jésus-Christ a prédit à son Eglise quelle ne resterait jamais sans combats, l’enfer lui suscite une autre sorte d’ennemis.
« Chassé des sanctuaires de la superstition, le dé-mon s’est replié sur l’orgueil humain, et s’est fait de l’hérésie un nouveau rempart. Battu au dehors, il porte ses coups au dedans; et parce qu’il n’a pu vaincre !’Eglise chrétienne par les persécutions, il essaie de l’affoiblir en la divisant (1). »
(1) Tertull. j Prescript., cap. n־, pag. 231 , edit. Rig. S. Cypriau., De unit., initio, pag. ;5, 76, edit. Oxon.
La divine Providence veilloit sur son ouvrage. Elle multiplie les défenseurs et les talents; les docteurs remplacent les martyrs. Tout ce qu’il faut croire, tout ce qu’il faut pratiquer est fixé avec précision, développé avec toute la majesté de l’éloquence. L’his-loire de !’Eglise offrira donc désormais l’exemple unique d’une société immortelle d’hommes, succé-dant au ministère des anciens prophètes, alliant les plus héroïques vertus aux plus éminentes qualités de l’esprit; un saint aréopage toujours subsistant, pro-clamant toutes les vérités, repoussant toutes les er-rcurs, abaissant toute hauteur qui s’élève contre la vraie science, courbant sous la règle du devoir tout ce qui s’en écarte, énonçant les oracles du Ciel avec l’autorité qui fait reconnoitre que sa mission lui vient du roi des rois (1).
(1) Consilia destruentes, et omnem altitudinem extollentem se adcersùs sdentiam Del. ( Π. Cor. x. 5,6.) Prcecoues majestatis, correctorespra-vita fis huinanœ. ( Lactant., Instit. div, lib. r, cap. iv, pa18 .״, edit, varior. )
Celle brillante époque commence avec le qua-trième siècle. Elle présente des noms que tous les âges ont vénérés unanimement. Les protestants eux-mêmes les ont comptés dans ce qu’ils appellent l’âge d’or de !’Eglise. Calvin a dit en parlant de ces graves personnages : « Nous les respectons comme saints » et sacrés pour tout ce qui tient aux dogmes de la » foi (2). » Ceux de la confession d’Ausbourg en ont porté le meme jugement et c’est à leur témoignage qu’ils en appellent comme nous dans les controverses qui nous divisent (3). Il semble que nous Défassions que répéter leur propre langage, quand nous en par-Ions comme étant l’oracle établi dans !’Eglise par !’Esprit Saint lui-même, pour expliquer sa parole, déterminer ses mystères et consacrer sa doctrine.
(2) Instit., Jib. iv , cap. ix.
(3) Confess. d’Augsb. art. xxi, édit, de Genève. Théodore de Bèze, opusc., pag. 2/tG.
Nous les désignons dans cet ouvrage sous le titre de pères dogmatiques , parce que le caractère essen-ticl des discours ou traités que nous en avons, con-siste dans le développement des vérités de foi et de morale évangéliques servant de fondement à la science théologique, qu’il nous est si nécessaire de bien connaître pour la bien répandre parmi les pett-pies (1).
(1) « La théologie n’est pas la scolastique. La théologie véritable, ou » science des choses divines et humaines, qui a Dieu et l’homme pour oh-« jet, a trois parties, qui s’enchaînent intimement l’une â l’autre : l’iiis-» toire des faits sur lesquels porte la révélation, ou théologie positive, sans « laquelle il n’y entjamaisque de vains et dangereux raisonnements : la con-״ naissance des dogmes qui résultent de ces faits, ou la théologie dogma-» tique, qui ne peut être qu’une logique saine appliquée aux faits de la re-» ligion : la connaissance des devoirs, qui se réduit à une seule et grande » règle , la conformité de nos volontés à celle de Dieu , et qui n’est qu’un « développement méthodique de la loi de l’Evangile et des ordonnances de « !’Eglise universelle. Point de théorie et plus sûre et pins nette que celle de » la religion ; point d’ignorance plus honteuse que celle de la vraie théo-» logic, puisqu’il n’est point de science plus importante et ])lus aisée à ap-» prendre. »»
On ne s’attend guère à apprendre que ces paroles sont de l’un des hommes de nos jours qui aient déclamé avec le plus de violence contre l’en-seignement de toute religion. L’auteur est Diderot. Nous les avons Iran-scritcs d’après M. de Laharpe, dans son Cours de littérature, ton!, xt, pag. 550 et suiv., chapitre de ΓEducation publique.
Les liommes ont beau faire, ils ne peuvent rien contre Dieu ; et les oracles de Jésus-Christ prévau- Mauh. x' dront toujours contre les portes de l’enfer. Les per-sécateurs et les sophistes, bien loin d’empêcher les progrès du christianisme , n’avoient servi qu’à les accélérer et à les étendre. L’expression de Tertullicn : que le sang de ses martyrs éloit une semence de chrétiens (2), n’étoit plus qu’un fait historique. Tant de lumineuses apologies où la vérité de l’Evangile étoit portée jusqu’à la plus rigoureuse démonstration, et la vanité de l’idolâtrie prouvée sans réplique , avaient appris à mieux connoître la religion nouvelle. L’idolâtrie crouloit de toutes parts. Le christianisme expliquoit tout ce que l’esprit humain avoit cherché sans succès dans les écoles de la sagesse humaine. Ses dogmes étoient annoncés par des hommes d’une conduite irréprochable, et confirmés par des événe-ments d’un ordre supérieur à toutes les forces de la nature ; il fallait bien se rendre.
(2) Jpolog., cap. l.
Durant les second et troisième siècles, une ému-lation universelle dirigea les esprits vers l’étude de la philosophie. Ses écoles étoient répandues par tout le monde , et son enseignement continua de s’y partager.
Un très grand nombre, frappé des caractères vrai-ment surnaturels que présentait le christianisme, l’avait embrassé, et vivait conformément à scs maxi-mes, tenant à sa doctrine pure et simple exprimée dans le livre de la loi, comme venant de source divine; ne se permettant ni d’y rien ajouter, ni d’en retrancher; réduisant en captivité tout leur en-rendement pour les seules lumières de la foi, transmettant avec la plus religieuse fidélité le dépôt tel qu’ils l’avaient reçu. De ce nombre furent éminemment un Milliade, un saint Justin, Athénagore, Théophile d’Antioche, saint Clément d’Alexandrie. saint Cyprien. Ainsi voyons-nous tous les dogmes nécessaires au salut, et généralement tous les articles de la croyance chrétienne que nous professons aujour-d’hui, reconnus cl proclamés dès la plus haute anti-quité. « La doctrine dans le fond est la meme que » nous croyons et que nous enseignons encore (1). »
(1) L’abbé Feury, Disc. ecclcs.,rt, pag. 61 , éd. in-12. Paris, 1763. Ce qu’il justifie par l’exposé de la croyance des dogmes de l’unité de Dieu , de la Trinité, de la consubstantialité du Verbe , de l’incarnation , etc. Pluquet de même, Discours préliminaire du Dictionn. des hérésies. , t. 1, p. 10; Sur tous les autres dogmes, la concordance n’est pas moins démontrée. Nous l’avons établie dans nos Considérations sur les trois premiers siècles. qui terminent notre quatrième volume et la première partie de cette Biblio-thèque.
D’autres, aveuglés par des passions intéressées, re-poussés par d’incurables préventions, fermaient les yeux à la lumière et persistaient dans le polythéisme; mais ne pouvant plus le défendre et n’osant pas l’a-handonner, ils essayaient de sauver par des cxplica-tions allégoriques ce qu’il avoit de trop grossier. C’étaient Celse, Fronton, Porphyre, les philosophes Crescent, Iliéroclès, Julien, célèbres surtout par leur haine contre le christianisme (2).
(2) Voyez le 1er volume de cette Bibliothèque, pag. 250 et suiv.
D’autres, qui ne pouvaient refuser leur hommage à l’excellence de ses préceptes et de ses œuvres, ad-miraient son auteur, soit comme un génie descendu du ciel qui avoit pris l’apparence de l’humanité pour éclairer les hommes, soit comme mi homme plus parfait que les autres, qu’un génie céleste avoit di-rigé ; et commentoicnt arbitrairement plutôt qu’ils ne suivaient son Evangile. Parce qu’ils ny trou-voient point l’éclaircissement de certaines questions où s’embarrasse la curiosité humaine, ils se replie-rent pour ainsi dire vers leurs anciens principes, dont ils firent comme un supplément aux dogmes du christianisme, et imaginèrent ces composés mous-trueux de théologie moitié païenne , moitié dire'־ tienne, que les Pères ont si solidement combat-tus (1).
(1) C’est ainsi que le système des émanations des Caldéens, la croyance des génies, la doctrine des deux principes, s’unirent en partie aux dogmes du christianisme , et servirent à expliquer l’histoire de la création , l’origine dn mal, l’histoire des Juifs, ]’origine dn christianisme , la rédemption des hommes par Jésus-Christ; et formèrent les systèmes théologiques de Sa-turnin , de lîasiiide, de Carpocrate.de Valentin, de Cerdon, de ■Mar-cion, d’Hcrmogène , etc., etc. » ( Dictionn. des hérésies, Disc, prélitnin., pag. ro.׳i.)
De toutes les sectes de philosophie, il n’y enavoit point où les sentiments fussent moins éloignés de la doctrine chrétienne que celle des Platoniciens. Elle avoit commencé à dominer dans l’empire romain sous l’empereur Adrien et les Antonins ; et l’un de nos plus judicieux écrivains remarque avec beau-coup de raison que ce fut une des causes des persé-cutions. « Car les philosophes étant forcés de recon-» noître la sainteté des mœurs du christianisme,» attaquaient la foi ou par les difficultés que la raison » fait trouver dans les mystères , ou en général par » la fermeté de la croyance qu’ils condamnaient d’o-» piniatrelé et d’injustice (1). » Ce que l’on débitait sur une intelligence souveraine, incréée,sur le λ orbe de Dieu , sur la spiritualité de l’anic, et ses futures destinées , sur les démons, sur les caractères et les prérogatives de la vertu, bien que mêlé d’erreurs grossières , était en effet aussi loin des extrava-ganccs des autres écoles, qu’il était au-dessous des notions simples que nous en puisons dans nos livres saints. L’IIomèrc des philosophes, Platon, qui avait revêtu ces doctrines des plus brillantes couleurs, et qui, peut-être , les avoit puisées à des sources étran-gères, passoitpour en être l’inventeur. L’estime qu’on lui accordait allait jusqu’à l’enthousiasme. I\o11s verrons saint Augustin lui-même le qualifier de divin, et n’en parler dans ses Confessions et dans scs livres de la Cité de Dieu, que comme de celui des anciens sages qui aient le plus approché de la vérité; toujours néanmoins avec la précaution d’a-vertir ses lecteurs , que dans celles de ses spécu-hâtions où il semble s’élever le plus haut, et parler le plus dignement de la divine essence, « on cher-cheroit vainement Γ1 lumiliation cl l’incarnation du \ erbe, ni la puissance de la grace divine, ni cette humble pieté et le sacrifice d’un cœur contrit, ni plusieurs autres vérités qui ne se rencontrent que dans le christianisme (1). »
(1) L’abbé Fleury, Disc. sur Platon, à la suite du Traité du Choix des éludes, pag. 338. Paris, 1G87.
(1) Du civil. De!, lib. vm, cap. iv, Confess., lib. Mt, cap. xxr.
Il est en effet assez difficile de m.éditcrles ouvrages de ce grand homme , sans lui reconnoitre une im-mouse supériorité sur tous les autres philosophes ; et cette opinion, qui se recommande par les plus res-portables autorités (2), amène un double sentiment de reconnaissance envers la Providence divine, qui ne s’est laissée jamais sans témoignage parmi les hommes, et notre révélation chrétienne, qui a rendu communes à tout le genre humain des vérités qui faisoient le partage exclusif de quelques esprits pri-vilégics. Personne au milieu des ténèbres de la gen-tilité, n avait parlé comme lui de !’Etre supreme. Platon l’avoit défini comme il se définit lui-même ; il avoit enseigné que Dieu a tout fait par son Verbe; il avoit donné le nom de Père et de Seigneur au père de l’auteur du monde; il semblait avoir entrevu l’idée du juste par excellence, prêchant la vertu plus en-core par l’exemple de sa vie, que par l’autorité de ses sublimes leçons, offrant dans sa personne le mo-dèle de la plus héroïque perfection, donnant sa vie pour les siens, et ne recueillant d’autre prix de ses bienfaits que les ingratitudes, les opprobres et la mort (1). 11 avoit distingue de bons et de mauvais anges ; il avoit dit de l ame qu’elle est l’image et la ressemblance de Dieu: et vingt autres traits de cette force justifiaient l’expression de saint Augustin, que ses écrits étaient eu quelque façon un premier evan-gile jeté au sein de la nuit obscure du paganisme.
(2) O1i״è״e, Lactancc, Fleury, Discours sur Platon. Fcnclou, Rol-lin, etc.
(1) Bossuet, Disc, sur l’iiist. unir., 2 e part.,n״ G.
Que le philosophe athénien eût emprunté sa phi-losophie à.nos sources sacrées, et que, selon l’ingé-nieuse comparaison de saint Clément d’Alexandrie , il ne fut autre chose qu’un nouveau Prométhée dé-robant aux livres des Hébreux quelques étincelles du feu céleste qui s’y trouvait renfermé ; ou bien qu’il en fût redevable aux seules inspirations de sou génie, la question en soi étoit indifférente. Les Pères étaient assurément à meme de la juger par les simples rè-gles.de la chronologie; or, il étoit incontestable que l’antiquité de Platon étant bien jeune auprès de celle de Moïse et des prophètes, l’honneur de la priorité restoit tout entier à ces derniers (2).
