Prononcé à Nazianze , eu présence de Grégoire son père, qui en étoit évêque. Application de la parabole des noces à l'indifférence pour la divine parole.
... Je ne dissimulerai pas la profonde impression de tristesse dont m’affecte le petit nombre de fidèles ici rassemblés, et le mépris qu’il laisse craindre pour nos instructions... S’il est parmi vous quelqu’un, dont l’extrême sensibilité ait à se plaindre de ne trouver pas de retour dans les cœurs des personnes qui lui sont le plus chères, celui-là pourra apprécier ma doit-leur, et pardonnera à l’amertume de ce reproche, le dernier, sans doute de ce genre, que j’aurai jamais à vous adresser. Et peut-être, ai-je à me reprocher à moi-même, de vous causer ici une trop vive peine, vous, troupeau qui m’êtes si cher ! vous , les brebis privilégiées du divin Pasteur, et son plus précieux héritage ! vous qui faites toute la richesse de mon père, et le consolez de tout ce qui lui manque ! Oui, o mon père, je puis vous appliquer les paroles du psaume : Le sort vous est échu d'une manière très avantageuse , car votre héritage est excellent. Ce ne sera pas moi, qui préférerai à cette église aucune des cités les plus opulentes, aucun des troupeaux les plus considérables. Pour être inférieure à toute autre par le nombre ; pour être la moindre des tribus delà maison d’Israël, et mériter à peine d’être comptée parmi les milliers d’habitants de Juda, elle n’en est pas moins pour nous une autre Bethléem, où Jésus-Christ est connu, où il esthonoré, où la Trinité sainte reçoit les hommages qui lui sont dus... Et vous, si vous me rendez quelque affection, vous, le champ . la vigne que Dieu cultive par mes mains, ou plutôt par celles de notre commun père, qui vous a enfan-tés à Jésus - Christ, en vous communiquant la lumière de son Evangile; vous, partie de moi-même (1), accordez-moi aussi ?1 moi-même quelque retour de tendresse et déconsidération. Le pourriez-vous refuser à l’homme qui vous a préférés à tout? Vous m’en oies témoins, vous et celui de qui je tiens, soit l’autorité, soit le ministère que j’exerce auprès de vous. Ah! si l’amour no se paie bien que par l’amour, que ne me devez-vous pas en échange de celui qui m’enija«^ à vous !
(1) Vos viscera ma, comme parle saint Paul dans son épître à Philé-mon, verset 12.
Pour l’acquitter, ce que nous vous demandons, c’est de garder fidèlement le dépôt de la foi, dans laquelle vous avez été élevés... La vraie piété ne consiste pas à parler beaucoup et soin eut de Dieu. Elle se manifeste bien mieux par le silence. La lan-gue, à moins que la raison ne la gouverne, est sujette à pécher. Aimez à écouter plutôt qu’à dis-courir; et vous témoignerez à Dieu votre amour, en observant la loi bien mieux qu’en louant le légis-lateur.
Le reste du discours rappelle les préceptes généraux de la morale chrétienne.
C’est la première de ces fameuses invectives contre Julien l’Apostat, où respire toute la véhémence des Phi-lippiques et des Calilinaires. Le début en est remarqua-ble par une sorte d’enthousiasme, qui rappelle le langage des Prophètes.
Peuples, écoutez ce que je vais dire : Vous qui habitez la terre, soyez attentifs à mes paroles. Je vous appelle tous comme d’une éminence située au milieu du monde, d’où je voudrait que ma voix retentît aux deux extrémités de l’univers. Ecoutez, peuples, tribus, langues, hommes de toute condi-tion comme de tout âge ; vous tous qui vivez main-tenant, ou qui vivrez dans les siècles à venir. Et afin que ma voix s’étende plus loin encore, je voudrais qu’elle pénétrât jusqu’aux Cieux, pour se faire en-tendre parmi les chœurs des Anges qui ont exter-miné le tyran. Celui que leurs mains viennent d’irn-niolcr, ce n’est ni un Séhon, roi des Amorrhéens, ni un Og, roi de Bazan, foibles monarques qui te-noient sous le joug la terre de Juda, une si foible contrée perdue dans l’immensité de la terre ; c’est le serpent tortueux, c’est l’apostat, ce grand et rare génie, le fléau d’Israël et du monde, qu’il persé-enta tout entier; de qui les fureurs et les menaces ont laissé partout des traces pofondes, etdont la bouche insolente osa s’élever contre le Très-Haut...... Réveille-toi, cendre du grand Constantin! S’il reste ncore quelque sentiment sous la tombe, âme hé-roïque, écoute mes paroles. Ranimez-vous à ma voix, ô vous tous qui gouvernâtes l’empire avant ]ai, fidèles serviteurs de Jésus-Christ! Celui de tous nos princes qui étendit le plus loin l’héritage de Jésus-Christ, qui surpassa la .gloire de tous ses prédéces-seurs (1) , combien il s’est mépris dans le choix de l’homme qui dcvoit le remplacer ! Un empereur chrétien nourrissoit, sans le savoir, le pins mortel ennemi de Jésus-Christ; et sa bienfaisance, pour cette seule fois aveugle et trompée, se prodiguoit à celui de tous les hommes qui la méritoit le moins. Ainsi , tout ce que Γ011 appelle la puissance ou la science du siècle marche en aveugle, et tout ce qui s’éloi״ne de la vérité vient tôt ou tard se briser contre elle.
(1) Il est difficile d’accorder avec l’histoire d’abord, puis avec ijotre saint hii-îuènie, les éloges qu’il donne ici à l’empereur Constance. Ce n’est point dans ces termes qu’en parle saint Hilaire. Le meurtrier d’une grande partie de sa famille, le persécuteur de saint Athanase et de toute !’Eglise catholique, le protecteur déclaré de !’Arianisme, à qui les païens eux-mêmes ont fait les plus sévères reproches; comment a-t-il pu trouver grâce auprès d’un homme si peu accoutumé à flatter les grands ? On peut répondre, qu’à l’époque où il prononça ce discours ( en 364 ) , saint Gré-goire ne connoissoit pas bien encore Constance; qu’il pouvait rejeter sur des bruits populaires les accusations auxquelles sa conduite donuoit lieu; et que mieux informé par la suite , il en a païlé comme tous ceux qui avoient eu avec ce prince des rapports plus directs.
Le premier reproche que le Démosthène chrétien adresse à l’ennemi du christianisme est dirigé contre le fameux édit, par lequel Julien avoit défendu à tous ceux de cette communion de tenir des écoles , et d’enseigner les lettres(1). C’étoit, selon saint Grégoire, un attentatà la propriété commune de tout le genre humain.
(1) Une épreuve plus dangereuse que les édits de proscription, étoit celle qui fut imaginée par Julien, quand il défendit aux chrétiens, par une loi expresse, portée dès le commencement de son règne , d’étudier et d’enscîgner les lettres humaines. Ses motifs, qu’il déguise mal dans sa corres-poudance familière, avoient pour principe une jalousie secrète contre la gloire que les écrivains du christianisme s’étoient acquise. Socrate et Sozo-mèue n’en font pas mystère. Quelques sceptiques modernes ont essayé de jeter des doutes sur cette circonstance de la vie de Julien. C’étoit bien gratuitement donner le démenti à tous les contemporains, aux païens eux-mêmes, comme aux chrétiens. On peut voir à ce sujet les preuves qu’en donnent Tillemont, Mém., torn, vu, art. ix.Hermant, T'iede S. Ba-sile et de S. Grégoire, liv. 11, chap. xxvi. La Bletterie, Fie de Julien, pag. 244. Notre Biblioth. choisie, ton!. 1, pag. 241.
Bien que la culture de l’esprit soit une faculté commune à tout ce qui est doué de raison, il voulait en réserver pour lui seul le privilège, alléguant ce ridicule prétexte : que les lettres grcçques n’appar-tenaient qu’à ceux qui suivaient la religion grecque ( c’est-à-dire le paganisme) (1). Par cette grossière équivoque , il nous présentait comme des spolia-leurs d’un bien qui n’étoit pas à nous. C’étoit, pour un homme aussi connoisseur en éloquence qu’il avoit la prétention de l’être, la plus étrange de toutes les méprises. Il s’imaginoil que nous ne soupçonne-rions pas son secret, et qu’il n’auroit pas l’air de nous priver d’un bien fort considérable, vu le peu de cas que nous faisons de ces lettres humaines. Son vrai motif étoit la peur qu’on ne les fît servir à la réfutation de son impiété; comme si les coups que nous lui portons tiroientleur force de l’élégance des paroles et de l’artifice du langage, plutôt que du so-lide raisonnement que fournit la vérité. Il n’est pas plus possible de nous attaquer de cette manière, que de nous empêcher de louer Dieu tant que nous aurons une langue..... Par-là, Julien ne faisoil que manifester sa foiblesse. Certes, il ne nous aurait pas défendu de parler, s’il eut cru que sa religion étoit bonne , et pouvoit se soutenir parla discussion. Un athlète qui voudrait mériter la gloire de surpasser tous les autres, et qui demanderait que le public l’établît, par un suffrage universel, en possession de celte gloire, donnerait des marques de sa timi-dite plutôt que de son courage, s’il défendait aux plus forts et aux plus généreux de descendre dans l’arène pour s’y mesurer avec lui. Les couronnes sont pour les combattants, et non pas pour les spec-tateurs ; pour celui qui déploie toute l’énergie de sa force, et non pour celui qui n’apporte que le reste d’un corps mutilé. Vous craignez d’en venir aux mains; par-là même vous reconnaissez votre vain-queur, vous avouez votre infériorité. J’ai vaincu sans livrer de combat, puisque tous vos efforts ont abouti à éviter le combat.
(1) Julien en fait la déclaration précise dans sa lettre cent quarante-deuxième.
Tel avoit été le début de sa tyrannique persécu-lion. Pour nous, il est trop juste que nous fassions servir d’instrument à notre reconnaissance ce dont il avoit voulu faire l’instrument de son oppression ; et que, si nous employons au service de notre Dieu des biens que sa miséricorde nous a conservés, ces memes langues, enchaînées par un édit aussi lâche que cruel, aujourd’hui rendues à la liberté, célè-brent le bienfait dont nous jouissons. Tel est le tri״ but que la justice réclame de tous ceux qui, jour et nuit, demandaient au Seigneur, dans les larmes, dans les jeûnes et la prière, la fin de nos misères, et ceux qui, éprouves par les combats et les perse-entions, étoient un spectacle pour le monde, pour les hommes, et pour les Anges du Ciel ; et ceux qui renonçant généreusement à leurs avantages tempo-rois, à leur patrie, à leurs biens, à leurs familles, à tous les liens qui nous attachent les uns aux au-très, avaient eu le courage de subir l’exil pour s’as-socier aux souffrances de Jésus-Christ. Ceux-là non plus ne s’exclueront pas de notre commune alé-gresse, qui, reconnaissant bien notre Dieu pour le dominateur universel, mais ne pénétrant point les conseils de sa providence, qui se plaît à tirer le bien du mal, n’attendent point le dénouement des choses pour en connaître le dessein; hommes superficiels , qui ne vont point au-delà de ce qui frappe leurs yeux, et fondent leurs coupables espérances sur la prospérité de l’impie , abusés qu’ils sont par une apparence de paix dont jouit le pécheur. Ce que nous avons vu suffît pour les détromper.
L’éloqnent évêque reviendra encore sur le même re-proche avec une nouvelle vigueur.
La mort de Julien avoit affranchi l’Eelise tout entière delà dure captivité où elle gémissait Saint Grégoire in-vite toutes les classes de la société chrétienne à prendre part à la commune joie. S’adressant à ceux qui s’en étoient séparés pour suivre des doctrines particulières :
Pourquoi manque-t-il à cette fete de famille une partie du troupeau? Ah! plût au Ciel qu’il se trou-vat ici réuni tout entier! 11 n’y a pas long-temps, ils chantaient avec nous des hymnes purs et agréables à Dieu. Confondus dans nos rangs, ils y étoient distingues par nos hommages. Comment s’est-il fait qu’ils se sont éloignés tout a. coup, pour chanter ?1 part, et s’isoler de nos assemblées? Comment la commune joie et !’association du triomphe ne les portent-elles pas à venir les célébrer avec nous, plu-tôt que de présenter, comme ils font, une réunion si peu nombreuse et régulière, qu’il me soit permis de le dire , sans prétendre les offenser. La charité modère les plaintes que le zèle aurait droit de faire éclater, et l’espérance de leur retour adoucit l’ai-greur des reproches que nous aurions à leur adresser. Membres malades, mais toujours chers, s’ils mépri-sent aujourd’hui le corps dont ils se sont détachés , souvenons-nous qu’ils y tenaient autrefois.
Voilà le seul langage que la religion nous permette à l’égard de nos frères égarés par le schisme ou par l’hé-reste.' Attaquons l’erreur avec force ; parlons des per-sonnes avec ménagement. Bossuet n’y manque jamais. Voyez avec quelle affectueuse commisération il rappelle l’infidélité de l’Angleterre, dans son sermon sur l'unité. « Qu'y a-t-il de plus beau que d’entendre un roi pieux» dans un concile. C’étoit un roi d’Angleterre. Ah ! nos » entrailles s’émeuvent à ce nom , et !’Eglise toujours » mère, ne peut s’empêcher dans ce souvenir de renou-» veler ses gémissements et scs vœux (1).״ Dans un autre de ses sermons , le même orateur, avec la même effu-sion de charité qui animait saint Augustin à l’égard des Donalistes : « Frères égarés, s’écrie-t-il, mais toujours » enfants chéris. Ah ! revenez , revenez au sein de l’u-»iiité, etc. « On peut voir encore dans son Oraison funèbre de Madame la duchesse d’Orléans , un autre mouvement non moins pathétique (2).
(1) Tom. v, pag. 501, Collect, in-40.Paris, !;43.
(2) lbid.t tom. vu. pag. 431.
Mais si notre ministère nous donne des entrailles ma-lernelles en faveur de ceux qui sont dans l’erreur, il est bien loin de nous interdire le zèle des Phinécs et des Moïses , pour reprendre et corriger la criminelle indo-lence, qui se rend complice de l’impiété, en ne s’oppo-sant point à ses fureurs ou à ses complots. C’est ce que saint Grégoire exécute avec une liberté toute aposto-lique.
Combien sont plus coupables encore, combien plus sévèrement doivent être retranchés de cette assemblée, ceux-là qui n’ont point opposé la nioin-dre résistance à la violence de la tempête,... qui ne peuvent pas même s’excuser par la dure contrainte de la nécessité, et qui se sont vendus lâchement et à si bas prix ! Us tremblaient de se compromettre par une parole en faveur de la vérité, de s’exposer au plus léger hasard. Et, pour quelque avantage temporel, pour une fumée de faveur ou d’honneur, ils ont misérablement sacrifie leur salut.
