Ce soni des conseils donnés, publiquement un jour de fête des martyrs , à Julien, collecteur des tailles (1) ; mais conseils piofitables à tous les chrétiens. Le premier, est celui de la discrétion à observer dans ses paroles. Il se propose lui-même pour exemple :
(1) Ami de saint Grégoire , et digne de !,être. ( Voy. Hermant, rie , toui. 11. pag. !4· )
Voyant qu’il m’étoit impossible de réprimer la témérité avec laquelle on se permet, la plupart du temps , de traiter, du ton le plus doctoral , les matières les plus relevées dans l’ordre spirituel, je tentai un autre moyen , que je crois en effet et plus simple et plus efficace, cc fut de garder le silence dans ces sortes de conversations, pour ap-prendre aux autres à se taire. Voici le raisonnement que j e me faisois à moi-méme : En supposant que ces personnes aient de l’estime et de la consi-dération pour moi, le respect les obligera à ne vouloir pas faire plus qu’un homme qu’elles regardent comme au-dessus d’eux. Si elles n’ont pas de moi une idée plus avantageuse que je ne mérite, elles imiteront du moins la réserve de leur égal. Voilà ce qui explique ma taciturnité habituelle.
Mais qu’arrive-t-il? 011 s’empare de moi ; on me presse en sens contraire, on me force dans mes re-tranclicments pour me contraindre à m’expliquer sur mes travaux. Une curiosité vive, qui se pré-tend avoir pour moi plus d’affection que je ne m’en porte à moi-même, m’interroge du ton le plus im-périeux, comme si l’on savoit mieux que moi quand il faut parler, ou bien quand on doit se taire.
Quoi qu’il en soit, je vais, puisque vous m’y avez contraint, vous tenir un langage qui vaut mieux que Je silence. Enfants des hommes ! vous dirai-je avec le prophète’, jusqu’à quand aimerez-vous la vanité et chercherez-vous le mensonge ? Vous croyez que la vie, les plaisirs, quelque ombre misérable de gloire et de puissance, le faux éclat des prospérités humaines soient quelque chose de bien désirable : Apprenez à les mieux connaître. Sont-ce là des biens qui appartiennent à ceux qui en jouissent? Non , pas davantage qu’à ceux qui les avoient espé-rés ; pas plus à ceux qui ne s’étoient jamais attendu à les posséder. Semblables à une vaine poussière que le veut dissipe, ils passent à celui-ci, à celui-là, pour se dissiper bientôt avec la rapidité de la fumée ou d’un songe illusoire qui s’évanouit au moment du réveil, fantôme qui échappe à la main qui va le saisir. Tant qu’on ne les a pas, on les espère ; à peine on les a, qu’on tremble de les perdre. N’apprcn-drons-nous donc jamais à connaître les vrais biens? Quoi! pas un regard, pas une pensée vers ce Ciel où réside la solide gloire et la vraie richesse; celle-là qui ne passe point, la vraie félicité qui ne finira point, et que rien ne menace? Quoi qu’il en dut couler, un tel bien ne mérite-t-il pas qu’on l’achète, meme au prix des plus grands sacrifices? S’il est des plaisirs que nous eussions espérés dans ce monde, n’en est-ce pas un que de prétendre à ceux de la vie future? Jetez les yeux sur les martyrs dont nous célébrons aujourd’hui la fete : qui leur a in-spiré l’intrépide courage avec lequel vous les voyez braver les־ chaînes, les instruments des supplices, l’aspect des bûchers, le tranchant de l’épée , la rage des animaux féroces, l’obscurité des cachots, les privations de toute espèce, la mort, en un mot, avec toutes ses tortures, et la mort endurée avec une sainte alégresse, comme s’ils eussent été supérieurs aux impressions de la nature ; et pourquoi ? Nous le savons tous. Animés des memes' espérances ; sous les yeux du meme juge et du même rémunérateur ; aux prises avec le même ennemi, l’implacable per-sécateur de nos âmes, qui ne se montre pas, mais qui nous attaque, non par un combat d’un 1110-ment, mais par de journalières hostilités; nous céderions en courage à ces glorieux confesseurs? Qui que vous soyez, hommes et femmes, jeunes ou vieux, riches ou pauvres, habitant des villes ou des campagnes, chrétiens de tout rang, de toutes conditions, tributaires des memes épreuves, ma voix vous appelle dans la lice. L’ennemi vous attend; point de lenteur, point de relâche. L’occasion per-due ne se répare point. La vie présente appartient au travail ; les récompenses, à l’autre. Vous avez entendu le Sauveur dire à ses apôtres, au moment de sa passion : Levons-nous et marchons ; et il le disoit à tous ceux qui aspirent à être ses disciples. Marchons à la suite de notre divin maître ; déta-chons-nous de cette terre d’illusion et de men-songe ; montrons que nous sommes d’une extrac-tion divine ; justifions notre sublime vocation. Faits pour le ciel, pourquoi ramper à terre? Dé-posons aux pieds de notre Dieu, les uns nos ri-chesses, les autres notre indigence ; ceux-ci, le talent qu’ils peuvent avoir pour la parole et le mi-nistère de l’enseignement : ceux-là, le silence delà discrétion, ou de l’humble docilité qui se contente d’écouter. Vierges, offrez-lui une chasteté qui ne réserve rien pour le monde; époux, des affections qui ne s’éloignent pas de Dieu ; pénitents, un jeûne sans pharisaïsme ; gens du monde, des tables d’où soient bannies l’intempérance et l’étourderie. Offrons-lui , les uns la régularité et la ferveur dans la prière et le chant des psaumes, les autres une assistance qui les rende secourablcs aux indigents ; tous , les larmes de la piété, les expiations de la pé-nilcnce, les saintes aspirations de lame qui veut se réunir à la patrie céleste. Il n’est point de don médiocre aux yeux du Seigneur ; tout sert à la construction de l’arche : ce n’est point la valeur du c]on י niais la disposition de celui qui donne, qui en fait le mérite.
Conseils de détails ; aux pécheurs, pour les réfor-iner; aux justes , pour exciter leur surveillance et leurs efforts , afin de tendre à une plus grande perfection ; aux laïques :
Brebis, n’ayez pas la prétention de paître les pasteurs, n’allez pas au-delà des bornes qui vous sont déterminées ; estimez-vous heureuses que vous ayez de bons pasteurs. Juges, ne prescrivez pas de loi aux législateurs. Savants, ne donnez pas une confiance présomptueuse à ce que vous avez de sa-voir et d’éloquence ; n’ambitionnez point d’avoir toujours raison, mais sachez quelquefois avoir tort, etc., etc.
Revenant à Julien : Il lui recommande la fidélité, !’humanité, la douceur dans l’exercice de sa charge, l’avertissant de s’y conduire comme un disciple de celui qui a bien voulu se faire homme pour nous , et être inscrit sui’ les rôles de la taille; de ne point ac-croître par de violentes exactions, le poids d’un office déjà si onéreux par lui-même , et qui étoit l’effet du péché du premier homme, par l’inégalité des conditions introduites dans la société humaine.
Viendra un autre rôle, un autre exacteur, devant Pag. !58. qui nous serons tous cités pour lui rendre compte de nos œuvres, tenant dans ses mains un registre rigoureux où est inscrit le nom de chacun de nous, sans égard ni pour la richesse de l’un , ni pour l’in-digence de l’autre ; auprès de qui, ni la faveur ni les préventions n’ont point d’accès, comme il n’arrive que trop souvent près des tribunaux humains.
Il termine enfin , en lui présentant les pauvres , les ecclésiastiques et les religieux, qu’il appelle les philo-soph es.
N’ayant rien en ce monde que leurs corps, et ne Pag. !59. les possédant pas meme en propre; rien qui soit de la dépendance de César , parce qu’ils ont tout donné à Dieu ; dont tous les bieus sont les hymnes, les prières, les veilles, les larmes, sorte de richesse qui n’est pas au pouvoir de la violence des hommes.
Eloges funèbres de son frère saint Césaire , et de sainte Gorgonie sa sœur. Renvoyés après les discours ascétiques.
Contre le schisme.
( Analyse et extraits. )
Grégoire le père, évêque de Nazianze, avoit eu, comme beaucoup d’autres , la faiblesse de signer la con-fession de foi de Rimini; et sa défection avôi't entraîné la plupart des ecclésiastiques de ce diosèse.Les autres refu-soient de communiquer avec eux. Grégoire le fils , qui pensoitàsa retraite, crut que le devoir !,arrêtait auprès de son père, pour travailler à la réunion des esprits. Il paroît que ses premières démarches ne furent point sans succès. L’union rétablie , il en expose les avantages dans ce discours. Il le commence par l’éloge de la vie soli-taire , qu’il regarde comme l’état le plus parfait du chré-tien sur la terre :
Là , dit-il, la vie entière se passe dans le jeûne, dans la prière et dans les larmes ; le silence des nuits n’est interrompu que par les soupirs de la péni-tence, ou par le chant des divins cantiques qui s’é-lèvent vers le ciel pour bénir la gloire du Seigneur, et répandre dans toutes les âmes les saintes ardeurs delà componction. Là, tout ]’extérieur répond à la tendre piété dont les cœurs sont enflammés : vête-ment simple : oubli de toute recherche, à l’imitation des apôtres; démarche grave, uniforme; dans les regards rien de dissipé; sourire gracieux, et qui ne permet pas au rire de s’échapper en éclats indis-crets; entretiens auxquels la raison préside, mêlés, quand il le faut, soit d’éloges qui encouragent au bien, soit de reproches sans aigreur, et de chari-tahles .avis préférables à la louange; heureux as-sortiment de condescendance et de sévérité, les charmes de la solitude dans une vie commune, et les secours d’une vie commune dans le sein de la retraite : ce qui n’est pas moins excellent, ce qui même l’emporte sur tous ces avantages, la vraie ri-chesse dans la pauvreté, la vraie possession dans le manque apparent de tout, la vraie gloire dans le mépris de la gloire, la force dans l’infirmité, la fécondité dans le célibat.
La faute de Grégoire le père n’avoit été qu’une sur-prise faite à la simplicité du vieillard. S. Grégoire le fait entendre :
Nous avons divisé Jésus-Christ, nous qui l’aimions tant ; nous nous sommes prêtés au langage du mensonge par respect pour la vérité, livrés à la haine par amour pour la charité ; et sous le prétexte de nous serrer contre la pierre, nous sommes allés nous briser contre elle.
Peut-être, ô mon Dieu ! aviez-vous permis nos dissentions, afin qu’elles nous fissent goûter mieux le prix de la paix. Tels que deux plantes unies à la même tige, que l’on veuille les séparer l’une de l’au-trc, elles reviennent bientôt à leur première direc-tion : ainsi, après un écart d’un moment, sommes-nous rentrés dans les anciens sentiments qui nous unissaient ; et notre éloignement n’a fait que nous rapprocher par des liens plus étroits.
Naguère l’union faisoit notre richesse comme notre force : c’étoit la gloire particulière de notre Eglise. Elle retraçait une image de cette arche où se conservaient les débris du genre humain, parce que les semences de la piété s’y trouvaient main-tenues fidèlement. Mais enfin nous étions hommes ; nous n’avons pu échapper aux perfides manœuvres de l’ennemi des âmes, ni à la contagion d’un mal déjà signalé par tant de ravages. Mais si nous avons succombé les derniers, nous avons aussi la gloire d’etre revenus les premiers.
Sans doute une division qui a pour principe le zèle de la piété et de la religion, vaut mieux qu’une criminelle union.
Il affirme que la dissidence qui a existé n’avoit point altéré l’unité de la foi , quant au dogme de la Tri-nité; qu’il n’y avoit eu là qu’une querelle de famille , • où des frères , animés des mêmes sentiments , se dis-putent l’héritage paternel , uniquement pour soute-nir leur droit ; que , jusque dans la chaleur des dissen-lions , on n’étoit point sorti des règles de la modération et de la charité, en sorte que la dissention elle-même avoit fait mieux encore ressortir la charité, la plus excellente des vertus du christianisme , comme elle est la première des prérogatives de l’essence divine.
Notre Dieu est essentiellement le Dieu de la paix et de la charité. C’csL là de tous ses attributs celui qui plaît davantage à son cœur; il aime à s’appeler le Dieu de paix et de charité, afin de nous avertir que c’est en pratiquant ces vertus que nous pou-vous nous en rapprocher de plus près. Parmi les anges, celui qui autrefois excita la sédition, qui voulut s’élever au-dessus du rang où il avoit été placé, et se révolter contre le Tout-Puissant, osant, selon ]’expression de !’Ecriture, prétendre parler son trône au-dessus des nues , fut puni comme il le méritoit. Son châtiment fut proportionné à son in-science ; condamné à d’éternelles ténèbres, devenu ange de ténèbres, il perdit tout l’éclat dont i] avoit été investi. Les autres conservèrent leurs glorieux privilèges, parce qu’ils sont pacifiques, ennemis de la discorde, ne formant tons ensemble qu’un seul et meme cœur... A l’image du ciel, le monde est entretenu en paix par les lois d’une constante harmonie. Quelle vienne à être troublée : les fléaux dévastateurs, produits par la vengeance divine, se répandent sur sa surface , et la consternation avec eux. Leçon terrible qui nous apprend combien nous devons estimer la paix !
!?histoire <lcs empires cl «les peuples , particulièrement du peuple Juif, fournit à saint Grégoire de non-veaux témoignages en faveur de sa proposition.
Depuis que leurs divisions, consommées par le plus détestable de tous les attentats, en ont fait la proie de leurs ennemis, quel épouvantable enchaî-nement de calamités !
Jérémie avoit déploré autrefois les maux qui étoient venus fondre sur eux durant leur transport à Babylone (1). Et certes, avec raison. Pouvoicnt-ils gémir trop amèrement sur la ruine des murailles de la ville sainte, la destruction de son temple, la pro-fanation de ses sacrifices et de ses riches orne-monts ; son sanctuaire, ou foulé sous les pieds ou exposé aux regards d’étrangers à qui l’accès en étoit interdit; la voix de scs prophètes réduite au silence, scs prêtres dispersés, ses vieillards livrés aux plus cruels traitements, ses vierges abandonnées à tous les outrages de la licence, sa jeunesse moissonnée dans sa fleur, ses maisons dévorées par la flamme, des torrents de sang inondant ses portiques; dé-pouillés du feu sacré et des victimes de la religion ; les accents du deuil substitués aux chants d’une pieuse allégresse; enfin, pour emprunter les paroles meme du prophète, l’or obscurci, changé dans un plomb vil, et les voies de Sion dans les pleurs, parce qu’elles étaient devenues désertes. A une époque plus récente, Jérusalem, captive dans l’enceinte de ses murs assiégés, avoit vu des mères déchirer de leurs mains les membres sanglants de leurs propres fils, pour chercher dans leurs entrailles palpitantes un remède à la faim (1). Pourtant ces horribles cala-mités !!’étaient rien auprès de celles qu’ils ont eu à souffrir, depuis que, subjugués par les Romains, ils ont été chassés de leur territoire. A qui s’en prendre, sinon à leurs divisions? L’univers tout en-tier est aujourd’hui témoin de leurs désastres ; ré-pandus et dispersés par tout le monde, ils n’ont plus ni cérémonies ni sacrifices; à peine existe-t-il encore quelques vestiges de l’ancienne Jérusalem ; pour toute consolation, ses infortunés habitants obtiennent à peine la permission d’aller pleurer sur ses ruines; et de leur gloire passée, il ne leur reste que la liberté de gémir publiquement sur leur so-litude.
(1) Bossuet, Disc, sur l’Hist.univ., 2e part., chap, vin, pag. 325, éd. in-4°. Paris, 1681.
(1) Joseph, De Bello Judaica , lib. m et vu.
Le saint docteur met à son éloge de la paix cette res-triction importante.
Je ne dis pas qu’on doive souscrire indifférerament à toute sorte de paix. Comme il y a des divi-sions utiles, on pourrait trouver aussi des espèces de paix très pernicieuses ; mais je parle de celle qui est louable, qui est fondée par de bons motifs, et (pii porte à Dieu. Je n’approuve point d’excès, pas plus d’un côte que de l’autre. Je ne veux, ni de l’indolence, ni de l’emportement. Faire grace à toutes les opinions , adopter tous les partis , marque d’un esprit sans reflexion ; comme aussi rompre avec tout le monde, âpreté de caractère et témérité. La mollesse et l’indifférence ne mènent à rien ; la versatilité, !’irrésolution, ne s’allient pas davantage avec l’esprit de charité qui doit unir tous les frères. Sitôt que l’impiété a levé le masque ; nul ménagement : ce que l’on doit faire, c’est de s’exposer à tout, à la mort même, plutôt que de se laisser atteindre par la contagion, et d’en paraître complice par aucune société avec ceux qu’elle a gagnés. Rien 11’cst à craindre, comme de craindre quelque chose plus que Dieu, et de trahir, par une perfide connivence, la cause de la foi et de la vérité, nous qui faisons profession de la défendre. Mais tant qu’il n’y a que le soupçon du mal, et que la peur que nous en avons n’est pas fondée sur des preuves certaines et indubitables; jusques-là, sachons employerles moyens de douceur, plutôt que de rien précipiter. Une indulgente rote-nue est préférable à la fougue et à l’entêtement; et il vaut bien mieux, en restant dans un même corps, travaillera se corriger mutuellement, comme étant membres les uns des autres, que de préjuger les choses par le fait d’une séparation, de risquer son autorité, à laquelle vous n’avez plus de droits quand on refuse de la reconnoitre, et de se voir obligé de descendre à une rigueur tyrannique, qui essaie vai-nement de conquérir, par la sévérité doses ordon-nances, une soumission qui ne se donne qu’à la charité fraternelle.
S’adressant à son père :
Vous voyez les fruits de votre religieuse et pater- Pag. 304· nellc indulgence. Regardez, et voyez autour de vous, vos enfants rassemblés; jouissez du spectacle que sollicitoicnt vos prières de nuit et de jour, celui de les voir réunis sous vos ailes.
Même sujet.
(Analyse et extraits.)
Où sont-ils, ces hommes dont les yeux toujours ouverts sur nous, s’inquiètent si sévèrement de ce qui nous arrive d’heureux ou de malheureux; dans la seule intention de nous censurer, non de nous juger? Avares de louanges, prodigues de reproches et d’insultes, ardents à dénaturer par leurs men-songes ce que nous faisons de bien, à exagérer, par leurs déclamations forcenées, les fautes qui nous échappent habiles à chercher dans nos torts ; l’excuse de tous ceux qu’ils se permettent. Si du moins ils pesaient les uns et les autres dans la balance d’une rigoureuse équité , nous profiterions, avec reconnaissance, d’une haine qui nous !־endroit plus circonspects. Mais l’excès même de leur injus-ticc ôte tout crédit à leurs arrêts, et leur juge-ment ne peut pas plus servir à leurs ennemis, que leurs calomnies ne peuvent nous nuire. Où sont-ils, ces détracteurs de la Divinité, comme de ceux qui la servent? Car la cause est la meme. Et ce qui re-hausse l’éclat de nos souffrances, c’est que, si nous sommes persécutés par eux, Dieu ne l’est pas moins que nous. Où sont-ils, ces hommes si complaisants sur leurs propres défauts, si impitoyables sur ceux des autres? Réussiront-ils encore ici à en imposer à la vérité? Qu’ils viennent parmi nous; qu’ils surmon-lent un moment leur répugnance, pour prendre part à nos secrets ; qu’ils viennent : nous ne crain-drons pas le témoignage de nos ennemis les plus implacables. Ils verront de leurs propres yeux, que du sein meme de notre infirmité d’un moment sont sortis les germes d’une vigueur nouvelle.