(2) Tertull. , Umle iteee , oro vos, philosophis'tam cotisimilia ? non nisi de nostris sacramentis. Si de nostris sacramentis , ut de prioribus. ( stpolog., c, XT.vir. ) « C’est ce qu’on remarque'particulièrement dans Platon. On y voit, dit l’abbé Fleury, des vestiges considérables des anti-quités grecques, et avec elles des traces de la véritable religion, comme la créance de la ci cation du monde, de la Providence, de l’immortalité de l’âme, du jugement des hommes apres la mort, des récompenses et des peines de la vie future. Ces fables étoient les anciennes traditions de ces peuples qui les avoient reçues originairement, ou du peuple de Dieu, ou des enfants de Noc et des anciens patriarches; et il ne faut pas s’étonncrqu’clles eussent été altérées par des idolâtres dans la suite de plusieurs siècles, et et que l’on j eût mêlé plusieurs erreurs. >■ ( Dise, sur Platon, p. 344. )
On pouvait donc admirer Platon, sans partager ses erreurs; rendre justice à tout son génie, mais non adoptei’ aveuglément sa doctrine; et c’est là, il est impossible de le nier, la sage mesure qui a dicté les jugements que les Pères en ont portés. Saint Iréne'e, saint Justin, saint Clément d’Alexandrie, Athéna-gore, Théophile d’Antioche, Origène, étoient par-faitement instruits de tout ce qui concernait ce phi-losophe. Ils avaient fait une étude profonde de ses systèmes, et des explications diverses que ses disci-pics de tous les temps en avoient faites. Ils avoient sous les yeux les écrits par lesquels les hérétiques, «irom-» pés par quelque ressemblance dans les expressions, » ou par je ne sais quel accord de leurs opinions avec » nos dogmes chrétiens, » essayoient de corrompre la pureté de la doctrine chrétienne (1) ; et à chacune des agressions de l’hérésie un cri d’alarme retentissait dans toute !’Eglise catholique; le zèle des pasteurs op-posoit à chaque nouveauté la voix solennelle de la tradition. Tous les monuments qui nous restent des quatre premiers siècles, attestent avec quelle jalouse surveillance nos saints docteurs, toujours les armes à la main, épiaient les mouvements de l’ennemi, en démasquaient les artificieuses‘manœuvres, et le for-çoient dans chacun de scs retranchements. Ce langage est textuellement celui de saint Irénéc , de saint Cy-prien, de tous les Pères. Nous les voyons à chaque page s’élever avec force contre l’abus que ces memes hérétiques faisoient delà philosophie, pour intro-duirc l’ivraie dans le champ du père de famille , et les raisonnements d’une sagesse humaine dans les mystères du christianisme. Tertullien, entre autres, se signale par la véhémence de ses accusations contre tout alliage profane avec la sévère précision de la doctrine antique. Ce n’est pas seulement dans son traité des Prescriptions où il les attaque directement; mais dans chacun de ses ouvrages, il s’en prend à Platon lui-même de toutes les rêveries de scs disci-pies, comme étant le fabricateur de toutes les héré-sics, omnium hœreticorum condimentarium (1). «11 n’est pas étonnant, dit-il ailleurs, que les philoso-plies, avec leurs imaginations déréglées, aient défi-guré nos antiques monuments, puisque de nos jours des hommes sortis de leurs écoles ont corrompu les nouveaux livres des chrétiens, en y interpolant des dogmes arbitraires et des systèmes philosophiques, faisant d’un seul chemin droit une multitude de sen-tiers détournes oùl’onse perd (2).» Il ajoute, comme par une sorte de pressentiment, qui n’a été que trop jnstifie par les modernes allégations des ennemis du nom chrétien : « Ce que je dis en passant, de peur que le grand nombre de sectes qui divisent le cliris-tianisme ne fournisse un nouveau prétexte de nous comparer aux philosophes, et qu’on ne confonde avec elles la vérité de notre religion (1). »
(1) Brucker, Inst., Hist, philosoph., pag. 456. Hist, de ΓEclectisme, torn. 1, pag. 189.
(1) De anima, cap. xxm.
(2) Jpolog., cap. xlvii.
(1) Ibid., Biblioth. chois., loin. 11, pag. 425 et 426.
Les Pères ctoient trop éclairés pour se laisser sur-prendre par de vaines apparences de christianisme, et condanmoient, à l’exemple de l’Apôtre, toute profane nouveauté de langage, les questions oiseuses et les généalogies humaines, plus propres à enfanter les disputes qu’à fonder sur la foi l’édifice de Dieu, tout ce qui altéroit le dogme de la divinité de Jésus-Christ, comme tout ce qui portoit atteinte à la foi de son humanité sainte. !Notre Eglise catholique s’est montrée dans tous les temps incorruptible dans son do״me comme dans sa morale.
Ce n’étoit donc pas la philosophie proprement dite que IcsPères accusoient. Au contraire : ״ilsétoient les premiers, dit l’abbé Fleury, à en faire uA grand usage; non pour y apprendre la morale, dont ils étoient mieux instruits par la tradition de !’Eglise, mais pour convertir les païens, chez lesquels l’auto-cité de leurs philosophes étoil d’un grand poids (2). »
(2) Cinquième Disc. 11° ix, p. 20g.
Ils voulaient qu’on l’étudiât, « en tant quelle est la recherche de la vérité, utile à tous ceux qui n’étoient pas chrétiens, pour les conduire à la vérité; utile aux chrétiens eux-mêmes, pour leur apprendre à défen-dre la religion contre les sophistes, parce qu’elle exerce l’esprit et le rend propre à la contempla-lion (1).» Us ne défendaient pas que l’on suivît les écoles des philosophes, comme celles de la littéra-turc ; pour orner l’arche sainte des dépouilles de ΓΕ-gypte, pour les percer de leurs propres armes ( ce sont encore leurs comparaisons familières), mais sans jamais perdre de vue les vrais modèles de la sagesse et de l’éloquence; pour les épurer et les sanctifier, sancüficans profana y comme l’avoit fait saint Paul lui-même citant les païens dans !’Aréopage ; jamais pour en transporter les sentiments dans l’enseigne-ment pas plus que dans la conduite.
(1) « Celte philosophie an reste n’étoit point le système de Platon , d’Aristote, de Zenon , de Pythagore , mais le choix que le chrétien faisoit des vérités que ces différents philosophes avaient découvertes, et dont les chrétiens se servaient, on pour faire tomber les répugnances des Gentils , ou pour expliquer les mystères et rendre les dogmes de la religion intel-ligibles. » ( Pluquet, Diet, des hères., pag. !42.) Ce que Tertullien avoit dit avant lui : Vider bit qui stoicum et platonicum et dialectician christianismum nrotulerunt {De prescript., cap. vu.) ; réfutant ceux qui, dès lors, ne voyaient dans la religion nouvelle qu’nne secte de philosophie comme celles du Portique et du Lycée. Cclse l’objcctoit aux chrétiens, et nous avons vu avec quelle force Origène repousse cette imposture.
C’est donc une accusation bien gratuite ou plutôt bien téméraire de la part de certains modernes, de prétendre epic les Pères des premiers siècles, parti-cnlièrcment ceux du quatrième, imbus comme ils !’étoient des livres de Platon, aient puisé dans sa doctrine ce qu’ils auroient ajouté à celle de l’Evan-gile (1). Ce ne sont pas les protestants seulement, mais jusqu’à des catholiques même qui ont cru à cette calomnie.
(1) Brucker : Cum enirn ex Platonicorum scolis ad christianam disci-plinam transiissent, ea quœ affinia christianisput about nonmodo philo-sophis gentilibus opposuerunt, sed verbis quoqueplç.tonicis atque sententiis ejus sedœ contra philosophes disputârunt. Quo factura, est ut disputationis fervore abrepti talia nonnunquam afferrent quœ castitatem divinœ veritatis lœdunt. (Introd.ad Hist.phlos., p. 454·) Jurieu, Bayle, Barbeyrae, Saurin, d’antres ont essayé d’aecréditer cette opinion , qui a fourni aux auteurs de V Encyclopédie la matière de l’article , si perfidement écrit, de ΓEclectisme (torn, v, pag. 272 et suiv.).
Ce qui pourrait y avoir donné lieu, c’est l’histoire du philosophe chrétien Ammonius (2). Ce savant homme, })lus illustre par la gloire de ses disciples <|ue par sa propre renommée, suivoit à la lettre la méthode de Panlænus, de saint Clément d’Alexan-dric, laquelle consistait à faire de la philosophie une introduction à la révélation évangélique (1) : c’étoit, selon la belle expression de ce dernier, l’avenue qui mène au sanctuaire, non le sanctuaire lui-même (2). Origcne, dont on ne peut suspecter les principes de religion, n’avoit pas d’autre méthode avec ceux de ses disciples à qui il reconnaissait plus de vivacité et de pénétration. Il commençait par leur expliquer les opinions des sectes diverses, exceptant toutefois celles qui nioient l’existence et la providence de Dieu, faisant des remarques qui les aidoient à en mieux dé-couvrir le foible et les contradictions, et sur les ruines . de toutes les opinions humaines élevant l’édifice de la foi chrétienne. C’est dans ces termes qu’en parle saint Grégoire Thaumaturge, que l’on sait avoir été du nombre de ses disciples (1).
(2) Porphyre, le grand ennemi du christianisme, a cherché à lui en-lever ce philosophe. «Ayant, dit-il, été élevé dans la religion chrétienne par des parents (pii en faisaient profession, Ammonius reprit celle qui est autorisée par les lois, aussitôt qu’il eut acquis quelque connoissauce de la philosophie. » Eusèbe réfute cette imposture, dont il ne faut pas s’étonner, dit-il, étant comme impossible d’écrire contre la vérité de notre religion sans avancer des faussetés. «Quant à Ammonius, il a confessé jusqu’au der-nier soupir les sentiments de la véritable philosophie, comme les ouvrages qu’il a laissés en font foi, et entre antres le livre qu’il avoit composé pour montrer la parfaite conformité qu’il y a entre la doctrine de Moïse et celle du Sauveur.» ( Hist, cedes., liv. vr, chap. xrx , trad, duprésid. Cousin. )
Nos encyclopédistes, plus enclins à parler comme Porphyre, en font aussi un philosophe , mais dans la moderne acception du mot. Selon eux, Ammonius n’auroit été qu’un sceptique , ou latitudinairc à qui toutes les croyances religieuses étoient indifférentes, pourvu qu’en les professant à sa manière, on vécut en paix les uns avec les autres, et que chacun eût la li-berté de penser et de vivre à sa mode dans la religion qu’il aurait choisie. Ce pouvoit être là le système des cclectistes ; étoit-ce la doctrine des chré-tiens ?
L’abbé Pluquet ne paroit pas s’être fait une idée plus nette de celle d’Ammouius. « Il avoit, dit-il, formé le projet de concilier toutes les reli-gions et toutes les sectes des philosophes , supposant que tous les hommes vertueux et bienfaisants formaient ensemble comme une famille, où les principes qui les divisaient n’avoient rien de contradictoire ; il suffisait de purger la religion de ce que la superstition y avoit ajouté. Jésus-Christ, selon Ammonius, ne s’étoit pas proposé autre chose; il prenoit dans la doctrine de Jésus-Christ toutcc qui s’accordoit avec la doctrine des phi-losophes égyptiens et:de Platon. » ( Dictionn. des hére's., Disc, prélim., pag. 113.)Réfuté par Tillcmont.
(1) S. Clem. Alex., Strom., liv. vin , pag. 2S7. Biblioth. chois., tom. 1, pag. 413.
(2) Id. Ibid., lib. 1 , pag. 319. Biblioth. chois., t. 1, pag. 3g3.
(1) S. Gregor. Thaumat., Orat.pancgyr., de Origene, Biblioth. choisie, tom. rv, pag. 314· Tillemont, iïlêm., t. in , pag. 280 , d’après Euscbc, Hist. supr. Hist, de l'Eclect., 1.1, pag. 2.
Voilà enfin à quoi vient se réduire ce prétendu platonisme des Pères qui leur a été si amèrement re-proché, et dont l’accusation, si elle étoit prouvée, rejailliroit jusque sur Jésus-Christ lui-meme et les Apôtres (2).
(2) Cclsc et Julien n’y ont pas manqué. « Qu’ont dit Jésus-Christ et ses apôtres qui ne l’eût été auparavant par Platon et nos philosophes? » Origène et S. C> rille u’out pas laissé l’accusation sans réponse.
Il a pu se rencontrer, dans cette immense multi-tude de traités qui nous restent des Pères, quelques expressions qui semblent manquer d’une rigoureuse exactitude, soit que les matières n’eussent pas en-core été éclairées de leur temps comme elles l’ont été après eux, soit parce que, en les détachant de ce qui les précède ou qui les suit, on les a condam-nées arbitrairement, et sans les bien comprendre ; ce qui n’est nullement la faute des auteurs (3). L’on peut voir avec quelle force de critique et d’érudition nos apologistes des temps modernes, Bossuet entre au-très, ont relevé dans les protestants ces méprises af-fectces (1). Concluons avec Tertullien : « Comment peut-on comparer un philosophe avec un chrétien, un disciple de la Grèce, avec un disciple du Ciel, un homme qui n’est occupé que de sa gloire, avec celui qui n’a que son salut à cœur, un homme qui parle en sage, avec un homme qui vit en sage, un homme qui détruit tout, avec un homme qui établit ou main-tient tout? Comment pouvez-vous comparer le par-tisan et l’adversaire de l’erreur, le corrupteur et le vengeur de la vérité, celui qui l’a dérobée et celui qui en est le possesseur et le gardien de tout temps? Qu’y a-t-il de commun entre deux hommes si oppo-sés (2) ? »
(3) « S’il y a faute dans les expressions, c’est an temps qu’on doit l’at->· tribuer plutôt qu’à ccs saints docteurs ; et il est de l’équité de croire que, »■ s’ils «voient vécu ’plus tard, ils se scroicnl exprimes avec plus de netteté» et de précision qu’ils 11c l’ont fait. » (D. Ceilher, Hist. des écriv. ecclès. , tom. iv, p. 36, à l’article Methodius. D’Argonne , De la lecture des Pères, 1rc part., chap. vu, pag. 45. Pclit-Didicr, dans ses Remarques sur la Bibliothèque de Dupin.
(1) Bossuet, 1er et v1e Avertissements aux protestants, t. iv, cd. in4°־ , pag. 103 , 109, 353, 33ל, etc., etc. D’où le savant évêque conclut par ces paroles , applicables à tous nos adversaires : « Je pourrois dire, à juste » titre־, qu’on ne sait si ou a affaire à un chrétien ou à un païen, lorsqu’on » entend ainsi déchirer le christianisme, sans l’épargner dans ses plus beaux » jours. » ( Ibid., pag. 102. )
(2) Aclco quid simile philosophas et chrisliaaus, Grceciœ discipulus et Cceli , j'aniœ negotiator et salutis , verbonim cl Jactoriun operator, revuni œdificator et destructor, amicus et inimicus erroris , veritatis interpolator et integrator, antiquior omnibus, ni jailor, furalor ejus et custos? ( Apologet., cap. xi.vi.)
Ces contrastes !!’échapperont pas à quiconque lira les écrits que nous présentons.
Les premiers que nous allons produire !!’offrent pas encore les chefs-d’œuvre des Grégoire deNazianze, des Basile, des Chrysostôme. Dieu a fait pour son Eglise ce qu’il a fait pour le monde, qu’il n’a pas créé d’un seul jet. Mais, quoiqu’ils leur codent en éloquence, ils les égalent par l’autorité. Ils n’en sont pas moins qu’eux les témoins irrécusables de la croyance de leur siècle, et les garants de la foi des siècles précédents.