Le saint évêque n’avoit pas fait ])lus de grâce à ces chrétiens sans vertu et sans courage
Lesquels, je le dis avec douleur, et les larmes que nous versons sur eux sont d’autant plus amères, qu’ils sont moins sensibles à leur propre malheur; hélas! le comble de leur misère est de ne pas la sentir; lesquels se sont exclus du droit de 'paroître désor-mais dans nos saintes assemblées. Cœurs glacés sur les vérités de la religion, ils ont bien quelques se-mcnces de foi, mais qui n’ont point levé, faute d’avoir pris de profondes racines. Et, à la première incursion de la tempête soulevée par le démon, uniquement jaloux de plaire aux hommes, ils ont lâché pied , et sont allés sc ranger sous les dra-peaux de l’ennemi.
Après avoir ainsi fait le partage, et, comme il le dit lui-même, une sorte d’épuration, dans la famille chrétienne; saint Grégoire célèbre le nouveau triomphe que le Sei-gneur a remporté sur son ennemi. C’est le saint entlion-siasme de Moïse chantant la victoire du Tout-Puis-saut sur Pharaon. Il s’approprie ses paroles :
Chantons la gloire du Seigneur : il s’est signalé avec magnificence י en précipitant le cheval et le cavalier ג non dans la mer, comme autrefois, maison le faisant périr de la manière qu’il l’a voulu dans sa justice. Le prophète Amos, raisonnant sur la toute-puissance de Dieu, disait avec l’accent de l’inspiration : tl fait tout, il change tout. L’ombre de la mort devient mie lumière éclatante entre ses mains, il couvre la clarté du jour des ténèbres de la nuit. Il gouverne le monde enchaîné ainsi que dans un cercle ou il roule perpétuellement. Placé au centre de tous les événements; sa providence ordonne les révolutions qu’elle diversifie à son gré, les précipite ou les arrête par les moyens les plus contraires à nos vues, souvent meme dans un apparent désordre, ne découvrant à nos regards que les résultats, enfer-niant leurs ressorts cachés dans un secret iinpéné-trahie, seule constante, seule immuable, dans ce ilux et reflux de toutes nos viscissitudes humaines.
A ces grands traits, on reconnaît la doctrine , et jus-qu’aux expressions de Bossuet. Plein de la lecture des Pères , l’évêque de Meaux les traduit ou les commente sous la dictée du même Esprit qui les a fait parler.
Saint Grégoire poursuit :
C’est lui qui renverse les puissances de leur trône, et fait monter à leur place des hommes de néant. Il donne aux plus foibles nue force qui leur étoit in-connue, et abat la force et le courage du méchant.
11 permet que l’impie s’élève par-dessus les cèdres du Liban, et que, renversé tout à coup־, il ne laisse pas même les traces de son passage. Oh! qui pourra parler dignement de la puissance du Seigneur?
Quelle voix, quels accents, égaleront jamais la grandeur du prodige que nous avons vu? Quelle main a brisé les armes et le glaive, a comprimé les fureurs de la guerre, a enchaîné le serpent en-nemi ?
.. .Quel est celui qui a dit à la mer irritée : Appaisc-toi, fais silence? Et fonde grondante, écumcuse , s’est apaisée aussitôt... Qui a lait cesser la domina-lion impie qui s’exerçoit, dirai-je, sur les justes, il y auroit de notre part quelque orgueil à nous appe-.1er de cc nom, mais du moins sur ceux qui cou-noissent Dieu? Car si nous avons été persécutés, ce n’est point à titre de justes ; pour la plupart, nous n’étions, hélas ! que des pécheurs condamnés pour leurs crimes, et réservés à la miséricorde paternelle du Dieu qui nous chatioit pour nous ramener à lui. Quel est donc enfin celui qui a exercé sa vengeance sur les nations, et soumis les peuples à de si rudes châtiments? C’est le Dieu fort et puissant, le Dieu redoutable dans les combats... Notre Eglise qui pré-sentoit naguères l’aspect d’une veuve désolée, sans soutien, flétrie quelle étoit par le souille de fini-piété jalouse des anciens triomphes, a repris tout à coup l’éclat des plus belles couleurs. Dieu a jelé sur son peuple un regard de compassion, il a brisé les liens qui nous tenoient enchaînés... Et comment s’est opéré ce prodige? Pour le bien coin-prendre; sondons la profondeur de l’abîme, qu’a-voient creusé les crimes du tyran, etc.
Tout cela est pris de !’Ecriture. L’auteur ne permet pas qu’on l’oublie; il est tellement plein de l’esprit de Dieu que ses paroles viennent, dit-il , d’elles-mèines composer le tissu de son chant triomphal.
Il parcourt les divers actes d’accusation dont l'histoire a chargé la mémoire de Julien , et dressant , selon sa belle expression, une colonne d’infamie sur laquelle la postérité viendra lire son opprobre , il remonte jusqu’au temps où il n’étoit encore que César et chrétien. S’il est possible de lui contester l’exactitude de quelques faits rapportés d’après des bruits populaires (1), tels que la mort de Constance par qui il avait été élevé à l’empire (2).
(1) Voyczsa Vie י par La Eletteric , pag. igo (note).
(2) Constance mourut à Mopsneste, sur les coufins de la Cïlicie, ati pied, du mont Taurus, le 3 novembre 361, comme il pressait sa marche pour aller combattre Julien , qui s’etoit mis en révolte déclarée contre lui. Le bruit courut que Constance étoit mort du poison que Julien lui fit donner. Ammicn Marcellin ne le croit pas ( lib. xxi, in fine ); mais il raconte gra-vemeut les présages qui assuraient à Julien le succès de sa rébellion , et que celui-ci alloit solliciter de toutes parts (ibid., lib. xxi, initio'). Ce seul fait suppose l’autre. Pour éloigner les soupçons, il se. hâta d’écrire à diverses villes de Grèce , rejetant sur les dieux ce qui s’étoit fait ; eu quoi il avoit raison, dit un sage écrivain moderne, s’il parlait du dieu de l’ambition (1 fermant, liv. π, chap, xin). S. Grégoire étoit donc, fondé à affirmer sur le bruit public que Julien étoit l’auteur de la mort de Con-stance son bienfaiteur, Ad tempus arcano at que occulto faclnori preesti-turn adveniens, atque ad mortem cujus ipse arckiteclus erat oronerans (pag. 63).
Sur le plus grand nombre , il n’a point à craindre le reproche d’exagération. On sait avec quelle complai-sance la philosophie moderne a exalté ce prince, sans doute en reconnoissance de la persécution ouverte qu’il lit au christianisme (1). Elle n’a pas même essayé de ré-pondre aux inculpations précises qui lui sont faites. Des louanges intéressées peuvent-elles prévaloir contre des faits reconnus par Julien lui-même, prouvés par tous les actes de son règne , racontés unanimement par de res-pcctables contemporains, tels qu’un saint Grégoire de Nazianze, un saint Jérôme, un Théodorct, un saint Augustin, un saint Jean Chrysoslôme, avoués par un écrivain payen ( Ammien Marcellin } attaché à la per-sonne même de l’empereur (2) ?
(1) Voltaire, entre autres, dans son poënie sur la loi naturelle. Tho-mas , Essai sur les éloges , chap, xx, etc.
(2) S. Hieronytn., Epist. !.xxxin , a<l Magn., tom. iv, pag. 655. Théodor., 7Zûr., lib. itr, eap. iv. Ruffin., Hist., lib. x , cap. xxxi. S. Joann. Chrysost., oral. xl. S. August., Confess., lib. νπι, cap. 11. Amm. Marcell., lib. xxii, xxiv. Voy. la nouvelle Hist, de Julien, parM. Jondot.
Tel qu’un feu qui couve sourdement, avant d’avoir éclaté par une flamme brillante, se mani-leste par les étincelles ou par les jets de fumée qui s’en échappent; tel encore, si vous l’aimez mieux , que des eaux souterraines qui, se trouvant compri-niées dans des canaux étroits d’où elles ne peuvent s’épancher en liberté, se font jour par des ouver-turcs diverses, grondant au fond de l’abîme qui les recèle, et filtrent au dehors, malgré la résistance qui les enchaîne : tel Julien, tout retenu qu’il étoit par le défaut d’occasion, par l’autorité et les sages réglements de l’empereur, qui l’obligcoient à dissi-under en grande partie son impiété (1), ne laissoit pas d’en découvrir le secret à ceux que leur liberti-nage, plutôt que la prudence, rendoit plus pené-trants. Tantôt c’étoient des disputes qu’il engageait avec son frère au sujet de la religion, et dans lesquel-les il prenoit outre mesure parti en faveur du paga-nisme, sous le prétexte de faire assaut d’esprit en soutenant ]a mauvaise cause, mais réellement pour s’exercera combattre la vérité; tantôt c’étoient les mouvements d’une joie provoquée par les succès de l’impiété, marque certaine de l’affection qu’on lui porte... Il ne tarda pas à être secondé par le débor-dement des mauvaises mœurs introduites parmi nous. Parvenus à une prospérité d’où il devient bien difficile de ne pas déchéoir: le relâchement, ]a fa-veur publique, l’abondance qui ne peut plus garder de mesure, une sorte d’inquiétude naturelle, qui, même dans la plus heureuse situation, aspire au changement, nous avaient précipités dans tous les désordres qu’enfante l’orgueil. Il est pins difficile de conserver les biens que l’on possède, que d’acquérir ceux que l’on n’a pas ; comme il en coule moins pour revenir ?1 l’hcureusc situation où l’on étoit arrivé , que d’en descendre ; car( c’est l’observation du sage) l'orgueilenfante la disgrâce, l’abaissement et Γhu-initiation ramènent à la solide gloire...
(1) Quanqtiam a rudimentispueritiœ primis inclinatlor erat erga Nu-minuni cultum , paulatimque adolescens desiderio rei flagrabat , multa metuens , tanien agitabat quœdam ad id pertinentia, quantum fieri po-terat, occidtissimè. (Amm. Marcell. , lib, xxn, initio. )
A peine Julien se fut-il emparé de la pourpre im-périalc, qu’il fit profession publique de l’idolâtrie. Il la commença par un trait de fanatisme qui fait horreur. Ce fut d’entreprendre d’cflacer en lui le caractère de chrétien (1).
(1) « On croît (dit son historien, l’abbé de La Bletterie), qu’il se servit, à ce dessein , de la ridicule et dégoûtante cérémonie du taurobole et du criobole, inconnue dans l’ancien paganisme, et, ce semble, uniquement in-ventée pour l’opposerait baptême des chrétiens. Du moins elle s’appelait aussi régénération; et les païens lui attribuaient l’efficace de notre divin sacrement. » (T-'ie de Julien, pag. 177, 17S.) On peut en voir la descrip-tion , d’après un des hymnes de Prudence, dans le 1ve vol. de cet ouvrage, pag. Si.
A quel langage, bon Dieu! vais-je être obligé de descendre.
Il voulut cflacer dans un sang impur le sceau que lui avoit imprimé son ancienne initiation à nos saints mystères ? et consacrer par un culte profane ces mêmes mains à qui il reproclioit d’avoir été purifiées par la participation au sacrifice non sanglant qui nous communique les fruits de la passion du Sauveur, et nous associe à sa divinité (2). Il fit de la cour impériale le réceptacle des haruspices et des sacrifica-teurs... Puiscpie j’ai commencé à parler de sacrifices, dois-je m’arrêter à rapporter, sur la foi publique, un événement qui semble tenir du prodige, ou lui refuser toute créance? Je bala nce, et ne sais quel parti prendre , à cause du mélange qui s’y rencontre de choses croyables, avec d’autres qui paraissent ne l’être pas... Un jour donc qu’il assistoit. à l’un de ces sacrifices, on trouva empreinte dans les entrailles de la victime, une croix environnée d’une couronne. Ce prodige déconcerta les assistants, qui le regar-dèrent comme un présage du triomphe et de la du-rée perpétuelle de la religion chrétienne (parce que la couronne est le symbole de l’empire, et le cercle celui de l’éternité ). Mais le sacrificateur donna une autre explication au prodige. « Vous n’y entendez » rien, dit-il : Le cercle qui enferme la croix, montre » que le christianisme ne peut plus s’étendre, et que » son ternie fatal est arrivé. Voilà les chrétiens inves-» tis, ils ne nous échapperont pas. » Je regarde ce prodige, s’il est arrivé, comme un vrai miracle : si c’est une fable, je l’abandonne; si c’est une vérité , c’est Balaam qui prophétise, c’est Samuel que la pythonisse fait parler, c’est Jésus-Christ qui arrache aux dénions l’aveu de sa divinité (1). Peut-être la mi-sérieorde divine, vouloil-elle, par un semblable prodigc, ménager à ce prince le moyen de s’arrêter dans son impiété. Voici toujours ce que l’on en ra-conte, et ce que son caractère connu rend pro-Labié.
(2) Sozomcne qui raconte le même fait, ne doute nullement qu’il fût vrai. ( Hist. , lib. v, n°3. Voy. Tillem., Mem., tom. vu. pag. 323.)
(1) Num. x.xuj. — I. Reg. xxviti. g. — Matth. vin. 2g.
Julien, voulant s’instruire de l’avenir, consul toit les démons, et descendoit dans je ne sais quel antre obscur, inconnu et inaccessible à la plupart des hommes. L’aspect en étoit horrible. Hé.’ plût à Dieu qu’il fût tombé dans l’enfer, avant que de se portera de telles abominations! Il étoit accompagné, à La descente de ce lieu ténébreux , d’un homme , digne, comme lui, d’être enseveli dans les plus noirs abîmes, qui passoit pour fort habile dans l’art de la divination, mais qui n’étoit qu’un fourbe et un im-posteur (1). C’est l’usage de ces sortes de devins, d’aller consulter les démons dans certains endroits, obscurs et souterrains, soit parce que les ténèbres plaisent aux démons, parce qu’ils sont des esprits de ténèbres, se plaisant dans les ténèbres oû s’enveloppe le crime, soit parce que les imposteurs, en général, évitent l’œil des gens de bien, ouvert sur leurs artifices.
(1) Son maître, dans cette science infernale, étoit probablement Maxime, auquel il s’étoit attaché dès sa jeunesse.( Tillem., torn, vu, pag. 32 4.) Un empereur, un philosophe comme Julien livré à de pareilles initiations! Mais ceux qui l’y conduisoicnt, ctoient-ils moius que lui des philosophes ? Libanius, qui fait à Julien un mérite de sa docilité à l’égard de ses maîtres de magie , et de sa ferveur sur tout ce qui concernoil l’idolâtrie, n’ctoit-il pas lui-même un philosophe ? De nos jours, n’a-t-on pas vu plus d’un de ccs Esprits forts, qui sourioient dédaigneusement au mot d’enfer, trembler au moindre présage, et donner dans les plus ah-surdes surperstitions'?