11 répète dans ce discours ce qu’il avoit affirmé dans le précédent, que la contestation survenue à Nazianze n'avoit point eu pour objet la foi de nos mystères que !’Arianisme seul altéroit par des blasphèmes directs.
11 ont mieux־ valu, sans doute, que celte ombre de dissention n’existât point. Notre erreur fut l’ex-cès de notre attachement pour notre pasteur, et de n’avoir pas su choisir entre deux biens, lequel étoit préférable, jusqu’à l’heureux moment où nous les avons enfin accordés l’un et l’autre. Voilà tout notre acte d’accusation : est-ce un tort, est-ce un mérite ? Qu’avec cela, l’on nous condamne, ou nous absolve; il n’en faut pas davantage à l’hérésie. Pourtant , nous ne pouvons lui accorder rien de plus. Mais elle a beau faire, toujours elle échouera contre la vérité. 11 ne nous a fallu pour arbitre , de notre différend , que nous-mêmes; nous n’en irons point chercher d’autres.
Réfutation de !’Arianisme et des erreurs de Sabellius. Elle se termine par cette invocation :
Trinité Sainte, adorable et patiente Trinité! ( combien vous l’êtes pour supporter si long-temps ceux qui vous divisent ! ) Trinité qui avez daigné me choisir pour être votre ministre fidèle, et venger vos mystères ! Trinité que tous reconnaîtront un jour, soit par votre manifestation, soit par vos ven-geances, faites que ceux qui vous outragent, se ran-gent enfin parmi vos adorateurs, que nous n’en perdions aucun, non pas même des moins considé-râbles; quand je devrais pour cela, être privé d’une partie de votre grâce, car je n’oserois pousser mon Rom. «.3. zèle aussi loin que ΓApôtre.
C’est dans ce discours (1) que se rencontre cette belle expression : que l’expérience est la maîtresse des témé-raires et des insensés (2).
(1) Pag. 102.
(2) A quoi Bossuet, après aioir cité ces paroles, ajoute : « C’est le tleruicr argument sur lequel Dieu les coin aincra. ·> ( Serm., tom. vi, pag. 70. ,
Même sujet.
( Extraits et analyse. )
Chère paix, dont le nom seul est si délicieux ! paix que je viens de donner à mon peuple, et que mon peuple m’a rendue à son tour, aimable paix, l’objet de tous mes vœux, mon plus beau titre de gloire, vous qui êtes l’ouvrage de Dieu, sa propre essence, puisque nous l’entendons s’appeler lui-même, dans ses saintes écritures, le Dieu de lapaix! paix enchanteresse, bien inestimable que tout le monde loue, et que si peu de personnes savent con-server! où vous étiez-vous retirée, pendant un si long-temps que vous étiez loin de nous? Quand re-viendrez-vous près de nous? De tous les cœurs qui sont sur la terre, il n’en est point qui vous désire avec plus d’ardeur que moi, vous recherche avec plus d’empressement, vous chérisse avec plus de tendresse quand nous jouissons de vous ; qui vous rappelle, quand vous nous fuyez, avec un plus vif sentiment de regret de votre absence. Ce sont alors les sanglots de Jacob , redemandant son fils Joseph, qu’il croit avoir été dévoré par une béte féroce ; couvrant de ses larmes sa robe ensanglantée ; ce sont les gémissements de David, pleurant la perte de son cher Jonalhas, exhalant sa douleur en imprécations contre les montagnes de Gelboë.
C’étoit assurément un spectacle bien lamentable, de voir l’arche sainte tombée au pouvoir des étrangers, le sol sacré où fut Jérusalem, foulé sous les pieds des infidèles, les nobles enfants de Sion traî-nés en exil, aujourd’hui encore, dispersés par toute la terre, errants dans tous les lieux du monde. Pourtant, ces calamités sont moins déplorables en-core, que celles dont nous sommes les témoins. Nous voyons nos cités renversées de fond en comble, d’innombrables légions dissipées et disparues, la terre gémissant sous le poids des cadavres amon-celés, une nation barbare (1) portant au loin ses excursions, et faisant marcher avec elle la dévasta-lion et la terreur ; non pas qu’il faille accuser nos Romains d’avoir reculé, car ce sont les memes hommes qui ont porté leurs armes victorieuses jus-qu’aux extrémités de la terre; mais leurs bras étoient enchaînés par la colère divine, qui ven-gcoitlcs outrages faits à l’adorable Trinité.
(1) Les Goths, rciniis aux Huns et aux Alains, pilloicut impunément la Thrace, el inenaçoient déjà Constantinople.
Certes, de pareils malheurs sont affligeants. II n’en est point qui le soient plus que de voir la paix bannie de nos égliges. La persécution nous avoit été moins funeste que la guerre intérieure que nous nous sommes faite à nous-mêmes... Les voleurs de profession, unis par le crime, vivent en paix les uns avec les autres ; nous, éternellement en guerre, rebelles à toutes les exhortations, nous ne savons que nous entre-déchirer. Disciples delà charité, nous ne professons que la haine. Tout cesse dans le monde, tout, excepté nos discordes. La source de nos animosités, quelle est-elle? L’amour de la do-mination, la passion des richesses, l’amour-propre, l’envie; et de Là, l’injustice et !’inconséquence de nos jugements. Tel homme étoit hier un modèle de toutes les vertus chrétiennes ; aujourd’hui, ce n’est plus qu’un composé de tons les vices; ce que l’on admirait en lui, devient tout à coup un sujet de critique et de blâme. La sévérité de notre discipline ne nous permet pas même les paroles oiseuses ; elle nous défend de révéler les choses cachées, quand elles violent la charité due à nos frères ; nous , nous les allons divulguer au grand jour, en présence des ennemis du nom chrétien , qui savent bien se prévaloir contre nous-mêmes de nos indiscrètes communications. Avec l’air d’y applaudir, ils se promettent bien de nous en punir, au moment où leur haine pourra s’exhaler. Ainsi, nous devenons la fable de tout cc qui nous environne.
Ce qui m’afflige, ce n’est pas l’invasion de nos églises; nos ennemis auront leur tour; après tout, Dieu n’est pas enfermé dans l’enceinte d’un édifice ; ni la perte des biens dont les autres abondent, notre Dieu ne se met pas à prix, ensorte qu’il n’y ail que les riches qui puissent y prétendre ; ni le déchaînement des langues envenimées, leur nature est de dire du mal et de répandre le fiel. Ce ne sont pas plus leurs calomnies que leurs suffrages qui m’empêcheront d’être ce que je suis. Car enfin, me dirai-je à moi-même : De deux choses l’une : ou cc que l’on dit est faux, et ne me regarde pas plus que le dénonciateur lui-même, quand même mon nom s’y trouveroit articulé ; ou bien il est vrai, alors c’est à moi, plu״ tôt qu’à lui, que je dois m’en prendre. Les discours que l’on lient ne sont pas la cause de mon déréglé-ment ; c’est moi qui leur ai donné occasion. Une fois qu’on les aura oubliés, je n’en serai pas moins cc que j’étois ; et je leur aurai toujours l’obligation de m’avoir excité à plus de surveillance. Et puis , un avantage bien plus précieux qu’ils nous procurent, c’est de nous donner quelque ressemblance avec notre Dieu , qui ne fut pas plus ménagé que nous.
Si du moins la calomnie s’arrêloit à nos personnes; mais la plaie la pins vive pour mon cœur, c’est qu’en nous attaquant, c’est à Dieu lui-même que l’on on veut, à l’auguste fondement de notre religion. On ne fait la censure de nos torts que pour combattre la doctrine que nous professons , confondant le minis-tre avec, son enseignement.
Exposé succinct des dogmes d’Arius, de Novation, de Sabellius, d’Apollinaire.
Ce dernier, qu’il ne nomme pas , n’avoit commencé que depuis peu à répandre ses erreurs qui consistaient à dire que Jésus-Christ n’avoit point d’âme , et que la di-viniléy suppléait; que le corps du Sauveur étoit venu du Ciel, et qu’il avoit passé par le sein de Marie comme par un canal.
Falloit-il (demande S. Grégoire , combattant cette nouvelle hérésie), quaprès avoir avoué que la divi-nité étoit unie, on divisât l’humanité?... Puisque ma chute fut entière, et que j’ai été condamné pour la désobéissance du premier homme, et par les arti-fices du démon , pourquoi ma rédemption ne seroit-elle pas entière? Pourquoi diminuer le bienfait de Dieu et l’espérance de mon salut?
Embrassons cette paix que Jésus-Christ, en quit-tant la terre , lui avoit léguée. Ne connaissons d’en-nemis que ceux du salut ; ne refusons pas le nom de frères à ceux même qui ne partagent point nos sen-liments ; s’ils veulent l’agréer de notre bouche. Fai-sons quelques sacrifices, s’il le faut, pour obtenir Je plus grand des biens, qui est la paix (1).
(1) Ailleurs il dit : Perdez quelque chose, puisque souvent on gagne en perdant, comme l’arbre qu’on émonde , et dont on retranche quelques branches , n’en devient que plus fertile. Car c’est faire un gain considérable que d’aequérir la paix, qui est un des plus grands biens de cette vie. ( In Tetrastico, pag. 156. )
Une grêle désastreuse (2), à la suite d’une épizootie et d’une sécheresse également funeste, donna occasion à ce discours.
(2) Les historiens en parlent comme d’un événement en effet extraordi-naire. (Socr., Hist, ecclés.. lib. iv, cap. xi. Hermant, rie de S. Grégoire, tom. 1, pag. 288·. )
( Extraits. )
Seroit-ce à Eléazar à parler en présence d’Aa-ion (3) ? L’éloquence du jeune prédicateur ressem-ble à un torrent passager qui bouleverse la terre , mais sans produit pour l’agriculture ; celle du vieil-lard, moins impétueuse, mais bien plus pénétrante, ressemble à ces pluies douces qui, tombant sans fra-cas , humectent les campagnes, s’insinuent profon-dément, et font mûrir les moissons. Le premier a peut-être flatté agréablement les oreilles de son au-ditoire ; a-t-il cessé de parler , tout est oublié avec l’orateur. L’autre a laissé les âmes pleines d’une onction celeste , el quelques paroles Ini ont suffi pour amener une abondante récolte.
(3) Son père présent, évêque de Nazianze.
Il conviendrait à mon père , plutôt qu’à moi , de parler dans cette circonstance. 11 nous apprendrait les causes du fléau qui nous afflige, les justes jugements de Dieu , l’alliance de la justice et de la miséricorde, les secrets de sa providence , que l’impie méconnaît, abandonnant à un hasard aveugle la conduite des choses d’ici-bas, et le profit que nous devons faire de ce châtiment pour notre instruction.
Quelle affligeante calamité nous présente la sé-cheresse de ]a terre et la perte de nos moissons à la veille de la récolte! Combien n’est-il pas désolant de voir le laboureur parcourant tristement ses campa-gnes ravagées, le fruit de ses sueurs avorté, cette terre que des rosées vivifiantes avoient fécondée , n’offrir plus que l’aspect d’un affreux désert ! Quelle hideuse nudité! Qu’est devenue cette brillante pa-rure qui ornoit nos campagnes? Je crois entendre le prophète Joël déplorer un aussi lamentable chan-gement, quand il s’écrioit : Hier un jardin de dé-lices, aujourd’hui un champ de carnage.
Oui, sans doute , un tel malheur accable, quand on ne voit que le mal présent, sans penser à de plus grands encore que l’on pourrait avoir à redouter ; comme dans les maladies, la souffrance actuelle est toujours celle qui paraît le plus sensible. On ne songe pas qui] est des maux à craindre el bien plus formidables, ceux que renferment les trésors de la colère divine. Ceux-là , plaise au Ciel, mes frères , que vous ne les éprouviez jamais ! el pour les éviter, pas d’autre ressource que de recourir à la divine miséricorde, d’en fléchir le courroux par les larmes de la pénitence. Auprès de ceux-là, ce qui vient de nous arriver n’est rien ; ce n’est qu’une épreuve nié-nagée par la miséricorde elle-même , un essai de châtiment, une correction paternelle qui nous est infligée pour ramener au devoir une jeunesse indo-cile; que le témoignage de la clémence cl de la bonté du Seigneur. Ce n’est là encore que la fumée du feu de sa colère , le prélude des supplices que préparent scs vengeances. Ce ne sont point encore là ces charbons allumés, ni ce feu dévorant, ni ces tourments extrêmes dont il nous menace , qu’il nous a fait déjà souffrir en partie, et dont il a ar-rêté le cours pour nous rendre sages par des me-naces, par des peines effectives, et par un mélange de douceur et de sévérité. Il commence par des pu-nitions supportables, afin de ne pas recourir à des châtiments plus rigoureux; viendront les remèdes plus violents , si les premiers ne suffisent pas. Je sais qu’il y a dans le Ciel un glaive étincelant, à qui rien ne résiste, et qui se repaît du sang des hommes et de leurs enfants , glaive exterminateur qui reçoit l’ordre de dévorer l’armée toute entière des Assyriens, qui perce jusque dans la moelle des os, atteint ]’ennemi dans sa fuite. Je sais qu’il est, dès la vie présente, des remords et des angoisses déchirantes, des épouvantes et des tremblements par lesquels l’impiété est souvent punie, sans parler de ces juge-ments réservés à la vie future, qui attendent le crime resté impuni durant celle-ci. Oh! combien il vaut mieux avoir à souffrir dans ce monde que d’etre ren-voyé à ce terrible avenir, qui appartiendra tout en-tier au châtiment, où il n’y a plus d’épreuves, plus de repentir ni de satisfaction! Le redoutable examen que celui où il nous faudra rendre compte de toute notre vie ; où l’on nous mettra sous les yeux et les crimes dont nous nous serons rendus coupables, et les bienfaits que notre ingratitude a méconnus !
Quelles excuses alléguer alors? Quels avocats en-treprendront notre défense? Quels détours, quels artifices emploierons-nous pour surprendre ce tribu-nal et pour éluder un jugement si équitable, où tout sera pesé dans une juste balance, nos actions, dos paroles, nos pensées ; où nos vertus seront confron-tées avec nos vices? Le plus fort emportera la ba-lance. L’arrêt prononcé: plus de ressource, plus d’appel, plus de recours à un tribunal supérieur, plus de moyens d’échapper au châtiment, plus d’in-termédiaire dont on puisse implorer l’assistance et intéresser les bonnes œuvres. Vainement les vierges folles sollicitent près des vierges sages quelque peu d’huile pour fournir de l’aliment à des lampes élein-tes ; vainement, du fond de ses gouffres enflammés, le mauvais riche demande que l’on envoie à ses proches un charitable avis de ce qui les menace comme lui ; vainement on ajourne dans l’avenir la réforme de ses mœurs. Plus rien qu’un tribunal redoutable, juste autant que terrible, disons mieux, d’autant plus terrible qu’il est juste.
Au moment où les trônes sont dressés, que !’Ancien des jours est venu s’y asseoir, que les livres sont ouverts, qu’un fleuve de feu commence à rou-1er, que se déploient, d’un côté, une éclatante lu-mière, et de l’autre une obscurité sombre ; ceux qui ont bien vécu s’avancent, ressuscités à la véritable vie; aujourd’hui cachés en Jésus-Christ, alors ma-nifestés avec lui. Ceux qui auront mal vécu parois-sent ressuscités aussi, mais pour subir ce fatal juge-ment qui nous est annoncé. Ceux mêmes qui refusent d’y croire portent au fond de leur conscience un pre-micr témoignage qui les condamne. En même temps qu’une lumière impossible à décrire inonde et pé-nôtre les élus, c’est la Trinité sainte elle-même qui verse dans leurs âmes toutes ses clartés ; ils plongent tout entiers dans le mystère de sa divine essence. Les réprouvés se sentent accablés sous le poids de celte pensée, qu’ils sont rejetés de Dieu ; et leur sentence d’une éternelle ignominie s’est à !’instant gravée dans leur conscience.
Voilà pour l’avenir. Dès maintenant, cpie devons-nous faire, dans l’absorhement où nous jette la ca-larnite dont le Seigneur vient de nous frapper? Comment répondrons-nous à son appel ? Qu’aurons-nous à lui dire, alors qnc, nous reprochant le double crime et de notre ingratitude, après tous les bien-faits dont il nous avoit prévenus, et de notre insen-sibilité à reconnoitre dans nos adversités les remèdes qui dcvoientnous guérir, il nous adressera ce langage : Que n’ai-je pas tenté pour me faire entendre de vous, et que pouvois-je faire de plus ? Falloit-il employer des moyens doux? Je l’ai fait. Je n’ai point changé en san״ les eaux de vos rivières et de vos fontaines, comme autrefois dans l’Egypte. Je n’ai point lait pleuvoir sur vos campagnes des nuées d’insectes dé-vorants. Ma colère n’est tombée que sur les animaux de vos prairies. J’ai ménagé les hommes, et n’ai sévi que contre les botes. Ce désastre ne vous a pas rame-nés ; il vous a laissés aussi stupides que les animaux eux-mêmes. J’ai enchaîné la pluie dans les nuages. Vos campagnes, desséchées , ont cessé de produire. J’ai envoyé la grêle à son tour. Pour vous châtier, j’ai ruiné vos vignes et vos moissons, sans pouvoir dompter votre malignité. Et moi-même, ômesfrè-res, peut-être le Seigneur, lassé de voir que tant d’épreuves dont il m’a frappé n’aient pas réussi da-vantage à me rendre meilleur . peut-être il m’adres-sera ces paroles : Ni les avertissements , ni les fléaux du ciel, n’ont pu amollir la dureté de votre cœur. Croyez-vous donc que mes trésors de colère soient épuisés? Détrompez-vous. J’en ai encore des réser-voirs tout pleins.......A Dieu ne plaise qu’à la suite de tous les malheurs dont nous sommes accablés, le Seigneur ait encore à nous adresser ces sanglants reproches! Je vous ai affligés par toutes sortes de maladies, et je n’y ai rien gagné. A dieu ne plaise que nous ressemblions à cette vigne plantée et entourée d’une forte muraille, fortifiée d’une tour, et munie de toutes les choses nécessaires à sa conser-vation , laquelle a été détruite et désolée parce qu’elle n’avoit produit que des épines. Voilà ce que j’appré-bonde. Détournons ce malheur. Adressons à Dieu cette prière : Seigneur, nous avons péché; nous avons vécu dans l’impiété, oublié vos commande-ments, méconnu les bienfaits et la voix de Jésus-Christ ; scs prêtres eux-mêmes ont prévariqué comme ]0 peuple.... Vous êtes bon, et nous sommes me-chants. Vous nous avez affligés par quelques calami-tés, quand nos crimes avoient mérité des châtiments sans bornes. Vous êtes le Dieu terrible. Qui résistera à votre puissance? Vous faites trembler les monta-gnes. Qui pourra soutenir la pesanteur de votre bras? Qui pourra ouvrir le ciel, si vous le fermez? Si vous en ouvrez les cataractes, qui les arrêtera ? 11 dépend de vous de nous faire riches ou pauvres, de nous faire mourir ou de nous rendre ia vie, de nous blesser et de nous guérir. Votre volonté est toujours cnicace. Vous êtes en colère et nous avons péché, disoit un ancien qui s’avouait coupable. Moi, renver-saut la proposition, je dis : Nous avons péché , et vous vous clés mis en colère. Vous avez détourné votre visai? e, et nous avons été couverts d’i״nomi-nie. Mais, ô mon Dieu ! apaisez votre colère, et soyez-nous propice. Ne nous abandonnez pas pour toujours, en punition de nos iniquités. Ne permettez pas que nous servions, par nos châtiments, de leçon aux autres peuples ; il nous doit suffire d’en prendre sur le châtiment des autres. Ne nous traitez pas comme les nations infidèles qui ne connaissent point votre nom. Souvenez-vous que nous sommes votre peuple, et l’héritage que vous Vous êtes réservé (1).