Toutefois ce ne sont pas là les seuls droits qu’ils aient à nos hommages. Les écrits de ces saints Doc-tours ne sont pas seulement d’honorables archives, mais des modèles excellents. Il devient impossible, après les avoir lus, de leur contester le mérite de la science et de l’éloquence, telles que Quintilien et Ci-céron l’exigent des maîtres de l’art. « Quand 011 pren-» droit le nom de science improprement, comme fait » le vulgaire, en nommant savants ceux qui par une » grande lecture ont acquis la connoissance d’un » grand nombre de faits; les anciens ne manquaient » pas de cette espèce descience, ou plutôt d’érudit ion. » Que si nous cherchons ce qui mérite proprement » le 110m de science, où en trouverons - nous plus » que chez les Pères de cette époque? Je dis cette » vraie philosophie qui, se servant d’une exacte dia-» lectique, remonte par la métaphysique jusqu’aux» premiers principes et à la connaissance du bon cl » du vrai beau, pour en tirer, par des conséquences » sûres, les règles des mœurs, et rendre les hommes » fermes dans la vertu, et heureux autant qu’ils en » sont capables (1) ? »
(1) Fleury, Disc. 11 sur l'Hist. ecclés., n° xv.
Pour le mérite de l’éloquence proprement dite, puisque c’est là l’objet spécial de l’ouvrage que nous avons entrepris, il est bon de rappeler à nos lecteurs l’état où elle se trouvoit à l’époque du quatrième siècle.
L’éloquence, parvenue sous Auguste au plus haut degré d’élévation, n’avoit pas lardé à dégénérer sous ses successeurs. Telle est la commune destinée de tout ce qui est humain : arrivé à son point de ma-turité, il faut s’attendre à le voir décroître. Quelles furent les causes et les progrès de cette décadence? Ce n’est pas ici le lieu d’approfondir celle question. 11 me suffira de dire, après tant d’hommes supérieurs qui l’ont discutée et pleinement résolue, que l’élo-quence de Sénèque est bien loin d’etre celle de Ci-céron (2). Tandis que d’une extrémité à l’autre de !’empire romain, les lettres et les arts se précipitoient à la fois vers leur ruine (1), une société croissait dans l’ombre, faisant la haute profession de n’avoir rien de commun avec l’aréopage, pas plus qu’avec le Ca-pitole (2) ; pleine de mépris pour toutes les gloires de ce inonde ; plus occupée du soin de bien faire que de bien dire ; manifestant aux yeux de l’univers une philosophie et un genre d’éloquence qui n’avoienl été soupçonnés ni dans les écoles, ni chez les peu-pies les plus célèbres par les talents de l’esprit. La prédication commença avec le christianisme, et ses premiers essais avaient été des miracles. Une vertu plus puissante que tous les discours humains impri-moil à la simplicité des hommes apostoliques une efficacité telle, que rien ne lui sauroit cire comparé. L’Esprit Saint vouloit avoir tout seul l’honneur de la victoire, jusqu’au moment où il daignerait associer des hommes à son triomphe.
(2) Le Quintilicn de notre siècle, M. de Labarpe, dans son Cours de littérature, en fait l’aveu ( tom. ur, pag. 235 et suiv. ), comme celui d’autrefois dans ses Institutions oratoires ( liv. x, cap. 1). Cette différence étoit déjà tellement sentie par les Romains eux-mêmes, que l’auteur du cé-lèbre Dialogue sur les causes de la corruption de l’éloquence ( que ce soit Tacite, Quintilicn, ou Marcus Aper, n’importe) l’établit cdnnnc tm fait notoire ; et ce qui achève la démonstration, c’est la haute préférence que l’on y donne à l’éloquence des modernes sur celledei anciens. Sénèque,de-venu l’oracle de la jeunesse romaine, censurait hautement Cicéron, (Quintil? supr., p. 233, t.n,édit. Rollin. ) Rufus, si fort vanté par Pline (Jib- ז, Epist. 5), long-temps professeur à Rome, avant d’y briller, atç lyicfcau , se permettait, dans ses leçons publiques , d’appeler Cicéron un barbare. Juvénal s’en plaint dans ses Satyres ( Sat. vn , vers 2 r3 ) , ce qui a fait dire à l’un de nos poètes : ׳ ׳ ' ’ .״■
Tels on s it les Romains, dans des jours ténébreux , Du second des Césars dégrader l’âge heureux, Ensevelir Horace et déterrer Irucile, Préférer la Pliarsale aux beaux vers de Virgile, Vanter l’esprit guindé du maître de Néron, lit bâiller sans pudeur eu lisant Cicéron.
( 1 ) Fénelon, Z>z‘aZo״zzcs sur l'éloq., pag. 236, et Lettre à l’Académ.-, pag. 302. Rigol. de Jinig., Dècad. des lettres, pag. 192. Gibbon, Décud. des crnper. rom., t. 11, p. 560. Winkcltn., Hist. de l ait., liv. vi, ch. vm.
(2) Quid A dunis et I Herosnlyniis ? ÇTerlnlL)
Dès le second siècle, !’Eglise chrétienne comptait déjà des hommes éminents en savoir. Dans l’Asie, un saint Ignace d’Antioche , Quadrat et Aristide à Athènes, à Sardes saint Melilon, dans la Palestine saint Justin, et son disciple Tatien, dans l’Afrique l’école d’Alexandrie, dans les Gaules saint Irénéc . à Rome son pontife saint Clément, Apollonius, mem-bre du sénat de cette ville,et le prêtre Caïus, avoient vengé par d’éloquents écrits l’honneur de cette so-ciété, que son propre choix semblait avoir vouée à l’ignorance.
A mesure que l’histoire de la littérature profane nous en fait voir la rapide dégradation, celle de notre littérature religieuse nous montre chez nos écrivains de la même époque les progrès sensibles du génie et du talent. L’héritage de la gloire littéraire passait tout entier à !’Eglise chrétienne. La preuve s’en ma-nifeste par la comparaison entre les monuments dont se composent les annales de l’une et de l’autre lillé-rature. Le christianisme, a dit saint Jean Chrysos-tome, fut donné à la société humaine comme le soleiί à l’univers, pour y développer et pour y entretenir à jamais les germes de la vie et de la fécondité : tout ce qui n’est pas éclairé de sa lumière, échauffé de sa chaleur, est mort ou reste froid. Partout on verra le christianisme repousserjes ténèbres et la harharie, animer de sa vivifiante influence les sciences et les arts, en recueillir dans ses sanctuaires les étincelles éparses et menacées de s’éteindre, s’associer aux no-hles et ״rendes institutions : devancer et étendre les découvertes utiles; enfanter les productions durables, leur imprimer le sceau de sa propre immortalité.
Le troisième siècle s’ouvre par une sanglante per-sédition. Le prodigieux accroissement des chrétiens, et avec lui la chute des idoles , le discrédit des so-phistes, la censure secrète que les vertus publiques des chrétiens exerçoient contre les vices de la cor-ruption inhérente au paganisme, irritaient toutes les passions. C’est pour ainsi dire à la flamme des bûchers que s’allume le génie qui a dicté les Apologétiques de Tcrlullicn, de Minucius Felix et d’Origène, les savantes recherches de Clément d’Alexandrie, et les admirables lettres de saint Cyprien. A la meme épo-que, vous n’avez pas dans la littérature profane un seul nom mémorable à citer (1).
(1) Les savantes recherches de nos érudits modernes ont bien réussi à exhumer les noms de Favorin d’Arles, de Juvcntius Celsus, de Priscus Ja-bolanus, et de quelques autres, sur lesquels on peut consulter les auteurs de Vllistoire littéraire de France; car c’étoil dans notre France que les lettres s’étoient réfugiées, exilées de Rome et de la Grèce. « Côtoient, dit M. Thomas, des Celtes qui étaient les successeurs d’Horlensius et de Cicé-ron. Ce peuple, si long-temps libre dans ses forêts, et qui souvent avoit fait trembler Rome, apprivoisé enfin par un long esclavage , et poli par les vices mêmes de ses vaiqueurs, s’étoit livré aux arts comme au seul charme et au dédommagement de la servitude. » ( Essai sur les éloges, tom. 1, pag. 216. ) Les villes d’Autun, de Lyon, Marseille,Bordeaux,Toulouse, Narbonne , Poitiers, comptoicnt des écoles florissantes. Dès le temps de Domiticn , on ne trouve plus de traces de l’éloquence latine que dans les Cailles. Mais, comme partout ailleurs, l’éloquence, corrompue et foible, n’y était que le talent malheureux d’exagérer quelques vertus, ou de déguiser des crimes. Aussi ne reste-t-il que les noms de ceux qui la cultivèrent avec le plus de succès; leurs ouvrages ont péri. Les contemporains eux-mêmes , qui seuls pouvaient les admirer, se sont montrés peu jaloux de les conser-ver à la postérité.
Les Antonins font monter avec eux la philosophie sur le trône. Tous ceux qui la cultivaient éloient as-sures de trouver à leur cour ces distinctions flatteuses et utiles qui encouragent si puissamment !’émulation et fécondent ]0 génie des écrivains (1). Comment se fait-il que pas un d’eux n’ait laissé un monument digne des regards de la postérité? Cost que, pour l’être véritablement, i] faut à l’orateur des sujets qui réchauffent , et dont la flamme jaillisse sur le peuple qui l’écoute, pour l’enflammer à son tour. C’est là ce qui manque à la foule des compositions les plus in-génicuses publiées à cette époque. Le nom seul de Cornélius Fronton a survécu à la perte de ses propres écrits , pour rappeler un des ennemis les plus décla-rés du christianisme (1) ; encore c’est à nos écrivains ecclésiastiques qu’il est redevable de celte triste cé-lébrité (2). Un philosophe de nos jours, que l’on ne soupçonnera pas de prévention en faveur du chris-tianisme, a caractérisé cette éloquence en l’appelant une éloquence de sophistes, qui, n’ayant aucun in-térêt réel, étoit un jeu d’esprit pour ]’orateur, et un amusement de l’oisiveté pour les peuples (3). Pour contrebalancer l’impression déjà si généralement sentie des miracles de Jésus-Christ, Philostrate ima-gina ceux d’Apollonius de Thyanc, dont il publia i’hisloire. On pourrait dire qu’il n’y a pas moins de différence entre cet écrivain et ceux qui l’ont combattu, qu’entre le héros du roman de Philostrale ci le sublime auteur de noire croyance, si 10' nom de Jésus-Christ pouvait admettre quelque ombre de rapprochement avec quoi que ce soit.
(1) M. de Laharpe fait ici cette judicieuse remarque. « Quoiqu’on ait ob-serve, avec raison , que le règne des arts a toujours été, chez les anciens comme chez les modernes, attaché à des temps de puissance et de gloire , il paroît cependant que, pour fonder et perpétuer ce règne, ce n’est pas une cause suffisante que la prospérité d’un gouvernement affermi. On en a la preuve dans cette période de plus de quatre-vingts ans , qui s’écoula de-puis Trajan jusqu’au dernier des Antonins, sous des souverains comptes parmi les meilleurs dont le monde ait conservé la mémoire. La vertu ré-gna comme la loi, la terre fut heureuse, et le génie fut muet. » ( Cours de. littéral., tom. ni, pag. 304· ) Marc-Anrèlc eut des panégyristes, et il de-voit en avoir. Ce prince combla de bienfaits l’orateur Aristide, alors vanté pour son éloquence. Nous avons ses ouvrages. « On n’y trouve ni élé-ץ ation , ni chaleur , ni sensibilité, ni force. » ( Thomas, Essai sur les éloges, tom. i, pag. 208. )
(1) ·Zj famosà declamatione christianos oneraverat probris atrocibus. Rigaull, notesur l’Octav. de Minuc. Félix.) U a\oit clé le précepteur de M. Antonin. ( Jul. Capitol., in stnton.) La Bastide prétend que ce fut un autre. Qu’importe?
(2) Minucius Felix : Sic de isto et tuns Pronto , etc. ( in Octav. , pa-. 30 5. )
(3) lliouias, Essai sur les éloges , lor.i. r, pag. 22g, 230.
L’empereur Sévère essaya d’arrêter les conquêtes de la religion nouvelle , en défendant par une loi de travailler à la conversion des Juifs et des païens (1); tant les prédicateurs évangéliques s’éloient rendus redoutables aux prêtres et aux sophistes de l’idolà-trie! Le prince soutint son édit par la violence des exécutions. Tous les raflineincnts delà cruauté la plus sanguinaire ne firent, selon la belle expression de saint Justin, que multiplier la vigne de Jésus-Chrisi en l’émondaiït (2). Origène seul, par l’immense éten-duc de son savoir, assuroit à !’Eglise chrétienne sa supériorité sur toutes les écoles de la gentilité. L’O-rient étoit illustré par ]’erudition de Jules Africain , par l’éloquence d’Ammonius, de saint Grégoire de Néocésarée,: de saint Denys d’Alexandrie ; l’Occi-dent;, par les solides écrits d’Araobe et de Lactance.
(1) Tillcm., aient., 10m. 1n , pag. 122 , cl noie□, p. GjG.
(2) Uiblioth. chois. , lom. 1, pag. 286.
Des lors le monde tout entier se partageait dans les deux langues latine et grecque. Les conquêtes des Romains avoient associé leur idiome à leur cm-pire. Le voisinage de ]’Italie, la fréquence des rcla-lions, la prééminence des lumières et l’autorité de la victoire, avoicut entraîne' peu à peu les nations euro-péennes, la plupart sans législation et sans liltéra-turc, à imiter les usages et la langue des Romains. La langue grecque se défcndoit par tous les arts de l’imagination et par les chefs-d’œuvre nombreux d’une littérature répandue avec éclat jusqu’aux ex-trémilés de la terre. Loin de céder à l’invasion, elle dompta ses conquérants (1), et conserva son antique domination. Chez les Latins, la pureté de l’idiome s’étoit considérablement altérée par le mélange. Nous en avons d’irrécusables témoi״na״es dans nos écrivains eux-mêmes, surtout dans Tertullicn, pour l’in-telligence de qui il faut un dictionnaire particulier; mais, sous la plume énergique de ce Père et des au-très, les vices de l’élocution étoient remplacés par les qualités réelles qui constituent l’éloquence : et elle ne se trouvoit que là (2). Chez les Grecs, non-seulement la langue, mais le génie, qui seul fait les grands écrivains, jetoil de temps à autre quelques lueurs fugitives dans les productions du paganisme (on peut mettre de ce nombre les quatre Discours de Dion sur les devoirs des Rois ) ; mais il conserva durant une assez longue suite de siècles sa primitive énergie dans nos seuls écrivains ecclésiastiques.