Julien, avec tout son courage, tremblait en y en-trant, frappé, dit-on, par un bruit inconnu de voix confuses, qui prenaient par intervalles un accent plus formidable, par l’infection des odeurs qui s’cxhaloient, par la vue de spectres en feu, et de prestiges ridicules, mais inattendus. Epouvanté. l’habitude qu’il avoit du signe de la croix, lefitre-courir à cette armure, et à la protection de celui-là meme, dont il étoit le persécuteur ( les détails qui suivent, ont quelque chose encore déplus effrayant). Le siene de la croix eut son effet. Les dénions sont vaincus, ils fuient, et les terreurs avec eux. L’em-pereur, rassuré, revient à son premier dessein: mêmes spectacles, mêmes terreurs. Le disciple éper-du ne sait cc qu’il doit faire. Son maître revient à la charge; il finit par triompher des alarmes de son prosélyte, pour l’entraîner avec lui dans les abîmes du crime. Un cœur vicieux s’abandonne plus aveu-glément à des conseils pervers, qu’il ne cède à des impressions vertueuses. Je laisse à raconter aux ministres de ces étranges initiations, ou à leurs adeptes, ce que fit Julien dans cette cérémonie, et les impos-turcs dont il fut la victime. 11 en sortit fanatisé par les démons, plein de ce que, dans leur langage, ils nomment enthousiasme. Ses regards farouches et ses déportcmcnts déréglés et furieux témoignaient assez avec qui il avoit eu commerce. »
S. Grégoire expose la persécution qui fut déclarée an christianisme.
Julien réfléchit qu’une guerre d’éclat attirerait sur sa personne le reproche de cruauté., et cotnpro-mettroit ses espérances, sans profit pour sa haine; que la tyrannie éprouvait toujours des résistances, et redoublait la ferveur du zèle, comme la flamme attisée par le vent. L’histoire des anciennes persécu-tions, ne luiapprenoit-elle pas que le christianisme, bien loin d’en être aflbibli, s’étoit au contraire forti-fié, endurci par elles, comme le fer trempé dans l’eau? au lieu que, s’il déguisoit ses coups, s’il com-binoit adroitement l’artifice avec la violence, et les amorces des récompenses avec la terreur des cxécu-tions, ses attaques, ainsi concertées, en seraient bien plus sures... Tel fut, en conséquence, le plan de sa conjuration... Ce qui présentait le caractère odieux de cruauté, il l’abandonnoit au peuple des Pag. villes et des campagnes, dont les présentions aveu-gles s’emportent aisément aux plus violents excès ; ne se permettant pas de les autoriser par aucun édit public, mais se gardant bien aussi de les réprimer, et les couvrant d’une impunité qui n’étoit qu’une approbation déguisée (1)··· Ce caméléon prenait aisément toutes les couleurs. Substituant à la cruauté une apparente douceur, plus cruelle que les édits de persécution, et des moyens de persuasion plus actifs que les mesures de rigueur, il se ménageait la ressource de sévir, et de s’abandonner à toute son humeur sanguinaire, quand il aurait eu l’air d’épuiscr la clémence.
(1) Celte hypocrite tolérance se contient difirilement dans les bornes qu’elle sembloil s’èîre prescrites. Julien eu est la preuve ( voy. le 1er vol. de eette Bibliolh., pag. 13, note); et ec qui suit le continue am-plein eut.
Une autre tactique qu’il avait encore mieux cou-certée, ce fut de s’assurer à l’avance, par le choix de ses officiers civils et militaires, les dociles exécu-leurs de ses criminels projets ; ce qui n’est jamais difficile aux persécuteurs. Dans cette vue, il renou-vela toute la face de la cour, par le changement des officiers, dont il fil mourir les uns, et chassa les autres, plutôt parce qu’ils avaient été serviteurs de Dieu, qui est le grand empereur de tous les hom-nies, que pour avoir été trop affectionnés à son pré-décesseur durant son gouvernement : double crime qui les lui rendait suspects.
Bientôt apres, son impiété sacrilège se déclara contre le premier de nos étendarts. Orné du signe de la croix, le Labarum marchait en tête de nos ar-niées, à qui il faisait oublier les fatigues de leurs marches, s’élevant par-dessus les images de nos princes, par-dessus toutes les autres enseignes militaires. Julien le fit disparaître; l’aspect en était pour lui d’un trop sinistre augure (1).
(1) II le réduisit à son ancienne forme, c’est-à-dire, autant que l’on en peut juger par les médailles qui nous en restent, qu’il ôta la couronne qui ctoit en haut ( selon Eusèbe ) autour du chiffre, marquant le nom de Christ, avec le même chiffre écrit en broderie sur le voile qui peudoit de la croix ; et, en place de ce trophée de la religion chrétienne, il y fit graver les lettres ordinaires de la république romaine , S. P. Q. R. Mais Jovicn et Valenlinien, qui avoient confessé généreusement le nom de Jésus-Christ dans l’armée, pendant cette persécution où ils avoient été enveloppés comme les autres, rétablirent depuis sur cet étendard le nom du divin Sauveur.
O homme! le plus aveugle et le plus impie qui fut jamais, dont l’habileté le servait si mal dans les plus grandes affaires ! vous prétendiez anéantir ce peuple immense de chrétiens répandu dans tout l’univers, par la force, ou comme vous affectiez de le dire, par la folie de la prédication, celte folie qui a vaincula sagesse du siècle, a triomphé des dé-mous, a bravé les temps! Qui ?vous dont 011 connaît si bien et le caractère et l’origine, qui donc êtes-vous pour vous élever contre l’héritage de Jésus-Christ? qui ne finira jamais, dût-on l’attaquer avec plus de fureur encore que vous ne faites, qui s’agran-dira sans cesse par des conquêtes nouvelles ; nous en avons pour garant les anciennes prophéties, elles événements qui se passent sous nos yeux... Vous, lutter avec vos sacrifices et vos expiations, contre le sacrifice de Jésus-Christ ! opposer le sang de vos victimes, à ce sang qui a purifié le monde! lever un bras impie contre ces mains percées de clous pour votre salut ! quel trophée espérez-vous ériger contre sa croix? Quoi ! la tyrannie et l’oppression, con-tre les victoires de sa mort ! la révolte et l’insur-rection, contre la gloire de son tombeau! et pas mémo des martyrs, contre ]a foule immense de ses confesseurs? Vouloir le persécuter, après Hérode , le trahir, après Judas, le condamner, à la suite d’un Pilate ; et vous déclarer l’ennemi de Dieu, à l’exem-pic du peuple déicide!.. Vous comptez pour rien les victimes illustres qui se sont laissées égorger pour le nom de Jésus-Christ? Vous ne craignez pas les athlètes invincibles qui ont combattu sous sa ban-nière, Jean, Pierre, Paul, Etienne, André... tant d’autres qui, soit avant, soit après, ont défendu la vérité au mépris de tous les périls, ont affronté généreusement le fer et le feu, les fureurs et des animaux féroces et des tyrans, souffrant avec joie comme s’ils n’avaient point eu de corps? Eli ! quel mobile les portait à soutenir d’aussi horribles tor-turcs? sinon le respect pour la vérité qu’ils auraient craint de trahir par le plus léger mensonge. Les pou-vez-vous braver impunément ces illustres martyrs de Jésus-Christ, en l’honneur de qui ont été insti-tuées de pompeuses solennités, dont la puissance se fait sentir par les miracles qui s’opèrent à leurs tombeaux, chassant les démons, guérissant les maladies , faisant connaître l’avenir par les songes et les prédictions, et dont les précieux restes n’ont pas moins de pouvoir que leurs âmes saintes? une seule goutte de leur sang, que dis-je? les instruments de leur martyre n’ont pas moins de force que leurs corps eux-mêmes ? Mais ces objets de notre véné-ration ne font qu’exciter vos mépris. Votre culte à vous, c’est un Hercule, mourant victime de sa bru- ׳ taie passion ; un Mylhras, non moins infâme ; une Diane, dégoûtante du sang des étrangers immolés sur son autel, etc. Vos héros, un Socrate qui boit la cigüe; un Anaxarquc mourant parce qu’il n’étoit pas maître de vivre ; un Pythagore, un Apollonius de Thyane, avec leurs ridicules initiations!
Comme Julien affectoil jusque dans ses marches mi-litaires de porter des habits simples et de se montrer avec un extérieur négligé, parce que, disoit-il, un général doit l’exemple à tous; saint Grégoire lui offre des mo-deles qui sont sous ses yeux; il parle de nos solitaires chrétiens :
Les voyez-vous ces hommes pauvres, sans autre loit que le ciel, couchant sur la dure, exercés par la faim, par l’intempérie des saisons ; à qui vous croiriez à peine un corps dont ils se dépouillent afin de se mettre mieux en rapport avec la Divi-nité que l’humilité courbe jusqu’à terre, et que leur foi élève au-dessus de tout ce qui tient de la terre,... libres jusque dans les fers ; que la tyrannie enchaîne, et qu’aucun lien ne captive ; qui nepos-sèdent rien dans le monde, et qui possèdent tout ce qui est au-dessus du monde;., etrangers aux affections mondaines pour se livrer tout entiers aux saintes flammes du divin amour : leurs rochers et leur abjection, leur solitude et leurs privations, voilà leur trône cl leurs délices, leur univers et ]a source de purs et ineffables plaisirs qui les inon-dent dès cette vie... Ce sont leurs larmes qui puri-fient le monde, leurs mains élevées vers le ciel qui éteignent les feux de l’incendie, désarment les ani-maux féroces , émoussent les pointes des épées, mettent les armées en fuite, et quelque jour enfin arrêteront le cours de votre impiété, quelque suc-cès que vous vous promettiez, et quelque person-nage que vous jouiez avec vos démons (1).
(1) Le P. Canssin a cité tout ce morceau comme modèle de véhémence, dans Son traité De cloq. sacr. et ch’., lib. vin, cap. xxxn;pa520 .״.
11 les compare avec les philosophes les plus vantés, dont il apprécie les vertus avec autant de sagacité que d’érudition.
On les compte ces héros de sagesse ; et combien de temps encore soutenaient - ils ce personnage d’hommes vertueux? Comptez, si vous le pouvez, cette innombrable multitude de chrétiens adonnés à une philosophie bien autrement sublime, répan-dus dans toutes les contrées du monde; dans les deux sexes, une sainte émulation à qui servira le mieux le Seigneur parla chasteté, la résignation par l’excr-cice continuel de toutes les vertus, non pas seule-ment dans les conditions les plus obscures de la société, mais dans les rangs les plus élevés par l’ex-traction, par l’opulence, par les dignités dont ils ont fait à Jésus-Christ un généreux sacrifice.....
Les deux projets qui tenoient le plus au cœur de !’Apostat, c’était la ruine du christianisme, et sa guerre contre les Perses ; le dernier ne devoit être pour lui qu’un jeu , du moins il le disoit à qui vou-loit l’entendre. Il ne voyoit pas avec toute sa péné-tration , que si les persécutions d’autrefois n’avoient amené que des troubles passagers, aujourd’hui que ]e christianisme étoit la religion dominante partout l’univers, vouloir le renverser, c’étoit ébranler tout l’empire, risquer les plus effroyables convulsions, nous exposer à des calamités ‘telles que la haine des cnnc-mis même les plus acharnés du nom romain n’au-roit osé jamais en concevoir la pensée. Et les voilà les magnifiques bienfaits que nous promettait cotte nouvelle et sublime philosophie ! voilà ce règne qui devoit nous rendre si heureux, et rappeler le siècle d’or, en anéantissant tout germe de trouble et de dissension! Quoi ! parce qu’il y auroit eu diminution dans les charges publiques, un choix plus sévère dans la composition des tribunaux, des mesures de répression contre le brigandage (1) ; avantages réels, mais bornés dans leur durée ; étoil-ce là pour la ré-publique un si grand bienfait? Encore auroit-il fallu le lui procurer. Le récit en eût flatté agréablement nos oreilles. Λ la place de tout cela, qu’avons-nous vu? que voyons-nous? Les peuples elles villes armés les uns contre les autres ; dans toutes les cités, pas une famille , pas une maison qui ne soit divisée , pas un mariage où la paix ne soit disputée par la discorde; fruits inévitables de la malheureuse politique que Julien avoit embrassée (2). La belle source de gloire pour lui, comme de tranquillité pour l’état! Quel homme, avec les plus perfides desseins contre la rc-ligion, ou la moindre lueur de raison dans l’esprit, pourrait approuver de pareils systèmes? Que vous souffriez dans une partie du corps, si le reste est sain, une constitution d’ailleurs vigoureuse l’emporte et rétablit la santé sans beaucoup de peine ; mais quand ce sont plusieurs des membres à la fois qui sont en souffrance, et qu’il y a complication dans le mal, il devient impossible que la totalité ne soit languissante et exposée à un danger manifeste.
(1) Julien, parvenu à l’empire, créa, dit Ammien Marcellin, une chambre de justice pour quelques coupables. On condamna bien des in-nocents ( lib. xxn, initio ).
(2) Julien ne se côntenta pas de raméner le paganisme an sein de l’état chrétien ; ce qui étoit une source de discordes. Pour assurer mieux le succès de ses vues, dit son historien Ammieu Marcellin, il faisoil venir dans son palais les évêques qui étoient en différend avec leurs peuples, sous prétexte de réconciliation (lib. xxti, pag. 476 ,col. 2 ). Personne n’étoit dupe de cet artifice. « Les historiens païens, aussi bien que les chré-tiens, ont découvert sa malignité dans celte manière d’agir, et ils nous témoignent que son intention, en cela, n’étoit pas moins criminelle, que son action paroissoit juste et légitime. Car, outre que par celte douceur et celte modération apparente, il condamnait le gouvernement de son pré-déccsseur, qui s’etoit souvent emporté aux dernières violences, il avoit aussi pour but de fomenter la division du peuple et des évêques, sous le prétexte de les réunir. » ( Hcnnant, t ie, tom. 1 , pag. 15g. )
Image naturelle du gouvernement : si l’état est fort, quelques particuliers peuvent être vicieux sans que l’état en souffre; mais quand la maladie a gagné la multitude, l’état tout entier est en péril. Tout autre que Julien, même avec les préventions les plus en-venimées contre nous, l’auroit senti, surtout pour les temps où nous sommes, et vu la prospérité du christianisme ; mais lui, sa profonde corruption avoit mis sur ses yeux un bandeau qui ne permet-toit pas à la raison de se faire jour; et son aveugle animosité n’épargnoit personne, ni grands, ni pe-tits. Par exemple, quelle légèreté d’esprit, quelle étourderie indigne, je ne dis pas du haut rang où la Providence l’avoit placé, mais de l’intelligence la })lus bornée, de s’être imaginé qu’en changeant le nom de chrétiens, il changerait par-là seul nos dis-positions ; et qu’en nous rendant ridicules par une qualification nouvelle, il nous rendroit bientôt odieux? Il substitua donc à notre nom de chrétiens celui de Galiléens, et fit exprès une loi pour ordonner que nous nç fussions plus désignés que sous ce titre. Il n’cn faut pas davantage pour témoigner combien est honorable le nom de chrétien, puisque notre ennemi vouloit tant nous le ravir. Peut-être que ce nom lui inspirait le même effroi qu’aux démons.