(1) lob. 11t. Psalm. cv,xx1, l, iaxmv, lxxvih, xlvi, lxxkviu.
De l'amour des pauvres.
( Extraits. )
Mes frères , mes compagnons d’indigence , car nous sommes tous pauvres, tous nous avons besoin que Dieu nous assiste , quelque prééminence qu*3, dans nos foibles vues, nous paraissions avoir les uns sur les autres : je viens vous entretenir d’un sujet qui n’est pas fait pour les âmes étroites et arides, mais qui intéressera les cœurs sensibles et généreux, de l’amour qui est dû aux pauvres. La récompense n’est rien moins qu’un royaume. Unissez tous vos prières aux miennes, pour que j’obtienne de ]a fa-veur du Ciel de n’être pas au-dessous de mon sujet. Demandons au Seigneur d’attacher à mes paroles la mémo vertu divine qu’à la voix de Moïse, quand autrefois il fit pleuvoir la manne ; qu’à la voix de Jésus-Christ, le vrai pain de vie, quand il rassasioit plusieurs milliers d’hommes dans le désert.
Le saint docteur compare ensemble les vertus chrétiennes, la foi, l’espérance, la charité ; assigne à cha-cune leurs caractères ; et avec l’apôlre , il donne la préférence à la charité comme étant le sommaire de la loi et des prophètes , le premier et le plus grand des comman-dements.
La charité se manifeste par la miséricorde envers les pauvres. Point de culte plus agréable au Sei-gneur... Le précepte qui nous recommande de nous réjouir avec ceux qui sont dans la joie , de pleurer avec ceux qui pleurent, nous ordonne en même temps de secourir les pauvres et de soulager les mal-heureux , de quelque nature que soient leurs maux, quelle que puisse être la cause de leurs soulfrances.
Ne sonïmes-nous pas hommes comme eux? lissant malheureux ; c’en est assez. Ils nous implorent en־ étendant vers nous des mains suppliantes, comme nous implorons la miséricorde de Dieu dans les be-soins qui nous pressent. Tous ont un droit égal à notre assistance; mais plus particulièrement ceux qui sônt moins accoutumés à la souffrance.
A la tête de cette classe de malheureux, sont les lépreux, de qui les chairs, dévorées par le feu qui les brûle, ne leur laisse plus qu’une ombre de corps.
Ce pauvre , l’image d’un Dieu ! Une aussi auguste ressemblance dégradée par l’abjection de la misère où il se montre à vos yeux ! Ce mystère vous étonne ; je ne le comprends pas davantage. J’ai peine à con-cevoir pour moi-mémo le secret de cette union de mon âme et de mon corps; comment il se fait que je porte sur tout mon être le sceau de la ressent-blancc divine, et que tout à la fois je roule dans la fange. Que ce corps soit en santé, il me fait la guerre ; qu’il soit malade , je languis avec lui. C’est tout en-semble un compagnon que j’affectionne, un ennemi que je redoute. Ce corps, c’est une prison qui m’e-pouvante, un cohéritier que je ménage. Si je l’affoi-blis par quelque excès, me voilà incapable de rien entreprendre de grand , bien que je sache parfaite-lement pour quelle noble fin j’ai été créé, à savoir pour le Dieu vers qui se doivent diriger toutes mes actions. Que je flatte ce corps, que je le traite avec trop de complaisance, il sc met en révolte , et mon esclave m’échappe. Arrêté à la terre par des liens qu’il n’est plus en mon pouvoir de rompre, et qui m’empêchent de prendre mon essor vers Dieu ; en-ncmi qui m’est cher, ami traître et dont je dois me défier, quelle union et quelle discorde à la fois ! On le craint et on l’aime. Par quel conseil, par quel secret motif fliomme a-t-il été composé de la sorte? Ne seroit-ce pas que Dieu auroit voulu humilier notre orgueil, qui se seroil emporté facilement jus-qu’à méconnaître notre Créateur , par la pensée qu’étant un écoulement de son être il peut nous être permis de traiter avec lui comme d’égal à égal? C’est donc pour nous ramener au sentiment de notre absolue dépendance, que Dieu a réduit nos corps à cet état d’une continuelle foiblesse qui le livre à d’éternels combats, balance nôtres noblesse par la bassesse , nous tient dans l’alternative de la mort ou de l’immortalité, selon l’affection qui nous en-traîne, ou pour notre corps, ou pour notre âme ; en sorte que si l’excellence de notre âme nous jette dans la vanité, le limon dont notre corps fut pétri nous ramène à l’humilité (1).
(1) üt quo,s tmaginîs Dei dignitas extulerit, pulvis eosdem déprimât. Parmi les nombreuses imitations, que celte belle pensée de saint Grc-goire a produites, nous indiquons celle qui se rencontre dans le sermon de Moliuier, pour le troisième dimanche de l’Avent. ( Serni. cfioisis, tom. nr, pag. 236, )
De celte haute méditation, l’orateur infère le devoir de soulager les malheureux.
Bien que ce corps soit mon plus dangereux en-nemi, je le chéris en considération de celui qui l’a uni à mon àme. Nous devons donc au corps de notre frère le meme intérêt qu’au nôtre. Nous ne faisons tous qu’un seul corps en Jésus-Christ qui est notre chef; nous nous devons à tous une même assistance, comme étant les membres du même corps.
Il parcourt les divers genres d’infortune qui peuvent affliger l’humanité; l’indigence, les maladies, fléaux d’autant plus déplorables qu’ils ne laissent plus d’amis , qu’ils éloignent souvent jusqu’à l’espérance, la dernière consolation des malheureux. Les abandonner, c’est re-noncer au pacte de famille ; c’est renoncer à son propre salut.
Ce qui le ramène à solliciter une commisération plus particulière en faveur des malades incurables, qui sou-vent quittaient le lit de la souffrance pour venir se pré-sen ter aux regards dans les places publiques ou à l’entrée des églises.
Vous êtes vous-mêmes les témoins de leur calamité. Vous avez sous les yeux un spectacle bien fait pour exciter toute votre sensibilité ; vous ne le croi-riez pas si vous ne le voyiez. Des corps qui semblent plus appartenir à la mort qu’à la vie, où il n’y a plus crue la moitié d’eux-mêmes, mutilés, défigurés au point de laisser douter s’ils furent autrefois des hommes ; débris misérables, qui ont besoin de citer leurs pères , leurs mères, leurs frères, leur patrie, sous peine de n’êlre pas reconnus. «Je suis fils d’un » tel, c’est une telle qui fut ma mère, je me nomme » un tel, vous étiez jadis de mes amis. » Sans cette explication , on ne les prendrait plus aux traits de leur visage pour des hommes. Sans argent, sans pa-rents, sans amis, ce ne sont plus que les restes d’eux-mêmes ; eux-mêmes ne savent pas s’ils se doi-vent ou plus d’amour ou plus de haine. Ils auroient peine à dire lequel de leurs membres ils doivent re-gretter , ou ceux qui sont déjà morts, ou ceux dont ils ont encore l’usage et que la maladie a épargnés. Si les uns ont été cruellement arrachés, les autres sont encore plus pitoyablement conservés; les uns sont morts avant que tout le corps périsse , et morts d’autant plus misérablement qu’ils ne peuvent en être détachés. L’unique sentiment qu’ils inspirent aux âmes les plus compatissantes, c’est l’horreur et l’aversion. Leur aspect nous fait oublier que nous avons un corps spjet à toutes sortes d’acci-dents. Pour eux, la nature elle-même est sans entrailles. Ce père, jusque-là modèle de tendresse, qui vovoit dans son fils la plus douce consolation de sa vieillesse, qui n’épargna rien pour son éduca-tion, le bannit désormais de sa présence, comme un étranger, et tout en versant des larmes, le chasse loin de ses regards. Sa mère, déchirée ainsi qu’au-trefois par les douleurs de l’enfantement, gémissant de sa fécondité!» pleure ce fils comme si elle ]’avoit perdu. Elle s’écrie : Malheureux! ne t’ai-je donné le jour que pour te voir ainsi livré ?1 la souffrance . le rebut de la société, traînant ta languissante vie dans les déserts, sans asile que parmi les animaux féroces? Pourquoi, dit-elle encore avec l’infortuné Job, pourquoi, ô mon fds, t’ai-je donné la nais-sance? pourquoi as-tu sucé le lait de ces mamelles? et pourquoi n’es-tu pas mort avant de naître ? Et en répétant ces accents lamentables, elle n’a que des larmes à donner à !’infortuné. Elle voudrait du moins le couvrir doses embrassements; une secrète lior-reur la repousse.
Ce n’est pas contre les méchants et contre les scélérats, c’est contre les malheureux que l’on s’em-porte; cc sont eux que l’on maltraite, eux que l’on persécute. Les assassins, 011 les accueille; les adulte-res, on les admet à sa table ; les sacrilèges, on en re-cherche la compagnie : les malheureux seuls, on les fuit, on leur fait un crime de'leur misère. On rou-git de sa compassion, 011 se fait un mérite de sa du-reté... Repoussés sans pitié des villes, des maisons, des assemblées et des lieux publics, des festins, à peine leur permet-on de jouir des éléments communs de la vie. L’eau même des fontaines leur est inter-dite ; 011 auroit peur qu’ils ne.l’infectent de leur haleine empoisonnée. Errants nuit et jour, sans asile, sans vêtements, couverts de leurs seules plaies, ils implorent à grands cris le secours du Dieu qui les créa. Ils imaginent des chants plaintifs pour réveil-1er la pitié, demandant pour toute grâce un morceau de pain, un peu de drap... On veut encore passer pour indulgent et pour généreux, quand on ne les accable pas de reproches et de mauvais traitements... Leurs gémissements sc mêlent aux chants de l’église : ces voix lamentables s’élèvent à l’encontre de nos cantiques...
A quoi bon, m’allez-vous dire, dans un jour de fêle étaler sous nos yeux d’aussi lugubres images ? Pour-quoi? Parce que je n’ai pu réussir encore à vous per-suader qu’une sainte tristesse vaut mieux qu’une in-discrète joie. Ces infortunés, vous avez beau ne pas le vouloir, ils sont nos frères, pétris du même limon que nous, comme nous enfants de Dieu, les images de Dieu, participant comme nous aux mêmes sa-crcments, appelés aux mêmes espérances ; peut-être même ont-ils su mieux conserver que nous l’em-preinte céleste de la main divine qui ]es a formés, plus fidèles que nous à ]a grâce de Jésus-Christ. Au-jourd’hui les compagnons de ses souffrances, un jour viendra qu’ils le seront de sa gloire... Voilà ce que Jésus-Christ leur réserve. Mais nous, nous chré-tiens, nous les disciples du maître miséricordieux qui a bien voulu s’assujétir à nos propres infirmités, imiterons-nous , à l’égard des pauvres, l’exemple de la commisération qu’il a témoignée à notre égard?Ou bien persisterons-nous à les accabler de nos mépris, ?1 les rebuter, ?1 ]es ranger dans la elasse des morts que l’on fuit avec horreur ? Ce n’est pas nous , du moins, nous, brebis fidèles du bon pasteur qui court après la brebis égarée, la charge sur ses épaules pour la ramener au bercail. Quoi ! nous les laisse-rions exposés aux intempéries de l’air , tandis que nous habitons des maisons commodes et magni-fiques , enrichies de pierres de toutes sortes de cou-leurs, 011 l’or et l’argent brillent de toutes parts , où les peintures les plus recherchées attirent et fixent ]es regards? Nous n’avons pas assez des maisons que nous occupons : il faut en bâtir de nouvelles; pour; qui? pour des héritiers , qui ne les posséderont pas; peut-être pour des étrangers, pour des envieux, pour des ennemis. Les pauvres mourront de froid sous leurs habits déchirés et sous les haillons qui les couvr('nt à peine; nous, nous traînons après nous de longues robes flottantes, tissues de lin et de soie! Les pauvres manqueront des aliments les plus nécessaires; et moi je nage dans les délices! Quelle honte pour moi ! quelle douleur pour eux ! Ils se-ront étendus à nos portes, languissants, expirant de besoin, ayant à peine la force d’exhaler des sons mal articulés , ne pouvant quelquefois ni étendre les mains, ni marcher pour se jeter aux pieds des riches, ni pousser des cris pour les émouvoir. Voilà dans quel état déplorable ils sont réduits ; et nous, nous dormons dans des lits voluptueux défendus contre les rayons du jour;... nous habitons des appartements parfumes d’essences précieuses, ta-pissés de fleurs que ]a saison a cessé de produire; nous répandons sur nos tables les parfums les plus exquis et les plus délicats, comme si notre courage n’étoit pas assez amolli déjà; entourés de jeunes esclaves efféminés, velus avec élégance, les cheveux épars et flottants d’une manière étudiée pour flatter davantage les impudiques regards qui s’attachent sur eux;... ces memes tables regorgent de mets, pour lesquels les éléments divers ont été mis à con-tribution ; et tout cela pour servir à l’avidité d’un ventre peu reconnaissant, béte insatiable et perfide qui sera bientôt détruite avec les viandes périssables qui lui servent de nourriture! Les pauvres s’estime-roient heureux d’avoir de l’eau pour se désaltérer ; et nous, nous buvons du vin avec excès, et meme après qu’on s’est enivré,... peu satisfaits si l’on ne fait venir des vins étrangers , comme pour insulter aux vins du pays ! Nous voulons paraître dégoûtés et délicats; nous faisons des profusions qui vont bien au-delà du nécessaire, comme si nous ci ai-gnions de n’étre pas encore assez esclaves de notre ventre et de nos appétits (1)
(1) L’éloquence moderne n’a rien produit de pins pathétique que ces tableaux et ces contrastes. On admire , avec raison, les belles exhorta-tions de Cheminais et de l’abbé Poulie sur Vaumône, le sermon de charité de l’abbé de Boismont : on oublie que notre saint évêque de Nazianze n’a laissé à ses successeurs, à Bossuet lui-même, que le mérite de le traduire, ou de le développer. S. Grégoire de Nysse , frère de saint Basile , et con-temporain de l’évêque de Nazianze, crut ne pouvoir mieux faire que de répéter presque mot pour mot cette éloquente homélie , dans son discours sur le précepte de la miséricorde envers les pauvres. Le P. de La Rue en a de même transporté les principaux traits dans son sermon sur l’aumône, ton!. 111, pag. 155.
Mes frères, mes chers amis ! voilà pour nos âmes des maladies Lien plus graves que celles dont les corps de ces malheureux sont affliges; car les nôtres, c’est nous qui nous les donnons à nous-meme ; eux ne sont pas maîtres de s’en affranchir. Eux, la mort les en délivrera ; nous, les nôtres descendront avec nous dans la tombe. Pourquoi donc ne profitons-nous pas du temps que nous avons encore pour sub-venir aux maladies diverses qui affectent notre condition mortelle? Pourquoi, tant que nous som-mes dans la chair, ne secourons-nous pas les foi-hlesses de ]a chair? Pourquoi, investis, comme nous le sommes , des misères de nos frères, ne sommes-nous occupés que de nos jouissances? Non, je ne consentirai pas à être riche , quand mes frères manquent de tout ; à soigner ma santé , que je n’aie soulagé les blessures de mon frère ; à m’asseoir près d’une table opulente, tandis que lui, il n’a pas un morceau de pain , pas un toit pour y dormir. Je ne vous demande pas de vous dépouiller de tout ce que vous avez pour marcher avec moins d’embarras à la suite de Jésus-Christ crucifié; du moins ce que'je vous demande, c’est de partager avec Jésus-Christ, si vous voulez que vos richesses possédées légitime-ment servent à vous sanctifier. Si vous semez pour vous seul, sans que les autres recueillent leur part de ce que vous aurez semé, votre terre ne produira pour vous que des ronces au lieu de froment, que des épines au lieu d’orge. L’expérience de tous les jours ne vous le dit-elle pas assez haut? Ce qui arrive à tant d’autres, ne peut-il pas vous arriver à vous-même? Voyez s’il est rien de stable et de per-inanent dans les choses humaines. Elles roulent incessamment emportées dans un tourbillon que rien n’arrête. Souvent dans un même jour, ali même moment, que d’effrayantes vicissitudes ! On se lia-sarde moins encore à compter sur l’inconstance des vents, que sur les prospérités de la terre. Eh? que ferions-nous si la prospérité nous accompagnoit tou-jours en ce monde; puisque toute fragile et incer-taine quelle est, elle sait si bien nous abuser par ses impostures, et nous assujettir aux biens présents, quelle nous empêche de penser à rien de plus solide et de meilleur ? Les plus sages sont ceux qui ne donnant point leur confiance aux choses présentes, établissent leurs espérances dans l’avenir, et trou-vent un fonds bien plus assuré dans la miséricorde.
Pourquoi donc cette mobilité des choses humaines , si ce n’est pour nous en découvrir le vide, et, par la considération de leur inconstance , nous amener à la pensée tic la vie future, comme clans un port qui nous mette ?1 l’abri des orages? L’unique avantage que nous donne la richesse, c’est le moyen de ra-chcter nos âmes par l’aumône , de gagner le ciel par le partage de nos biens avec les pauvres. Faites donc la part de votre âme, et ne bornez point votre affec-tion à la chair. Qu’il revienne quelque chose au Seigneur, et ne donnez pas tout au monde ; donnez quelque peu de chose à celui de qui vous avez reçu beaucoup; ou plutôt, donnez tout à celui qui vous a tout donne. Vous ne surpasserez jamais Dieu en ma-gnifîcence. quand vous lui sacrifieriez tous vos biens, et quand vous vous joindriez vous-même à ce sa-orifice, puisque se donner soi-même à Dieu, c’est recevoir un nouveau bienfait.Quoi que vous lui don-niez, vous serez toujours en reste avec lui ; et que pouvez-vous lui donner que vous ne teniez de lui ?
Enumération des bienfaits de Dieu dans l’ordre de la nature et dans l’ordre de la grâce. Digression sur l’éga-lité et l’inégalité actuelle des conditions. Ce sont les crimes de l’orgueil, de l’ambition , de l’avarice, qui l’ont introduite dans la société.