(1) Gracia capta ferum viclorem ccpit, et actes Intrusit Latio. Horat.
(2) «La belle littérature fut, pour ainsi dire, ensevelie dans l’oubli. On » voyait depuis long-temps son lustre s’effacer, mais par degrés insensibles. .. C’est ainsi qu’après les belles-lettres vint la philosophie, et qu’à la phi-■■ losopbie succéda la barbarie.;■ {Hist, de la littéral, franc., loin. 1, JXlg. 20S.)
Le quatrième siècle fut en quelque sorte l’aurore du beau jour qui devoit se répandre sur tout l’uni-vers.
Constantin, en plaçant avec lui le christianisme sur le trône, et transportant le siège de l’empire à Constantinople, opéra la plus grande révolution qui ait jamais eu lieu dans l’univers. En abandonnant Rome, il préparait la chute de !’Occident; il ouvrait l’Italie et l’Europe aux irruptions des Barbares. 011 l’en a blâmé. Sa' politique, en ne la jugeant que selon les idées humaines, pourvoit facilement trouver des apologistes. Avant lui, Dioclétien, en choisissant Ni-comédie pour le lieu de sa résidence, avoit accou-tumé les Romains à l’absence de leur souverain. Bizance ou Constantinople, située dans la péninsule qui avance dans le Bosphore, entre le Pont-Euxin et la Propontide, pouvait être regardée comme la ville limitrophe des deux plus belles parties du monde. Sévère en avoit bien senti l’importance , puisque, après l’avoir ruinée, il l’avoit réparée, en l’agrandis-sant et y ajoutant des fortifications nouvelles. Cons-tantin , en la choisissant pour en faire la capitale de son vaste empire, ne faisait, comme tous les autres hommes, que servir les vues secrètes de la Providence. Dieu châlioit par ses mains cette Rome en-ivréc si long-temps du sang des martyrs, et en même temps qu’il la dépouillait de la prérogative impériale, il accomplissait ses destinées en faisant de la ville des Césars la ville de Pierre, et de l’antique maîtresse du monde le siège de l’empire chrétien. Tous les arts furent appelés pour s’unir au triomphe de la reli-״ion. De magnifiques églises s’élevèrent, construites en grande partie des trophées enlevés sur le paga-nisme (1). L’éloquence ne fut pas muette. Les ora-teurs chrétiens et les autres célébrèrent dans leurs pa négyriques, soit en prose, soit en vers (2) , le prince qui avait fait d’aussi mémorables changements. Cons-tantin lui-même, qui avoit cultivé avec succès les talents de l’esprit, ne manque pas de les rappeler dans ses discours publics, que nous avons encore (3).
(1) On peut en voir la description dans Eusèbc, et dans les écrivains d’après lui. Ce prince ne se contenta pas de relever celles que la persccu-lion de Dioclétien avoit abattues; il en fit construire de nouvelles à Tyr, à Jérusalem, à Constantinople, et les dota avec magnificence. Il donnoit des encouragements aux familles des jeunes gens qui se destinoient à la profession d’architectes. ( M. Naudct, Des changements opërés sous Dio-clétien , ous rage couronné par l’institut, pag. 121. Bern, de Varennc, Hist, de Constantin, pag. 263. )
(2) 11 nous reste un ouvrage en vers latins, composé peu après que Constantin eut rendu la paix à !’Eglise. L’auteur éloit un prêtre espagnol, et se nomme Juvencus. C’est 1’hisloirc de la vie de notre Seigneur, d’après les évangélistes. Le paëmc, si l’on pcul appeler de ce nom un récit simple, en vers hexamètres, des textes de S. Matthieu, est termine par l’éloge de l’ein-percur. S. Jérôme a parlé de lui en historien plutôt qu’en critique.
(3) Les extraits que nous en publierons à son article, feront voir si Constantin mérite , comme écrivain , le ton méprisant avec lequel nos so-phistes du dernier siècle en ont parlé.
Il y a certainement du mauvais goût dans les harangucs de ce prince. Il n’y en a pas moins dans les autres. L’auteur de sur les éloges, qui juge les uns et les autres avec une partialité peu digne d’un philosophe, attribue leurs communs défauts au vice du temps (1). Pourquoi Constantin en auroit-il été exempt? Ce qui les rend plus précieux pour la postérité, c’est qu’ils étoient le fruit de ses loisirs (2), et qu’ils ne prenaient rien sur les autres devoirs de la royauté; c’est surtout qu’ils manifestent, de la part de Constantin, le sentiment profond des vérités qu’ils énoncent, et par-là repoussent invinciblement les soupçons que la philosophie moderne a voulu jeter sur la franchise de sa conversion. « A la ma-» nièredont il les prononçait, on eût dit un pontife » enseignant avec autorité les mystères de notre di-» vine doctrine (3). »
(1) « Constantin fit rouvrir les écoles d’Athènes ; il honora les lettres , il ״ les cultiva lui-incmc, mais comme on pouvoit les cultiver dans son siècle. » et parmi les occupations de la guerre et du trône » ( Pag. 228. )
(2) Per otium scribendl orationlbiis aacans. (Etisèb., Panegyr., lib. iv, cap.xxix. ) Un évêque s’étant un jour livré, en sa présence, à une ex-cessive admiration sur l’éloquence du prince, l’empereur lui en fil une sé-vère réprimande, !’avertissant que l’honneur en devoit être rapporté à Dieu seul. ( Ibid., cap. xnviir. )
(3) F.usèbe dans D. Ceillier, Hist. des écrit׳, cedes., t. iv , p. 144,
Comme tous les écrivains de ce siècle, Eusèbe de Césarée manque de ·méthode. Diffus et prolixe à l’excès, en général peu châtié dans son style , il se recommande par l’érudition plutôt que par l’élo-quence; mais avec ces défauts, Eusèbe sera toujours regardé comme un écrivain d’un ordre supérieur; et le paganisme n’eut jamais un nom à placer à côté de celui-là (1).
(1) Tas même celui du fameux Varron , que Cicéron appelle le plus sa־ vanl des Romains.
De Constantin nous arrivons à Julien. Ce prince, qui aurait voulu chasser saint Athanase de toute la terre, ouvroit sa cour aux philosophes et aux gens de lettres qui partageaient sa haine contre les chré-liens. On ne peut douter que leurs conseils n’aient influé dans la persécution, et, en particulier, dans le dessein que forma cet empereur de condamner les chrétiens à l’ignorance, en les empêchant d’étudier, ou d’enseigner les sciences des Grecs. Le complot de concentrer dans le paganisme toute la littérature, et de posséder exclusivement avec ceux de leur reli-gion le bel esprit et la pureté du langage , étoit digne d’une cabale de faux savants et de sophistes qui se voyaient effacés par saint Basile, saint Grégoire de PÇazianze, Diodore de Tarse, les deux Appollinaires, et quelques autres (2).
(2) La Blclterie , rie de Julien, p. 242,243.
Le prince vantait surtout le mérite de Libanius; il lui disoit souvent : « Vos actions vous assurent parmi les philosophes le même rang que vos discours vous donnent parmi les orateurs. » On peut bien croire que la vanité du philosophe ne retranchoit rien à cet éloge. M. Thomas, qui a grand soin de rapporter l’a-necdote, ajoute que Libanius étoit regardé comme l’homme le plus éloquent de l’Asie (1). Ce jugement seroilfaux, quand nous n’aurions à opposer à Libanius que le seul saint Jean Chrysoslôme. Le rhéteur d’An-lioche, qui dans son disciple avoit aperçu son vain-<[ueur(2), tout crédule qu’il pouvait être aux insinua-lions de l’amour-propre et aux suffrages de l’adula-tion, a dû remarquer au moins qu’il y avoit une distance prodigieuse entre l’art du déclamateur, où il pouvait exceller, et cette chaleur d’imagination toujours réglée par la sagesse, et soutenue parla vé-rité des principes, qui fait le mérite du saint pa-triarche de Constantinople. Le même académicien, dont la critique nous semble aussi suspecte que l’érudition, remarque que Julien, à force d’étu-dier les ouvrages de Libanius, parvint à en imi-ter parfaitement le style (3) et, graces à la fidélité avec laquelle il a reproduit son modèle, Julien n’a pas moins obtenu de nos modernes appréciateurs du goût un rang honorable parmi les écrivains.
(1) Essai sur les éloges , torn. 1, pag. 256.
(2) Sozom., Hist. , lib. vin, cap. xxir. Hennant, rie de saint Jean Chrysostôrne, liv. 1, chap. v. Butler, ries des Saints, l. 1,p. /(oo, 401.
(3) Essai sur les éloges, torn. 1, pag. 256.
Contentons-nous, pour le juger sous ce simple rap-port, de la restriction que l’auteur lui-mèine met à son c'ioge : <4 Je ne parle point, dit-il, des défauts du goût, des citations mulliplécs d’Homère, de la fureur d’exagérer, d’un luxe d’érudition qui re-tarde la marche fièrc et libre de l’éloquence , et annonce plus de lecture que de génie. Ce sont là les défauts du siècle plus que de l’orateur; mais il en a d’autres qui lui sont personnels. Son style a quelquefois de !’affectation et de la recherche (1 ). Photius lui reproche de laisser trop apercevoir dans ses discours !’empreinte du travail. On lui a reproché aussi de l’obscurité ». On pourvoit ajouter encore à cette critique, sans manquer à la vérité. Toujours est-il incontestable que ce n’est point là le jugement à porter d’un autre écrivain du meme siècle , mais d’une école bien différente, à qui la secrète ja-lousie de Julien et de ses sophistes donna plus d’une occasion d’exercer son talent. « Celui-ci, nous dit encore le judicieux Photius, sait proportionner son style au sujet qu’il traite, et aux personnes à qui il parle, assaisonnant son discours de tant de grâces, de force et de modestie, qu’on entre na-turcllcmcnt dans les vérités qu’il établit. Scs rai-sonnements sont concluants et bien suivis. Scs preuves sont claires; quelquefois, pour les rendre plus sensibles, il les accompagne de similitudes. Son langage est pur, simple, clair, cl n’a rien de super-fin; plein de sens , de vivacité et de force. Ses let-1res surtout et ses apologies sont écrites avec beau-coup de netteté, d’élégance et de noblesse; il est court et précis dans scs commentaires, naturel et coulant dans ses ouvrages historiques, qu’il n inter-rompt jamais par des digressions inutiles , vif et animé dans les polémiques (1). » Voilà assurément tous les caractères de la véritable éloquence ; voilà aussi comme tous les siècles chrétiens ont parlé du grand Athanase ; et pourtant il s’en faut beaucoup encore qu’il soit orateur comme S. Basile, S. Gré-goirc de Nazianze et S. Jean Chrysoslôme.
(1) Essai sur les éloges, ·>aj. 25g.
(1) Biblioth., cod. xxxti, pag. tg; cxxxtx,pag. 315; cxt.,pag. 315. Cave, Script, eccl., pag. 121.
Sous Valens paroît Théniistius, philosophe, ora-leur, de qui nous avons un recueil assez considé-rablede harangues ou panégyriques. Théniistius vécut sous six empereurs, qui tous le récompen-seront avec magnificence. Il fut lié avec S. Grégoire de Nazianze, comme Libanius l’avoit été avec S. Ba-sile ; et c’est là leur plus beau titre de gloire. Cons-tance le fit sénateur. En l’élevant à cette dignité, il écrivait au sénat : « J’ai voulu honorer, non pas seulement sa personne, mais le conseil auguste dont il va faire partie. » Peu après, le meme prince lui fil ériger une statue de bronze. Julien le nomma préfet de Constantinople. Valons l’appela à sa cour, et aimoit ?1 s’en faire accompagner dans scs expédi-lions militaires. Gratien et Théodose le comblèrent de faveurs, et ce dernier, prêt ?1 partir pour l’Occi-dent, lui confia son fils. Thémistius illustra sa plume et son caractère par la défense des catholiques que λ alcus opprimait; est-il vrai qu’il ait réussi (1) ? Les monuments de notre histoire, bien plus dignes de foi que les assertions des philosophes, permettent au moins d’en douter. Quoi qu’il en soit, il n’y en avoit pas moins de courage à !’entreprendre. L’a-t-il fait avec l’éloquence qu’on lui suppose? Osons affirmer qu’il eût été moins loué de nos jours, s’il eût été chrétien. Un critique plus exact que Thomas pro-nonce hautement que Thémislius avoit plus de litlé-rature que de talent (2); et il faut avouer, conclut le même écrivain, que les zélateurs de l’ancienne religion n’étoient, sous aucun rapport, des hom-mes à comparer aux prédicateurs de la foi chré-tienne (3).
(1) Saint Basile , archevêque de Césarée, a bien plus de droits que lui à cet honneur. ( Voy. Tillem., Ném., 10m. ix, pag. 15g, 160; cl ibid, notes, pag. G65.
(2) Laharpe, Cours de litter., tom. ni, pag. 310.
(3) Ibid., pag. 308.
Le seul homme qu’il soit permis de leur assimiler, c estPacatus, pour son panégyrique latin de Théodose le grand (1). Sidoine Apollinaire en parle, et Au-sonele cite avec éloge (2). S’il n’a point cet agré-ment que donnent le goût et la pureté du style, il a souvent de l’imagination et de la force; bien que, dans sa manière d’écrire, il ressemble plus à Sé-nèqne et à Pline qu’à Cicéron. On y rencontre, en-tre autres, un morceau admirable sur la tyrannie de Maxime, mis habilement en contraste avec la sage administration du légitime prince. L’auteur y dé-crit avec une égale énergie la double défaite du tyran. Voici tout ce morceau, trop curieux pour être abrégé.
(1) Lalinus Pacatus, Gaulois d’origine, n’étoitpoint né à Drapane en Sicile ,comme quelques savants l’ont prétendu, mais dans !’Aquitaine, et nous pouvons hautement le revendiquer pour un de nos compatriotes, sur la foi d’Ausone et de saint Paulin. C’est au nom de toute la Gaule , qui l’avoit envoyé en ambassade dans la capitale de l’empire, qu’il prononça cet. éloge.
(2) Voy. VHist. littér. de la France , et Recherches sur les Pctnégy-riijues , par Coupe. Spicilêge île littér. anc. et mod., pag. 382.