Un autre stratagème lui réussit mieux. C’étoit un usage établi dans l’empire que le prince fît des lar-gesses aux troupes ; elles consistoient en distribu-lions d’argent. Julien, assis sur son trône, avoit fait dresser à côté un autel avec des charbons allumés. Chacun de ceux qui étoient admis à la gratification recevait des assistants l’ordre de jeter de l’encens : ce n’étoit qu’à ce prix qu’ils pouvoient l'obtenir. C’étoit sacrifier son âme pour une bien modique rétribution. Le plus grand nombre succomba. Ces légions victorieuses du monde entier se trouvèrent subjuguées par un peu de feu , d’or et d’encens ; et ce qu’il y avoit de plus déplorable, elles ne rougis-soient pas de leur défaite. En baisant la main de leur empereur, elles baisoient celle du meurtrier de leurs âmes, main plus funeste mille fois que n’eut pu !’être une armée entière de Perses. Soulageons l’amertume de ce récit par une anecdote plus consolante. On raconte que quelques-uns de ceux qui n’avoient cédé que par surprise , s’étant rencontrés avec d’autres de leurs compagnons au sortir de cette malheureuse distribution, se mirent à table avec eux. Là, oubliant ce qui venait de se passer, ils firent, avant de porter le verre à la bouche, comme ils avoient accoutumé de le faire, le signe de la croix, levant les yeux au ciel, invoquant le nom de Jésus-Christ. Sur quoi, quelqu’un leur ayant témoigné son éton-nement de ce qu’ils invoquaient encore Jésus-Christ après l’avoir renié ; ceux-ci, comme frappés par la foudre après l’explication qui leur fut donnée, lion-teux de leur apostasie, désespérés du crime qu’ils avoient commis, sortirent de table à l’instant meme, transportés d’indignation et de zèle, et criant à haute voix au milieu de la place publique : « Nous sommes » chrétiens, nous le sommes dans fame ; nous vou-» Ions que tout le monde le sache. Nous en faisons » la publique profession en présence du Dieu pour » qui nous vivons et sommes prêts à mourir. Non, » nous ne vous avons point trahi, ô Christ ! notre » Sauveur ! Nous n’avons point trahi la foi promise à » votre saint nom. Si notre main a péché, notre » cœur fut innocent. C’est moins l’or de Julien que sa fourberie qui nous a trompés. Nous offrons notre » sang en expiation de notre erreur. »
Ils ne s’en tinrent pas à ce discours ; mais courant de toutes leurs forces vers Julien, et jetant à ses pieds, par un généreux dédain, l’or qu’ils avoient reçu de lui, ils s’écrièrent : « Ce n’est point un don » que vous nous avez fait : vous nous avez donné la » mort. Réservez vos largesses pour d’autres que » pour ceux qui reconnaissent dans Jésus-Christ » leur monarque le'gitime ; donnez votre or à des » gens qui n’aient pas ensuite à rougir de l’avoir » accepte'. Quant à nous, vous pouvez nous imino-» 1er, faire jeter dans les flammes des' hommes » coupables du crime d’avoir brûle un profane en-» cens. Punissez et ces mains qui se sont étendues » pour un sacrifice impie, et ces pieds qui ont trop » bien servi notre aveugle empressement. Jésus-» Christ seul nous suffit, a nous ; seul fl nous tient » lieu de tout. »
Julien frémissoit de colère. Ordonner leur exé-cution, c’eût été en faire des martyrs : c’est ce qu’il ne voulait pas. Il ne les empêchait pas d’être des confesseurs. Il se contenta de les condamner au ban-nissement ; le plus grand bien qui pût leur arriver, puisque c’étoit les éloigner de la vue de ses sacrilèges abominations (1).
(1) !fermant ajoute ( Vie , tom. 1, pag. 203 ) que Julien, dans le pre-mier transport de son emportement, avoit ordonné qu’on leur coupât la tête; ce qui alloit être exécuté, si la peur que lui inspirèrent les mécon-tenîements dn peuple, ne l’eût ramené à des sentiments plus humains. La sentence fut révoquée. Un de ces généreux confesseurs ne s’en consoloit pas : Apparemment, disoit-il, que nous ne méritions pas l’honneur d’être appelés martyrs de Jésus-Christ. Il se nommoil Romain. Théodore! parle d’autres confesseurs que Julien fit tourmenter avec une telle rigueur, qu’ils laissèrent la vie dans les tourments; ce qui leur valut la couronne du inar-tsre. Ils se nommoient Jnventin et Maximin. Déposés après leur mort dans 1111 magnifique tombeau, ils sont honorés comme Saints , et !,Eglise d’An-tioche célèbre leur fête chaque année. ( Hist., liv. in, chap. xv. )
Un homme tel que lui pouvoit-il garder long-temps le masque de tolérance dont il se couvrait? Incapable de soutenir par lui-même aucune résolution fixe, il n’étoit que le servile instrument du démon qui ]e dominoit. Semblable à la flamme du volcan qui, long-temps recelée dans scs entrailles , s’échappe avec plus de violence, la rage qui couvoit dans son cœur contre le nom chrétien , comprimée par une sorte de réserve philosophique , devoit éclater à la première occasion , et se manifester par les fureurs d’une persécution ouverte.
Je ne parlerai point des édits publiés contre nos édifices sacrés, du pillage de nos églises, exécuté par l’avarice autant que par l’impiété, de la spolia- K tion des richesses du sanctuaire en proie aux plus brutales profanations, qu’il falloit arracher aux pré-très et aux laïques qui en étoient les dépositaires ; les cruautés barbares exercées sur leurs personnes ; les colonnes des temples inondées de leur sang , cou-lant à grands flots sous les verges des bourreaux qui les frappoient; les soldats furieux, parcourant les villes et les campagnes, plus impitoyables encore que le maître qui commandoit leurs fureurs, trai-tant les chrétiens avec plus d’inhumanité que n’au-!·oient fait les Perses, les Scythes, et les autres Bar-bares.... Ce furent surtout les villes d’Alexandrie , d’Héliopolis, de Gaza, d’Aréthuse , qui se signale-rent par ces excès.
On peut en lire les détails dans les historiens ecclé-siastiques (1). Notre écrivain se Borne à ceux-ci :
(1) Voyez Théodoret, liv. ni, chap. vn.
Il y a, dit-il, une sorte de distinction qui s’attache aux grands crimes comme aux grandes vertus. Ces villes ont eu ce privilège. On y a vu des vierges con-sacrées au Seigneur, et qui jamais ne furent jus-que-là profanées par les regards des hommes; on les a vues enlevées de leurs saintes retraites, pro-duites sous les yeux de la populace, dépouillées de leurs vêtements, déchirées, mises en pièces , ( Dieu vengeur ! jusqu’à quand souffrirez-vous d’aussi mon-strueux excès?) et leurs chairs palpitantes servir d’a-liment à ces bêtes féroces ! On les a vus, après avoir ouvert le ventre à leurs victimes, et jeté de l’orge sur leurs entrailles, prendre plaisir à les faire dé-vorer par les animaux qu’on nourrit de cette espèce de grain (2).
(2) L’histoire parle dans les mêmes termes. Voyez Sozom., lib. v, cap. x. Niceph., lib. v, chap. χιπ. Tillém., Mém., tom. vn, pag. 338—•561. Fleury, Hist, cedes., liv. xv , n° v et suiv., tom. iv, pag. 9—36.
Parmi les victimes les plus signalées de celte persé-culion , devenue sanguinaire , saint Grégoire distingue l’évêque d’Aréthuse , Marc , qui avoit sauvé la vie à Julien dans son enfance, et à qui les païens faisoient le reproche d’avoir renversé sous Constance un temple de Cybèle. Sous le prétexte de s’en venger (1), mais en effet pour complaire à Julien, et le punir des efforts qu’il avoit faits pour leur conversion , les habitants de cette ville se portèrent contre lui à des violences qui font horreur.
(1) Julien l’avoit :condamné à le rebâtir à ses dépens. Marc ne crut point que cela fût permis à un chrétien, moins encore à un évêque, et pour s’en garantir, il sortit de la ville. On avoit diminué de moitié la somme à laquelle il avoit été taxé d’abord: il répondit qu’il n’y aurait pas moins d’impiété à donner une obole, qu’à donner la somme entière. ( Tbéodoret, liv. ni, chap. vu. )
Averti des desseins formés contre sa vie, Marc avoit fui d’abord, fidèle à l’ordre de l’Evangile, qui ne permet pas de s’exposer à la persécution, tant pour conserver sa propre existence, que pour épar-gner un crime aux persécuteurs. Bientôt, appre-nam que plusieurs des habitants se trouvoient corn-promis pour sa cause, il avoit quitté le lieu de sa retraite, et étoit revenu se présenter à l’orage. Sa présence ,.l’exemple du courage qu’il donnait, ne firent qu’irriter scs bourreaux. On se saisit de sa per-sonne. Hommes, femmes, enfants, jusqu’aux ma-gistrats, tous se réunirent contre lui, sans respect pour son âge, pour ses longs services, et se porté-rent à des horreurs que notre plume se refuse à retracer, malgré meme l’autorité de saint Grégoire, qui a cru devoir en mettre sous les yeux toutes les circonstances (1).
(1) Sa constance fut à l’épreuve des tortures les plus cuisantes. « Si la gloire de ses souffrances n’étoit point tachée par !’Arianisme qu’lia voit si long-temps défendu, il seroit comparable aux plus illustres martyrs.» ( Godeau ,Hist, eccles., tom. π, pag. 345.)
Ceux qui voudront connaître ces circonstances, peuvent lire Tillemont, Fleury, Hermant et les autres.
Quelques païens mêmes en étoient révoltés, et osé-rent s’en plaindre à l’empereur. Un de ses préfets, essayant ( dit saint Grégoire ) de marcher entre la tyrannie et les lois, se permit de punir quelques ido-lâtres qui avoient massacré des chrétiens. On lui en fit un crime auprès de l’empereur, qui le destitua ignominieusement. Il eut beau chercher à se justi-fier, en alléguant les lois ; il eut beaucoup de peine à éviter le dernier châtiment. Julien finit par lui faire grâce en le condamnant à l’exil. Quel acte de clémence et de sagesse ! Il le motivoit en disant : « Est-ce donc un si grand mal qu’un Grec ait massa-« cré des Galiléens?» Dira-t-on que ce ne fut point là une persécution ouverte, et une persécution bien plus manifeste, comme bien plus formidable, que toutes celles qui s’annonçoient par des déclarations précises? Qu’importe que vous les envoyiez directe-ment à la mort, ou que vous autorisiez les fureurs de leurs bourreaux, et que vous sévissiez contre ceux qui les ménagent? Ce que veut l’empereur est une loi non écrite, bien plus impérieuse et plus puis-santé, que des lois écrites auxquelles manque l’ap-pui du trône...... C’est aller trop loin, nous répondent certaines personnes attachées à sa mémoire, et qui se font de Julien un dieu, séduites par des apparences de douceur et de modération. Mais parce qn’il savoit joindre l’hypocrisie à la cruauté, en étoit-il moins persécuteur? Lui, ou ses ministres, lequel est le moins coupable, quand c’est lui qui les fait agir? Il y aurait eu du moins quelque no-blesse à s’avouer pour persécuteur. S’envelopper d’artifices, étoit à la fois et bien plus lâche, et bien plus sanguinaire. C’étoient là autant d’essais par les-quels il préludoit à des actes qui dévoient surpasser les précédentes persécutions. Non, un Dioclétien, qui accabla les chrétiens d’outrages, ni un Maxi-mien, qui vint après et enchérit sur son devancier, ni Maximin, qui les surpassa tous deux en cruauté, n’avoient imaginé rien de semblable aux desseins qu’il préparait contre nous, si Dieu ne les eût pré-venus. Sa bonté s’est laissée fléchir parles larmes que nous versions en secret, les seules armes que les ch ré-tiens doivent opposer à la tyrannie. Il se disposait à leur enlever toute liberté, tout droit à la confiance, tout exercice de la vie civile ן à les éloigner des as-semblées, des tribunaux, en les interdisant à ceux qui refuseraient d’offrir de l’encens à ses dieux.... 0 vous . législateurs des empires, modérateurs de la société humaine, dont les lois , telles que l’aspect du ciel, la lumière du soleil et l’air que nous respi-rons , sont autant de bienfaits publics à là jouissance desquels tous les hommes libres sont appelés, un homme s’est rencontré qui a voulu en priver les chrétiens ! Il ne voulait pas que les opprimés trou-vassent des organes pour les défendre. Il ordonnait qu’ils fussent bannis de leur pays, qu’on les égor-geât, qu’ils ne pussent pas même respirer l’air ; et cela sous le prétexte, disoit-il, que notre loi nous interdit la vengeance et les procès, quelle ne nous permet pas de posséder rien en propre, qu’elle nous ordonne de mépriser tous les biens de ce monde, de prier Dieu pour ceux qui nous persécutent, et de leur vouloir toute sorte de bien.... Pouvoit-il se mé-prendre sur le véritable esprit de ces maximes de nos Ecritures, lui qui les avoit apprises du temps où il faisait dans !’Eglise l’office de lecteur?.. Saint Grégoire rappelle ici ce qu’il avoit déjà dit plus haut sur les premières années de Julien, où il raconte, à l’occasion de Constance, « que cet empereur avoit pris un soin tout particulier de lui donner, ainsi qu’à Gallus son frère, des maîtres chrétiens, pour les instruire en toutes sortes de sciences. C’est ainsi que ces deux jeunes princes passèrent par tous les exercices de la philosophie chrétienne, non-seule-ment pour apprendre à bien parler, mais aussi pour étudier les sentiments de la véritable piété et des bonnes mœurs. Ils avoient la conversation des per-sonnes les plus vertueuses. Ils se firent meme rece-voir dans le clergé, jusqu’à lire publiquement au peuple les livres des divines Ecritures, ne faisant pas moins d’état de cette fonction de lecteur que des emplois les plus relevés et de ce qu’il y a de plus glorieux dans les dignités du siècle, et mettant la piété au-dessus des plus illustres ornements (1). » ) Pouvoit-il aussi oublier qu’il avoit lu dans ces mêmes Ecritures que le méchant doit s’attendre à une fin funeste ?Lui qui nous recommandait si fort de vivre conséquemment Λ nos saints livres, avoit-il lu dans ces mêmes livres qu’il lui fût commandé de vivre en impie? que tel étoit le bon plaisir de ses dieux ?.....
(1) lïermant ( Vie, tom. r, pag. 5; , 55. ) analysant saint Grégoire . pag. 58, 5g , 60.
Qu’il en appelle au témoignage de nos ennemis eux-mêmes, et des plus acharnés, de ces hommes si dignes de leurs dieux, et dont la bouche du moins dépose en faveur des principes de la probité et de ]a douceur ; qu’ils nous prouvent que le crime est pour eux un apanage dont ils ont l’exclusive propriété ; qu’ils nous montrent où est la justice et la morale, de nous obliger, nous, à endurer les outrages et les tortures, eux , à n’épargner pas des hommes qui ne savent que pardonner. Comparons leurs procédés avec les nôtres. Dans le temps que le christianisme jouissoit de ]a considération publique, et que le paganisme, manquant d’appuis, se précipitait vers sa ruine, les chrétiens en ont-ils agi avec vous comme vous agissez communément avec eux ? Vous ont-ils ravi la liberté? Quand ont-ils excité contre vous les fureurs de la multitude? Quand vous ont-ils aban-donnés à la discrétion de juges avides d’aller au-delà des ordres qu’ils avoient reçus? Quels sont ceux de vous que nous ayons exposés au danger de perdre, je ne dis pas seulement la vie, mais leurs dignités, leurs emplois , les distinctions qu’ils avoient méri-tées? Vous ont-ils, en un mot, traités jamais comme vous faites les chrétiens ?