Réparez ce désordre par les bienfaits de l’aumône. Remettez l’homme en possession de sa noblesse ori-ginclle; respectez-vous vous-même dans votre égal. Effacez la tache qui flétrit ce membre de votre fa-mille. Vous qui êtes fort, tendez une main sccou-rable à celui qui est foible ; montrez-vous rcconnois-sant envers le Dieu qui vous a ménagé le bonheur défaire des heureux, d’exercer la miséricorde plutôt que d’avoir à l’inspirer. Soyez riche, non pas seule-ment par votre or, mais par votre charité ; méritez de paraître valoir mieux que les autres, dans ce sens que vous êtes phis bienfaisant ; devenez le Dieu des pauvres, en ressemblant à Dieu par la miséri-corde (1).
(1) Fac calamitoso sis Deus , Del misericordiam imitando. « C’est 1111 beau mot, quoique hardi ,que celui de saint Grégoire deNazianze :Faites en sorte que vous soyez Dieu au misérable, en imitant la miséricorde de Dieu. » (Beausobre, Serm., ton!, r, pag. 320. )
Le saint évêque insiste sur le devoir de visiter ]es malades.
Que de prétextes contre l’observation de ce devoir exagérés par une fausse délicatesse, par de prétendus motifs de bienséance, par la défense du médecin, par les objections des personnes qui vous entourent !
Saint Grégoire répond :
Personne, que je sache, ne s’est compromis pour avoir rempli cet office. Toutefois, en accordant qu’il y ait à cette inquiétude quelque chose de plausible : disciple de Jésus-Christ, et serviteur de Dieu, vous qui faites gloire d’aimer le prochain ! avec de la foi vous vous élèverez au-dessus de ces timides considérations. Entre !’humanité qui vous corn-mande, et l’intérêt personnel qui vous détourne, y a-t-il à balancer? N’attendez pas, pour apprendre combien l’inhumanité est criminelle, que vous en ayez besoin pour vous-même. Quoi ! le dernier des animaux qui périt sous vos yeux excite votre corn-passion : un homme vaut-il moins pour vous que cet animal?
Pourtant, il n’est que trop vrai : parmi les cliré-tiens eux-mêmes, il en est, et pouvons-nous le dire sans la plus amère douleur? qui portent l’oubli du précepte, jusqu’au mépris de toute humanité. Insul-tes, outrages contre les pauvres, reproches acca-Liants, rien ne leur coûte. « C’est Dieu lui-même, » vous diront-ils, qui les a jetés dans cette affliction. » Je lui dois ma prospérité , la misère de ce pauvre » est son ouvrage : Qu’ils s’en prennent à Dieu, s’ils » sont misérables. Qui suis-je, pour aller contre» l’ordre du Tout - Puissant, et vouloir m’en-» tendre mieux que lui en bienfaisance? » Homme cruel! vous n’avez de zèle pour Dieu, que quand il s’agit de garder votre or, et d’insulter aux malheureux. Votre prospérité, l’ouvrage de Dieu? Non, vous ne le croyez pas. Autrement, vous ne tiendriez pas ce langage. Savez-vous le secret de Dieu , pour prononcer que si ce pauvre est dans la souffrance, et vous dans l’abondance de toutes choses, il n’a pas des vues de prédilection sur lui, de justice sur vous ?Oui, certes, il en a : oui, les souffrances qu’il endure, Dieu les lui envoie pour donner à sa vertu un nouveau lustre, comme l’or s’éprouve parla fournaise d’où il sort plus éclatant; tandis que vous, s’il vous laisse dans la prospérité , attendez : Votre élévation même n’aura fait que vous préparer une chute plus déplorable.
Ne croyons pas que Dieu n’ait point ses desseins, parce que nous les ignorons. Et, sur le prétexte d’un désordre apparent, ne préjugeons pas les œuvres de sa providence. Nous sommes à l’égard des conseils de Dieu, ce que sont des malades qui s’imaginent voir tourner tout autour d’eux : le vertige n’est que dans leur tête. Un plus sérieux examen nous rameneroit à des idées plus saines. Ne soyons pas dupes des apparences. Ne prodiguons pas indifféremment ces mots de santé et de maladie, de richesse et d’indigence.
Je ne connois point de santé dans ce qui conduit à la mort du péché; de maladie, dans ce qui peut devenir l’occasion de la victoire. Dans ce malade que dévorent des ulcères rongeurs, mes yeux peuvent découvrir un Job, plus vigoureux que tous ceux qui sont dans la fleui’ de la santé; dans ce pauvre Lazare, le prédestiné qui voit sa place au sein d’Abraham, comme dans ces richesses d’iniquité, l’aliment des flammes vengeresses qui attendent le mauvais riche dans les enfers.
A l’appui de cette doctrine, saint Grégoire allègue les témoi2na2es de nos livres saints sur le devoir de l’aumône. Point de précepte dont la nécessité soit plus fré-queminent recommandée et avec plus d’autorité. Or-donnances, exhortations, menaces, promesses, exemples, tout est prodigué, pour laisser l’infidélité sans excuse. Les textes produits avec goût, sont discutés avec élo-quence.
!ן ne permet pas à la charité d’être simplement libé-raie; il veut qu’elle soit, déplus, bienfaisante, empressée, jamais chagrine dans ses dons. Il termine ce discours par ce mouvement :
Croyez-vous que l’aumône ne soit que de conseil, et qit’il n’y ait point de loi expresse qui l’ordonne? Je le voudrais : mais les menaces de l’Evangile m’épouvantent. Ces boucs qui seront à la gauche, les reproches insultants qui leur seront adressés, cette colère qui viendra fondre sur eux, et pourquoi? non pour avoir dérobé le bien d’autrui, non pour avoir profané les temples, commis des adultères, ou fait quelque autre action criminelle, mais seu-lement pour avoir négligé Jésus-Christ, en négli-géant les pauvres ; en faut-il davantage pour nous faire de l’aumône un rigoureux commandement?
Prononcé en présence du gouverneur de la province , à l’occasion de quelques soulèvements excités dans la ville de Nazianze. Ce discours présente d’utiles leçons sur la soumission due aux puissances , sur l’usage des adversités , et l’exercice du pouvoir.
( Extraits. )
Les choses humaines roulent dans un cercle continuel. Dieu se sert de moyens opposés pour nous instruire. Il a tout créé avec une extrême sagesse ; elle n’éclate pas moins , cette sagesse divine . dans Je gouvernement du monde et de nos affaires, quoique nous ne pénétrions point dans ses juge-ments, et qu’ils soient infiniment élevés au-dessus de toutes les vues de la prudence humaine. La sagesse divine est comme un centre immobile autour duquel roule tout l’univers d’une manière constante et régulière; mais nous ne sommes pas assez pé-nélrants pour démêler des mouvements si justes, et les ressorts de tant d’événements divers qui se montrent chaque jour à nos yeux. Les épaisses ténèbres qui nous offusquent , nous empêchent de pénétrer dans cet abîme des décrets de Dieu : ce sont des énigmes pour nous, et nous ne pou-vons comioître, que par conjecture, les raisons pourquoi il nous gouverne de la sorte ; soit qu’il veuille humilier notre orgueil, et nous faire coin-prendre combien nous sommes foibles et igno-rants en comparaison de cette sagesse éternelle ; soit qu’il veuille nous faire connoître qu’il est notre fin, et l’unique source où nous devons puiser des lumières pour nous éclairer, ou nous attacher aux biens sol ides et éternels, après que nous aurons connu !’inconstance et la vanité des biens sensibles. Rien qui soit fixe et permanent; rien qui se ressemble constamment à soi-même, ni la joie ni la tristesse, ni l’abondance ni la pauvreté, ni la force ni la foi-blesse, ni la santé ni la maladie, ni le présent ni l’avenir. Rien ici-bas de constant que l’inconstance. L’envie fait le contre-poids de la prospérité ; la mi-séricorde, la compensation de l’infortune. Sage économie, qui ne laisse pas l’adversité sans dédom-magement, ni la prospérité sans instruction ! Pensons à la tempête durant le calme ; et quand l’orage gronde, pensons à celui qui tient le gouvernail.
Parmi les avis excellents que saint Grégoire adresse aux magistrats, et en particulier au gouverneur de la province, nous distinguons ceux-ci :
Vous partagez avec Jésus-Christ l’emploi que vous exercez; c’est de lui que vous tenez l’épée, et vous devez vous en servir plutôt pour effrayer et vous faire craindre que pour frapper... Vous êtes l’image de Dieu, mais nous le sommes aussi. La vie présente n’est qu’un passage à une autre, où nous allons tous nous rendre après une apparition d’un moment dans cette terre d’exil, d’épreuves ou d’il-!usions. Il n’y a rien dans l’homme qui le rapproche plus intimement de la Divinité, que de faire du bien : il ne tient qu’à vous de vous élever sans peine à la par-ticipation des divins attributs... Unissez la clémence à la sévérité ; tempérez la crainte par l’espoir... Ac vous permettez jamais rien qui déroge à la dignité de votre commandement... Aimez à faire grâce pour en obtenir vous-même. Serai-je parvenu à vous in-téresser par ce discours, vous qui, plus d’une fois , avez témoigné m’entendre avec quelque bienveil-lance, ô le plus illustre de nos magistrats ! et il ne tient qu’à vous que j’ajoute : et le plus clément. Oserai-je, à défaut de requête, vous présenter mes cheveux blancs, et cette longue suite d’années pas-sées dans les laborieux exercices d’un ministère rempli sans reproche, auquel les Anges eux-mêmes, ces pures, ces célestes intelligences, ne refusent pas l’hommage de leur vénération? Cette image produit-elle quelque impression sur votre cœur? ou bien dois-je ajouter autre chose? Eh bien ! la dou-leur me rend entreprenant. Je vous présente Jésus-Christ, scs anéantissements, les souffrances qu’il a bien voulu endurer, sa croix, scs clous par lesquels il nous a affranchis du péché, son sang, son tombeau, sa resurrection, son ascension, cette table eucharistique dont nous approchons tous pour coin-munier, ces paroles et ces mystères du salut qu’ex-prime la meme bouche dont les sons frappent en ce moment votre oreille, avec elles le sacrifice au-guste qui nous transporte aux pieds du trône de Dieu. Je vous laisse en présence de Dieu et de ses Anges, avec tout ce peuple qui s’unit à mes suppli-cations. Vous avez dans le Ciel un maître qui vous jugera, comme vous aurez jugé ceux qui sont soumis à votre juridiction.
Suivent, depuis le Discours xvne jusqu’au xxv!e, divers panégyriques et oraisons funèbres renvoyés après les discours de pieté.
Sur la modération dans les disputes , particulièrement celles qui intéressent la religion.
( Extraits. )
Qe ״e sont pas tpordinaire les esprits médiocres qui excitent les divisions dans !’Eglise : ce sont des hommes d’un caractère élevé, mais bouillant et impétueux, qui ont causé les tempêtes dont nous sommes aujourd’hui tourmentés (1). Non pas que je prétende condamner cette magnanimité et celle noble ardeur qui conviennent si bien à des chrétiens, et sans laquelle il est impossible de rien faire d’heroï-que dans la religion, ni même de pratiquer digne-ment aucune vertu; je veux dire seulement, qu’ils se sont livrés sans lumières, à l’impétuosité de leur tempérament, et qu’ils ont joint à ce défaut de lu-mières, une hardiesse inconsidérée. Car celte sorte de hardiesse est toujours l’effet de l’aveuglement et de l’ignorance.
(1) On peut voir la belle application que Bossuet a faite de celle pensee et des expressions de saint Grégoire de Nazianze, dans son Oraison funèbre du grand-maître de Navarre, Nicolas Cornet. OEuvres complètes , édit. de Paris, 1 ?.!3, in-/,0, vol. via, pag. 392,
J’avoue donc que la générosité et la grandeur de courage est un puissant secours pour la vertu ; et qu’une âme foible et trop abattue tombe dans une espèce d’engourdissement, où elle n’est point ca-pable de se porter aisément ni au bien ni au mal. Si le cheval n’est ardent et plein de feu, il ne sauroit être propre à remporter la victoire. Mais aussi, de même que si l’on veut l’employer avec succès dans les courses du cirque, ou dans les batailles, il faut que son ardeur ait été domptée et accoutu-mée à souffrir un frein, il faut de même que le courage, pour être propre aux grandes actions, soit réglé et conduit par une raison supérieure. Au-trement, loin d’être utile, il deviendra aussi per-n ici eux qu’il auroit pu être salutaire.
C’est là, en effet, ce qui a le plus souvent déchiré les membres de Jésus-Christ, soulevé les frères contre les frères, bouleversé les villes, répandu un esprit de fureur parmi les peuples, armé nations contre nations, rois contre rois , les prêtres contre les peuples et les peuples contre les prêtres, les pères contre leurs enfants et les enfants contre leurs pères, les maris contre leurs femmes et les femmes contre leurs maris. C’est là ce quia détruit et anéanti tousles noms et tousles titres qui servoientà cimen-ter !’union et la concorde parmi les hommes; c’est là ce qui a confondu les personnes libres et les esclaves, les maîtres et les disciples, les vieillards et les jeunes gens ; c’est là enfin ce qui a violé toutes les lois de la pudeur, et a donné un cours effréné à l’audace et à la licence.
De sorte que ce n’est plus aujourd’hui cette divi-sion que l’on reprochoit aux Juifs, de tribu à tribu; ce n’est plus Israël et Juda, ni le partage d’un seul peuple en deux ; c’est le partage et la dis-corde de toute la terre, et de tous les hommes divisés par maisons, divisés par familles, divisés enfin avec eux-mêmes, et cela dans toute l’étendue du christianisme, et partout où la lumière de ΓΕ-vangile a pénétré. Ce qu’il y avoit en nous de plus fort a été brisé. Nos os mêmes, qui faisoient l’appui et le soutien de notre corps, ont été mis en pièces ; nous nous voyons enfin aux approches du tombeau.
Falloit-il donc, quaprès avoir triomphé de tous nos ennemis; devenus semblables à des fanatiques qui déchirent leur propre chair, et qui se dévorent de leurs mains, nous, fussions nous-mêmes nos propres destructeurs? L’orgueil de dominer a pro-duit l’anarchie, où l’on ne sait plus ni commander ni obéir.
Insensibles à nos maux, mettant à nous rendre malheureux plus de plaisir que les autres à jouir des douceurs de ]a paix, nous croyons dans notre Ivresse rendre à Dieu le culte et les hommages qui lui sont dus, en nous consumant ainsi les uns les autres.
Ce n’est point ici ce glaive évangélique, qui sépare le fidèle de l’infidèle, ni ce feu que Jésus-Christ est venu apporter sur la terre, qui purifie l’homme, et qui le consacre à Dieu ; c’est le glaive de la discorde et de la fureur, c’est le feu et fin-cendie de toutes les passions.
Qu’est-ce donc qui a provoqué ces coupables fureurs? La cause en est dans l’excès d’un zèle que la science n’éclaire pas, et sur qui, par conséquent, la raison n’a plus d’empire. La foi sans boussole n’est plus, en ce cas, qu’un vaisseau sans gouvernail.
Gardons-nous bien, mes frères, d’être lâches et indolents où il s’agit de notre devoir. Ranimons en nous, lorsqu’il est question de faire le bien, la fer-veur de l’esprit, et craignons de nous endormir dans un sommeil de mort, à la faveur duquel, l’ennemi viendrait semer son ivraie; car !’effet de la !achète et de la paresse, c’est de conduire à un assoupissement mortel. Mais aussi ayons soin de demeurer dans les bornes do la sagesse et de la discrétion ; et soyons persuadés qu’un zèle emporté est la fatale production de l’aveuglement, et de l’amour déréglé de soi-meme, et qu’il n’est propre qu’à nous écarter de la voie étroite de la justice et de la vérité, et qu’à nous jeter dans celle de la perdition.
Que l’on ne puisse pas nous reprocher d’etre des lâches qui aient besoin d’etre poussés avec l’éperon , ou des impétueux qu’il faille retenir par un frein. Renfermons-nous en toutes choses dans un juste mi-lieu, et suivons le précepte du Sage, qui nous défend de nous tourner ni a droite ni a gauche. S’il parle de la sorte, ce n’est pas qu’il condamne ce qui est véritablement droit de sa nature ; il le loue au con-traire, et il déclare que les voies droites sont celles que Dieu approuve, et les gauches, celles qu’il rc-jette. Ce qu’il condamne, c’est cette droiture fausse, apparente, et qui n’est telle que dans l’imagination. C’est pour cela qu’il s’exprime encore ailleurs en ces termes :Ne soyez pas trop juste, ni plus sage qu’il n’est nécessaire. Ainsi, comme il y a certains excès à craindre, même dans tout ce qui semble sagesse et justice, il y a pareillement certaine ardeur immo-dérée à éviter, soit dans nos paroles, soit dans nos actions, lors même que nous prétendons faire le bien. Que personne ne soit donc plus sage qu’il ne convient de l’être, ni plus juste que la loi, ni plus brillant que la lumière, ni plus exact que la règle, ni plus parfait et plus pur que le précepte divin.
Le saint évêque établit éloquemment la nécessité de l’ordre, tant par les funestes conséquences qui naissent du défaut de subordination, que par le tableau des avau-tages et des agréments qui résultent du bon ordre et du bel ensemble des parties.
Levez les yeux au ciel, contemplez la terre, con-sidérez comment toutes les parties de cet univers ont été rassemblées ; rappelez-vous leur origine, figurez-vous ce quelles étoient, avant que ce bel ordre y régnât, souvenez-vous du nom que nous donnons à ce merveilleux assemblage de tous les êtres (1). C’est l’ordre qui en a formé l’arrangement et la structure admirable; et cet ordre, c’est le Verbe, la sagesse éternelle de Dieu. Il étoit le maître de produire, s’il eut voulu, toutes choses dans le même moment ; car ayant pu tirer du néant, orner et embellir tant et de si beaux ouvrages, il avoit bien le pouvoir de les créer tous, tout à la fois. Mais il a voulu les produire successivement, afin de faire briller sa sagesse parmi toutes les créatures , A mesure qu’elles paroi troient.
(1) Allusion au mot grec qui signifie le monde, Γunivers, et en même temps , ordre, ornement, beaute'.
C’est doue l’ordre qui a tout réuni, tout rassem-blé, et qui maintient encore actuellement toutes choses, les terrestres et les célestes, les visibles et les invisibles. L’ordre règne parmi les coeurs des anges ; il brille dans le mouvement des astres, dans leurs grandeurs, dans leurs influences, et dans leurs differents degrés de lumière. Car le soleil a son éclat, la lune le sien, et les étoiles le leur; et entre les étoilesj l’une estplus éclatante cpie l’autre-, L’ordre paroît dans le cours des saisons, et des différentes parties de l’année, où l’on voit que ce qu’il y a de trop rude dans les unes, est corrigé et tempéré par la douceur des autres. Il y a de l’ordre dans les intervalles si bien proportionnés du jour et de la nuit, et parmi tous les éléments dont les corps sont composés.
C’est l’ordre qui a construit ces voûtes azurées, qui a étendu l’air, qui a affermi la terre sous les astres brillants qui l’éclairent, ou plutôt qui l’a suspendue au milieu de la vaste étendue des cieux. C’est l’ordre qui a donné leur fluidité aux eaux, et les a rassemblées dans cet océan immense. C’est l’ordre qui modère le souffle impétueux des vents , empêche qu’ils ne ravagent la terre et ne détruisent le genre humain. C’est l’ordre qui soutient les eaux au-dessus des nues, qui les dispense avec mesure, et les fait servir à arroser, dans les temps marqués , la surface de la terre.