S’adressant à Théodose :
« Pendant cinq années entières , ce criminel Maxime, revêtu de la pourpre usurpée, tyrannisait la Gaule, se vantant de votre alliance , de votre fa-veur, et, sous cette assurance mensongère, entrai-nant les peuples dans sa révolte. Pourquoi étiez-vous alors si loin de nous ? La Gaule, ma patrie, iTauroit point eu à déplorer tant de désastres. Les débordements s’en sont répandus jusqu’en Espagne^ jusque dans l’Italie; mais les premiers coups du furieux Maxime sont tombés sur nous; et le barbare a fait couler à grands flots, dans nos provinces, le sang des innocents. Son insatiable avarice a dévoré toutes nos richesses. 11 n’a fait qu’exercer sa cruauté dans les autres climats ; mais il en avoit établi le siése au cœur de la Gaule. Quel peuple du monde est comparable en calamité avec nous ! Notre tyran se contentoit de faire quelques excursions chez nos voisins; mais c’étoit toujours à nous qu’il revenait montrer sa rage. Scs exécutions continuelles dépeuploicnt nos villes. Les déserts les plus affreux devenaient le tombeau de notre malheureuse noblesse; on confisquait lesbiens desplus vertueux, et ce n’étoit qu’avec des monceaux d’or qu’on pouvait racheter la tête des innocents. Nous avons vu des hommes revêtus des premières di-gnités, chargés de fers; des anciens consuls dé-pouillcs de leur toge honorable; des enfants au berceau, souriant aux bourreaux qui allaient les massacrer. Et nous, qui avions par miracle échappé à tant d’horribles assassinats, nous étions réduits, pen-dant ce temps-là, à cacher notre douleur profonde, à mentir, à dire que nous étions heureux. Ce n’étoit qu’en tremblant, que nous osions pleurer avec nos femmes et nos enfants dans l’intérieur de nos mai-sons. Une mort soudaine nous aurait attendus en pu-blic, si nous y avions porté le visage de notre for-lune. Nous n’aurions pas manqué de rencontrer sur toules les places, et dans loutcs les rues, des flots homicides de délateurs, qui, dans leurs vociféra-tions impies, se seraient écriés : D’où vient la tristesse de cet homme? Est-ce qu’il n’est pas content du gou-vernement? Pourquoi avec son habit de deuil vient-il altérer l’allégresse publique? Il a perdu son frère, répondait un autre; mais il lui reste un fils, c’est une victime de plus qu’il nous faut. Ainsi nous ne pou-vions gémir sur nos pertes, sans risquer de voir im-nioler ce que nous avions encore. Ainsi, au milieu de toutes ces horreurs, nous étions obligés de pren-dre un visage serein, et de rire sous les coups de la mort. Ah! cependant dans le malheur la nature nous accorde au moins l’adoucissement de verser des larmes, et la permission de soulager par quelques soupirs notre cœur oppressé. Mais l’abominable Maxime, en nous rendant si malheureux, ne vouloit pas meme que nous le parussions.
» Ce monstre étoit insatiable dans tous ses excès; cl quoique parla nature la satiété suive toujours l’abon-dance, sa cupidité s’agrandissoil de jour en jour; sa rage, en devenant immense, ne faisoit que s’ir-citer encore par tout le sang répandu. 11 avoit ravi toutesles richesses de la Gaule, cl, au milieu de tant de rapines, son avidité étoit une hydre toujours croissante....... Le principe favori des tyrans est de faire part de leurs rapines pour s’attacher des partisans. Us se flattent d’effacer l’odieux de leurs bri-gandages par la grandeur de leurs présents. Ils se trompent : ces partisans ne sont que des misérables qui les abandonnent quand l’horizon se rembrunit pour eux. Ah! ce n’est pas ainsi qu’on est heureux dans le rang suprême. Le plus grand bonheur d’un })rince, est de faire celui de tout son peuple , d’éloi-gner de lui le besoin, de lui procurer l’abondance, de vaincre pour cela la fortune, et de donner une destinée nouvelle à ceux qu’il commande. Un bon empereur doit bien se persuader que ce que l’on prend n’est jamais à soi, et qu’on ne possède veri-tablement que ce qu’on donne. En effet, comme tout roule autour du prince, et que, semblable à !’Océan, qui, en environnant la terre, lui rend les eaux qu’elle lui a données; ainsi tout ce qui émane des citoyens doit leur revenir.....L’affreux et imbécile Maxime pensoit bien différemment. Loin de s’occuper du bonheur des peuples, toute sa passion étoit de les dépouiller. Et au lieu d’aller chercher, comme les autres rois, l’or caché dans les entrailles de la terre, ce qui n’appauvrit personne, il aimoit mieux l’arracher à ceux qui le possédaient, et il y trouvoilbien plus d’éclat et de pureté, quand il lui étoit apporté empreint encore des larmes des infortunés auxquels on !’avoit ravi. Blais son glaive et ses poi-gnards étaient bien plus redoutables que son avarice, tout affreuse qu’elle étoit. Aussi la pauvreté passoit en vœu parmi nous, et nous aimions beaucoup mieux nous voir enlever nos biens, que de mourir de ]a main des bourreaux. Vous retracerai-je les noms de tous les hommes illustres qui ont péri sous la hache fatale? Hélas! les femmes meme les plus vertueuses n’ont pas trouvé grâce aux yeux du bar-bare......
» Enfin, le Dieu de miséricorde tourna sur nous des regards propices, et inspira à notre tyran la fu-reurde déclarer la guerre à Théodose, qui cueilloit alors en Orient des moissons de lauriers. Maxime eut l’audace de passer les Alpes Cottiennes, en se pré-cipitant, non à la guerre, mais au supplice. O Ce-sar, il vous aurait suffi d’arriver seul contre un tel ennemi. Car si jadis il a suffi à des maîtres de montrer des fouets à leurs esclaves révoltés, pour les faire rentrer dans le devoir; votre présence auroit opéré soudain le meme effet sur ce misérable. Il n’eût pas soutenu vos regards, cet homme qui, après avoir rempli le ministère le plus vil dans votre maison, s’étoit avisé de se faire empereur.... Ne savoit-il pas que vous aviez pour vous la foi publique, le droit, la justice , la clémence , la pudeur , la religion, tan-dis qu’il n’a voit pour lui que la perfidie, le brigan-dage, l’impiété, la corruption, la cruauté, tout le cortège honteux des vices et des crimes?
» Mais non. Vous n’aurez pas seul la gloire de le terrasser. Quelle affluence de peuples s’empresse de détruire cet haïssable tyranי en se réunissant à vos drapeaux! O guerre, digne d’une éternelle nié-moire ! On vil alors marcher sous les aigles romaines‘ les ennemis des Romains eux-mêmes........Il falloit que Maxime fut un terrible monstre, pour que des Barbares eux-mêmes vinssent le combattre de si loin. Ils le combattirent; ils le vainquirent avec plus de rapidité que je ne le puis dire ici; et son sang cri-minel, qu’ils répandirent, fut comme les prémices de cette guerre. Ils taillèrent en pièces ses escadrons rebelles, déchirèrent leurs drapeaux coupables, et, après lui avoir fait mordre la poussière, à cet infâme Maxime, ils privèrent son cadavre des honneurs fa-nèbres, et empêchèrent, ô César! l’effet ordinaire de votre clémence par une vengeance anticipée. C’csL ainsi que les ennemis de l’empire en détruis!-rent le plus grand ennemi avec l’admiration de l’uni-vers.
» ]Mais cette bataille que vous gagnez est bientôt suivie d’une autre bataille, ou plutôt d’une nouvelle victoire. Marcellin, frère du tyran Maxime, ranime aussitôt la faction sacrilège que vous veniez de ter-rasser. Il arrive contre vous avec les torches de Mé-gère. La nuit tombait, cl vos braves compagnons d’armes accusent le soleil de se cacher si tôt ; ils de-vancenl son cours par leur impatience. La lumière paroil enfin, et la plus noble ardeur anime tout votre camp. On est en présence; toutes vos dispositions sont si bien faites, que vous aviez déjà vaincu par la discipline, avant d’avoir essayé vos forces. Les troupes ennemies, cependant, comme de ténébreux nuages, luttent contre la valeur romaine, et contre le plus grand de nos empereurs. Pour se rendre maîtresses de l’Italie, dont 011 leur avoit promis le pillage, elles se dévouent à la mort. Cliacpie soldat se battoit avec le désespoir des. gladiateurs, restant ferme à son rang, et résolu de vaincre ou de périr. Mais que peut tant de courage contre des légions guidées par Théodose, qui charge à leur tête ? La mort se ré-pand sur l’armée de Marcellin. Armes, javelots , hommes, chevaux, blessés, mourants, couvrent la plaine. Les uns, mutilés, fuyaient avec une partie d’eux-mêmes; les autres suivaient, autant que leur permettaient leurs blessures: d’autres encore por-toient dans les^ fleuves ou dans les bois, la mort déjà reçue dans leurs entrailles..... Le carnage n’a cessé que lorsque la mort n’a plus voulu donner d’ennemis aux vainqueurs, et que la nuit leur eut retiré le jour. Un seul corps de troupes, qui s’étoit détaché des rebelles, en baissant ses drapeaux sup-pliants , en demandant le pardon delà nécessité, en baisant la place où vous aviez passé , en déposant ses armes à vos pieds, éprouva à l’instant votre généro-si té. Vous ne reçûtes pas ces malheureux avec orgueil comme des vaincus, ni avec colère comme des coupa-blés, ni avec indifférence comme des hommes qui marquent peu; niais avec toute la bonté' de la vertu. Vous en faites aussitôt une cohorte romaine ; elle est réunie à l’armée victorieuse, et ce sont des mem-bres étrangers ajoutés au corps de la république , sous les ordres du meme chef (1). »
(1) T'ctcrespanegpr., pa47 .״ et suiv. Cœnoin.; 1653.
Le discours scroit tout entier de cette force, que l’on n’auroil pas droit d’en rien conclure en faveur du paganisme. Quelques beaux traits ne font pas un ou-vrage. Quelques harangues isolées ne seront jamais un contrepoids bien puissant, pour contrebalancer cette foule de chefs-d’œuvre qui composent la bi-bliothèquc des Pères grecs et latins. « Selon l’équi-» table règle de critique proposée parFénélon, et judi-» cicuse ment développée par l’abbé Fleury : Quand on » veut apprécier le mérite des Pères de !’Eglise, il ne » faut pas oublier le temps et le pays où ils ont vécu ; » il faut les confronter avec leurs contemporains les » plus célèbres, saint Ambroise avec Symmaque, » saint Basile avec Libanius; et alors on voit com-» bien ils ont été supérieurs à leur siècle. (2). » On peut donc impunément, pour la gloire de ceux-ci, faire quelques concessions. L’admiration qui leur est due n’empêchera point, par exemple, que la cri-tique n’y rcconnoisse , même dans les plus parfaits , des defauts que n’ont pas en ]es orateurs des beaux temps de Rome et de la Grèce. Nous en avons fait l’aveu ailleurs (1). Pourquoi, craindrions-nous de le répéter ici? On y désireroit plus de sévérité clans le style; plus d’attention aux convenances du genre, plus de méthode, plus de mesure dans les détails. On leur a reproché de la diffusion , des digressions trop fréquentes, et l’ahus de l’érudition, qui dans l’élo-quence doit être sobrement employée, de peur qu’en voulant trop instruire l’auditeur, on ne vienne à le refroidir (2). C’étoit le goût dominant du siècle (3). Les Pères n’avoient eu, pour la plupart, d’autres mai-très que les rhéteurs vides d’idées, accoutumés à em-ployer de grands mots pour dire de petites choses ; à confondre l’éloquence avec l’élégance, et la pureté de la diction. De pareils maîtres auraient corrompu le génie, si la source n’en eût été placée ailleurs que dans leurs écoles. Saint Jean Chrysostôme avoit fré-quenté celle de Libanius; saint Grégoire de Na-, zianze et saint Basile s’éloient rencontrés à celles d’Athènes avec Julien. Le préjugé, quand il est uni-versel, entraîne ; c’est à cpioi les sages mêmes ne résistent presque jamais. « Peut-être même ( ajoute » l’archevêque de Cambrai ) que ces grands boni-״ mes, qui avoient des vues plus hautes que les » règles communes de l’éloquence, se conformaient » au goût du temps pour faire écouter avec plaisir » la parole de Dieu, et pour insinuer les vérités de la » religion (1). » En les abrégeant, vous leur ôtez ces défauts. En ne leur laissant que leurs beautés, qui les élèvent au-dessus de toute comparaison, vous en faites les premiers de nos classiques.
(2) Le cardinal Maury. Essai sur Γeloquence de la chaire, loin, n, pa:<. ■2 20.
(1) Biblioth. chois., tom. 1, Disc, prélimïn., pag. 55.
(2) Laharpc, Cours de littérat., torn, in, pag. 30p. Fénélon, Lettre à ï Académ., à la suite des Dialogues sur l’éloquence, pag. 302.
(3) Fleury, Disc. 11 sur l’Hist. ecclés., 11° xv et xvi, et Mœurs des chrét., n° xl. ?.apporté par le cardinal Maury , (Essai sur l’éloq. de la chaire), qui y joint le jugement de Fénelon sur Γ éloquence des Pères.
(1) Fénelon, Dialogues, pag. 9.3/!.
L’époque où nous entrons embrasse, sous le titre général de Pères dogmatiques, quatre siècles, que nous divisons en tableaux ou livres, au nombre de dix, depuis l’an 506 , où commence le règne de Constantin, jusqu’au huitième siècle.
Nous désignons chacun d’eux par celui des Pères qui semble y jeter le plus grand éclat, rangeant à leur suite les docteurs du même temps d’une moin-dre renommée, sans nous astreindre rigoureusement à l’ordre chronologique. Seulement nous serons exacts, autant que possible, à indiquer en tête de chaque article , la date à laquelle on les fixe le plus communément.
L’idée de ces tableaux nous a été fournie par S. E. Monseigneur le cardinal Maury, dans son Panégy-rique de saint .Augustin. » Je considère, dit-il, tous les Pères de !’Eglise comme des controversistes, des orateurs, des moralistes, des théologiens, suscites d’en haut pour venger chaque point de notre foi, chaque objet de notre culte , ?1 mesure que les no-valeurs sont venus en ébranler les fondements. Mais quand je cherche dans la suite des ages les hommes qui, depuis Jésus-Christ et les évangélistes, ont eu le plus d’influence, exercé le plus d’empire , attiré avec le plus d’éclat les regards de la postérité dans le développement de la religion, et qui surtout ont le mieux embrassé !’universalité et l’ensemble de sa doctrine; je me représente alors la tradition comme une chaîne sacrée qui remonte jusqu’il la révélation; et, dans sa vaste étendue, je distingue quatre grands anneaux, dont la splendeur et la solidité viennent frapper plus vivement mes regards de distance en distance; je veux dire saint Paul, saint Augustin, saint Thomas d’Aquin, et Bossuet. Ces quatre mai-très éminents, qui ne forment qu’une seule école, puisqu’ils professent tous la même doctrine, sc ten-dent pour ainsi dire les mains, dans l’espace im-mense des dix-huit siècles qui composent, pour ces mâles génies, un vaste domaine de gloire; et ils ont entre eux des rapports si multipliés de principes, de talents et de prééminence, que leurs ouvrages, toujours saillants dans !’histoire de !’Eglise, coin-posent en quelque sorte un seul faisceau d’armes saintes, dont la force et l’éclat deviennent pour la rc-ligion les plus beaux monuments de ses triomphes aux veux de l’univers (1). »
(1) A la suite de son Essai sur Γéloquence sacrée , ton! 11, pag. 453
Livre premier. — S. ATHANASE, patriarche d’Alexandrie.