Philosophe si sage et si pénétrant, qui vouliez faire aux chrétiens une obligation rigoureuse de la plus sublime perfection ! comment n’avez-vous pas remarqué que si parmi nos lois il en est qui obligent sans restriction, et de qui l’infraction n’est jamais permise, il en est aussi dont le précepte n’est pas absolu, et dont l’observation libre et volontaire amènera les récompenses promises à la perfection, sans que leur inexécution engage ceux qui les omet-tent. Plût au Ciel, sans doute, que tous les fidèles atteignissentà ce haut degré de vertu ! Mais parce que l’homme n’est pas un dieu ; parce que, s’il5 est des âmes supérieures qui excellent dans la perfection, il en est d’autres aussi qui s’estiment heureuses d’arriver à la médiocrité, pourquoi vouloir qu’il y ait pour tous une même mesure? et que l’on lasse , sous peine d’etre condamné, ce à quoi l’on n’est pas tenu? Parce qu’on ne fait pas des actions qui méritent châtiment, a-t-on droit à la récompense? Non , sans doute. De même, pour ne pas faire des actions 'd’un ordre qu’il faille récompenser, faut-il en conclure que pour cela l’on mérite châtiment? Notre philosophie chrétienne est bien mieux assor-tie aux besoins de la nature ; elle ne nous oblige qu’au tant que nos forces le permettent.
Et encore une fois, quel acte de tyrannie plus caractérisé que le fameux édit par lequel il interdi-soit aux chrétiens tout commerce avec les lettres? Je reviens sur mes pas pour vous entretenir encore de cet acte de son gouvernement, que je regarde comme le plus inique et le plus odieux de tous. Mon indignation sera partagée aisément par qui-conque est sensible aux charmes de l’étude et de l’instruction. Quant à moi, je fais profession de l’être ; je cède sans nulle peine tous les autres avantages à qui les recherche, tels que la puissance, la noblesse de l’extraction, la gloire, les richesses, tout en un mot ce que les hommes vantent le plus sur la terre, ce qui leur donne les jouissances menson-gères de la vanité. La science est à mes yeux d’un prix bien autrement réel; et je n’aurai pas l’injustice de méconnaître tant d’utiles et de laborieux travaux, entrepris par ceux qui nous les ont procurés. A quoi pcnsoit-il donc cet homme de qui l’imprévoyance égala !’implacable haine qu’il portait au christia-nisme? à quoi pensai-t-il, en nous fermant tous les canaux de la science ? Ce n’étoit point là de sa part une simple menace, mais une loi positive (1) ; quel mauvais démon lui avoit inspiré une semblable idée? Son dessein, quel étoit-il? Je vais vous le dire(2)..־ Le meme qu’avoit eu autrefois l’envoyé impie de Sennachérib au peuple de Jérusalem : se voyant dans l’impuissance de prendre cette ville par les armes, il essaya de s’en rendre maître par un langage qu’il croyoit plus à sa portée. Ainsi vouloit-il qu’il n’y eût dans tout le monde de langue que la sienne. Les écoles, les temples, les tribunaux , tous les offices, jusqu’aux plus petits emplois, allaient être possédés exclusivement par ceux de sa religion. Eux seuls allaient occuper les chaires profanes de divers or-dres pour l’enseignement des dogmes et des céré-monies du paganisme. Chaque ville auroit eu les siennes, dont Julien eût été le fondateur.
(1) On parle de deux ordonnances rendues par Julien dans le même es-prit ; la première, du commencement de son règne , qui défend aux chré-tiens d’étudier les lettres humaines, et ne permet de suivre les écoles publiques, qn’à ceux qui adorent les idoles; l’autre, dont la date est plus précise ( elle est du 17 juin 362 ), portant que, non-seulement tous les pro-fesseurs des lettres seront choisis par le conseil, et les plus notables habi-tants des villes ; mais que le décret de leur élection lui seroit envoyé, pour être soumis à son acceptation. Par là il se réservait le droit d’exclure tous les chrétiens.
(2) Julien prétendait que les chrétiens ne dévoient point avoir d’antre science que la simplicité de leur foi, et qu’ils étoient obligés de laisser là les lettres humaines , qui, étant alors appelées les lettres grecques, n’apparte-noient, disoit־il, qu’à ceux qui suivaient la religion grecque , c’est-à-dire le paganisme. Si ce raisonnement puéril eût pu être recevable, il n’alloit pas seulement à interdire aux chrétiens l’étude de l’éloquence ,mais !’usage en-tier de la langue grecque , et de tous les arts inventés par les Grecs ; et en même temps il interdisait aussi aux païens tout ce que les Grecs avaient reçu des autres nations du monde. Ce que notre savant docteur établit avec toute la pompe de l’érudition. C’étoit évidemment, de la part de Julien , trahir la cause de son paganisme ; puisqu’il reconnaissait ne pouvoir le soutenir, qu’en ôtaût aux chrétiens les armes et l’appui de son élo-quence.
Julien, avoit bien senti qu’en détruisant le chrislia-nisme, il fallait mettre quelque chose à sa place. 11 entreprit de réformer le paganisme; et pour y réussir , il n’imagina rien de mieux que d’y transporter les con-stitutions et les cérémonies du christianisme. « Les » païens, dit à ce sujet un moderne écrivain, n’eurent pas » le loisir de s’exercer à contrefaire les vertus chrétiennes. » La copie fût demeurée fort au-dessous de l’original, et » quand elle auroit ressemblé jusqu’à certain point, ce « n’eût jamais été qu’une copie. C’étoit habiller la raison » des livrées de la folie. » (1) Saint Grégoire qui entre dans le détail de cette bizarre parodie , semble regretter que la mort de Julien en ait empêché l’essai.
(1) La Bletterie, supr., pag. 254.
Π ordonna que l’on chantât dans ses temples d-es " hymnes à deux chœurs, établissant des peines con-tre ceux qui y feraient des fautes, et imitant pour les réglements, les usages et la discipline de notre Eglise. Il pensait à construire des monastères et des hôpitaux, des communautés de vierges, des admi-nistrations de charité sur le modèle des nôtres, qui excitaient de sa part plus que de l’admiration; car voici les propres termes dans lesquels il s’explique à ce sujet : «Il est honteux de voir que les Galiléens nourrissent non-seulement leurs pauvres, mais aussi les nôtres (1).» C’étoient là les projets qu’avoit conçus le nouveau dogmatiste. Je n’entreprendrai pas de décider s’il a mieux valu pour nous que ses tentatives aient échoué;... On eût vu à quoi ahou-tissent les grands mouvements que se donnent les hommes, quand ils veulent singeries œuvres d’une sagesse divine. Nos institutions à nous, ce ne sont ni les hommes, ni le temps qui nous les ont don-nées; c’est Dieu lui-même.
(1) Julian, epist. xlix, adpontif. yirsac. La Bletterie, préface de la Jrie de Jovien, pag. xn.
Ce que la mort de Julien ne lui permit pas d’exécuter, saint Grégoire, par une éloquente supposition , le met en œuvre. Il réali se celte nouvelle république à la Platon, et il en fait une description dont les traits semblent être pris sur les scènes que l’impiété, sous le nom de Théo-philantropie , a jouées sous nos yeux (2) ; et laisse à jamais accablés sous les traits de sa sanglante ironie, ces prétendus philosophes qui se disent sages, et montrent si peu de sagesse dans leurs actions; téméraires, dont on ne sait si l’on doit plus ou s’en moquer ou les plaindre.
(2) Quemadmodunt in plerisque scenicis ludis fieri solet, nos qtioque paultnn ludamus.
Que l’on élève donc les théâtres; car quel autre nom donner à ce qu’il eûtappelé ses temples ?Que les hérauts se fassent entendre ; que la foule se ras-semble. Place, place à ceux que l’âge, que l’émi-nenee de leurs fonctions, que l’élévation de la naissance ou du rang appellent à l’honneur de pré-sider la cérémonie... Qu’ils en nomment les pontifes. Les voilà, ornés de pourpre, couverts de guirlandes, la tête ceinte de couronnes de fleurs, affectant selon l’usage , une démarche grave et majestueuse : il faut cela pour en imposer au peuple. Un langage simple et intelligible ne seroit pas de mise ; de grands mots, un style ampoulé, qui s’élève au-dessus de la portée commune, voilà cc qui met en crédit. Ils nous lais-sent à nous, gens de néant, la gravité qui n’a rien de spécieux, mais qui consiste à régler les mœurs... A la suite de ces préliminaires, paroissent, à la voix de l’empereur, les interprètes des divins oracles, c’est ainsi qu’il désigne ceux qui sont chargés d’ex-pliquer les livres de théologie et de morale ; tels que la Théogonie d’Hésiode, où sont chantés les guerres des Titans, et les monstres engendrés par eux, et les dieux aux pieds de serpents, et cette dégoûtante famille de divinités, avec qui les maux ont pullulé dans l’univers; puis viendra ensuite le chantre de la Thrace, sa lyre ?1 la main, entonnant des cantiques à la louange d’un Jupiter, père des dieux et des hommes, traînant dans la fange scs impudiques amours; d’une Cérès avec ses in fames initiations, etc...
Tels sont les sublimes mystères qui seront exposés sous les yeux de ce dévot auditoire. Hâtez, hâtez-vous d’en couvrir le scandale par de mensongères allé-gories, et par de futiles explications, qui cherchent à sauver l’indécence de ce qui se publie! Vains pal-liatifs! En fait de religion, ce que l’on voit, et ce que l’on ne voit pas, doit être une leçon de moeurs; autrement, ce n’est plus qu’une école de corruption. Si l’image est criminelle, le commentaire n’en sau-roit être innocent.
[ 011 répondait que ces fables ridicules étaient l’ouvrage des poètes, qui les avoient inventées pour embellir leurs fictions, servir d’enveloppe aux pré-ceptes de la morale; quelles ne dévoient donc pas être mises sur le compte de la théologie. C’étoit Là en effet le système de Julien, de Porphyre, des philosophes de cette école, qui arguaient de la doctrine de Platon, faisant un crime à Homère d’avoir altéré la majesté de la religion par scs Ira-vestissements. ] Saint Grégoire répond à son tour :
Si les poètes furent les calomniateurs de vos dieux, pourquoi tant de pompeux éloges donnés à leurs chants et à leurs personnes? pourquoi ces sortes d’apothéoses à des hommes envers qui l’on eut été généreux de ne point les punir pour leur impiété? Vos lois décernent bien des peines capi-taies contre le plus léger outrage commis, même dans l’ombre, envers ces prétendus dieux : quels ménagements méritoient donc des hommes qui n’ont épargné aucune de ces divinités, les ont dés-honorées , sans mystère, comme sans pudeur , en leur prêtant les désordres les plus honteux qu’ils ont accrédités dans leurs vers, et les livrant par là à la risée de tous les siècles (1).
(1) Nous voyons la même objection réfutée, dès les premiers siècles, par l’auteur du livre des Récognitions, attribué au pape saint Clément (lib. ix ), et surtout dans !’ouvrage de la Cité de Dieu , de saint Augustiu ( lib. rv et lib. vit ). On aurait bien dû s’en souvenir dans les réfutations publiées de nos jours contre le système allégorique de MM. Court de Gebelin, Roucher, Dupuy et autres.
Après avoir confondu la théologie du paganisme, soit par le raisonnement, soit par le ridicule, saint Grégoire en examine la morale , qu’il foudroie à son tour. Il remonte à ses principes, dans leurs rapports avec l’har-monie sociale, et prouve que l’essence de la religion païenne en fait l’ennemie de toute morale.
Par quelles instructions, par quels exemples ( demande-t-il à Julien ) , sera-t-elle enseignée ? Sera-ce en leur donnant pour modèles vos dieux, avec leurs combats et leurs discordes, avec les maux qu’ils se font réciproquement, et qui les partagent, les uns en bourreaux, les autres en victimes? Or, voilà tout le code de vos histoires et de vos poèmes.
Avec de semblables modèles, vous parviendriez plutôt à corrompre la vertu, qu’à réformer le vice. Persuaderez-vous la modération à des hommes qui lisent, dans !’histoire de leurs dieux, l’apologie de tous les excès? Si la vertu elle-même résiste si difficilement à l’attrait des plaisirs, comment dé-tourner du vice, quand on le voit autorisé, coin-mandé par l’exemple des dieux, récompensé parles honneurs de !’apothéose, et par les sacrifices qui leur sont offerts ? Ce que vous consacrez dans leur personne, vos lois elles-mêmes le punissent, etc., etc. Parlerez-vous de respect filial, de mépris des ri-chesses, de pudeur et de continence, en présence d’un Saturne, assassin de son père, d’un Jupiter se vengeant à son tour de Saturne par un parricide , d’un Mercure voleur, d’un Mars furieux, d’un Ju-piter incestueux, adultère, monstre de débauche et de brutalité, etc, etc.?
L’on juge bien que notre éloquent orateur ne se con-tente pas d’effleurer ces reproches. Il les développe, il les poursuit avec une savante précision. Sous sa plume vé-liémente et ingénieuse, l’ironie se mêle à l’indignation; c’est le nerf de Tertullicn uni à l’élégance de Minucius Félix , et d’Arnobe. L’antiquité profane n’a rien de com-parable, l’antiquité sainte elle-même rien de supérieur.
Saint Grégoire a dû insister sur des détails aussi propres à confondre le paganisme, à faire rougir ses par-tisans les plus opiniâtres ou les plus hypocrites, et à verser tout à la fois le mépris et !’odieux sur la mémoire de l’empereur philosophe qui, en cherchant à réhabiliter d’aussi monstrueuses extravagances, ruinoit le service que l’Evangile a rendu au inonde en les anéantissant.
Pies toit encore une objection. « Le christianisme n’a-t-il pas aussi scs mystères, et son langage secret? » Notre saint docteur ne le dissimule pas ; et la différence qu’il établit entre les mystères païens et ceux du christia-nisme fait le triomphe de celui-ci.
Dans quelque sens qu’on explique nos mystères, ils n’ont rien, dans l’expression , de contraire à la décence, rien que d’admirable dans le fonds; et l’intelligence qui sait les pénétrer, n’y ren-contre que l'éclat d’une beauté pure ; c’est un beau corps revêtu d’un magnifique assortiment. Tout ce qui tient à la nature divine, n’admet point, ni dans ses explications, ni dans ses signes extérieurs, de commentaire qui viole les bienséances, qui dé-mente la sainteté de l’objet qu’il veut rendre sensible; tel, en un mot, que les hommes rougiroient de s’en servir pour eux-mêmes. Elle veut les convenances les plus parfaites, ou du moins, l’absence de tout ce qu’il y a de déshonnête ; afin que, si les savants peuvent y applaudir, les ignorants n’en soient pas choqués. Votre théologie, à vous, ou ne propose à l’intelligence que des absurdités impossibles à croire, ou n’offre aux yeux que des images que l’on ne peut regarder sans danger... Vous donnez à vos fictions, pour voile l’allégorie ; mais comment vous, croire sur parole? On ne croit que ce que l’on voit. Par làj sans profit pour ceux qui vous entendent, votre doctrine est une source de corruption pour ceux qui vous voient... Il y a si loin de vos principes à vos conséquences, qu’il devient impossible d’a-percevoir le nœud qui les lie, et d’imaginer que la fable et l’enveloppe qui la couvre soient l’ouvrage du même homme.