Toutes ces merveilles qui éclatent dans l’univers, sont l’effet de ce bel ordre qui y règne. C’est le meme qui s’est manifesté constamment durant la longue succession des siècles qui nous ont précédés.
Malgré l’inconstance d’une nature où tout est dans une agitation perpétuelle, elles subsistent de-puis la création dumonde, toujourslcsmémes; et c’est la puissance constante et immuable du Verbe divin, l’ordre primitif et essentiel, qui les fait subsister. Il a établi toutes choses, et toutes choses demeureront éternellement en l’état où il *veut les maintenir. Il a prescrit sa loi aux créatures j et elle ne manque point de s’accomplir. Il est lui-méme cette loi qui, n’ayant jamais commencé d’etre, est toujours vivante et subsistante ; au lieu que ce qui a eu commencement ou qui doit l’avoir, n’a et n’aura rien de stable par soi-méme, condamné à tomber continuellement en décadence.
Aussi, là où règne l’ordre, tout est d’une beauté parfaite , inaltérable ; où il ne. règne pas , tout est plein de difformité, tout est dans le trouble et la confusion.
C’est le désordre qui produit les tonnerres dans l’air, les tremblements dans la terre, les naufrages sur ]a mer, les dissensions dans les maisons, les guerres civiles dans les villes, et les péchés dans les âmes. Cette destruction future du monde, dont toutes nos Ecritures retentissent, et que nous atten-dons, que sera-t-elle autre chose qu’un désordre universel qui déconcertera toutes les parties? Dés-ordre, qui arrivera au moment où il plaira au sou-verain architecte de l’univers de tout détruire, ou plutôt de tout changer en mieux, et de faire bril-1er avec encore pins d’éclat sa gloire et sa magnifi-cence dans le renouvellement de toutes choses.
N’est-ce pas l’ordre qui a appris aux animaux mêmes les règles qu’ils observent si exactement, soit pour se loger, soit pour se nourrir? N’est-ce pas lui qui dispose souverainement de tout, et qui gouverne les plus petites choses comme les plus grandes, par des lois sûres et invariables?Nous ne voyons pas que la lune éclaire durant le jour, ni que le soleil vienne à paraître sur l’horizon pendant la nuit. Les hautes montagnes , dit le Psalmiste, servent de retraite aux cerfs, et les rochers aux héris-sons. IL a fait la lune pour marquer les temps j le soleil connoit le moment auquel il doit se coucher ; les ténèbres ont été répandues sur la terre , la nuit a été faite, l’homme s’est retiré pour prendre son repos ; et c’est durant la nuit que toutes les bêtes des campagnes et des forêts ont erré librement pour chercher la nourriture qui leur est destinée par le Créateur. Le soleil s’est ensuite levé , et aussitôt ces bêtes■ se sont toutes rassemblées pour se retirer et s3aller coucher dans leurs retraites. Alors ΐhomme est sorti pour aller a son ouvrage et travailler jusqu’au soir. Ainsi s’écoule la vie présente. Ces alternatives réglées en adoucissent les peines et les ennuis, et sont l’effet de cet ordre admirable qui règne dans toute la nature.
J’ajouterai quelque chose de plus merveilleux et qui nous intéresse tous personnellement. C’est l’or-dre qui a formé l’homme, ce composé de deux substances de nature si différente, et qui a uni par des nœuds secrets et ineffables le corporel au spiri-tuel, la terre à l’âme, et l’âme à !’Esprit(1). Et, ce qui est encore plus surprenant : l’homme, ce chef-d’œuvre de la divine sagesse, passe avec le temps et tombe de jour en jour en ruine ; et cependant il est toujours conservé. Les particuliers disparoissent continuellement de dessus la terre pour faire place à d’autres. C’est comme un flux et reflux perpétuel ; et au milieu de ces grandes révolutions, le corps du genre humain subsiste toujours en entier. Ceux memes qui semblent périr, ne sont jamais plus vivants que lorsqu’ils sont sortis de cette vie : et c’est par la mort qu’ils parviennent à l’immortalité. Tant de prodiges sont encore les effets merveilleux de l’ordre.
(1) C’est-à-dire au Saint-Esprit, selon l’interprétation d’Elie de Crète. ( S. Gregor, oper., edit. Bill., tom. 11, pag. 8<p. )
C’est l’ordre qui nous a distingué du reste des animaux, qui a bâti les villes, établi des lois, atta-cbé les honneurs a-la vertu, des peines aux crimes, inventé les arts, formé les mariages, uni les cœurs par une affection mutuelle, cimenté la société hu-maine, inspiré aux pères cet amour tendre qu’ils ont pour leurs enfants, et aux enfants l’amour réci-proque qu’ils ont pour ceux dont ils tiennent la naissance. Bien plus, c’est l’ordre qui a allumé dans nos cœurs le céleste feu de l’amour divin : amour qui est quelque chose de si grand , de si élevé au-dessus de tout ce qui est purement humain.
Mais qu’est-il besoin d’entrer dans tous ces dé-tails ? L’ordre est le père et le soutien de toutes cho-ses : seul vraiment digne, si nous voulons le faire parler, de tenir le langage que !’Ecriture attribue au Verbe divin : Lors, dit-elle, que Dieuproduisait le monde y et qu’il le droit du néant ,je lui étais présent, et j’arrangeais avec lui toutes les créatures , à mesure qu’elles sortaient de la confusion et du cahos ; lors-qu’il plaçait son trône au-dessus des vents, et qu’il affermissait les nues ; lorsqu’il jetait les fondements de la terre, et qu’il communiquait par son souffle la ,vertu et la fécondité à toutes les créatures } j’étais avec lui, et je réglais toutes choses.
Et pour venir ?1 mon dessein principal : c’est l’ord re établi dans !’Eglise qui fait que les uns sont au rang des brebis, et les autres au rang des pasteurs ; que ]es uns obéissent, et les autres commandent ; que l’un est comme le chef, etles autres comme les pieds, les mains, les yeux, ou quelques-uns des autres membres, qui concourent tous au bien et l’har-monie parfaite de tout le corps.
On ne voit point que les membres qui composent ]e corps humain soient jamais en guerre et en divi-sion ; ils sont au contraire toujours parfaitement unis. Tous n’ont pas la meme fonction; mais c’est cette diversité mémo de fonctions qui, loin d’altérer en eux la concorde et la paix, sert à les cimenter, par le besoin qu’ils ont d’entretenir ensemble une mu-tuelle corrcspondance.L’oeil ne marche point, mais il montre le chemin ; le pied ne voit point, il marche ; la langue n’entend pas les sons, c’est l’office des oreilles; celles-ci ne parlent point, c’est la fonction de la langue ; le nez est l’organe de l’odorat : le palais, selon l’expression de Job, juge des viandes par le goût ; la main prend et reçoit ; et l’âme commande à tout le reste : elle est le principe du sentiment, et tous les sens se rapportent à elle.
C’est ainsi que tout est réglé parmi nous; je veux dire, dans le grand corps des fidèles, qui s’étend par toute la terre, et qui est le corps même commun et universel de Jésus-Christ. Nous y sommes tous membres de Jésus-Christ, et membres les uns des autres. Tous n’y ont pas la même fonction ; car les uns commandent et les autres obéissent ; les uns gouvernent cl les autres se laissent conduire ; tous cependant n’y sont qu’un, en un seul Jésus-Christ; et c’est par l’influence d’un seul et même Saint-Esprit, que tous, dans leurs differents étals, sont liés ensemble, avec une si juste proportion, et con-sommés en l’unité.
Et même, comme il y a de grandes differences parmi ceux qui obéissent, eu égard à l’âge, à la doctrine, et à l’expérience de chacun, il y en a pareillement de fort grandes parmi ceux qui commandent. L’Apôtre nous déclare que les esprits des prophètes sont soumis aux prophètes. Il dit ailleurs que Dieu a. donné a son Eglise } les uns pour être apôtres , les autres pour être prophètes, les autres pour être évangélistes , et les autres peur être pasteurs et docteurs. Les premiers sont comme les appuis et les colonnes de la vérité ; les seconds ont été chargés de l’annoncer par des figures; et les derniers doivent la manifester dans un plus grand jour, mais néanmoins avec mesure et discernement, et en proportionnant toutes choses aux divers besoins de ceux qu’ils veulent éclairer.
L’Esprit qui nous anime tous, est donc en tous un seul et même Esprit ; mais tous n’étant pas des vases propres à le recevoir dans la même plénitude, ses dons sont differents. L'un reçoit de ce divin Esprit le don de parler de Dieu avec une haute sagesse ; un autre reçoit du même Esprit le don de parler aux hommes avec science ; un autre reçoit le don de la foi j par le même JE sprit ; un autre reçoit du même Esprit la grâce de guérir les maladies ; un autre, le don défaire des miracles; un autreג le don de prophé-tie ; un autrej le don du discernement des esprits ; un autreג le don de parler diverses langues ; un autre, le don de Vinterprétation des langues. C’est ainsi que !’Esprit, qui opère tout en tous, distribue différera-ment ses dons, et qu’il les proportionne à la foi de ceux qui les reçoivent, plus ou moins excellents, selon que cette foi est plus ou moins grande.
Respectons, mes frères, et conservons cet ordre divin et cette admirable économie ! Que l’un soit la langue, l’autre la main ou quelque autre membre ; que l’un enseigne, et que l’autre apprenne que l’un travaille de ses mains pour avoir de quoi donner aux pauvres, et que l’autre préside, et qu’il gouverne le peuple...
C’est quelque chose de grand, sans doute, que d’enseigner ; mais il est plus sûr de travailler à s’instruire. Pourquoi vous arrogez-vous les fonctions de pasteur, quandvous ne méritez encore que d’avoir rang parmi les brebis? Pourquoi ambitionnez-vous d’être la tête, lorsque vous !!’êtes que le pied? Pourquoi, n’étan t qu’un simple soldat, entreprenez-vous de conduire une armée ? Pourquoi, enfin, pou-vaut labourer et cultiver la terre en sûreté, allez-vous vous exposer à tous les îlots et à toutes les tempêtes delà mer, et chercher à faire des gains considc-râbles, mais très incertains et très périlleux?
Si vous ctes u״ h°mme parfait en Jésus-Christ, si vous avez captivé vos sens sous l’empire de la rai-son et de la foi, si vous êtes rempli d’une science et d’une lumière extraordinaires, parlez de cette sagesse qui se communique aux parfaits, annoncez à ceux qui en sont dignes les mystères cachés en Dieu. Vous y êtes obligés; car, qu’avez-vous que vous n’ayez reçu et que vous ne deviez communiquer à vos frères ? Mais il faut que le ministère de la parole vous ait été confié ; et vous ne devez l’exercer que dans le temps et les circonstances convenables.
Que si, n’ayant fait que peu de progrès dans la vie spirituelle, vous êtes encore dans un âge foible ; si vous ne sentez rien en vous de celte force et de cette vigueur qui est nécessaire pour s’élever à ce qu’il y a de grand et de sublime dans la religion ; imitez les Corinthiens, contentez-vous de lait. Pour-quoi rechercher des aliments trop solides que vous ne sauriez digérer ? Parlez , si vous avez quelque chose à dire de mieux que le silence. Vous ne savez pas, mes frères, quel grand don de Dieu c’est que de n’être pas obligé de parler, et de savoir se taire. Pourquoi ? Parce qu’il est toujours très difficile de bien concevoir les choses divines, et plus difficile encore de les expliquer. Dieu est une lumière inac-cessible dont nos yeux n’aperçoivent que de foibles rayons. Il s’est caché dans sa propre gloire. De vastes ténèbres le séparent de nous, semblables à ce voile qui dérobait Moïse aux yeux d’Israël. Saint Paul l’a dit : Nous ne voyons maintenant que comine en un miroir et par énigmes ; mais alors nous venons Dieu face a face. Je ne connais maintenant Dieu qu’im-parfaitement ; mais alors je le connaîtrai comme je suis moi-même connu de lui. Voilà ce que nous ap-prend le grand apôtre de la vérité, ce maître des Gentils , qui a porté la lumière de l’Evangile dans les parties les plus considérables de la terre, qui ne vivait que pour Jésus-Christ, qui fut élevé jusqu’au troisième ciel, qui fut témoin de la gloire du Pa-radis , et à qui la sainteté de sa vie inspiroit un ar-dent désir de mourir (1).
(1) Gai. iî. 2c. — U. Cor. mi. <׳!. — Phil. 1. 13.
Moïse n’eut que le privilège de contempler Dieu par la fente d’un rocher ; il n’obtint cette faveur que par de ferventes prières : encore ses vœux ne furent accomplis qu’à demi. Cependant, quel crédit n’avoit pas Moïse ? Il étoit comme le dieu de Pharaon ; il opéroit tous les jours de nouveaux prodiges.
Avez-vous, comme lui, fait pleuvoir la manne du ciel pour nourrir ceux qui sont sous votre conduite? Avez-vous fait jaillir l’eau du sein des rochers? Avez-vous fendu les flots , mené un peuple entier à tra-vers les eaux de la mer? Quels peuples avez-vous conduits ;1 travers les déserts à la trace d’une colonne enflammée ou d’une nue miraculeuse? Quels Ania-lécites avez-vous vaincus par vos prières? Ccpen-dant, vous vous plaignez à Dieu de ce que vous ne comprenez pas son essence divine pleinement et parfaitement..... Si vous êtes un autre Moïse , digne d’approcher de Dieu comme lui par une sainteté éminente, pénétrez la nue : parlez-lui, à ce grand Dieu ; écoutez sa voix ; recevez de lui la loi, et mon-trez-vous un nouveau législateur. Si vous êtes un autre Aaron , vous pouvez monter avec Moïse sur ja montagnc. majs tenez-vous auprès de la nue, sans avoir la hardiesse d’y entrer. Si vous êtes un Ithamar ou un Eléazar, contentez-vous de demeu-rcr au troisième ordre, et craignez de porter plus ]oin vos pas. Que si vous êtes un homme du peuple, sachez que vous no devez pas même approcher de la montagne. Souvenez-vous qu’il est ordonné que tout animal qui viendra à y toucher soit lapidé.
Fixez-vous donc au dernier rang, et bornez-vous à écouter de loin la voix et les oracles de votre Dieu. Encore faut-il que vous ayez eu soin auparavant de vous purifier et de vous sanctifier avec toute la fer-vcur et tout le zèle qui. vous est prescrit.
Qui avoit le droit de consacrer les mains des prêtrès? IN’étoit-ce pas Moïse? Aaron ne tenoit-il pas le premier rang parmi tous ceux qui-étoient consacrés? Qui étoit chargé de toutes les fonctions qui concernoient le culte divin ? Qui enfin regardoit-on comme la voix de tout le peuple ?L’entrée du saint des saints étoit-elle accordée à quelque autre qu’au seul grand-prêtre? Ne sait-on pas meme qu’elle ne lui étoit pas toujours permise , mais seulement une fois l’année, et au temps marqué? Les lévites n’étoient-ils pas les seuls à qui il appartînt de porter ΓArche? Chacun d’eux n’avoit-il pas son rang et sa dignité, ses fonc-tions réglées auprès de ce sacré dépôt ?
Tant il est vrai qu’il n’y avoit rien dans l’ancienne alliance qui ne fût disposé avec ordre, et fixé par des lois invariables. Pourrons-nous donc nous-mc-mes tout troubler dans la nouvelle ? Quoi ! parce que nous nous serons fait une réputation frivole ; parce que nous nous serons acquis en un jour une sagesse fausse et digne du mépris et de la confusion dont furent chargés les audacieux constructeurs de la tour de Babel ; serons-nous en droit de nous élever insolemment contre Moïse , et d’imiter l’arrogance et l’impiété de Datlian et Abiron ? Gardons-nous de tomber en de pareils excès , de peur d’etre accablés du meme supplice.
Cet excellent discours se termine par cette instruction puisée dans les vrais principes de la charité évangélique:
Gardez-vous bien de condamner votre frère par un jugement aveugle èt précipité, ni de jamais désespérer de sou salut. Montrez-vous plutôt, autant que vous le pourrez, humble et patient envers lui, vous dont la modération doit être le propre carac-tère. Respectez toujours en lui cette aimable qualité de frère. Craignez que le mal que vous voudriez lui faire ne retombe sur vous ; lors surtout qu’il s’agit de prononcer contre lui un arrêt de condamnation qui le séparerait de Jésus-Christ, la grande , l’u-nique espérance des chrétiens.
Vous croirez retrancher la zizanie , et vous arra-cirerez , sans y prendre garde, un froment caché , et un froment peut-être beaucoup plus précieux à Jésus-Christ que vous. Je suppose que ce frère, qui vous doit être si cher , ait foibli en quelque chose : tâchez de le corriger ; mais en le corrigeant, corn-portez-vous en père tendre , et jamais en ennemi, ni même en médecin trop dur et trop impitoyable, qui ne saurait que couper et que brûler. Reconnais-sez en lui un autre vous-même, et sentez , dans son infirmité , votre propre misère.
Vous le croyez coupable ; mais êtes-vous toujours bien sûr qu’il soit dans le fond aussi criminel que vous vous l’imaginez? Ne seroit-ce point que sa vertu même vous auroit ébloui, trop vive et trop éclatante pour des yeux faits comme les vôtres? Ne pourroit-on point vous comparer à un malade qui condamnerait Je soleil et la lumière du jour parce que sa vue foible ne saurait s’y accoutumer? Ne ressembleriez-vous point à un homme frappé de vertige ou plongé dans !,ivresse י à qui tout paroi t tourner , et qui attribue-roit aux objets extérieurs ce qui est l’effet de la ma-ladie ou des fumées du vin ?
Il faut avoir usé d’une longue patience, et avoir tenté toutes les sortes de voies, avant que d’en venir à rejeter quelqu’un comme un impie. 011 n’arrache pas un homme du sein de !’Eglise comme on arra-cheroit d’un champ un vil arbrisseau ou une de ces fleurs qui n’ont que la durée d’un jour. Vous êtes l’image de Dieu ; et cet homme a qui vous parlez est lui-même , aussi-bien que vous , !’immortelle image d’un Dieu. Vous jugez ; mais vous serez vous-même jugé. Vous jugez ; mais le serviteur du grand Dieu que vous avez l’un et l’autre pour maître commun vous jugera à son tour. Vous jugez ; niais vous su-birez vous-même le jugement que vous aurez porté.
C’est pourquoi craignez de retrancher légèrement qui que ce soit de la communion de !’Eglise; et n’en venez jamais à cette séparation d’un des membres tant que vous ignorez quelle en seroit l’issue, et que vous êtes incertain si la partie saine ne recevrait point quelque blessure par ce retranchement. Sui-vez plutôt le précepte de !9Apôtre : Reprenez , suppliez, menacez, sans jamais vous lasser de tolérer vos frères et de les instruire.
Chrétien comme vous l’êtes, et disciple de Jésus-Christ, ce maître si bon, si tendre et si miséricordieux, qui a pris sur lui toutes nos infirmités, vous avez, dans le nom meme que vous portez , cl dans la qualité dont vous vous glorifiez, la preuve et l’é-datant témoignage de la douceur dont vous devez être rempli, et de la charité avec laquelle vous de-vez traiter votre frère.