1° Osius, évoque de Cordouc.
2° S. Alexandre, patriarche d’Alexandrie.
5° Le pape saint Jule.
4° S. Méthodius , évêque de Tyr.
5° Didyme d’Alexandrie.
6° Eusèbe, évêque de Césarée.
y0 L’empereur Constantin.
8° S. Athanase.
g° S. Optât , évêque de Milèvc.
10° S. Pacien, évêque de Barcelone.
i 1° S. Phébade, évêque d’Agen.
12° S. Melèce, archevêque d’Antioche.
15° S. Astère, archevêque d’Amaséc.
14a S. Hilaire, évêque de Poitiers.
» Supplément. .
S. Amphiloque, archev. d’Icone.
Lucifer , évêque de Cagliari.
S. Antoine, patriarche des solitaires d’Fgvpte.
S. Eusèbe de Samozate.
S. Eusèbe de Verceil.
Eusèbe d’EmÈse.
S. Eustathe d’Antioche.
Marcel d’Ancyre.
Le pape Libère.
S. Philastre , évêque de Bresse.
Livre second. — S. GRÉGOIRE DE NAZIANZt
ARCHEVÊQUE DE CONSTANTINOPLE.
S. Basile , archevêque de Césarée.
S. Grégoire, évêque de Nysse.
Livre troisième. — S. AMBROISE, archevêque de Milan.
ו" S. Ephrem, diacre d’Edcssc.
2° S. Ambroise.
5° S. Cyrille, archevêque de Jérusalem.
4° S. Zenon , évêque de Vérone.
5° S. Gaudence, évêque de Bresse.
6° Conciles.
Livre quatrième. — S. JEAN CIIRTSOSTOME , patriarche de Constantinople.
Livre cinquième. — S. JEROME.
1° S. Epiphane, archevêque de Salami ne.
2° Bufein , prêtre d’Aquiléc.
5° S. Jérôme.
4° S. Paulin , évêque de Noie.
.5° Sulpice Sévère.
6° Le poete Ausone.
7° Prudence, poëte chrétien.
8° S. Nil , solitaire. Et autres.
Livre sixième. — S. AUGUSTIN, évêque d’Hyppone.
Livre septième. — VINCENT DE LÉRINS ET SALV1EN.
1° Le pape S. Célestin.
2° S. Cyrille , patriarche d’Alexandrie.
3° Théodoret , évoque de Cyr.
4° S. Proclus , archevêque de Constantinople.
3° Synesius , évêque de Ptolémaïdc.
6° Vincent de Lérins.
y0 Cassien , abbé de Marseille.
8° Salvien , prêtre de Marseille.
g° S. Mammert, archevêque de Vienne.
10° Orose , }
11° Socrate, > historiens.
12° Sozomène, )
15° S. Isidore de Peluze.
14° S. Maruthas, évêque en Mésopotamie.
5° ו S. Fulgence, évêque de Rupse.
Livre huitième. — S. LÉON LE GRAND.
1° S. Pierre Crysologue , archevêque de Ra-venue.
2° S. Basile de Séleucie.
5° S. Léon, pape.
4° S. Prosper.
5° S. Maxime de Turin.
G° S. Césaire d’Arles.
y0 Gennade de Marseille.
8° Boece , sénateur romain.
<)° AlcimeAvit, évêque de Vienne.
1o° S. Hilaire d’Arles.
1° נ Julien Pomere.
12° Enée de Gaze.
15° Sidoine Apollinaire.
!4° S. Benoist , patriarche des moines d’Oc-cident.
15° Cassiodore, chancelier du roi Théodoric.
16° Le pape S. Hormisdas.
Livre neuvième. — SAINT GRÉGOIRE LE GRAND.
1° Le véne'rable Bede.
2° S. Grégoire; pape.
5° S. Grégoire de Tours.
4° S. Sopiirone de Jérusalem.
5° S. Remi, archevêque de Reims.
6° Julien de Tolède.
7° S. Jean Damascene.
8° Hesychius de Jérusalem.
9״ S. Jean Climaque.
1o° S. Isidore de Séville.
11° Photius, patriarche intrus de Constant!-nople.
12° S. Éloi , évêque de Noyon.
15° L’empereur Charlemagne.
14° Alcuin.
15° Eginiiart.
16° Université de Paris.
17° Walafride Strabon.
18° Hinckmar, archevêque de Reims.
19° Pascase Radbert.
/
s’·
2 0° A goba R ח , archevêque de Lyon.
2 1° Fulbert , évoque de Chartres.
2 2° T11É0P1IYLACTE.
2 5° S. Anselme de Cantorbéry.
24° S. Bruno, fondateur des Chartreux.
2 5° L’abbé Rupert.
2 6° Jean de Salisbery.
Supplément. Conciles.
Livre dixième. — S. BERNARD , abbé de Cl airy aux.
1° Hugues de S.-Victor.
2° Yves de Chartres.
5° Pierre de Cluny.
4° Pierre de Celles.
5° S. Bernard.
6° Richard de S.-Victor.
7° Pierre de Blois.
8° S. Dominique , fondateur d’Ordre-
Cj° Guillaume , évoque de Paris.
10° Robert Sorbon, fondateur de la Sorbonne.
11° S. Thomas d’Aquin.
12° S. Bonaventure. Et autres.
LES SCOLASTIQUES.
Ce mot avoit été long-temps synonyme de celui d’esprit subtil et délicat. Sérapion , évoque de Thniuis , qui assista au concile de Sardique , avoit etc, dit saint Jérôme , surnomme le scolastique, pour la délicatesse de son esprit (1). Sozomène semble meme attacher à ce mot une valeur bien plus éten-due , par les éloges qu’il donne à l’éloquence de cet évêque (2). 11 pouvoit avoir chez IcS Grecs la même acception que celui de grammairien chez les Latins. Mais apres que les croisades curent établi des coin-munications plus habituelles, d’abord entre les Grecs et les Latins, puis entre ces peuples et ceux de ΓΑ-rabic , et que la philosophie d’Aristote, à peu près inconnue jusque-là dans les écoles, eut prévalu tout à coup , au point de devenir l’étude dominante ; la méthode simple et pathétique des Pères fut dédai-gnéc, les principes et le langage du philosophe de Stagirc furent appliqués à l’interprétation des dogmes du christianisme, et la théologie tout entière se trouva assujettie aux raisonnements humains. C’étoit parmi les docteurs une émulation générale, à qui porterait le plus loin la subtilité de l’esprit, et perce-roit le plus avant dans les mystères de la religion. Non-seulement on voulait paraître savoir tout ce qui avoit été ignoré jusque-là; mais sous le prétexte d’en rendre l’intelligence plus claire, on réduisait toutes nos vérités saintes à la démonstration géométrique. «Aulieu d’établir comme les géomètres desprincipes, » autant incontestables que leurs définitions et leurs» axiomes , c’est-à-dire, en matière théologique, des » passages formels de !’Ecriture, ou des propositions » évidentes par la lumière naturelle, la plupart des » scolastiques ont souvent, dit l’abbé Fleury, posé » pour principe *des axiomes d’une mauvaise philoso-» phie, ou desautorites peu respectables (1).» Et parce qu’il falloit que tout fill nouveau ( cette maladie de l’esprit humain est de tous les temps ), des hommes, meme de la plus brillante imagination, ne connurent plus que les formes sèches et abstraites de la géonié-trie. Céloit Aristote qui régnoit souverainement dans les livres, dans les écoles et dans les chaires. Tous les écrits publiés depuis le douzième siècle jusqu’au quinzième, se ressentent de cette déplorable in-fluence.
(1) De Pii״. illustr., tom. iv, col. 124,
(2) Hist, ecclês., lib. ni, cap. xn
(1) Disc. ג sur l'IIist. cedes., η** xv.
Pierre Lombard essaya vainement d’opposer quel-que digue au torrent, par son livre des Sentences, recueil des passages des Pères, dont il concilie les apparentes contradictions. Mais il étoit lui-meme entraîné par le mauvais goût de son siècle; et tout le succès de son ouvrage, plein d’ailleurs d’omissions et d’inexactitudes, ne fit que prêter un nouvel aliment aux disputes de l’école et aux rivalités des canton-dants. Pas le plus léger retour vers cette éloquence simple et noble des Pères, qui « s’expliquoient na-lurellcment, comme on fait dans les conversations, et qui employaient les ligures propres à persuader, cl à lonelier ceux qui les écoutoient (1). ״
(1) Disc. \ sur l’Hist. ccclës., 11° x\.
Nos premiers prédicateurs, les Pères Apostoliques, sc conlentoicut d'exposer la parole de Jésus-Christ et des apôtres uniment} familièrement (2). Ils racon-toient simplement ce qu’ils avoient recueilli de la bouche de ceux qui les *avoient vus et entendus. Les Pères Apologistes, obligés de repousser avec les al-taques des Juifs et des païens, les mauvaises inter-probations que les premiers hérétiques donnaient à nos saintes Ecritures, embrassèrent un champ plus étendu; mais ils ne s’écarloient point de la méthode de ceux qui les avoient précédés. Jamais de questions frivoles et puériles. Ceux qui viennent après, élar-gissent encore la carrière, qu’ils remplissent des tro-phées de leur génie ; leur marche n’est point difïe-rente. Vous les voyez en présence des peuples et des rois, développer avec autorité tout ce qu’il faut croire , tout ce qu’il faut pratiquer, joignant à la so-lidité des pensées la délicatesse des tours , et l’agré-ment des expressions ; présentant avec candeur les objections, pour les réfuter avec force; ne repais-saut point leurs disciples de doutes et d’opinions, mais de vérités certaines (3). De là cet heureux me-lange d’élévation et de douceur, de force cl d’onction, de beaux mouvements cl de grandes idées, et, en général, celte éloquence facile et naturelle, l’un des caractères distinctifs des siècles qui ont fait époque dans !’histoire des lettres. C’est le té-moignage que leur rend l’écrivain de nos jours «pie la voix publique a proclamé le moderne Quin-tilicn (1).
(2) La Bruyère, chap, xv, De la chaire.
(3) Fleury, Disc. n’xu.
(1) Laharpe, Cours de belles-lettres, loin, ni, pag. 3og.
L’emportement des esprits, occasioné par les que-relies de AViclef et de Luther, exila l’éloquence de la chaire. La renaissance des lettres, au seizième siècle , ne lui fut pas plus favorable. On ne sortit de l’ignorance que pour se jeter dans l’excès opposé d’une fausse érudition. L’Evangile fut prêché au nom de Sénèque et d’Ovide. Le sacre et le profane ne se quittaient point. Il falloit savoir prodigieusement pour prêcher si mal (2).
(2) La Bruyère , supr.
Nos grands prédicateurs du dix-septième siècle délivrèrent la chaire de vérité, de l’éloquence des paroles et du fatras des inutilités, pour y rétablir l’éloquence de la foi, de la raison et du bon sens (3) ; mais en y laissant subsister la méthode scolastique, avec tout son appareil de divisions et subdivisions, si recherchées, si remaniées, et si différenciées (4). Il semble, à voir nos orateurs chrétiens s’opiniâtrer à cct usage, que ]a grâce delà conversion soit attachée à ces énormes partitions. Le temps des homélies n’est plus; les Basile, les Grégoire de Nazianzc, les Ephrem et les Chrysostômc ne le rameneroient pas.
(3) La Rue , Pref. de l'Avent, r.° \.
(4) La Bruyère . supr.
Nous continuerons à suivre , dans tout le cours de cet ouvrage, la méthode que nous avons observée dans les volumes précédents. Nous indiquons les cm-prunts et les imitations principales, que les prédi-cateurs les plus célèbres des temps modernes ont faites de ceux des temps anciens. Les uns et les autres travaillent sur un fonds commun. Les ouvriers appelés, soit à la première, soit à la neuvième heure du jour, sont envoyés à la même vigne du père de famille.
Nous avons fait voir ailleurs avec quelle religieuse fidélité nos orateurs catholiques remontent aux sources de la tradition, en recueillent les témoi-images et se fortifient de leur autorité (1). Ce n’est pas tout. Les esprits le moins exercés n’auront pas manqué d’observer, d’après les nombreux rappro-chements mis sous les yeux de nos lecteurs, combien l’éloquence des modernes étoit redevable à celle dés anciens. Les Pères sont nos guides et nos oracles. Quelque sujet que nous ayons à traiter, ils nous y ont devancés : pas un point de la carrière où ils n’aient laissé sur chacun de leurs pas des traces de lumière, qui, non-seulement nous dirige, mais nous éclaire et nous échauffe. Ils mettent dans nos mains le flambeau de la doctrine sainte allumé aux rayons du soleil de justice, centre unique de toutes les clartés, et qui s’étoit communiqué à eux avec une abondance toute particulière. Cest en les imitant que nous parviendrons à les égaler. Nous avons a notre disposition tous leurs trésors. C’est pour nous qu’ils furent éloquents. Les Lingendes, les Joly, les Fromenlières, les Bourdaloue, les La Rue, les Bos-suct, ne sont grands, que parce qu’ils ont ajouté aux richesses de leur propre génie, toutes les magnifi-ccnccs du génie des Pères. D’où vient à la chaire protestante cette sécheresse qu’on lui a de tout temps reprochée ? C’est que la dédaigneuse éloquence des ministres de la réforme a enveloppé dans une meme proscription, et la doctrine et le langage des Pères. D’où vient que, parmi nous, l’éloquence a dégénéré? et qu’avec tous les raffinements du bel esprit, quel-quefois meme avec tous les efforts du zèle, mais d’un zèle qui n’est pas selon la science, nos orateurs chré-liens ont encouru le blâme de n’etre que de froids académiciens, ou que d’emportés déclainateurs ? C’est parce que, au jugement de tous les apprécia-tours du vrai beau, on s’est éloigné des Pères (1).
(1) Considérations sur les trois premiers siècles, au lom. iv de celte Biblioth. chois., pag. 363 , et suiv.