La réfutation du paganisme est complétée par un tableau éloquent de la morale chrétienne , dont Bossuet entre autres semble avoir pris quelques traits dans son sermon sur la divinité de la religion.
Est-ce là notre culte à nous? Sont-ce là nos maximes et notre morale? Avons-nous rien de pa-reil, nous qui reconnoissons pour règle et pour mesure de l’amour que nous devons au prochain, celui que nous nous portons à nous *même? nous qui condamnons, non-seulement ce qui est mal, mais ce qui en approche ; non-seulement toute ac-tion mauvaise, mais jusqu’au désir; nous qui rcs-pectons la chasteté au point de ne pas permettre un seul regard, proscrivons la vengeance au point de désarmer la colère qui la produit, avons pour le parjure une horreur telle que nous interdisons meme de jurer. Pour preuve de notre désinléres-sement, grand nombre parmi nous n’ont connu ja-mais l’usage de l’argent ; et s’il en est qui aient eu de grands biens, ça été pour se faire un mérite d’avoir plus à perdre en s’en dépouillant, et se ré-duisant à une pauvreté absolue. Etrangers aux plai-sirs de la table, nous laissons l’intempérance, avec le honteux asservissement et tous les maux qu’elle en-traîne, aux homines terrestres et grossiers; la chair est pour nous un esclave, un ennemi que nous te-nous dans la dépendance et sous le joug ; ?1 peine paroissons-nous avoir un corps, tant la partie supé-rieure de notre âme l’emporte sur celle qui est dé-vouée à la mort(1). Notre vertu à nous consiste à ne pas tomber dans les fautes les plus légères, parce qu’en fait de péché rien ne nous semble indifférent. Les lois humaines !!’atteignent dans le crime que ses effets; le chef-d’œuvre de la loi divine, c’est de l’arrêter à sa naissance, de punir ce qui l’excite, de comprimer le torrent avant qu’il ne déborde. Dites-moi dans quelle contrée du monde, dans quelle autre législation, voyez-vous qu’il soit ordonné de répon-dre à des outrages par des bénédictions, de prier pour ses plus violents persécuteurs, de ne redouter dans une accusation que de la mériter, de sup-porter les mauvais traitements, de se dépouiller de sa tunique en faveur de ceux qui nous prennent notre manteau, de souhaiter tous les biens à ceux qui nous font tous les maux, enfin de vaincre la haine par la bienfaisance, et de travailler à rendre meilleurs ceux qui s’abandonnent aux préventions les plus injustes? En supposant même que les pré-ceptes de la philosophie, et les instructions de sa sagesse mensongère, pussent réprimer le vice ; pour-roicnt-ils bien soutenir la comparaison avec une morale qui ne permet pas à la vertu elle-même de s’arrêter au même point, sous peine de décheoir, et lui ordonne d’avancer toujours pour arriver à la perfection? autrement, ce n’est plus qu’un mouve-ment uniforme, tournant sur soi-même, et roulant dans le cercle où il s’agite, avec l’air d’y être en-chaîné. En conséquence la vie du chrétien doit ten-dre, par des efforts toujours nouveaux , à joindre aux vertus qu’il a déjà les vertus qui lui manquent, jus-qu’à ce qu’il soit arrivé à ce terme heureux, où, confondu dans l’essence divine, il remplira la glo-rieuse destination pour laquelle il fut créé , et vers laquelle nous élèvent les sublimes espérances que nous fondons sur la magnificence de notre Dieu.
1) ״) Elle( la morale chrétienne) va éteindre jusqu’au fond du cœur » l’étiucelle qui peut causer un embrasement. Elle étouffe la colère, de » peur qu’en s’aigrissant elle ne se tourne en haine implacable. Elle n’at-» tend pas à ôter l’épée à l’enfant, après qu’il se sera douné un coup mortel; » elle la lui arrache dès la première piqûre. Elle retient jusqu’aux yeux, » par uue extrême jalousie qu’elle a, pour garder le cœur. Enfin, elle ־> n’oublie rien pour soumettre le corps à l’esprit, et l’esprit à Dieu. » ( Bossuet, serin, sur la divin, de la relig., 2e part. « Jésus-Christ est 1e. » seul législateur qui ait élevé l'homme au-dessus de tout système ter-» restre, et qui l’ait placé à une hauteur où le tourbillon des iutérèts ״ temporels ne peut l’éteindre et l’entraîner. » ( M. l’evêque de Langres, Instr, pastor., édit. in-4° , pag. 51. )
Seconde invective contre Julien.
Ce discours , plus historique que oratoire, porte sur deux des évènements les plus célèbres de la vie de Julien : son projet de rebâtir le temple de Jérusalem pour faire mentir les oracles du christianisme, et sa guerre contre les Perses, au retour de laquelle il espéroit triompher du christianisme. La narration en doit être rapide, grave, concise, mais sans sécheresse, animée sans trop de vé-hémence, mêlée de pensées éclatantes, qui ramènent à l’auteur suprême des empires et des révolutions , à son éternelle providence, à sa justice ou à sa miséricorde. L’orateur doit entrer dans son sujet par une réflexion générale dont la vérité soit palpable, et dont la lumière puisse se répandre sur tout l’ouvrage. Le discours doit se terminer par l’expression d’un sentiment pathétique. Voyons notre grand théologien a rempli ces conditions.
Saint Grégoire rappelle que dans le discours précédent il a exposé les crimes de Julien. Son impiété appelle la vengeance du Ciel. Cette conséquence toute naturelle lui fournit le principe qu’il établit dans son exorde et que les faits développeront.
« Si le Seigneur adoucit souvent par sa miséri-corde les afflictions qu’il nous envoie, il ne manque pas non plus de châtier tôt ou tard l’insolence de l’impiété qui le provoque. Qui pourvoit raconter par combien de fléaux, de maladies, de morts subites et extraordinaires, ses vengeances ne sont-elles pas signalées? Combien de ces pécheurs ont été forcés de reconnoitre , niais trop tard, leurs crimes par leurs supplices, terminant par une pénitence stérile une vie abominable La mort tragique de l’apostat Julien est la preuve de cette vérité. »
Il est avéré que ce prince , voulant saper le christia-nisme par ses fondements, entreprit de convaincre de faux le Sauveur, qui avoit prédit que le temple de Jérusalem seroit détruit, et que jamais on ne le releveroit de ses ruines (1). Si ce projet eût réussi, il étoit prouvé que l’auteur de notre religion n’étoit point Dieu , ni l’objet des écritures de l’ancien Testament, où l’on trou voit également des prophéties qui annonçaient l’en-ticre destruction du temple de Jérusalam. C’en étoit donc fait de la révélation judaïque et chrétienne ; le pa-ganisme en triomphait de la manière la plus éclatante.
(1) Théodoret, liv. ni, chap. xx.
Plein de cette espérance, Julien invita, par les lettres les plus pressantes , les Juifs dispersés dans les provinces de l’empire, a se réunir dans leur an-cienne patrie , pour y rebâtir leur temple (2). Us se mettent à l’œuvre, n’épargnant ni travaux ni dé-penses. [ Les écrivains qui nous ont transmis ces détails, et qui se passionnent aisément en faveur de cette nation , racontent que les femmes , non-seulement sc dépouillèrent de leurs plus riches parures pour contribuer aux frais de l’entreprise, mais que les plus délicates d’entre elles, puisant dans le senti-ment religieux une énergie qui les rendoit supé-rieures à leur faiblesse naturelle, sc mêlaient aux ouvriers, emportant les décombres dans leurs robes les plus précieuses. ] A peine l’ouvrage étoit-il corn-mencé, qu’un affreux tremblement de terre obligea les travailleurs de ne s’occuper que de leur propre conservation, en s’éloignant par une fuite précipitée. Us allèrent se réfugier dans un temple voisin, soit pour y prier, soit pour se mettre à couvert de ]a soudaine irruption qui avoit menacé de les engloutir. Mais comme si le temple lui-même eut refusé de leur donner asyle, au moment où toute celle foule s’em-pressait d’y entrer, se poussant et se pressant les uns sur les autres, ses portes, dit-on, se refermèrent d’elles ·mêmes, sans doute par l’ordre d’une puis-sance invisible qui voulait les épouvanter par ce prodige. Ce qui est attesté par des dépositions una-nimes ; c’est que des tourbillons de flammes, sortis des fondements du temple, atteignaient les ouvriers chaque fois qu’ils se !nettoient à l’ouvrage, consu-mantles uns, mutilant les autres, leur laissant à tous les marques les plus visibles de la colère du Ciel. Telle a été l’issue de celte tentative : il n’y a pas plus de raison de révoquer en doute la vérité de ce fait, que celle des autres miracles du christianisme.
(2) Nous les avons encore. ( Julian., Eplst. xxv, et Fragm. , pag. 541.)
Il y avoit à peine un an que cet événement avoit eu lieu lorsque saint Grégoire de Nazianze pronouçoit ce discours(1).
(1) Le témoignage d’Ammien Marcellin , auteur païen , et qui a fait de Julien le héros de son histoire, est trop précieux pour n’etre pas rappelé : « Pendant que le comte Alypius , gouverneur de la proviuce, pressoit vive-־> ment les travaux , d’effroyables tourbillons de flammes s’élancèrent des » endroits contigus aux fondements , brillèrent les ouvriers, et leur ren-» dirent la place inaeeessible. Enfin, cet élément persistant toujours avec » une espèce d’opiniâtreté à repousser les ouvriers, on fut obligé d’aban-» donner l’entreprise. « ( Hist., liv. xxui , chap. 1. )
Il n’y a pas jusqu’à Julien qui n’ait été forcé de rendre hommage à la vérité. Il convient que le temple des Juifs a été ruiné trois fois, ce qui n’est pas aisé à entendre, s’il ne compte pour une troisième destruction la catastrophe arrivée sous son règne. Il dit encore qu’il a voulu le rebâtir; et ces paroles, dans la bouche d’un souverain, ressemblent bien à l’aveu d’une entreprise manquée. (La Bletterie , rte, pag. 384. Butler, Etablisse-ment du christianisme. Warburton, Dissert, sur le projet formé par Ju-lien de rebâtir le temple de Jérusalem. ) Les Juifs enfin , qu’on ne soup-çonnerapas d’avoir copié les auteurs chrétiens, racontent le même fait, d’après la tradition de leurs Synagogues , et presque avec autant d’unani-mité que les auteurs chrétiens. (Butler, rte de saint Cyrille de Jérus., dans la Vie des Saints, tom. ni, pag. 38. )
Voici quelque chose de plus prodigieux encore, et qui n’est pas moins attesté. Tandis que les impies outrageaient la croix sur la terre, la croix triomphoit dans le ciel, apparaissant au milieu d’un cercle éclatant de lumière. Ce phénomène s’est fait voir à tous les yeux, en sorte qu’il n’est pas possible d’en douter (2). Dieu signalait par ce trophée la victoire qu’il rcniporloit sur !’impiété. Que nous répondent à cela les sages du siècle, avec leurs fastueuses paroles, leur manteau de philosophe qu’ils savent ajuster avec tant d’art sur leurs épaules? Osez me démentir, ô vous (1) de qui la plume mensongère sc vante de posséder les secrets du ciel, quelle nous débite en longs discours ! vous qui lisez dans la conjonction des astres l’histoire des événements humains, interrogez votre étoile. Moi, j’en vois une dont les rayons m’éclairent plus sûrement, celle - là qui conduisit les Mages près du ber-ceau demon Sauveur, celle-là que Jé,6us-Christ vient d’attacher à la voûte du firmament pour en faire le présage de sa victoire sur l’impie.
(2) Thcophane affirme que cette croix resplendissante de lumière , s’étendoit depuis le Calvaire jusqu’au mont des Oliviers. ( Tillem., Mcm., torn, vn, pag. 414 · ) S. Cyrille de Jérusalem parle de la plupart de ces cir-constances, comme témoin oculaire. S. Jean Clirysostôme en parlait pu-hliquement, vingt ans après , devant un grand nombre d’auditeurs, dont les plus jeunes , comme il dit , ]’avoient pu voir de leurs propres yeux.
(1) Est-ce de Libanius ou de Maxime qu’il est ici question ? Toujours les paroles de saint Grégoire peuvent - elles s’appliquer à l’un et à l’autre.
S. Grégoire raconte que, de plus , on vit des croix imprimées su; !es habits et sur les corps de ceux qui éloient présents (2).
(2) Théodoret atteste le même prodige ; et il ajoute : « Un grand nom-bre de Juifs, saisis de terreur ,s’en retournèrent, en confessant que celui que leurs pères avoient autrefois crucifié étoit le vrai Dieu. Tout ceci fut trop public pour ne pas frapper les oreilles de Julien; mais il s’endurcit comme Pharaon. >· ( Liv. ni, chap. xv. )
Pour Julien , il n’en persista pas moins dans sa haine contre le christianisme , laquelle alloit le précipiter dans le plus grand des malheurs. Lui, et les philosophes de sa cour, !nettoient en œuvre tout ce qu’ils savoient de phy-siquc , pour dérober à Jésus-Christ la gloire d’un pro-dige aussi éclatant. Toutefois
Il n’empêcha point que la plupart de ceux qui en furent les témoins n’y reconnussent le doigt deDieu; et, parmi eux, un grand nombre, touches d’un sain-taire effroi, vint se jeter aux pieds des ministres de notre religion, pour en recevoir la grâce du bap-terne. Toujours enivré par sa haine et par scs cou-pables espérances, il poursuivait son ouvrage. La guerre des Perses entroit dans le plan de sa conspira-tion contre le christianisme ; il la saisit avec ardeur. Ses oracles, tantôt lui promettaient la victoire, tan-tôt le menaçaient par les plus sinistres présages ; les espérances que lui donnaient ses philosophes fixe-rent ses irrésolutions. Ils voulaient une guerre dont l’issue, dans leurs vœux hautement exprimés, devoit être l’anéantissement du christianisme ; elle fut ré-solue. Julien s’y engaga avec la plus téméraire con-fiance, oubliant les défaites de Cams et de Va-lérien.
Tout entier aux préparatifs de son expédition , il en rroyoit assurer le succès par des sacrifices publics ou occultes (1) , dans l’espérance que, la Perse devenue sa conquête , le ^christianisme seroit sa victime.
(1) Dans l’Illyrie, à Constantinople, il sacrifiait publiquement aux idoles; et, par des édits solennels, commandait qu’on l’imitât. Il se plaint, dans plusieurs de ses lettres , du peu de ferveur qnc l’on mettoit à exécuter ses ordounances. La dépense qu’il faisait pour ces sacrifices étoit excessive, au jugement des païens même ; c’étoit au point, que l’on avoit à craindre que les bœufs ne vinssent à manquer dans l’empire ; ut œstimaretur, si re-vertisset de Parthis, bores defuturos, dit Arnmicn Marcellin.