S’il résiste une première fois à vos avis, attendez avec patience un moment plus favorable. S’il les méprise une seconde fois, ne perdez pas pour cela l’espérance ; car, tant qu’il est encore en cette vie le temps d’espérer ne s’est pas encore écoulé. S’il s’ob-stine une troisième fois à les rejeter, imitez la charité du vigneron de l’Evangile ; priez le maître de ce figuier infructueux d’user encore de bonté et de patience, et de ne pas le maudire et l’arracher, mais d’en avoir soin, de le labourer au pied et cl’y jeter de l’engrais : c’est-à-dire de toucher cet endurci, et d’humilicr ce superbe, en le portant à confesser ses fautes et à les réparer par une vie austère, et par la honte et la confusion qu’il subira en public. Qui sa^ ״e viendra point à changer et à porter quelques bons fruits. Supportez quelque chose de la mauvaise odeur de votre frère, soit effective , soit apparente, vous qui devez être par vos vertus ]a bonne odeur de Jésus-Christ, et qui avez été rempli de Fonction spirituelle de sa grace. Tâchez que le mal qui est en lui soit adouci et tempéré par le bien que vous avez vous-même le bonheur de posséder.
( Analyse. )
Prononcé en présence de Théodose et de toute sa cour. Réponse aux calomnies que ses détracteurs semaient contre lui. Plaintes contre les prédicateurs qui introduisent dans le sanctuaire le ton du Barreau et du théâtre. Invective contre l’envie. Ses déplorables effets. Fuite des spectacles et des divertissements mondains.
C’est là qu’il adresse aux empereurs ces belles pa-rôles :
«O princes, respectez votre pourpre, révérez votre propre puissance, et ne l’employez jamais contre Dieu, qui vous l’a donnée. Connaissez le grand mys-tère de Dieu en vos personnes. Les choses hautes sont à lui seul; il partage avec vous les inférieures.
Soyez donc les sujets de Dieu , et soyez les dieux de vos peuples (1). »
(1) Traduit par Bossuet, Scrm. ,torn, v, pag. 3;4.
Prononcé par saint Grégoire de Nazianze à la suite de son retour à Constantinople, d’où l’intrusion de Maxime l’avoit contraint de s’exiler [2). Dans tout ce discours, la tendresse et la sollicitude pastorale se mani-festent parle langage de la plus ardente charité. Le commcncement surtout est remarquable par un accent de sensibilité vive et profonde, d’une familiarité la plus noble et la plus délicate, d’un abandon délicieux qui pénètre les âmes même les plus froides.
(2) Ce Maxime, philosophe de la secte des Cyniques, étoit venu à bout de se faire nommer évêque de C. P., à la place de saint Grégoire , qui céda à l’orage, en se retirant dans la solitude. (Voy. plus haut, pag. 44.)
Que l’on se figure un père se retrouvant, après une une longue absence, au milieu d’une famille chérie qui fut toujours présente à son cœur : il parle de soi, des autres; il interroge, il presse les questions , il s’occupe des moindres détails ; il voudrait tout apprendre à la fois. Voilà saint Geégoire de Nazianze rendu à son trou-peau d’où la tempête l’avoit éloigné. Inquiet, si pendant son absence, les Fidèles, confiés à scs soins, avoient mis en pratique les salutaires avis qu’il leur avoit donnés avant son départ, il leur en demande compte. Il leur rend compte à son tour de ce qu’il avoit fait durant sa retraite.
Combien je souhaitais de vous revoir, ô mes en-fants! Sans doute, j’aime à me le persuader, vous n’étiez pas moins empressés à revoir votre père. S’il m’est permis de l’attester, par serment : je vous en assure par la gloire que je reçois de vous, en Jésus - Christ} notre Seigneur. Telle est la for-mule de serment que le Saint-Esprit m’a dictée. C’est par son inspiration et par soit ministère que je me suis rendu auprès de vous, afin d’acquérir au Seigneur un peuple choisi. Voyez tout ce que la foi a d’énergie. Car ici je vous découvre tous .mes senti-ments, et je réponds des vôtres à mon égard. M’en étonnerai-je? Il n’y a, dansions ceux qui dirigent le même esprit, qu’un meme sentiment et une même foi. On ne croit pas volontiers qu’un autre éprouve le sentiment que l’on n’a pas soi-même ; mais aussi, quand on aime, on se persuade aisément que l’on est payé de retour. Il m’étoit impossible, malgré toute mon aversion pour Je tumulte et les intrigues des villes, de soutenir une plus longue absence ; et j’ai cédé, sans beaucoup d’effort, aux mouve-ments de la tendre affection qui me ramenait vers vous. Pour des coeurs fortement épris, un jour de tourment paroît aussi long que la vie entière. 11 semble qu’un plaisir qu’on achète, doive en paraître plus vif. Qua^d j’élois journellement au milieu de mon peuple, j’en goutois moins le bonheur. /V peine je vous avais quittés, qse déjà je me sentais tour-menté par l’impérieux besoin de me retrouver avec vous. N’en soyez pas surpris. Jugez plutôt de mon impatience, par celle du pasteur d’un troupeau, à qui une de ses brebis vient à manquer; comme il s’empresse à la chercher, courant sur les hauteurs, pourvoir s’il ne la découvrira pas, la rappelant par ses cris plaintifs ! Qu’il vienne à la recouvrer, son retour lui donne plus de joie que la possession de toutes les autres. Foible image de l’amour que j’ai pour vous ! car est-il rien d’égal à la tendresse du bon pasteur, pour les âmes confiées à ses soins, surtout quand il a eu le bonheur d’exposer sa vie pour elles! Eh ! pourrois-je, sans une frayeur mortelle, penser que des loups furieux assiègent mon troupeau, qu’ils peuvent profiter des ténèbres pour l’attaquer plus sûrement, et en faire leur proie? Ils n’oseroient se montrer au grand jour; l’obscurité de la nuit sert bien mieux leurs homicides desseins. Je crains que de faux pasteurs, déguisés sous les dehors de l’ami-tié, ne se mêlent à eux pour les aider à dévorer les âmes, comme parle le Prophète. Quelles artifi-cieuses manœuvres n’invente pas l’ennemi du salut.’ guides trompeurs qui ne s’unissent aux troupeaux que pour en écarter le vrai berger; pasteurs d’un jour, sans titre, sans mission, lesquels ne savent que dissiper, et détruire ce que les autres ont fait. Hélas ! il ne faut qu’un moment pour dissiper et perdre. Que de soins , dit le saint homme Job, pour former un homme, pour construire un vaisseau, pour bâtir une maison! Un moment suffit pour ôter la vie à cet homme. pour brûler le vaisseau, pour abattre cet édifice. Qu’ont-ils fait pour le bien du troupeau ! Qu’ils nous citent une seule brebis sauvée par eux ! une seule bonne action qu’ils aient faite! Non, ils ne savent que commettre des crimes ; ils ne viennent que pour jeter le désordre parmi le troupeau, comme feroit un soudain ouragan, une peste , une bête fé-roce. Qu’ils fuient plutôt ! qu’ils ne tirent point va-nilé de ce qui fait leur opprobre! qu’ils s’humilient en présence du Seigneur! qu’ils pleurent leur ini-quite! nous ne leur fermons pas l’entrée de la bergerie ; qu’ils y rentrent, puisque leur salut n’est pas t encore désespéré : c’est l’avis que je leur donne, moi, dont ils accusent la timide circonspection ; moi, à qui l’on faisoit un crime de ma retraite, quand elle m’étoit commandée par une sage pré-voyance. Je ne suis point de ces pasteurs qui boivent le lait de leurs troupeaux, qui se couvrent de leur toison, qui s’engraissent de leur suc, les égorgent, et trafiquent de leur chair, comme ceux-là s’en ap-plaudissent, en disant : Dieu soit béni, nous avons fait fortune. Uniquement occupés d’eux-mémes, ils ne s’embarrassent guère des troupeaux. Ce n’est pas eux qui diront avec Γ Apôtre : Qui est malade sans que je le sois, qui est scandalisé sans que je brûle : je ne cherche point mes intérêts , je ne cher-che que vous?
Voilà dans quels sentiments je reviens à vous , cl je ne doute point que ce ne soient aussi les vôtres. Voyons donc ce que nous avons fait, vous et moi , durant notre séparation. Rendons-nous compte ré-ciproquement, comme nous aurons à le rendre au tribunal du grand Dieu par qui nous serons inter-rogés sur toutes les actions et toutes les paroles de notre vie. Dites-moi, ô mes enfants, quel usage avez-vous fait des instructions que je me plaisois tant à vous donner sur le Dieu que nous servons, sur les divers articles de notre créance ? Je ne vous demanderai pas seulement où èst le talent que je vous avois confié ; j’en veux avoir aussi !’interet : lavez-vous enfoui en terre sans le faire valoir? peut-être quelques-uns de vous accusent en ce moment le créancier d’etre un exacteur dur et sévère. Où est le liien que vous avez fait? Par quelles œuvres voire foi s’est elle manifestée; car il n’en est point sans les œuvres?... Avez-vous pris soin des pauvres? etc.
Je vais maintenant vous instruire de ce que j’ai fait après vous avoir quittés. Hélie se retiroit sur la montagne du Carmel pour s’appliquer avec plus de liberté à la pratique de ]a vertu; Jean-Baptiste vivoit dans le désert; Jésus-Christ opéroit ses miracles en présence de tout le peuple, mais il cherchait les solitudes écartées pour prier, afin de nous appren-dre, par son exemple, à aimer la solitude. Quel fruit ai-je recueilli de ma retraite ? Je vais vous le dire. Un jour que je me promenois sur le bord de la mer, pour jouir de la fraîcheur du soir et de l’aspect de ses eaux tranquilles, qui venoient doucement baigner le rivage, je la vis tout à coup qui s’agitoit, soulevée par un vent impétueux qui en enfloit les values et ]a rendoit menaçante. Ses flots arrivoient de loin , et venoient se briser en mu-gissant contre le rivage ou contre les rochers voi-sins , qui les repoussaient sans en être ébranlés , et les iaisoicnt dissoudre en une pluie écumante, en-traînant pêle-mêle les cailloux , les plantes marines et les coquillages. Ce spectacle sembloit m’offrir l’image de ma situation actuelle , et fut pour moi mie source d’instruction. N’est-cc point là , me disois-je à moi-même , le tableau fidèle de la vie humaine ; et toutes les choses de ce monde ne ressemblent-elles pas à la mer , dont elles ont l’amertume et l’instabi-Jité? Les tentations, et tant d’événements divers qui nous surprennent, ne sont que trop bien représen-tées par ces vents, dont la violence soudaine portait le désordre dans cet élément que j’avois sous les yeux. Le prophète David s’en plaignait, quand il disoit : Sauvez-moi, Seigneur , mon âme est comme noyée dans les eaux ; retirez-moi de l’abîme où je me Q'oisprécipité. Je suis tombé sous la profondeur de la mer y et la tempête m’a submergé. Us cèdent à la moindre tentation, ces corps légers et sans cousis-tance ; mais ils résistent à tons ses chocs, ceux-là qui, semblables au rocher , s’élèvent au-dessus des loi blesses vulgaires , surmontent avec une inébran-labié fermeté tous les accidents humains, et content-pl ent de loin ceux qui ont fait naufrage, soit pour gé-mir sur leur peu de courage, soit pour les plaindre...
Les poètes nous parlent d’un certain arbre qui fleurit lorsqu’on le coupe , qui résiste au fer? et qui, pour me servir de leurs expressions figurées, trouve un renouvellement de vie dans la mort même. Ce n’est là qu’une fiction ; mais elle me rappelle l’idée d’un vrai philosophe, tel que le christianisme seul peut le former.‘
11 triomphe dans les épreuves. Il regarde ce qu’on appelle les malheurs de la vie comme une ample moisson de mérite et de gloire. Sa joie redouble dans les adversités ; et aussi peu capable d’etre enfle par la prospérité que d’etre abattu par les contre-temps les plus fâcheux, rien ne peut altérer la paix de son âme. Son égalité, sa constance, sont toujours les memes. On l’accable d’injures ; il les surmonte en n’y répondant point. On le persécute ; il le souffre avec patience. On le calomnie, on le charge de ma-!édictions ; il n’oppose à tout cela que les larmes et les prières. On lui donne un soufflet sur la joue droite, il présente la gauche; et il instruit par scs actions celui qui le maltraite plus efiicacemênt qu’il ne feroit par scs paroles. 11 se souvient que Jésus-Christ a été traité de la sorte, et il se glorifie de par-ticiper aux souffrances d’un Dieu.
Qu’on l’appelle un Samaritain , qu’on l’accuse d’etre un possédé du démon ; il sait que oc sont là les outrages qu’un Dieu a voulu souffrir, et i] les souffre généreusement avec lui. Enfin , à quelques épreuves qu’il puisse être réduit, quelque grands et terribles que soient les tourments qu’il endure , ou qu’il peut endurer, il sent qu’il n’est point en-core parvenu, et qu’il ne parviendra jamais, à souffrir le fiel, le vinaigre, la couronne d’épines, le roseau, la robe de pourpre, la croix, les clous , la compagnie des voleurs, les blasphèmes des passants. et tout ce qu’un Dieu a souffert. Il faut, en effet, que toute créature cède en ce point, aussi-bien qu’en tout le reste, à un Dieu. Il n’y avoit que lui qui fût capable de souff rir les outrages et les tourments qu’il a bien voulu endurer; et cependant, c’est à cause de ses tourments même et de l’excès de ses humi-Rations, que des hommes aveugles et impies le me-prisent.
Je reviens au philosophe dont je fais le portrait. Rien de plus fort, rien de plus indomptable qu’un homme de cette trempe. Jamais liberté ne fut plus entière que celle dont il jouit. Docile lorsque son devoir n’y est point intéressé, vous en ferez tout ce qu’il vous plaira ; mais inflexible lorsque vous de-manderez de lui quelque chose d’injuste. En vain prétendrez-vous le dépouiller de ses biens , le priver de l'univers entier ; il a les ailes et le vol rapide de l’aigle ;il vous échappe; il s’élèvera où vous ne sau-riez atteindre ; il ira se reposer dans le sein de Dieu, qui est son maître et son protecteur.
En un mot, on avoue qu’il y a deux choses que rien au monde ne saurait surmonter, Dieu et l’Ange. Mais j’en connois moi-même une troisième : c’est un homme du caractère de celui que je représente ici.
Immatériel dans ]a plus noble partie de lui-même, quoique encore composé de matière ; sans bornes par la grandeur et l’activité de scs désirs, quoique encore renfermé dans un corps mortel ; vivant sur la terre, mais déjà citoyen du ciel par la grandeur de sa foi et par la solidité de scs espérances, iné-branlable enfin au milieu de toutes les agitations humaines, il souffrira d’être vaincu en tout le reste, mais jamais en magnanimité ; ou s’il paroît succom-ber dans son corps à la violence et à la fureur des persécutions, ce sera en demeurant victorieux dans son âme, et en triomphant de ceux mêmes qui ont cru le vaincre.
Voilà ce que peut, dans une âme chrétienne, la vraie et la parfaite philosophie. En quoi est-ce donc que mes ennemis pourraient me nuire? où abouti-voient tous les traits de leur malignité, et de la haine implacable qu’ils ont conçue contre moi? Diront-ils que je suis un ignorant? Il est vrai ; je n’ai point d’autre science que celle qui consiste dans la crainte de Dieu. Craignez Dieu, dit le sage, c’est la le commencement de la sagesse , la fin et l’abrégé de tout discours, et le tout de l’homme. Qu’ils prouvent que je n’ai point cette crainte religieuse du Sei-gneur, et je m’avouerai vaincu. C’est là , en effet, où tendent toutes mes connaissances. Toute autre sagesse, si elle est humaine, je la méprise ; et j’ai acquis, par l’étude que j’en ai faite, le droit de la mépriser. Si elle est divine , je désire de l’acquérir selon une certaine mesure en cette vie ; et j’ai la cou-fiance de la posséder, par lesecours de !’Esprit saint, en l’autre, dans toute sa plénitude.
Mc reprocheront-ils ma pauvreté? C’est elle-même qui fait toute ma richesse (1). Hé ! plût à Dieu que je pusse me sauver tout nu à travers les épines de ce monde, sans être à toute heure exposé à me voir retenu dans ma course par les vils haillons que je porte! Plût à Dieu, même que je fusse dans ce moment entièrement dépouillé de cette tunique mortelle, pour être au plutôt revêtu d’un vêtement de gloire et d’immortalité !
(1) Ailleurs il dit : ״ Je ne sais quel effet la pauvreté produit dans les autres ; pour moi, elle m’enfle le courage , elle me rend tout glorieux. » ( Traduit par La Colombière, Scrm., loin. 11, pag. 523. )
M’appelleront-ils un proscrit, un exilé? Assuré-ment ces hommes injurieux, ces ennemis déclarés de l’hospitalité, ont de bien vils sentiments de moi! Ai-je donc une patrie déterminée ici-bas? moi qui ai l’univers tout entier pour patrie, ou plutôt qui ne reconnois point ma vraie patrie dans aucun lieu de cet univers. Vous mêmes, n’êtes-vous pas partout voyageurs et étrangers sur la terre? Si vous ne vous regardez point comme tels, sachez que je n’ai, quel-que part que vous soyez, qu’un souverain mépris pour le lieu où vous habitez, et que vous courez grand risque de n’arriver jamais à la céleste patrie où nous devons tendre, par tous les mouvements de nos cœurs, et par toutes les actions de notre vie.
Me feront-ils un crime de ma vieillesse et de mes infirmités? J’ose Je dire: peut-être ne sont-elles pas uniquement !’effet d’un mauvais tempérament. I\Ics austérités, s’il m’est permis de me donner quelque louange, peuvent bien y avoir un peu contribué. Mais vous, n’ètcs-vous pas, avec cette santé si fleurie et cet embonpoint que vous vantez si fort, quelque chose d’agréable et de charmant? Ah! si vous m’en croyez, un air mortifié, un visage pâle et défait vous siéroil mieux. Vous édifieriez du moins par l’exté-rieur ; et vous pourriez passer pour avoir quelque sagesse.
Entreprendront-ils de me priver du trône épisco-pal? Eh quoi! a-t-on vu que j e l’aie jamais désiré?Peut-on dire que ce soit de mon plein gré et par mon choix que j’y sois parvenu? Ne sait-on pas combien j’ai toujours déploré le sort de ceux qui remplissent les premières places? Scroit-ce donc vos brigues, et les moyens indignes que vous employez pour les en-vahir, qui m’engageroient à regarder ces sortes de postes comme bien agréables et bien dignes de mon ambition?
M’arracheront-ils de l’autel visible de la terre? Il m’en restera toujours un autre. dont ce que nous voyons présentement est la figure, qui nest point l’ouvrage des hommes, de qui !’Esprit saint est seul l’architecte, et où l’on s’élève par la contemplation. C’est à cet autel sublime que je me présenterai ; c’est là que j’immolerai des victimes agréables, et que j’offrirai le sacrifice, l’oblation, et des holocaustes qui surpassent autant ce qui est maintenant offert, que la vérité elle-même l’emporte au-dessus des ombres (1). C’est de cet autel que le roi Prophète a dit : J’entrerai à l’autel du Dieu ,vivant, du Dieu qui comble ma jeunesse d’une ,véritable joie. Autel dont je ne crains pas d’être arraché quand on le voudroit.