(1) Vowz' à .ce sujet les pkiiuics énergiques de Rigole} de Juvigiiv , dans son ouvrage ski■ la Decadence des lettres , pag. 102 ; de l’auteur Des trois siècles de la littéral., article Bourdaloue ; du cardinal Main-) . Essai sur l’éloq. de la chaire , loin, 1n, pag. 122, etc., etc.
Excès de parure ou grossière simplicité : tel est le double vice qui signalera cette éclipse du bon goût et de la véritable éloquence, dont on accuse à si bon droit les prédicateurs du dernier siècle, coupables envers la divine Providence, qui nous a ménagé les chefs-d’œuvre de la vénérable antiquité , et nous les a conservés à travers les vicissitudes humaines; non moins coupables envers leur propre talent, à qui ils dérobaient son soutien et ses plus riches ornements.
Orateur évangélique, vous à qui une voix éclatante comme le tonnerre crie sans cesse du haut du ciel :
Gardez bien le dépôt qui vous a été confié ; évitez soigneusement toute profane nouveauté dans le lan-gage ; ne paraissez aux yeux des peuples que revêtu , non pas seulement de la doctrine, mais de la personne même de Jésus-Christ; que faites-vous? qu’a-vez-vous à faire, pour acquitter une aussi auguste mission ? Ce que vous faites : vous consumez à des études étrangères les veilles que réclament les chefs-d’œuvre d’Athènes et de Rome chrétiennes ; vous vous égarez sur des lectures parasites, au risque d’ou-blierlc seul livre nécessaire au chrétien. Que vous apprendront-elles? A transporter dans votre langage les lieux communs d’une morale humaine, les jeux de paroles, les saillies de l’épi gramme, et l’hypo-crisie du sentiment. Ou bien, vous vous montrez dans l’arène, sans autres préparatifs qu’une confiance présomptueuse, que des lectures superficielles, que de vagues souvenirs et des lambeaux mal assortis. Ce que vous avez à faire : c’est de prêcher l’Evangile par l’Evangile même interprété par les Pères; c’est d’an-noncerlesvérités éternelles avec ces paroles de vie, qui ne se trouvent point ailleurs qu’à cette source incor-ruptible, et dans les écrits des Pères, qui en furent les premiers canaux. Voilà ce que les peuples at-tendent de vous; car les peuples veulent des pro-phètes et des apôtres. C’est pour les punir que le Ciel leur envoie des discoureurs. «Ilsaccourent en foule » à votre école ; ils vous consultent dans leurs doutes; » ils attendent avec empressement, ils reçoivent avec » respect vos décisions ; vous frustrez leur espoir ; » vous les privez de leur bien; par incapacité, vous » vous rendez inutiles, criminels, pernicieux (1). » Saint Grégoire de Nazianze et saint Jean Chrysos-tome exigent du prêtre , qui se consacre au ministère de la parole, une connaissance approfondie de la tradition tout entière. Saint Jérôme ne fait pas grâce à la piété elle-même, quand elle ne sait prêcher que par ses exemples. Après eux, tout ce que les siècles chrétiens ont eu de pieux et savants pontifes, d’il-lustres docteurs et de rhéteurs renommés, un Féné-Ion, un Fleury , un Duguet, un Rollin, n’ont pas cessé de mettre en tête des devoirs du prédicateur l’étude assidue de !’Ecriture et des Pères. Ce sont là les armes de notre milice, comme dit saint Paul : Anna militiœ nostrœ ; armes puissantes et invinci- u.Cor.x.;.'׳. Lies pour confondre l’erreur, détruire les raisonne-ments d’une sagesse mondaine, pour renverser tout ce qui s’oppose à la majesté de la foi, pour soumettre au joug de Jésus-Christ et de son Evangile tous les esprits, sur qui la vérité et la raison ont encore quel-que pouvoir.
(1) L’abbé De La Tour, Serrn. sur la science, ton!, ni, paj31 .׳.
Mais c’est un grand art de savoir les employer à propos. En des mains lourdes et incapables, peu exercées, elles portent à faux, ou n’opèrent que de médiocres effets. « C’est peu de lire les Pères, dit » l’abbé Fleury, il faut les lire avec fruit; etpourcela » il faut de la méthode et de l’ordre. » Ce qu’il ap-pelle une étude sérieuse et chrétienne (1).
(1) Disc, sur les six premiers siècles , 11° xvi et xvn. Hist, cedes; loin. νπι.
Nos devanciers citoient les Pères avec profusion. Outre le défaut grave de porter dans la chaire de vérité un mélange burlesque de sacré et de profane, qui changeait, selon l’expression d’un moderne, la tribune évangélique en mie sorte detour de Babel (2); les textes des Pères, amoncelés les mis sur les autres, y remplissent des pages entières. Quel effort de mé-moire pour l’orateur ! quelle contention d’esprit pour ]’auditoire, qui assurément n’y comprcnoit rien! Ce luxe d’érudition étoit à la mode. Lingcndes, Va-ladier, Le Jeune , Texier, S. François de Sales, ont donné dans ce défaut. Giroux, Fromentières, Joly, Bossuet lui-même, n’ont pas toujours su s’en dé-fendre. La Providence n’en accomplissoit pas moins son oeuvre. L’esprit étoit subjugué sous le poids de tant d’autorités; et la raison tenoit lieu du senti-ment.
(2)Caussin, De eloquent, sacr. et civ., pag. 3p 1.
Évitons de donner à nos citations une trop grande étendue , surtout à celles qui sont en langue étran-gère. Grenade ne permet pas qu elles dépassent une ligne. En général les passages textuels doivent être réservés comme témoignages justificatifs, dans les discussions qui exigent une précision rigoureuse. Ils s’emploient pour faire ressortir d’importantes propositions, appuyer et terminer le raisonnement par quelqu’un de ces traits vifs et concis dont les Pères abondent. La lumière qui en jaillit éclaire rapidement ; sorte d’Apophtegmes dont on ne conteste pas la vérité, et dont la brièveté leur donne le poids des principes et l’autorité des pro-verbes.
D’autres sont moins prolixes; mais leur sobriété n’est pas toujours exempte d’ostentation. L’abbé Fleury pensoit peut-être à Sénault, quand il a dit : « Gardons-nous de la curiosité et de la vanité de » vouloir montrer que nous avons beaucoup lu, que » nous avons découvert le sens d’un passage ou dé-» terré cptelque antiquité (1).»
(1) Fleury, supr.; et Duguet, Conférences ecclésiastiques , tom. n, pag. 511.
Ce que l’on emprunte textuellement ne doit pa-roître qu’avec le nom de son auteur. C’est là un devoir prescrit par l'équité. «Trouvez-vous dans un ccri-» vain ecclésiastique une idée lumineuse, un trait » frappant qu’appelle votre composition, mais qu’il » serait honteux de s’approprier, quand il n’est pas » possible de les embellir? eh bien !on vous les livre, » sur la seule condition d’en indiquer l’auteur. Ce » n’est pas lui dérober son esprit; c’est au contraire » le faire jouir de son bien, que d’en étaler ainsi les » richesses ; et un tribut si avantageux à la mémoire » des morts devient le plus bel hommage que l’ad-» miration puisse décerner au génie. (2) » On est dans l’usage d’accompagner leurs noms d’épithètes 110-norables. Bourdaloue, Bossuet, l’ancien évêque de Senez, ne manquent pas d’annoncer leurs paroles par quelque préambule qui les rappelle à l’audi-toire, non pas seulement comme de grands saints, mais comme de grands orateurs.
(2) M. le cardinal Maury, Essai sur l’cloq. de la chaire, tom. 11, pag. 233. Qnintilien avoil énoncé la même doctrine , par rapport aux imi-tateurs de Cicéron et de Dcmosthène. Nos rhéteurs français l’appliquent à ceux des Pères. L’imitation n’est point le plagiat. Voyez Gisbert, Eloquence chrétienne, pag. 188.
Au reste, c’est moins par des préceptes que par des exemples, que la théorie de l’imitation veut êtrerendue plus sensible. Les sermons de nos grands maîtres français nous fournissent ici la meilleure rhétorique. Bourdaloue cite les Pères à׳ chaque page de ses belles compositions oratoires. Pas une qui ne porte l’empreinte de cette raison nerveuse qu’alimente la plus pure sève de l’antiquité. Il cm-prunte d’elle les plus heureux desseins de ses ser-mons , des divisions entières, d’admirables dévelop-pements de !’Ecriture et des principes de la morale; ces peintures si exactes et si variées du cœur hu-main, que l’on n’entendit jamais sans que l’audi-toirc ne se récriât que l’orateur avoit raison, et que c’étoit là en effet l’homme et le monde. Il doit à ces mêmes Pères la plupart de ses plans, et de ses pensées à la fois si grandes et si précises sur nos mystères, et les inductions toujours concluantes qu’il en tire, pour la direction dans les voies du salut et pour la per-fcction évangélique, scs idées les plus élevées, scs sentiments les plus affectueux et les plus pathétiques, ces comparaisons et similitudes qui donnent au dis-cours tant de vie et de clarté, en un mot, tout ce qui imprime à son langage ce caractère imposant de raison, de force et d’autorité vraiment souveraine, à laquelle il faut se rendre malgré tous les intérêts et toutes les préventions.
Bourdalouc ne manque pas de Je déclarer dans plusieurs de scs sermons (1).
(1) Témoin les sermons sur^îa mort, sur la restitution , sur la commit-niou pascale, sur les richesses , sur le jugement dernier, dont il recon-noît que saint Jean Chrysostôme lui a fourni le plan et les idées principales. Il doit à saint Augustin le dessein de ses sermons sur l’état du mariage , sur l’état de vie ( Dornin., t. ni ) , sur Γéloignement de Dieu et le retour à Dieu ( au second vol. de son Carême') , sur la grâce et la prédestination; à saint Thomas, celui du sermon, sur l’impureté (Car., 1.11) , sur l’aveu-glement spirituel (ibid."), sur les jugements téméraires; à Lactauee , tout ce qui fait un véritable chef-d’œuvre du discours sur la force et la sain-tetéde la religion chrétienne; au pape Innocent III, les belles dissions du sermon sur l’enfer ; à saint Léon , l’un de ses sermons pour la fête de tous les saints , et les germes de ses quatre grandes passions ; à saint Gré-goire le Grand , le sermon sur la tempérance chrétienne ; à saint Bernard, ses admirables conceptions pour les fetes de la Nativité de Notre Seigneur, de la Commémoration des morts , sur la fausse conscience , sur l'éloigne-ment et la fuite du monde, sur la sainteté, etc., etc. On feroit 1111 vo-lume intéressant de la seule indication des passages des saints Pères tra-duits ou commentés par notre savant prédicateur.
Mais il no sc borne pas à citer des textes , comme faisaient scs devanciers. Il les explique, les corn-mente, les éclaire les uns par les autres j il analyse les ouvrages, dont il réduit la substance à des vérités sommaires, et ramène la doctrine à des principes fondamentaux, qui serviront de base et de ciment à son éloquente argumentation. Tantôt il les fait in-tervenirau milieu de ses discussions, qu’il fortifie de leurs maximes, comme les jurisconsultes, quand ils invoquent les oracles des législateurs, les sentences des philosophes, ce que l’on appelait placita pru(lentiïni ; tantôt il les met en scène, les constitue juges entre son auditoire et lui; tantôt il prend de leurs mains les armes dont ils avoient combattu des erreurs et des vices reproduits dans les temps moder-nés, ou le flambeau dont ils ont éclaire' les obscurités du dogme et les sentiers de la morale. D’autres fois, H modifie les sentiments, corrige les erreurs, accu-nudclcs autorités, qu'il réunit en un seul faisceau (1). Toute la bibliothèque des Pères semble être dans sa mémoire , comme toute !’Ecriture est dans son coeur. Il en est peu qui ne lui fournissent des traits écla-tants ; et l’on sait avec quelle sagacité il les découvre, avec quelle force il les étend. On diroitque les Pères n’ont écrit que pour lui; et il est tel de ces écrivains si reculés de nous , moins peqfc-êtrc encore par leur siècle que par l’indifférence où nous sommes à leur égard, dont sans lui le nom nous resteroit étranger. Ce ne sont pas seulement ceux que leur haute re-nommée signale à tous les souvenirs, mais ceux qui sont le moins familiers aux savants eux-mêmes (2).
(1) Méthode familière à Scgaud, La Rue, Le Chapelain , Lenfant. Elle sert merveilleusement à ce dernier, pour répondre à !’objection que l’on tire de la bonté de Dieu contre la foi de l’éternité des peines de l’enfer, dans son sermon à ce sujet. ( Serm., torn, rn, pag. 14 et suiv. )
(2) On en peut juger parcelle rapide indication , qui encore ne les corn-prend pas tous. Ce sont un saint Candence , un saint Maxime de Turin, un saint Isidore de Pcluze, Cassiodore, saint Jean Damascene, saint Ama-sec, en général ]!lus connus par leurs vertus que par les monuments de l’iir génie. A leur suite, saint Thomas de Villeneuve, saint Bernardin de Sienne, Sidoine Apollinaire , Hugues et Richard de St.-Vietor, le bien-heureux patriarche Laurent Justinien, Arnaud de Chartres, Guillaume de Paris , l’abbé Rupert, Trithème, Pierre de Blois , Théopbylaetc , Pie de La Mirande, Tostat; les cardinaux Bellarmin, Damien, D u perron ; avee eux, tousles coneiles, toutes les liturgies , toutes les écoles. Ce sont, d’autre part, tous les hérétiques des temps anciens et des temps modernes, qu’il évoque , soit pour réclamer leur aveux, soit pour justifier leur eon-damnation.
!Massillon est loin d’être aussi abondant en citations que Bourdaloue. Peut-être cette différence iniluc-l־ellc sur les caractères de leur éloquence. Bourda-loue , incontestablement plus profond, plus savant, nourri de la substance des Pères, est grave, impo-sant comme eux. Aussi a-t-il l’autorité d’un ancien. Il étonne par la force d’une dialectique pressante, animée, qui prévient.et terrasse toutes les objee-lions, approfondit tousles sujets. Massillon cliarmc surtout par l’élégance de son style, et Fonction in-épuisablc de ses mouvements. Il n’est érudit que dans la connoissancc des livres saints, et ne sort pas de la sphère dn cœur humain. Cependant il n’est pas non plus aussi étranger aux ouvrages des saints Pères et de nos docteurs, qu’on s’est plu à le dire. Tertul-lien, saint Cyprien, saint Augustin et saint Am-broise ne lui ctoient pas étrangers ( bien qu’il n’ait pas toujours l’attention d’indiquer ses ori ginaux) ; et l’emploi qu’il en fait dans plusieurs de scs sermons (1 ) laisse regretter qu’il n’en ait pas fait un plus fréquent usage.