Quant aux sacrifies occultes, on assure que, dans des sacrifices noc-turnes cl des opérations de magie, Julien faisait périr grand nombre de jeunes enfants , pour consulter leurs entrailles, ou pour évoquer les âmes des morts; que le temps révéla ces affreux mystères , et, qu’a près sa mort, on trouva des coffres remplis de tètes, et plusieurs cadavres dans les puits, dans les égouts, et dans les endroits les plus écartés du palais. (La Blelterie, I'Ve , pag. 333. )
Eh quelle victime! quel holocauste il promettait à scs fausses divinités ! Vous-mcme, ô Christ! ô Rédempteur du monde! tout ce qu’il y avoit de chrétiens dans l’univers immolé sur les autels de scs démons, ou asservi à leur empire.
Ici l'orateur, devenu historien , fait un récit assez circonstancié de cette expédition , qui se termina , comme l’on sait, par le plus honteux dénoûment pour l’empereur et pour tout l’empire.
Cependant Julien balançait encore sur le parti qu’il avoit à prendre pour pénétrer dans la Perse, lorsqu’un transfuge de cette nation vint le trouver dans son camp. C’était un vieillard adroit et délié, qui amenoit avec lui d’autres transfuges, propres à faire les rôles subalternes dans la fourberie que me-ditoit ce nouveau Sinon, déterminé à périr, s’il le fallait, pour le salut de sou pays. Il feignoit d’être tombé dans la disgrâce de son roi, et de chercher un asyle chez les Romains. Après s’être insinué dans l’esprit de Julien par le récit pathétique de ses malheurs prétendus, et par ses protestations d’un zèle sincère pour l’empereur, aussi-bien que d’une haine irréconciliable,contre Sapor, il déclara qu’il s’étoit adressé aux Romains avec d’autant plus de confiance qu’il pouvoit les rendre maîtres delà Perse s’ils voulaient suivre ses conseils ; et il lui adressa le discours suivant :
« Que faites-vous, prince, est-ce avec un tel système de lenteur et de mollesse que vous devez conduire une guerre si importante? Vous avez mis le royaume à deux doigts de sa ruine. Vos exploits ont répandu dans les esprits cet effroi et cet abatte-ment qui présagent la chute des empires. Le mo-narque est dans la consternation ; non qu’il ait rien a craindre, tant qu’esclave de votre flotte, vous vous bornerez à côtoyer les rivières, il aura soin de les éviter ; mais il n’ignore pas qu’un conquérant tel que vous saura bien se dégager de ces entraves • qui vous empêchent de donner l’essor à votre valeur. Que faites-vous, en effet, de cet attirail incommode, et de ces magasins superflus qui amollissent les courages? Des guerriers ne doivent s’attendre qu’à eux-mêmes et à leur épée. A la vue de ces vaisseaux, refuse de ]a nonchalance et de l’oisiveté, le soldat s’écoute et réalise la plus légère indisposition. De-puis qu’une moitié de votre armée s’épuise à traîner l’autre, et à lutter contre le Tigre, vous auriez joint l’ennemi, et Sapor serait détrôné. Je sais les clie-mins mieux que personne : je vous servirai de guide. Nous avons besoin de porter des vivres pour quatre jours, parce qu’il faut passer un désert. Hâtez-vous, seigneur, la victoire* est infaillible. Ma tête répond de la vérité de mes paroles; et je n’attends de récompense de mon ?èle, que quand je l’aurai prouvé (1). »
(1) Une partie de cette harangue est traduite de saint Grégoire de Na-zianze, par l’abbé !.a Bletterie , Fie de Julien, pag. 45 et suiv.) Cet écrivain ajoute : ״ J’ai cru pouvoir sans scrupule, mettre dans la bouche du fourbe les autres raisons qui, selon Libanius, déterminèrent Julien à brûler sa flotte. » ( Ibid., pag. 136, note. )
Tels furent les discours de cet homme artificieux, et Julien eut la légèreté de les croire. La main di-vine le poussoit à sa perte. De ce moment, ce ne fut plus qu’un enchaînement de calamités : sa flotte fut la proie des flammes ; la famine se mit dans son armée ; et le général ne fut plus pour les troupes qu’un objet de risée : il semblait s’étre donné la mort à lui-même.
Delà saint Grégoire vient à la mort de Julien (1), et à l’éloge de son successeur Jovien, forcé par les malheureuses circonstances où l’année se trouvait alors, de souscrire aux humiliantes conditions que le vainqueur lui imposa. Il s’arrête sur les funérailles de Julien , qu’il met en opposition avec celles de son prédécesseur Constance , qui furent accompagnées des cérémonies de !’Eglise , et de tous les honneurs de la guerre ;
(1) Sans prononeer affirmativement de quelle manière il mourut. « Fut-il tué par un ennemi ou par un démon? toujours celui qui le tua ( et ne se retrouva point pour réclamer la récompense promise par les Perses) ne fut que l’exécuteur des vengeances divines. >· ( Herm ant, Vie, torn. 1 pag. 223. )
Au lieu que le convoi de Julien n’eut pour escorte remarquable qu’une troupe de comédiens et de ba-teleurs, qui lui reprochoient son apostasie, sa dé-faite et sa mort tragique , dans les termes de la plus insultante bouffonnerie (2).
(2) ״ C’étoit, dit un écrivain moderne, un usage du paganisme des plus bizarres, d’égayer les pompes funèbres des grands, et même des em-pereurs , aux dépens de ceux que l’on prétendait honorer. Us mêlaient la plaisanterie et la satire aux démonstrations de douleur. Ici se faisaient en-tendre des chants lugubres et des lamentations , on voyait couler des larmes; là ,des baladins et des farceurs dansaient et jouaient des scènes bouffonnes ; ici quelqu’un de la troupe, sous un masque qui représen-toit au naturel celui dont on célébrait les obsèques , imitoit son geste et sa voix , et lui faisait tenir d’une manière comique le langage le pins propre à le caractériser. » ( La Bletterie, Vie de Jovien , pag. 89. )
Il retrace les principaux traits du caractère de Julien , les exactions que ses officiers , assurés de l’impunité , exerçaient contre les chrétiens, !’irrégularité et la bizar-rerie de ses décisions dans l’administration delà justice ; la brusquerie de son humeur, qui alloit jusqu’à l’empor-teinent; scs indécentes familiarités avec quelques-uns de ses anciens compagnons d’études , reproche qu’Am-mien Marcellin lui-même faisoità sa mémoire (1}; sa générosité en paroles , et son avarice réelle. Il rappelle les impressions que lui avoit faites à lui-même la pre-mière rencontre avec lui , durant leur commun séjour à Athènes (2).
(1) Lib. xxn, pag. 476, col. 2.
(2) Voyez Hcrmant, rie, 10m. i.pag. 51.
Bien que je n’aie pas la pretention de me croire fort habile physionomiste, j’aperçus le dérèglement de son esprit à l’air de son visage, et à la contenance de sa personne. Sa démarche peu assurée, sa tête toujours en mouvement, ses épaules qui se haus-soient et se baissaient tour à tour, l’inquiétude et la mobilité de ses regards souvent égarés et sans objet, son air railleur et qui prétoit lui-même à la raillerie par le grotesque de sa figure, son langage brusque, entrecoupé, quelquefois hésitant, sans gra-vité, sans justesse, me faisoient conjecturer, avant qu’il eût encore rien fait, tout ce qu’il devoit faire un jour. 3’en prends à témoin ceux à qui je fis alors part de mes pressentiments, et qui m’ont entendu plus d’une fois m’écrier à son sujet : Quelle peste nourrit l’empire romain !... Son extravagance impie a subi le sort quelle me'ritoil. Dieu en a fait justice. 11 n’a point voulu user à son égard de sa patience or-dtnaire, qui eût été funeste à trop de gens. Elle auroit inspiré de l’insolence aux pécheurs, et accablé de douleur les personnes vertueuses. On auroit cru que Dieu négligeait les siens ; qu’il s’embarrasse peu de récompenser ou de punir, et que les choses de ce monde vont au hasard. Doctrine impie, aussi cri-minelie dans son principe, quelle est désastreuse dans ses conséquences ! Voilà ce que nous nous di-sons, nous pauvres Galiléens, adorateurs du crucifié, disciples de quelques pécheurs grossiers, ignorants comme nos maîtres, ainsi que les païens ont grand soin de ne nous le laisser pas oublier ; nous, à qui ils reprochent nos tristes psalmodies, nos jeûnes et nos macérations, nos veilles consumées, disent-ils, en prières qui ne nous profitent pas.
Mais où sont donc aujourd’hui ces subtils grammairiens, et ces savants jurisconsultes, avec leurs pompeux sacrifices, et leurs mystérieuses initiations, avec toutes leurs victimes immolées soit au grand jour soit dans les ténèbres, avec toutes leurs pré-dictions si vantées et si vaines (1)? Où est-elle cette fameuse Babylone, qui devoit être Je siège d’un empire universel, acheté au prix de quelques gouttes d’un sang impur? Où sont et ces Perses et ces Modes, dont on se promettoit une victoire si facile que déjà l’on s’en disoit le maître? Où sont ces dieux promenés en triomphe à la tête des armées et corn-battant avec elles? ces oracles qui fixaient à tel temps l’entière destruction du christianisme, affir-inant, avec tant de précision, que le nom meme en seroit anéanti? Tout s’est évanoui ; le triomphe ima-ginaire de l’impie s’est dissipé comme un songe. Nous, tels qu’aulrefois le pieux roi Ezéchias, menacé par les formidables armées et par les blasphèmes de Sennacherib, et qui, dans le péril extrême où il se voyait, ne pensa qu’à se réfugier dans le temple, déchirant scs habits, versant des larmes en abon-dance, levant des mains suppliantes vers Je ciel qu’il prenait à témoin de la sacrilège insolence du bar-bare étranger qui le menaçoit, et qui ne pria pas en vain : car l’ennemi de Dieu porta la peine de son impiété. Epouvanté par une puissance invisible qui s’étoit appesantie sur lui, après avoir vu périr la meilleure partie de son armée, il fut contraint de fuir, abandonnant et le siège de Jérusalem et sa crimi-nellc entreprise : nous, sans armes, sans forteresses, dénués de tout secours humain, nous avons laissé à Dieu seul le soin de notre défense. Eta quel autre protecteur plus puissant pouvions-nous nous adres-ser, pour nous mettre à couvert de l’orgueil et des homicides insultes de nos persécuteurs? Combien ]ours espérances ont été déçues ! combien les pro-messes qui leur étaient faites ont été trompées ! Tous, nous devions être immolés, victimes'inno-centcs offertes à leurs démons : l’héritage du Dieu vivant, la nation sainte, le royal sacerdoce de Jésus-Christ, c’étoit là le prix convenu pour la conquête des Perses. Voilà, ô Julien, quelle reconnaissance vous réserviez au Dieu qui sauva votre enfance (1) !
(1) Un autre témoin des plus respectables assure qu’à peine Julien eut-il manifesté son dessein de rétablir le paganisme, on vit aecourir de toutes les parties du monde des magiciens, des enchanteurs, des devins, des augures ( sons le nom de philosophes et de grammairiens, ou gens de lettres). ouvriers d’iniquité et d’imposture, auxquels l’empereur ouvrit son palais. Julien en fit les prêtres de sa religion nouvelle. ( 8· Joann. Chrys., Encom. S. Babyl. 10m. 1, pag. 976. ) Ammien Marcellin ne le désavoue pas : Quisque, quam iniprœpeditè liceret, scicntîam œaticïnandi p! ofessus, juxta unperitus et docilis , oraculorum permittebatur sciscitari oracula, etc. (lib. xxn , pag. 481) ; et plus haut : A cultu ckristiano jam pridem occulté desewerat, arcauorum partlcipibus paucls aruspicinœ augurüsque intentas 4^7). Le plus célèbre d’eux tous, apres le philosophe couronné, étoit Maxime d’Ephèse, qui l’avoit initié dans les mystères de sa théurgie.
(1) Julien n’avoit que six ans accomplis , lorsqu’il pensa périr dans la sanglante tragédie, qui suivit de près la mort de Constantin. Sous prétexte d’assurer l’empire aux enfants de ce prince , et de prévenir les guerres ci-viles, l’armée se souleva contre tout le reste de la maison impériale. Julien auroit inévitablement péri, si des amis fidèles ne l’eussent dérobé aux re-cherches des meurtriers. Marc, évêque d’Aréthuse, fut un de ceux qui aidèrent à sainer Julien, sous le règne duquel il fut traité si cruellement. Il resta caché dans une église : c’est ce que rappelait le saint martyr d’Ancyre , saint Basile, mis à mort dans la persécution de Julien, quand il di-soit que le prince ingrat avoit bien vite oublié le saint autel qui lui avoit servi d’asile : JV0.2׳ est recordatus quomodo eruerit eum ( Dominas ) per sanctos stios sacerdotes, abscondens earn sub sancto altari ecclesiœ sua.
( La Bletterie , Vie, pag. 8 , ף.)
Cependant, nous ne cessions de conjurer le Sci- Pag. gneur. Il tenoit suspendus les traits de sa colère, différant de punir l’impie ; laissant à la malignité le temps d’arriver à son dernier excès, comme un ul-cère intérieur, qui couve, jusqu’au moment où il vient à percer; ménageant aux pécheurs le moyen de se sauver par la pénitence, ou les attendant pour les châtier avec plus de rigueur, s’ils s’opiniâtrent dans leurs révoltes. Partagés entre la crainte et l’es-pérance, nous gémissions en silence; nous implo-rions le secours du Ciel, nous plaignant à lui-même, comme des enfants soumis se plaignent à leur père, de la rigueur qu’il paraît exercer envers eux. « Eh quoi ! disions-nous : Seigneur, nous auriez-vous rejetés pour toujours ? Votre fureur s’est-elle embrasée contre les brebis de votre troupeau. Rappelez à votre mémoire ce peuple qui est le vôtre, ce peuple dont vous vous êtes mis en possession dès le commence-ment, que vous vous êtes acquis par le sang de votre propre Eils, que vous avez adopté par une alliance éternelle, à qui vous avez ouvert l’entrée de votre royaume, par la grâce de votre divin Esprit. Armez-vous pour châtier ces orgueilleux 1 ils ont profané votre sanctuaire et vos solcmnités; traitez-les selon la grandeur de leurs offenses. » Tantôt nous lui de-mandions, de déployer contre les impies les mêmes vengeances dont autrefois il frappa la coupable Égypte ; tantôt nous exprimions nos douleurs en ces termes : « Vous nous avez'rendu le jouet et la fable de nos voisins; votre vigne que vous aviez trans-plantée de l’Egypte, c’est-à-dire, ces régions que vous aviez appelées des ténèbres de l’erreur à la lu-mière de la foi, vous avez rompu la haie dont elle étoit défendue ; vous l’avez abandonnée en proie au sanglier féroce et perfide, trop naturelle image d’un prince qui surpasse en impiété tous les autres prin-ces. » Telles étoient mes pensées ; telles les prières que je faisois au Seigneur. Aujourd’hui, j’ai changé de langage. C’est leur infortune que je déplore ; leurs misères excitent ma piété. Dans quel abîme de maux ils se sont précipités ! Un moment les a vus tomber de ce faîte de prospérité où ils s’étoient élevés; et les voilà dissipés, anéantis comme une vile poussière, comme une rosée brillante qui s’étoit fait voir au matin, comme le sifflement d’une flèche lancée dans l’air, qui n’y laisse point de traces, comme un bruyant éclat de tonnerre, comme un éclair qui luit et disparoît. Ah ! qu’ils rentrent enfin en eux-mêmes; qu’ils reviennent à des pensées plus dignes d’hommes raisonnables; qu’ils renoncent aux erreurs dont ils sont comme enivrés; pour s’attacher désor-mais à la vérité, leurs calamités elles-mêmes auront été pour eux des bienfaits. Que s’ils persistent dans leur aveuglement, le prophète Jérémie n’a pas assez de larmes pour pleurer sur un aussi funeste endur-cissenient.