(1) Les écrivains protestants ont abusé de ce texte.
Le cardinal Du Perron, expliquant ce passage de saint Grégoire, éclaircit toute difficulté. « Il est vrai, dit-il, qu’il ne peut y avoir d’obla-» tion plus excellente que celle du corps de Jésus-Christ, eu égard à l’œu-» vre opérée, c’est-à-dire à la valeur de la chose offerte en soi ; mais non » pas eu égard à l’œuvre opérante, c’est-à-dire à ce que nous apparions et » contribuons de notre part Car il y a beaucoup d’oblations pins agréables » à Dieu , et plus excellentes que l’action extérieure, par laquelle nous » lui offrons le corps et le sang de Jésus-Christ, et même telles, que sans » elles, l’oblation extérieure du corps et du sang de Jésus-Christ ne lui est » point agréable: savoir la contrition de notre cœur, l’immolation de nos » vices , le sacrifice intérieur de nous-mêiae, desquelles choses le sacrifice » extérieur du corps et du sang de Jésus-Christ doit être accompagné » comme des vérités qu’il figure. «
Ils me chasseront peut-être de la ville ; du moins ils ne me banniront point de la céleste patrie. Si ceux qui me haïssent avoient ce pouvoir , j’aurois raison deles craindre; mais tandis qu’ils ne peuvent étendre jusque-là leur pouvoir, je compare tous les maux qu’ils peuvent me faire, à une goutte d’eau, à un souffle, à un songe.
Us m’enlèveront mon argent : et quel argent ? Si c’est du bien de !’Eglise qu’ils entendent parler, j’en fais si peu de cas, que je le regarde comme la matière funeste de toutes nos guerres, et de toutes nos dissensions. C’est ce fatal argent qui engagea Judas à trahir son divin maître, et à le vendre trente deniers; prix dont étoit digne le traître, et non pas celui qu’il trahissoit.
Ils me banniront de ma maison; ils m’interdiront l’usage de tous les plaisirs; ils me feront perdre la bienveillance de mes amis. Ma maison : je n’en ai point d’autre que celle où j’ai été reçu ici, comme Elisée le fut autrefois chez le Sunamite. Les plaisirs : si je les recherche, puissé-je être livré en proie à la fureur de mes ennemis ! je ne saurais former de plus terribles imprécations contre moi. Mes amis : les uns me fuiront, je n’en suis que trop convaincu, et n’attendront pas même qu’ils soient attaqués. ; à l’égard des autres, je suis depuis long-temps accou-tumé à souffrir leur orgueil et leurs mépris. Je puis le dire avec le Prophète : Mes amis et mes proches sont venus auprès de moi pour me perdre : Iis se sont élevés, et se sont déclarés contre moi; ceux, qui néont traité le plus favorablement se sont tenus à !écart. Je leur ai été à tous, durant cette nuit, un sujet de scandale; peu s’en est fallu que Pierre même ne m’ait renoncé (1), et peut-être même ne pleure-t-il point encore amèrement son péché.
(1) S. Grégoire désigne ici Pierre, évêque d’Alexandrie , qui aida puissan-ment l’intnisîou de ft'aximeau siégede Constantinople. (Voy. Tillem Hlêm., 10ומ. τχ , pag. 44? et 454· )
Quoi ! apparemment que je suis donc le seul hardi, le seul rempli d’un courage ferme, intrépide, le seul qui, dans les plus horribles tempêtes, aie toujours conservé une généreuse espérance, le seul qui aie son (fort toutes sortes d’injures et de contradictions , soit en secret, soit en public, connu enfin dans !’Orient et !’Occident par la guerre que״l’on m’a faite, et par tous les combats que j’ai eu à soutenir. Oh ! dira-t-on, quelle audace , quelle folie !
J’ajouterai cependant que, quand des armées ennemies seroient campées contre moi, mon cœur n’en seroit point effrayé; et que, quand on me li-vreroit mille nouveaux combats, cc seroit en cela meme que je mettrois mon espérance. Je fais si peu d’état de tout ce qu’il y a de plus formidable aux yeux du monde, que, m’oubliant totalement moi-meme, je ne songe qu’à déplorer le sort funeste de niés persécuteurs. 0 vous, qui étiez autrefois les membres de Jésus-Christ, et qui n’avez pas cessé de nous être chers, bien que la corruption vous ait gâtés ! membres d’un troupeau que vous avez livré avant qu’il fut rassemblé : comment vous êtes-vous dispersés, comment en avez-vous dispersé d’autres? Comment avez-vous élevé autel contre autel? corn-ment vous êtes-vous ainsi ruinés et détruits tout d’un coup? comment vous êtes-vous donné ]a mort à vous-mêmes, par votre separation, et nous avez vous causé à nous d’inconsolables regrets? comment avez-vous abusé de la simplicité des pasteurs, pour dissi-per et perdre tout le troupeau? car ce n’est pas à eux que mes reproches s’adresseront; leur peu d’expé-rience les a trompés; mais vous, quelle excuse donner à votre artificieuse perversité ? 0 Israël ! qui guérira votre corruption? quels remèdes applique-rai־je à d’aussi vives plaies? quelles paroles, quelles supplications employer désormais pour vous arracher au profond abîme où vous vous êtes plongé? J’aurai du moins recours au Soigneur. Trinité Sainte, lui di-rai-je, adorable et parfaite Trinité, que nous adorons et que nous prêchons hautement! il n’appartient qu’à vous de réparer un mal aussi funeste : vous seule pou-vcz opérer un si grand ouvrage. Daignez nous rendre ceux qui se sont détachés de nous ; et faites même que leur séparation leur apprenne à aimer et à con-server la paix et l’union. Quant à nous, après les tribulations et les travaux de cette vie, faites-nous arriver à la contemplation de votre divine essence , et à la jouissance de ces bien^élestes que l’on pos-sède sans division et sans trouble!
Il a pour objet la demande que le saint évêque fait de sa retraite , motivée sur son grand âge et ses infirmités. Ce discours fut prononcé en présence de cent cinquante évêques réunis à Constantinople dans la grande église de cette ville. Ce sont les adieux de S. Grégoire à son peuple. 11 y rend compte de la manière dont il s’est conduit dans son administration , rappelle en quel état il avoit trouvé son vaste diocèse, et lait voir , avec étendue, dans quelle situation il le laissait. Il explique ensuite la foi qu’il y avoit constamment prêchée ; proteste, comme Samuel, de son désintéressement; et pour toute récompense de ses travaux, demande la permission de se retirer dans la so-litude. On s’étonne qu’elle lui ait été si facilement accor-dée , non-seulement par l’empereur Théodose, mais par les évêques du concile. Quoi qu’il en soit; la résolution du saint étoit invariable. Il remet au Seigneur le soin de lui substituer un successeur comme il avoit mis un bélier en la place d’Isaac. « Saint Grégoire ne pouvoit mieux choisir sa similitude( remarque M. deTillemont) pour prophétiser Nectaire, son successeur(1). » 11 rappelle les qualités que devoit avoir l’évêque d’un siège de cette importance.
(1) Mem. cedes., tom. 1x, pag. 483. Hermant, Tie de S. Grégoire, toin. ri, pag. 256.
Ce qu’il y a surtout de remarquable dans ce discours, c’est la péroraison, plus d’une fois imitée en fran-çais (2).
(2) L’une des plus heureuses imitations que j’en connoisse , est celle d’Ezcchiel Spanheim , prédicateur protestant. ״Jésus-Christ allant au Cal-vaire : Adieu , ôma chère Sionl etc.« (Morceaux choisis des protestants , pag. 260. )
Celte partie du discours fait, comme l’on sait, le triomphe de l’éloquence romaine. Cicéron a laissé , dans ce genre , d’admirables modèles. On vante surtout la pé-roraison de sa harangue en faveur de Milon. M. de La Harpe l’a citée connue׳ le chcf-d’oeuvre de cet orateur (1). Toutes les rhétoriques enchérissent à l’envi sur les éloges donnés aux touchants adieux que Milon adresse à scs concitoyens ; et il faut convenir que son éloquent défenseur paroît y avoir épuisé toutes les ressources de son art.
(1) Cours de belles-lettres, tom. n, pag. 345, édit, de Toulouse, 1813.
Il avoit profondément senti le besoin d’émouvoir ses juges, de vaincre leurs préventions, d’absorber, pour ainsi dire , toutes les pensées dans l’unique sentiment de la commisération, et d’invoquer la pitié au défaut de la justice. C’est là le ressort auquel il s'attache. Il y prépare les esprits par une savante progression dans les mouve-ments. Aussi faut-il joindre à ]a péroraison même, corn-inençant à ces mots : Que me reste-t-il ayhz’re, si ce n’est d’implorer, en faveur du plus courageux des hommes, la pitié, etc. (2) ; faut-il, disons-nous, joindre l’apostrophe aux saintes collines d'Albe et au divin Jupiter du La-tium, qui la précède immédiatement (3) , et avoit déjà commencé l'émotion que Cicéron cherchait à exciter.
(2) Quid restât, nisi ut oreni obtesterque vos, judices, ut eam mise-ricordiam , etc., n° 92.
(3) Vos jam Albani tumuli atque lu c i, Tuque ex tuo edito monte La-tiari, sancte Jupiter, etc., n° 85, edit. Westein., tom. iv, pag. 2848.
Je ne crois pas qu’aucun de mes lecteurs puisse me savoir mauvais gré de reproduire , dans un ouvrage tel que celui-ci, les observations que j’exposai, il y a quelques années , dans une de mes leçons du conrs d’Eloquence sacrée, sur cette partie du discours de saint Grégoire de Nazianze , en présence d’un nombreux auditoire , où s’étoient réunis un grand nombre des élèves de l’Ecole Normale. Je disois donc :
Essayons , messieurs, un rapprochement qui ne peut manquer de vous intéresser. Mettons en parallèle cette éloquente péroraison avec celle que nous avons ici à vous produire. Je parle à des auditeurs instruits, dont la mémoire fraîchement pénétrée de l’histo-rique de ce plaidoyer célèbre , n’a pu surtout perdre encore l’impression des principales circonstances qui l’ont frappée. Quant à la péroraison elle-même , elle est partout, et il devient superflu de la transcrire textuelle-ment. Nous croyons qu’il suffit de rappeler le caractère spécial de cette partie du discours. Nous dirons donc avec tous les maîtres de l’art, que la péroraison est le triomphe du sentiment, la vraie pierre de touche du ta-lent de l’orateur. C’est là que les passions sont dans L’u-sage de ramasser tout ce qu’elles ont de plus fort et de plus entraînant. Ce n’est plus à l’esprit qu’il faut parler; c’est au cœur , pour le gagner , pour l’intéresser au triomphe de sa cause, lui arracher son suffrage, l’eu-chaîner despotiquement malgré lui-même à l’intérêt qui nous occupe. Car, nous dit Quintilien , il n’y a plus à revenir après cela ; plus rien à réserver pour un autre endroit. S’il est important d’avoirbien commencé, il l’est bien plus encore de bien finir; parce que les premières impressions ont pu s’effacer ou s’affoiblir dans le cours de la discussion; ce sont les dernières qui sont perma-nentes et décisives (1). Or , de tous les mouvements que l’art emploie pour arriver à cette conquête, c’est, en effet, la pitié qui doit avoir la meilleure part. C’est elle qui non-seulement oblige le tribunal ou l’auditoire à se laisser fléchir, mais qui, souvent même le contraint à marquer, par des larmes/par des applaudissements, par l’aveu de sa défaite, le changement subit opéré dans leurs dispositions; donc tous les ressorts de la pi lié et du sentiment doivent être réunis à la ibis. Les figures les plus brillantes et les plus hardies doivent être mises en scène et jouer toutes un rôle dramatique. La prosopopée surtout , !’interrogation , l’apostrophe , l’obsécration , doivent verser à grands flots dans les âmes tout ce qu’elles ont de lumière , de chaleur et d’éclat. Cicéron qui, au jugement de M. Rollin , excella dans toutes les parties du discours (1) , s’est en effet bien véritablement surpassé lui-même dans celle-ci , particulièrement־dans celle dont nous parlons. Il n’y est pas seulement l’orateur digne de la majesté du peuple roi; il y devient poète, et plus encore, ajoute un écrivain éloquent du xv!e siècle, le Prométhée, qui porte dans les cœurs la flamme et la vie. Accordons sans regrel toutes ces expressions. Après avoir épuisé, dans cette admirable harangue, toutes les res-sources du génie et de la dialectique, Cicéron va dé-ployer à la lin toutes les ressources du pathétique. Corn-ment s’y prend-il ? On se hâte de nous répondre : Par un trait d’adresse incomparable. On savoit que l’inflexible fermeté de Milon avoit repoussé, et par-là sembloit in-terdire à son défenseur, le langage de la pitié. Cicéron ne pouvoit néanmoins renoncer à cette arme puissante, et jamais plus nécessaire. La manière dont il s’y prend pour en tirer avantage, sans nuire à la dignité de sa partie et se mettre en contradiction avec elle, est de prendre pour lui - même le personnage de suppliant, en se substituant au stoïque Milon י et implorant pour soi l’intérêt de ceux à qui il parle, afin de le répandre sur celui en faveur de qui il parle. C’est là, nous dit M. de La Harpe , d’après Quintilien , un coup de l’art, un trait unique (1), qui manifeste dans l’orateur la souplesse et la fécondité de son talent.
(1) Ouinti'., Instit. orat., liv. v<, cap. 1.
(1) Traité des éludes , torn. 1, in4°־ , pag. 405.
Assurément il y a de l’art, et un art prodigieux dans cette tournure ; et l’orateur l’a manié en grand maître. Mais par cela seul qu’on est réduit à vanter l’art et la subtilité d’esprit, on nous indique le point de comparai-son à établir dans la discussion présente. Quoi ! le grave, l’éloquent Cicéron, réduit à chercher dans l’art son pa-ihétique, et le profond sentiment dont sa péroraison doit être animée! Admirons l’usage qu’il en fait; mais ne nous faisons pas illusion sur la foiblesse du principe , et sur l’étrange caractère de sa source. Cicéron , empruntant un masque étranger et des mouvements artificiels , n’est plus que l’acteur de théâtre ( c’est l’expression même de Quintilien ), dont ici l’effet est détruit nécessairement par sa cause. Le pathétique ne doit pas être simplement animé , pittoresque , véhément ; il doit surtout être per-suasif. Or, en supposant, ce qui n’est pas (2), que cette harangue ait été prononcée telle que nous l’avons : qui est-ce qui a pu se laisser persuader par cet artifice? La séduction n’opère que quand elle ressemble à la vérité. La preuve que personne ne s’y laissa prendre , c’est que Cicéron perdit sa cause (1). On ne manqua pas sans doute de vanter le coup de l’art; mais le sentiment échoua contre l’éloge donné à l’esprit de l’orateur. Cicéron lut plaint parce qu’il demandoil à l’ctre ; Milon n’en fut pas moins condamné. Oui, me dira-t-on , parce que la ha-rangue ne fut point prononcée telle qu’elle nous a été transmise ; et l’on sait à ce sujet le mol de Milon (2). Que le corps même du discours ait été repris en sous-œuvre, à la bonne heure; mais il n’y a pas plus de raison de nier, qu'il n’y en a d’affirmer que cette belle péroraison ne se soit présentée d'abord à la féconde imagination de l’ora-teur, et qu’elle n’ait été produite telle qu’elle se lit au-jourd’hui. Dans Fui! et dans l’autre cas, tout le pathétique qui existe dans ce chef-d’œuvre, se concentre sur la personne de Cicéron demandant grâce pour lui-même(3), et devient nul pour la cause de l’accusé. Milon aura beau crier, par la bouche de son défenseur, à l’injustice de ses concitoyens : De bonne foi, où était l’injustice de con-damner à l’exil un homme qui en avait tué un autre? à leur ingratitude : le moyen de faire revenir des ingrats n’est pas de le leur reprocher. Cicéron se plaindra d’être désormais condamné au malheur par !!absence de son ami ? Comment l’exil de Milon peut-il compromettre la dignité, la fortune, le bonheur de Cicéron ?
(1) Cours de littérature , tom. 11 , pag. 353.
(2) Celui que nous avons n’est pas celui qu’il prononça. ( La Harpe , ibid., Plutarch., in Pita Cicer. Rollin, etc. Asconius, dans le Cicéron des JKestein, tom. v , pag. 278 1. )
(1) Mïlon fut envoyé en exil. De cinquante juges il n’en eut que treize pQur lui. (Ascon., ibid., pag. 2852. )
(2) Lorsque Milon reçut à Marseille, où il avoit été exilé, le plaidoyer que Cicéron lui envoyait, tel qu’il nous a été transmis, il lui écrivit : Je tous remercie de n’avoir pas fait si bien d’abord : car si tous aviez parlé ainsi, je ne mangerais pas ici de si bon poisson.
(3) Nullum unquàm, judices , rnilii tantum dolorem inuretis, et si quis potest esse tahtus ! — A ut si in mealiquid offendistis , ear non me id meo capite potius luitur, quant Milonis? —O mentiserum ! o me infi-Hcem ! etc., nos gg—102.
Dans celle que nous allons traduire , rien d’emprunté à l’art, ni à la fiction; rien que de légitime; rien qui n’é-inane de la nature et d’un pathétique vrai. Ici tout va an cœur, parce que tout sort du cœur. Ici ce n’est pas seule-ment la pitié qui obtient des larmes, sans avoir besoin de les invoquer; e’cst l’autorité et la tendresse d’un père qui commande le plus vif attendrissement. C’est un vieillard à cheveux blancs , se plaçant entre le ciel et la terre , en-tr’ouvrant la tombe où il va bientôt descendre , et mon-trant du doigt la commune patrie on il doit se retrouver un jour avec le troupeau à qui il a consacré sa vie toute entière; un père environné d’une famille nombreuse à qui il lègue scs dernières dispositions en présence du sénat le plus auguste. Une semblable perspective est bien différente assurément de tous les tableaux factices que l’art peut embellir , mais dont il ne corrige pas le fonds. Ici donc, le pathétique, habilement manié, tient à la vérité de la cause et au caractère des personnages bien plus qu’au talent de l’orateur. Cicéron implorant la pitié pour Milon, pour un assassin banni par décret du sénat, et l’implorant au nom d’êtres fantastiques , vaut-il saint Grégoire , un évêque chargé d’ans et de vertus, sollici-tant son propre exil au nom de tout ce qu’il y a en effet de plus sacré? Encore une fois la péroraison latine se ré-duit toute entière à cette seule pensée , que , Milon ayant dédaigné de descendre au rôle de suppliant, Cicéron le prend pour lui-même; par là, nécessairement l’intérêt s’affoiblit en se divisant. Dans la péroraison grecque, point d’intermédiaire. Saint Grégoire parle dans sapropre cause. En réunissant les plus puissants intérêts non-seulement sur sa personne, mais sui’ tant d’objets divers que sa retraite va laisser dans le deuil : bien loin de s’affoiblir , l’émotion se propage et s’accroît. Aussi quelle Ibule d’images! quelle progression dans les mouvements, quelle chaleur, et quelle plénitude de pathétique résulte de cet admirable tableau que nous allons mettre tout en-tier sous les yeux de nos lecteurs ! Que l’on juge d’après cela si notre éloquence chrétienne peut redouter aucune espèce de parallèle.