(1) Voyez, entre autres, les sermons sur les afflictions (Avent., pag. 138 et sniv. ) ; sur le jugement universel ( ibid., pag. 224 ) ; sur le respect humain ( Carême, tom. 11, pag. 85) : sur la vérité de la religion ( Carême, tom. 1, pag. 95, 1oo). Pourtant, il en faut convenir,il ne les cite que par réminiscence. Et, parce qu’il ne les avoit pas assez bien étudies, ses compositions , admirables de style, manquent trop souvent d’une sub-stance plus forte, et d’une lumière plus éclatante. L’orateur romain l’a dit avec beaucoup de raison : Quid tant jucundum cogitatu atque auditu, quant sapientum sententiis, gravibusque ,verbis ornata oratio et perpo-lita ( Cic., De orat., lib. 1, cap. vin.)
Mais c’est à l’évêque de Meaux qu’appartient 1’11011-neur d’avoir le mieux imité les saints Pères. « Il de-» vient aussi grand qu’eux, a dit un célèbre écrivain » de nos jours, lorsqu’il s’appuie de leur autorité, de » leurs principes; et il n’est pas moins original lors-» qu’il cite, que lorsqu’il crée (1). » Personne n’a ja-mais, comme lui, possédé le secret de rendre leurs pensées et leurs paroles avec l’énergique précision qui fait le mérite du traducteur; personne aussi ne s’est jamais pénétré comme lui de l’esprit de ces admira-blés modèles, pour les incorporer dans sa propre sub-stance, et faire éclore d’un simple germe les plus magnifiques développements. Celui de tous les dis-cours de notre éloquent évêque où il se montre le plus fortement pénétré du langage des Pères, celui où la vertu de !’Esprit Saint qui les inspira, répandue dans leurs écrits, paraît s’être ramassée avec le plus d’éclat dans leur éloquent interprète, c’estle sermon su!' Γunité de VEglise, prêché à l’ouverture de l’as-semblée du clergé, en 1681. Là, pour lui appliquer à lui-même la belle expression de saint Augustin : que !’Eglise parle toutes les langues, parce que son langage est l’expression de l’unité de tous les peuples, Omnium Unguis loquitur, quia in imitate est omnium gentium y Bossuet, dignç organe de l’ancien cl du nouveau Testament, des ages passés et des ages mo* dernes, prête successivement sa voix aux Pères grecs, aux Pères latins, aux Pères de notre Eelisc ualli-cane. Ce n’est plus un seul évêque exposant la doc-trine chrétienne; c’est l’orateur, en quelque sorte œcuménique, entouré des saints docteurs de tous les siècles cl de toutes les Eglises, sortis de leurs tom-beaux pour venir s’asseoir à ses côtés, proclamer tous ensemble le double dogme de la suprématie romaine, et desliberlés de notre Eglise de France. Vous croyez voir !’Orient et !’Occident unis à la fois dans une même enceinte; et s’avancer tout entière la Jéru-salem céleste, rangée dans ce bel ordre, que le prophete admiroit, « belle dans la sainte uniformité de sa doctrine ; belle de sa force divine et de sa majesté terrible, alors que marchant contre ses ennemis, elle les accable tous ensemble, et de toute l’autorité des siècles passés, et de toute l’exécration des siècles futurs (1). »
(1) M. le. cardinal Maury, Réflex. sur les sermons de Rossuet, dans VKssai sur l'êloq. de la chaire, tom. n, pag. 314·
(1) Toin. «11 , éd. inי74! ;4°־ , pag. 496 et 497.
Portons un coup d’œil rapide sur les autres pre-dicateurs qui viennent apres ceux-ci. Le premier c’est le père de La Rue. Est-ce dire assez de cet élô-quant jésuite, qu’il est celui de tous nos sennonaires qui s’approche le plus près de Bourdaloue? et passe-rions-nous pour exagérateurs en ajoutant qu’il est plein do mouvements fiers , impétueux, quelquefois brusques , semblables à l’éclair , mais à l’éclair qui précède la foudre, lesquels étonnent et terrassent l’auditeur; et qu’avec moins d’inégalités que Bossuet, dont aussi il n’a pas le sublime et la profondeur, il est entraînant, pathétique et rapide comme lui ?Ces qualités, il les doit en partie à son heureux naturel, en partie à la science consommée qu’il avait des Pères. 11 n’a point de prédilection particulière; tous lui semblent familiers. Nous ne taririons pas sur les preuves de détail. La Rue a des discours entiers qui ne présentent en quelque sorte qu’une longue mo-saïque de riches pierreries dont les Pères lui ont fourni le précieux tissu. Voyez, entre autres, sonser-mon sur l’envie : quelle abondance et quelle force 1 II n’y a pas de choix dans ce prodigieux assemblage de beautés. Il faudrait le citer en totalité. Et il n’a pas un discours qui ne vous fournît plusieurs traits de la plus heureuse imitation. Aussi est-il du petit nombre de prédicateurs dont les sermons ont pu être imprimés impunément pour la gloire de leur auteur.
Nos prédicateurs catholiques ne sont pas les seuls à qui l’étude des Pères ail été si profitable. Les pro-testants eux-memes n’ont pas toujours été aussi in-différents qu’ils affectoicnt de le parotlrc, sur les beautés des Pères. C’étoil déjà de leur part une cou-tradiction assez palpable, de se prétendre les inter-prèles des saintes Ecritures, et d’abandonner ceux qui, durant tant de siècles, avoient joui constant־ ment, dans l’opinion des peuples, de la réputation d’en avoir l’intelligence (1). Aussi, lorsque quelques-uns de leurs écrivains (un Scaliger, un Barbeyrac, un Jurieu (2) ) , se furent exprimés sur le compte des Pères, avec une durcie de langage aussi contraire aux bienséances qu’à la vérité; il s’éleva, dans le parti meme, les plus fortes réclamations (1). De nos jours encore, la cause des Pères a été vengée noble-ment par des hommes d’une toutxautrc autorité que leurs détracteurs (2). Saurin, qui se vantoit de n’c-crirc que de génie , s’est aidé plus d’une fois de celui des Pères. Il cite avec complaisance Tcrtullien et les Pères de la première antiquité ; il rapporte de beaux textes du pape saint Grégoire (3). A la vérité, San-rin ne précise pas toujours les sources où il puise ; il cite de mémoire, et copie sans citer. Ainsi emprunte-t-il à saint Jean Chrysostomc ses belles pensées sur les derniers moments du larron, dans un de ses ser-nions sur le délai de la conversion (4) ! et ne nomme pas le saint patriarche; mais la preuve qu’il l’avoit à la pensée cl sous les yeux, c’est qu’en se répétant dans son onzième volume, il indique saint Jean Chrysostônie. Nous avons remarqué une foule de ré-niiniscences de ce genre dans le recueil de ce célèbre prédicateur. Par exemple, dans son sermon du Ven-dredi saint, « il faut que le sang de J.-C. versé sur « le Calvaire soit dans nous ou sur nous » , cc mot appartient à saint Bernard : Sanguis Christi in me, non super me ; bien que le saint abbé de Clairvaux ne soit pas cité. De meme, dans un sermon pour la fête de saint Pierre י l’éloquente prosopopée qui s’y rencontre (1) lui a été fournie par celle de saint Au-gustin sur le meme sujet. 11 n’est pas moins ma-uifeste qu’il s’éloit pénétré de la lecture de saint Cyprien pour tout cc qu’il dit de la pénitence (2). Sa comparaison de l’âme avec une terre qui ne sau-roil rester oisive, se retrouve également dans S. Jean Chrysoslôme (3). Il nous serait facile de multiplier les témoignages de ces heureux larcins fails à nos saints Docteurs , tant par Saurin que par les autres prédicateurs des communions dissidentes (4) : et pourtant il est bien rare qu’ils les citent. Tout lec-leur tant soit peu exercé supplée aisément au silence de !’imitateur. Est-ce faire un crime à Saurin de dire de lui ce que l’on a dit de Beausobre : « Sa vaste lec-» turc des Pères lui devenoit en chaire plus présente, » pour tirer de l’antiquité ecclésiastique ou de non-» vellcs preuves ou de nouveaux ornements (1)?׳»
(1) Un écrivain, qui avoit le droit d’être plus sévère que nous, n’a pas craint de dire : « Des protestants habiles ont entrepris d’expliquer l’Ecri-.. ture ; mais peut-on trouver la religion chez des maîtres qui n’ont jamais .. été disciples de !’Eglise, qui affectent d’ignorer les Pères, ou qui prennent » d’eux ce qu’ils ont de meilleur, sans leur en faire honneur ? Il y a dans ·· les sectaires beaucoup de critique grammaticale et d’érudition profane ; » mais nulle piété, nulle onction, et presque partout défaut de goût. >· ( Gaichiez , Maximes sur la chaire , pag. 2 8. )
(2) Scaliger. Baillet a eu le courage de transcrire les grossières injures par lesquelles ce fameux critique qualifie les plus vénérables docteurs ( Jugem. des savants , t. ir, in-2j° , pag. 377. ) : une plume chrétienne ne peut, avec quelque pudeur, se souiller en répétant de pareilles in· famies.
Barbeyrac ne les a pas plus ménagés dans la Préface du second 'volume des sermons de Tillotson, pag. 15. Il va jusqu’à s’étonner que les Gré-goire de Nazianze, les Tertullieu, les Origène, les saint Jean Chrysostômc, aient pu trouver des admirateurs ailleurs que dans des siècles barbares , et félicite le sien d’avoir guéri l’univers de cette aveugle prévention.
Jurieu. On connoitles emportements de ce ministre. Le mépris qu’il affectoit pour les Pères et pour toute l’antiquité , allait jusqu’à la haine, et ses fureurs jusqu’à la démence.
(1) Nous avons rapporté, dans le Discours préliminaire de cet ouvrage (t. !, p. !44), le jugement de Basnage de Bcauval à ce sujet.
(2) Bingham s’est étendu longuement sur l’éloge des saints Pères. ( Ori-gin. cedes., tom. νι, pag. 140 et suiv.) Mosheim n’en parle jamais qu’a-\ec enthousiasme. Un prédicateur renommé de la communion d’Ausbourg dit, en parlant de saint Jean Chrysostomc en particulier : « Entre les an-riens écrivains, je n’en cannois point qui soit plus recommandable que Chrysostôine dans ses homélies sur les Evangiles. Les idées frappantes, les aperçus féconds dont ces discours abondent, sont une riche source de me-dilations et de pensées nouvelles. « ( Reinhart, Lettre A, pag. 5g et !45 . de la traduction deM. Monod.)
(3) Senn., torn, xi, pag. 435. 11 cite d’autres saints Pères aux torn. 1. pag. •79 , ! ׳ 9^•־ ; *uni. 11, pag. 194 ; torn, ix, pag. 1 7, 263 , cte.
(4) Toni. !. p. 137.
(1) Tom. XI, pag. 147.
(2) Tom. ni, pag. 82.
(3) Homel. vit, in 11 ad Cor., tom. v ; A'oe. Test., pag. 581 , edit. Morel.
(4) Meztrez.al, Berlheau , Raymond - Gâches. Abbadie, Blair, oui quelques pages éloquentes. Pas une qu’il ne fût aisé de traduire tout entière par les textes des Pères. « Trois sortes de morts ( dit l’un d’eux ) : la mort spirituelle, c’est celle du péché ; l’autre, la mort naturelle, celle que produit la séparation de l’âme d’avec le corps; la dernière, celle du cbâti-ment auquel les réprouvés sont condamnés dans les enfers. « (Abbadie, semi, sur la mort du juste.} S. Ambroise avoit dit : Triplicem mortem ac-ceplmus : una est c'um morimur peccato : alia est TÎtœ hujus cxcessus, ter-tia , etc.; una est mors spiritualis, alia naturalis, alia pa׳nalis ( lib. 11 , De fide resttrr., noS 36 et 3־ ).N’est-ce là qu’une rencontre?
(1) . tvertissmcKt en tète des Sermons de lîcausubrc, pag. !4·
Nos prédicateurs catholiques manquent aussi, pour la plupart, à la précaution de signaler les écrits et les noms des Pères qu’ils imitent. C’est pour tous un bien de famille. On les cite sans indiquer les ouvrages. Bourdaloue lui-même n’a pas été plus sévère à cet égard. 11 faut l’on croire sur parole ; et certes celui-ci le mérite bien. Toutefois la curiosité et l’émulation gagneroient à connaître les originaux avec plus de précision. On l’avoit promis pour la nouvelle édition des sermons du savant jésuite (2). Bientôt l’on s’est effrayé des pénibles et fastidieuses recherches que nécessitoit un pareil engagement. Telle pensée, telle expression reproduite avec celai par nos modernes, est pour ainsi dire noyée dans la vaste collection des œuvres d’un saint Augustin, d’un saint Ghrysostôme, d’un saint Athanase, de tant d’autres ; comment les découvrir? Elles se trouvent indiquées plutôt que tra-duites, citées d’une manière altérée, sous un nom d’au-leur qui souvent n’est pas le sien. Que de laborieuses veilles ! que de recherches opiniâtres ! que de livres à dévorer ! Je dois le dire : celte partie de mon tra-vail est celle qui m’a le plus coûté ; et celle peut-être en faveur de qui nous obtiendrons le moins de re-connoissance. On goûtera, en lisant les belles coin-positions des Pères, le même charme qui nous a soutenu dans leur traduction : à peine le reste sera-t-il aperçu. L’unique encouragement que j’aie re-cueilli jusqu’à celte heure, et que je dois bientôt emporter dans la tombe , fut l’espérance que cet ouvrage, consacré à la seule gloire de la religion, ne sera pas sans quelque fruit pour la postérité.
(2) Prospectus de l’édition de Lebrl.
Il est entièrement terminé.
Des circonstances sur lesquelles il est inutile de revenir, en suspendirent la publication , qui se re-prend aujourd’hui sous de meilleurs auspices. Les trois premiers siècles nous ont donné les Pères Apos-toliques et les Apologistes, qui en composent la pre-mière partie en quatre volumes. La seconde, bien plus riche en monuments , sera traitée avec l’étendue convenable par la même méthode de traductions, extraits et analyses. Elle commence au quatrième siècle, et s’arrête au sixième. Le dernier âge de notre éloquence chrétienne jusqu’aux temps modernes s’é-tend du sixième siècle au treizième, où la scolastique s’est emparée de nos écoles.
L’ouvrage entier n’ira pas au-delà de vingt-quatre volumes.
Laboravimus quantum potuimus, et quo minus impetravimus quod optavimus, manet tamen fructus !aborts nostri apud Deuni, apud quem nullum bonum irremuueratum est.
S. Bernard, Epist. ccclx , col. 324. ed. Mabill.