Mais plutôt, pourquoi ne nous livrerions-nous pas à l’espérance de les voir ramenés à de meilleurs sen-timents? Qui sait si le Seigneur, qui brise quand il lui plaît les chaînes des captifs, qui relève ceux qUi Sont abattus et les retire des portes de la mort, qui veut que le pécheur se convertisse, et non pas qu’il meure; le Dieu qui nous a éclairés nous-mêmes, quand nous étions assis dans les om-bres de la mort ; qui sait s’il ne jettera' pas sur les infidèles un favorable regard, et ne fera pas succé-der les conseils de miséricorde aux arrêts sévères de la justice dont il les a frappés? Quelles merveilles ont déjeà signalé sa puissance ! Bel est tombé; l’idole de Dagon a été réduite en poudre ; la gloire de Sa-rou et du Liban a été changée en un limon impur : désormais, ils ne chercheront plus leurs dieux dans des idoles vaines, sans mouvement et sans vie ; ils n’iront plus porter leurs adorations sur les hauts-lieux, ni le sang de leurs enfants en sacrifice aux dé-mons. Désormais, nos ennemis ne profaneront plus nos temples par leurs regards; ils ne souilleront plus d’un sang impur nos autels réservés ?1 l’immolation de la victime sainte; ils ne déshonoreront plus nos sanctuaires en y érigeant des autels en l’honneur des démons.Leurs sacrilèges mains ne pilleront plus nos offrandes, mettant, par leur avarice, le comble à leur impiété. Ils n’outrageront plus la vieillesse de nos prêtres, la sainteté de nos diacres, la pudeur de nos vierges. Us ne jetteront plus aux chiens les entrailles de nos saints égorgés, pour leur servir de pâture. Ils ne livreront plus aux flammes ni les sépulcres de nos saints confesseurs, dans le dessein de jeter l’épouvante au cœur des fidèles, ni les saintes reli-(pies des martyrs confondues pêle-mêle avec de profanes ossements (1), pour en jeter les cendres au vent, afin de dérobera ces précieux restes les honneurs que nous leur rendons. On ne les verra plus aller s’asseoir dans les chaires de pestilence; et de là outrager, par leurs calomnies, les évêques, les prêtres, les prophètes, les apôtres, et Jésus-Christ lui-même. Désormais, ils ne nous interdiront plus, à nous chrétiens, l’exercice et l’enseignement des lettres humaines, sous l’artificieux prétexte que notre religion condamne les dieux qu’elle professe (2). Eh bien ! que vos sophistes étalent et leurs pompeux discours etleurs invincibles syllogism es! Voyons com-ment ces pêcheurs que vous taxez d’une si grossière ignorance sauront y répondre. Qu’il fasse résonner parmi nous sa lyre divine, ce berger de Sion qui terrassa le fier Goliath, qui triomphoit par scs liai-monieux accords des fureurs du démon dont Saül étoit obsédé. Suspendez un moment vos concerts et vos instruments de musique pour laisser parler nos prophètes. Ah ! plutôt qu’ils s’éteignent à jamais ces flambeaux impurs que l’on porte en présence de vos fausses divinités. Que vos sophistes et vos décla-mateurs se taisent ; que nos divins prédicateurs s’ex-priment en toute liberté. Condamnez au silence ces livres menteurs qui ne contiennent que des près-tiges et de faux oracles; à la nuit de leurs ténèbres, ces mystères impurs qui se célèbrent dans l’ombre. Fermez ces antres et ces issues souterraines qui mè-nent aux enfers : nous vous ouvrirons le chemin qui conduit au royaume du Ciel. Les démons im-posteurs ne sont plus les maîtres du monde. Rou-gissez des livres d’Orphée, que vous regardiez comme votre théologien. Permettez au temps de couvrir vos infamies et d’en effacer le souvenir.
(1) A Sebaste ( ancienne Samarie ), les païens, soutenus parla protee-tion de Julien , déterrèrent les os de saint Jean-Baptiste , et du prophète Elisée , et les brûlèrent mêlés à des os de bêles, et ensuite les jetèrent au vent. ( Philostorge, Ruffin, Tillein., Mem. cedes., tom. vu, pag. 361.)
(2) Voyez Tillem., ibid. , pag. 344 et suiv. La Bletterie, pag. 244. Fleury, tom. iv, pag. 45, edit, in 12. Théodoret, Hist., liv. ni, chap, vu, mi.
Cet éloquent discours est terminé par deux avis importants , que S. Grégoire donne aux fidèles de tout âge comme de tout rang : de profiter des maux qu’ils avoient soufferts pendant la persécution de Julien , la regardant comme un châtiment que la justice du Ciel leur avoit infligé pour les arracher à leur assoupissement, n’ou-bliant pas la tempête après la tempête , ni la maladie après le retour de la santé.
Purifiés par le feu de la persécution, nous de-vons faire voir en nous, moins des coupables que Dieu ait livrés aux Gentils, que des enfants que Dieu a corrigés dans sa paternelle bonté. Quel étrange renversement ne seroit-ce pas, si d’humbles et de patients que nous étions dans l’adversité, nous allions redevenir fiers et insolents dans la prospérité, aban-donnés aux mêmes désordres qui attirèrent nos dis-grâces! A Dieu ne plaise } ô mes enfants ! dirai-je avec le grand-prêtre Heli, etc. Il est plus aisé de recouvrer la félicité qu’on a perdue que de fixer le bonheur dont on jouit ; on s’expose à le perdre bien-tôt par l’abus que l’on en fait. Livrons-nous à la joie ; mais à une joie chrétienne, non en imitant les joies dissolues des païens. Répandons autour de nous la lumière par nos vertus et par nos bons exemples.
Celle-là sera bien plus vive , bien plus éclatante, que les profanes illuminations dont les infidèles font la pompe de leurs solennités.
L’autre avis , sur lequel le saint ne dissimule pas qu’il appréhende de trouver moins de docilité dans les esprits, porte sur la conduite à tenir à l’égard des infi-dèles.
Il semble que le dé&ir de se venger de son ennemi soit un sentiment naturel. On se permet aisément de faire ce que l’on condamnait dans les autres. Pour nous, ne nous permettons aucunes violences. Nous sommes assez vengés de nos ennemis parleur propre conscience, et par ]a crainte dont ils sont lourmen-tc's à leur tour. Quand nous chercherions à nous venger, quels dédommagements seraient en propor-lion avec les maux qu’ils avoient cherché à nous faire? Pardonnons de bon cœur, puisque nous ne saurions être suffisamment vengés. C’est ainsi que nous nous élèverons au-dessus de ceux qui nous ont offensés. Montrons-leur quelle différence il y a entre les maximes que Jésus-Christ nous enseigne et la doctrine qu’ils ont reçue des démons. Faisons à Dieu le sacrifice de tous nos ressentiments, en reconnois-sauce de ses bienfaits..... Dieu n’a pas besoin du secours de ses serviteurs pour se venger de scs enne-mis; il a fait assez reconnoitre sa toute-puissance et sa justice par le châtiment de Julien. La mort de cet impie , voilà le trophée qu’il s’est érigé à lui-même ; monument plus glorieux , plus élevé , que les colonnes d’Hercule. Celles-ci, pour les voir, il faut les aller chercher dans la contrée lointaine où elles furent placées ; mais ici, tout l’univers a des yeux pour y voir l’éloquente instruction que Dieu donne à tons les hommes, de ne pas se révolter contre lui, pour ne pas s’exposer à un égal châtiment.
S. Grégoire , ordonné prêtre malgré lui , s’étoit retiré dans la solitude. Ramené à Nazianze , par les instances de son père et de saint Basile , il justifie son retour.
( Analyse. )
11 n’est rien de plus fort que la vieillesse ;rien d’en״aeeant comme l’amitié. Telles sont les douces, mais irrésistibles chaînes qui m’ont ramené près de vous. Je m’étois cru invincible dans mes résolutions, et attaché pour jamais au dessein qui m’avoit en-traîné dans la solitude. Je ne demandais au Ciel qu’un coin de terre où je pusse demeurer caché à tous les yeux. S’il y a moins de gloire , il y a bien plus de sûreté dans ce genre de vie. Songe agréable ! dont se berçoit ma pensée. Voilà que l’amitié et les cheveux blancs de mon père ont triomphé de moi.
Plus de résistance, plus de ressentiment. Ces mains, dont j’accusois la violence quelles m’avoient faite, aujourd’hui je les envisage avec calme. Je m’étois dit : Non , désormais je neveux plus croire à l’ami-tié. Tous les hommes sont trompeurs ; tous, hélas ! ne sont-ils point pétris du meme limon , tous péné-très des sucs d’un meme arbre empoisonné? H n’y a entre eux de différence que le masque. A quoi m’a servi cette amitié si tendre dont on parloit tant, où tout étoit commun entre nous : quand je ne lui dois pas même le !bible avantage de pouvoir rester dans mon obscurité? Tels ctoicnt les nuages que la tris-tesse répandoit sur ma raison. Maintenant je dois tenir un langage et plus vrai, et plus digne de nous. Ma bouche s’est réouverte à votre commandement, ô mon père ! La preuve de ma soumission est le dis-cours meme que je prononce en votre présence. C’est vous qui avez appelé Barnabé auprès de Paul, pour étendre, par mes foibles mains, le royaume de Jésus-Christ.
Il demande à Basile י par qui il a été consacré, les lumières de sou expérience dans l’exercice du saint mi-nistère.
( Analyse et extraits. )
Portrait d’un ami fidèle. C’est un éloge pour saint Gré-goire de Nysse.
L’objet du discours est la manière dont les chrétiens doivent célébrer les fêtes des Saints.
Purifions nos cœurs pour honorer les martyrs qui se sont lavés dans leur sang, et qui ont sacrifié leur vie pour confesser la foi de Jésus-Christ. Offrons au Seigneur nos corps comme une hostie vivante, sainte et agréable à scs yeux , pour lui rendre un culte raisonnable et spirituel. Combattons au nom de ces saints athlètes ; vainquons pour honorer leur victoire ; rendons, à leur exemple, témoignage à la vérité. Les combats qu’ils ont livrés doivent nous encourager à bien combattre, pour avoir part à leurs triomphes et à la gloire qu’on leur rend dans le ciel et sur la terre ; gloire qui n’est que bien foiblement représentée par tout ce que nous avons sous les yeux.....
« Les Juifs avoient des fêtes; mais dans l’esprit grossier et charnel qui régnoit alors, ils les solen-!lisaient pour la pompe extérieure, et seulement selon la lettre. Le Gentil avoit aussi ses solennités ; niais ses solennités ne se célébi oient que pour con-sacrer le vice et réjouir le démon. Chez les chré-tiens, où tout doit être spirituel, jusqu’au moindre mouvement des yeux, la manière de célébrer leurs fêtes et de récréer leur esprit doit être aussi spiri-tuelle (1). »
(1) Traduit par Molinier Serm. choisis, tom. 1v, pag. 32G.
« Il faut que l’on s’imprime dans l’esprit, dit. saint Grégoire de Nazianze, que tout ce que nous devons craindre, c’est de craindre quelque chose plus que Dieu. Hoc unum tmieamus ne quid magis quàm T)eum timeamus (2). »
(2) Traduit par La Rue, Carewe, tom. 1,pag. 406.
Exhortation pour conserver pur et inviolable , le dé-pôt de la foi, qui nous a été transmis par les Pères des temps apostoliques.
Intitulé l'Apologétique, parce que le saint justifie l’effroi dont l’avoit pénétré son admission au sacerdoce, d'autres disent sa promotion à l’évêché de Sazyme. Il fut prononcé en présence de saint Grégoire de Nazianze , père du théologien, et de saint Basile. Il demande à l’un et à l’autre leurs conseils pour son administration.
J’y remarque ces réflexions délicates, et qui sup-posent une science déjà consommée dans la direction spirituelle :
De meme que le soleil fait reconnoitre la faiblesse de la vue, ainsi Dieu^ quand il entre dans un cœur, lui fait sentir son infirmité. Pour les uns, c’est une lumière douce qui les éclaire et les échauffe ; pour les autres, un feu qui les brûle.
Quoique la sagesse n’entre point dans une âme mal disposée, on a cependant encore plus de peine à conserver sa vertu et à se modérer dans une haute dignité qu’à l’acquérir, tant les hommes sont foibles et inconstants dans le bien. La grâce même, et c’est ce qu’il y a de plus déplorable et de plus funeste pour nous, la grâce nous inspire quelquefois un orgueil secret et une folle vanité. Elle nous approche de Dieu et nous élève ; mais c’est souvent pour nous précipiter de plus haut, parce que nous n’appro-clions point de Dieu comme il faut, et que nous ne pouvons point porter le poids de notre propre grau-dear; de sorte que ce qui est bon et excellent en soi , se change pour nous en un poison mortel, et le crime augmente par l’endroit meme qu’il devroit être détruit. Ces réflexions me troublent ; elles me remplissent de crainte et de tristesse. Je ressemble , dans la nouvelle situation on je me trouve, à ces enfants que les éclairs éblouissent, età-qui ils eau-sent une certaine joie mêlée d’inquiétude et d’effroi.
S’adressant à saint Basile :
Montrez-nous la voie, marchez à la tête du troupeau et des pasteurs; nous sommes bien résolus de vous suivre. Enseignez-nous à imiter la charité qui vous anime pour vos ouailles , votre esprit de con-duite dans le gouvernement, le zèle infatigable que vous apportez à tous les besoins , l’empire que vous donnez à l’esprit sur la chair, cet heureux mélange de sévérité et de douceur, cette tranquillité dame que rien ne trouble , qualité peut-être la plus rare de toutes. Apprenez-nous à vous ressembler, et dans les généreux combats que vous a fait soutenir le salut de votre troupeau , et dans les victoires que Jésus-Christ vous a fait remporter. Dilcs-nous à quels pâturages, à quelles sources d’eaux vives, je dois mener le troupeau qui m’est confié, quels"sont ceux d’où je dois l’écarter ; dans quelles circonstances il faut employer ou la houlette ou la voix, le mener dans la prairie ou l’en tenir éloigné ; com-ment l’on doit s’y prendre, soit pour le garantir des attaques de l’ennemi des troupeaux, soit pour sc ménager avec les pasteurs de nos jours ; de quelle manière il faut s’y prendre pour fortifier ce qui est foible, relever,cc qui est à terre, ramener ce qui est égare , aller à la recherche de ce qui est perdu , conserver ce qui est sain.