Tant et de si puissants motifs ont-ils déter-miné vos cœurs? Ai-je gagne ma cause? Faut-il quelque chose de plus fort et de plus convainquant? Je vous en supplie, au nom de la Trinité meme que nous adorons de concert, au nom de nos communes espérances ; je vous en supplie : ne me refusez pas la grace que je vous demande. Consentez à ma re-traite : donnez-la-moi par écrit, comme les empe-reurs la donnent par écrit aux soldats , après de longs services. Si j’ai pu mériter quelque bienveil-lance de votre part, rendez-moi un témoignage honorable, afin que ma réputation soit en sûreté ; sinon, faites ce que vous jugerez à propos, je n’en-trerai point en jugement contre vous. Que Dieu prenne soin de moi, il ne me reste plus de vœux à former. Mais cjuel successeur vous donnera-t-on, demandera quelqu’un? Dieu y pourvoira; il saura bien trouver un pasteur, comme il trouva autrefois unc victime pour être immolée. Tout ce que je désire après cela., c’est que vous choisissiez un pas-leur , dont la vertu courageuse ne laisse point appréhender, de sa part, de lâches et serviles com-plaisances; qui ose affronter, s’il le faut, la haine du peuple, pour les intérêts de la vérité. Recevez donc et mes adieux, et les dernières paroles que je vous adresse. Adieu, adieu, Anastasie, qui reçûtes votre nom de la piété (1). C’est vous qui avez ressus-cité descs ruines la saine doctrine tombée dans l’avilissement. Vous êtes le trophée delà victoire, une autre Silo, où s’est d’abord arrêtée l’arche sainte , après avoir long-temps erré dans le désert. Temple à jamais célèbre! vous devez votre grandeur à la doc-trine du salut que vouz avez recueillie dans votre en-ceinte. Si foible à vos commencements, vous êtesde-venue ,par nos soins, une Jérusalem nouvelle. Adieu, auguste basilique, qui le disputez presque à celle-ci en magnificence; vous, liens sacrés, qui unissez toutes les parties de la ville ! Grâces à la bonté divine, vous avez obtenu de moi, dans des circonstances, ce semble, désespérées, les ministres nécessaires à tous vos besoins. Adieu, saints apôtres, qui, du Ciel que vous habitez, m’avez servi de guides dans mes com-bats ! Si j’ai célébré vos fêtes avec moins d’assiduité que je n’aurois dû le faire, peut-être n’en faut-il accuser que ]’ange de Satan. Adieu, chaire pontifi-cale, tronc éclatant, niais périlleux, et trop exposé aux regards de l’envie ! Adieu, pontifes, prêtres, plus vénérables encore par vos vertus, que par votre Age; vous tous ministres des sacrés autels , qui avez l’honneur d’approcher si près du Dieu vivant! Adieu, cœur de Nazaréens, douceur de la psalmodie, sla-lions nocturnes, vierges chastes, femmes si mo-destes, assemblée des veuves et des orphelins , pauvres qui avez toujours les yeux tournés vers Dieu et vers moi, hôpitaux où moi-même j’ai trouvé un asile dans mes infirmités! Adieu, auditeurs si em-pressés à m’entendre , que l’on vous voyoit accourir de loin pour recueillir mes paroles, et les consigner par écrit! Adieu, empereurs, palais, courtisans! Cette voix, qui vous sembloit si redoutable, la voilà qui, désormais, va être condamnée au silence. Mais, si ma langue est muette, mes écrits du moins et ma plume sauront toujours bien combattre pour la vérité. Adieu, ville célèbre, si distinguée par l’éclat de sa foi et de son amour envers Jésus-Christ ! car je dois ce public hommage à la vérité, quoique peut-être le zèle ne soit pas ici selon la science ; nos dis-sensions ont servi du moins à nous rendre plus doux. O vous, qui ne vous oies pas rangés encore dans le parti de la vérité! convertissez - vous ; re-venez à Dieu , servez-lc mieux que vous n’avez fait par le passé ; ce qu’il y a de honteux, ce n’est pas de changer de sentiments et de conduite, c’est de s’opi-niâlrer dans le mal. Adieu, Orient et Occident, pour qui j’ai tant combattu, et qui m’avez livré tant de combats. Si mon exemple peut engager quelques personnes à m’imiter, en perdant nos sièges, du moins nous ne perdrons pas le Seigneur ; il nous donnera, en échange, des trônes bien plus éclatants et bien plus assurés. J’élèverai ]a voix pour m’écrier: Anges tutélaires de cette église, qui m’avez gardé durant mon épiscopat, et qui me garderez encore dans ma retraite, si Dieu ne m’abandonne pas ; Trinité sainte, objet de mes pensées et de ma gloire, que mon peuple vous soit toujours fidèle ! conservez-le. Il sera toujours mon peuple chéri, dans quelque situation que je me trouve. Puissé-je apprendre qu’il se rend de jour en jour plus illustre par ses vertus, par la régularité de ses mœurs! Adieu, mes enfants ! gardez bien le dépôt qui vous a été confié. Souvenez-vous de mes souffrances ; que la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ soit avec nous tous !
(1) C’étoit l’église catholique, balle sur l’emplacement de la maison qui lui avoit sen i de retraite durant la persécution des Ariens. ( S. Greg. , Cann. 1, pag. t? , et Carrn. x, pag. 58. Sozom., lib. vin, cap. v. )
(Analyse et extraits.)
Les discours qui suivent ( depuis la page 529 jusqu’à la page 624 ), traitent des plus hautes spéculations de la théologie. L’essence de Dieu et ses attributs ineffables ; la divinité du Verbe et sa parfaite égalité avec Dieu son Père; celle du Saint-Esprit, sa consubstantialité avec les personnes divines, scs mystérieuses opérations, en font la matière. Partout le saint docteur expose et développe les articles de la créance catholique avec la précision la plus rigoureuse et la plus sublime élévation dans les vues. On diroit qu’il les a puisés dans une communica-tion intime avec la Divinité elle-même. Ces seuls discours justifient l’éloge qui lui a été décerné par l’église grecque et par tous les siècles chrétiens , quand ils l’ont appelé le Théologien; à cause, dit Bossuet, qu’il y défend, avec une force invincible , dans sa manière précise et serrée, la théologie des chrétiens sur le mystère de laTrinilé(1).
(1) Défense de la tradït., pag. 53.
Ils sont dirigés contre les Eunomiens, disciples d'Eu-nomius, évêque de Cyzique, qui, après avoir suivi l’école d’Aétius, forma lui-même une secte à part. Il avancoit que le Verbe n’éloit pas égal au Père, que l’incarnation n’étoit pas l’union de la substance divine avec la sub-stance humaine, mais simplement des sens corporels avec les puissances divines; que la nature de Dieu n’étoit pas tellement relevée qu’elle ne pût être comprise par nos foibles intelligences. Opinion extravagante d’orgueil et d’ignorance, contre laquelle nous verrons saint Jean Chrysostômc s’élever à son tour, avec toute la force de son talent. Saint Basile et saint Grégoire de Nysse l’ont également combattu. Eunomius s’étoit fait des partisans par la singularité de sa doctrine , etparune morale beaucoup moins austère que celle de saint Gré-goire.
L’affectation avec laquelle le maître et les disciples répaudoient ses systèmes, les avoit propagés. Partout on ne s’entrelenoit que des mystères de !’Essence divine comme l’ayant obligée de sortir de la nue inaccessible où elle se dérobe à l’œil même des Chérubins , pour se révéler touteentière aux nouveaux adeptes. « C’étoit là le » sujet de tousles entretiens ; la paix des maisons et la joie » des repas en étoient troublées; le barreau lui-même en » retentissoit; le sexelui-même y prenoit part; et lesfem-» mes les plus ignorantes s'érigeoient en docteurs.» C’est notre saint évêque qui nous a transmis ces particularités. D’autres circonstances , plus affligeantes encore , étoient bien propres à enflammer le zèle d’un docteur vraiment suscité par Dieu même pour être le dépositaire et l’intré-pide défenseur de la vérité (1). 11 s’en falloit beaucoup que ses collègues dans l’épiscopat lui resemblassent et par sa foi et par sa vertu. Une jalousie secrète contre la supériorité de ses talents, les avoit rendus ennemis de sa gloire (2). Une indifférence réelle pour le dogme, et peut-être quelque connivence avec l’hérésie (3), se dégui-soient, dans leur langage, sous le nom d’amour de la paix (4)· L’austérité de ses principes et de ses exemples, présentoit un contraste trop sensible avec le relâchement général des mœurs ; et tous , jusqu’à ses amis eux-mêmes, accusoient son rigorisme et son apparente rusticité (5).
(1) S. Gregor., orat. xxxvm pag. 479·
(2) Idem., orat. τ,ίηίί. Carm. de Vità sud, et Carm. xm.
(3) Idem., Carm.caxui, pag. 18 7. La pureté de sa doctrine le mettoil eu opposition avee la plupart ; il en étoit devenu odieux à ses meilleurs amis. ( Tillem., Mém., torn, ix, pag. 482. )
(4) Ibid.Xoyei plus haut, pag. □04.
(5) Orat. xxxir, pag. 526.
Dans le premier, qui est une sorte d’introduction aux suivants, il se plaint que l’on n’expliquoit plus les choses divines d’une manière simple et naturelle.
On enveloppe la doctrine de paroles artificieuses: on s’embarrasse à dessein dans de captieuses argumentations. Mais (ajoute-t-il) on connoît l’arbre à ses fruits ; c’est-à-dire que l’esprit de ténèbres, in-vcntenr de tant de dogmes pernicieux, se décèle par l’obscurité de ces disputes ténébreuses (1). Vous croyez entendre ces déclamateurs qui vieil-nent sur la place publique annoncer des combats extraordinaires.....
(1) Orat. xxxiv. Ailleurs : Les disputes académiques ne conviennent pas à la simplicité dire tienne. Oral. xlv.
Il n’appartient pas à tous de parler de Dieu, etd’ex-pliquer ses mystères. Cette fonction n’est point quel-que chose de si trivial, quelle convienne à des âmes basses, et à des esprits charnels et rampants, .l’ajoute que tous les temps n’y sont pas propres ; qu’il ne le faut pas faire devant toutes sortes de gens ; qu’il n’est pas à propos de traiter toujours toutes sortes de ma-tières; et qu’enfm quelque sujet que l’on traite, il faut toujours s’y comporter avec sagesse et discrétion.
Qui donc peut parler de Dieu et annoncer ses ora-clés? Celui qui s’est long-temps éprouvé, qui a péné-tré et approfondi les vérités chrétiennes parla prière et la contemplation, et qui s’est appliqué à purifier son corps et son âme de toute souillure, ou qui, du moins, s’y applique sans relâche. Car,comme il est dangereux de regarder le soleil avec une vue foible et des yeux malsains ; de meme c’est risquer infini-ment que de toucher, étant souillé, à ce qui est souverainement pur.
Quand doit-on entreprendre d’expliquer les mys-tères? C’est lorsqu’on est éloigné du bruit et du tu-multe du monde, et dégagé de toute affection char-nelle. Car tous ces vains fantômes et toutes ces images importunes qui naissent de l’illusion des sens et des passions, altèrent la paix de l’âme, qui ne sauroit connaître Dieu si elle ne jouit d’une Iran-quillité parfaite, répandent le trouble et la confu-sion dans nos idées, et ressemblent à des traits infor-mes et grossiers , mêlés avec de hardis et excellents coups de pinceaux, ou à une mauvaise odeur ré-pandue parmi des parfums exquis.
A qui doit-on faire part de ces grandes vérités? A ceux qui y donnent toute leur application, et qui ne sont point de ces gens qui viennent ici au sortir des spectacles et des jeux du cirque, et qui, après avoir entendu des chansons profanes et s’être livrés à mille folies, se font de nos discours une autre sorte d’a-inusement. Oui, tel est l’aveuglement et la corrup-tion de plusieurs que, mettant au nombre de leurs divertissements, des choses si sérieuses, ils par-lent ou plaisantent des plus hauts mystères, et les réduisent à de vaines subtilités.
Quels sont enfin les sujets que ]’on doit traiter, et quelle mesure y doit-on apporter? On peut parler de ce qui est proportionné à nos lumières et à notre intelligence ; mais on ne doit point se flatter de pou-voir expliquer ce qui est impénétrable à la raison humaine. 11 faut aussi que tout ce que l’on dit soit à la portée de ceux qui nous écoutent. Car, comme les cris excessifs blessent les oreilles, une trop grande abondance de viande nuit à la santé, de trop pesants fardeaux accablent ceux qui les por-tent, et des pluies immodérées pressent trop la terre; de même, un discours embarrassé de ques-lions trop subtiles et trop recherchées accable l’au-diteur, et n’est propre qu’à épuiser ses forces et son attention.
Dans le suivant, le saint évêque s’appliquant à lui-même les principes qu’il vient d’établir, paroit d’abord succomber sous le poids de la majesté divine , dont il entreprend de dévoiler la mystérieuse essence. Ainsi, Bossuet, théologien comme lui, et si bien pénétré de sa méditation , avant de parler du mystère de ]’éternelle génération du Verbe , s’arrête saisi d’effroi : « Où vais-je me perdre ? dans qu’elle profondeur ? dans quel abîme? etc.» (1). De même saint Grégoire de Nazianze :
(1) Douzième semaine, septième, élévation, tom. ix , édit. Paris , in4°־, pag. 194.
Au moment de m’élever sur la montagne, je me sens glacé d’effroi. Si l’espérance me rassure, ma foiblesse me déconcerte et m’abat. Dieu m’ordonne de pénétrer la nue pour m’y entretenir avec lui. Si, du moins, quelque Aaron voulait bien m’accompa-gner et me prêter une main secourable jusqu’à l’en-trée du sanctuaire. Mais que tout ce qui est peuple s’arrête au pied de la montagne, sous peine d’être chassé sévèrement. Ceux-là seulement qui ont ap-porté quelque soin à se purifier, pourront entendre, mais de loin, le son des trompettes ; c’est-à-dire le simple exposé des mystères. Mais qu’ils se gardent bien d’approcher plus avant ; la montagne est cou-verte de feu et de fumée.
Le Père Lenfant a fait une imitation heureuse de ce mouvement dans un sermon sur la foi (1).
(1) Tom. 11. pag. 29a.
O vous, qui êtes mes disciples et mes amis, vous qu’enflamme comme moi l’amour de la vérité, que m’est-il arrivé? Je m’étois flatté de l’espérance que moi aussi je pourrais avoir une connaissance claire de la Divinité. Plein de confiance, je me suis élancé vers la montagne, j’ai pris mon essor vers la nue in-accessible; j’ai franchi la matière et tous les objets sensibles, m’isolant de tout ce qui est humain ; j’ai osé fixer ma vue; et mes yeux, comme ceux de Moïse , ont pu à peine entrevoir la Divinité. Cette premiere et pure nature, que les chérubins ombra-gent de leurs ailes, elle a fui mes regards. Il ne m’a été donné de la découvrir que dans les foibles rayons qui s’en détachent pour parvenir jusqu’à nous, c’est-à-dire, avec le divin Psalmiste, cette majesté, cette magnificence qui se fait sentir dans les oeuvres de la création , et dans le gouvernement des choses de ce monde par laquelle elle sc fait connaître à nos yeux, comme l’image du soleil ré-fléchie dans l’onde nous donne un aperçu de cette vive lumière dont l’éclat nous éblouit quand nous voulons fixer notre vue sur l’astre lui-même. Seriez-vous un autrG Moïse, comme lui le dieu de Pharaon, auriez-vous été comme saint Paul, enlevé jusqu’au troisième ciel, introduit dans la connaissance des plus sublimes mystères, transporté au-dessus des chœurs des archanges et des chérubins ; toujours existera-t-il un intervalle immense entre Dieu et la créature, quelque excellente qu’elle puisse être ; toujours, nulle proportion du Créateur avec tout ce qui a reçu l’être. Premier principe à établir, en con-séquence duquel il faut conclure que s’il est bien difficile de connaître Dieu, il est plus difficile encore, il est impossible d’expliquer ce qu’il est. Point de termes dans aucun langage humain qui puissent l’exprimer; point d’intelligence qui puisse le concevoir. Ce que l’on vient à bout de corn-prendre. on peut encore le rendre , sinon d'une manière claire et distincte, an moins approxima-tivcment; mais ici !’éloquence, ici non-seulement les conceptions les plus vulgaires et ]es plus bornées, mais l’éloquence la plus sublime, est sans voix, tant que l’esprit reste appesanti sous le poids des ténè-Bros qui nous enveloppent. Je doute meme que les Esprits célestes, quoique dégagés de la matière, voyant Dieu de plus près, et tout resplendissants qu’ils sont delà lumière qu’il leur communique, connaissent tous ]’Essence divine. Si Γ Apôtre dé-clarc que ]a paix de Dieu, dans ses rapports plus intimes avec nous , et les promesses qu’il a faites à ceux qui le servent, sont au-dessus de tout ce qu’il est possible d’imaginer; si tout ce que nous en pouvons dire, n’en est que ]’ombre, et si la possession de leur plénitude est réservée pour le temps ou, affran-cliis de la vie présente, nous serons admis à des connaissances bien plus parfaites; à plus forte rai-son cst-il vrai de dire que cotte divine nature, source et principe de toutes les autres , demeure incompréhensible.
Je ne dis point qu’il est impossible de comprendre qu’il existe un Dieu; mais qu’on ne peut ni coin-prendre sa nature, ni la définir. Non , certes . notre prédication n’est pas vaine, notre foi n’est point illnsoire. N’abusez pas de la franchise et de l’ingénuité de nos aveux, ne vous prévalez pas de notre ignorance sur un point pour autoriser l’impiété et l’imposture de vos assertions sur d’autres, comme s’il n’y avoit pas une grande différence entre savoir qu’une chose est, et savoir ce quelle est. Qu’il y ait un Dieu, une première cause de qui toutes les autres dépen-dent, il ne faut, pour le reconnoitre, que le témoi-gnage des yeux, et le simple aspect de la nature. Comment tout ce que nous voyons auroit-il coin-mencé, et se maintiendroit-il dans l’ordre constant où nous le voyons , si Dieu ne lui avoit donné l’être, et n’en avoit assuré la conservation ? Mais autre chose est d’expliquer ce qu’il est. Par exemple, je vous le demande, à vous qui vous vantez d’avoir pénétré si avant dans les secrets de la théologie et de laphiloso-phie, et nous parlez de votre science d’un ton si fier et et si superbe : Dieu est-il un corps ? Et pourtant !’Ecriture semble l’insinuer , puisque vous lisez à chacune de ses pages, qu’il remplit le ciel et la terre, etc. S’il en est ainsi , comment sera-t-il immense , infini ? Dieu corporel? Dieu limité à un espace borné dans ses perfections? Quel privilège auroit-il donc par-dessus nous ? pourquoi lui décer-ner des vœux et des adorations? 11 sera donc aussi un composé d’éléments sujets à la corruption , à la mort?.... Vous prétendez connaître la nature di-vine ; vous avez à m’apprendre non-seulement ce quelle n’est pas, mais tout ce qu’elle est.....
Vous me demanderez à mon tour de vous ap-prendre pourquoi Dieu est incompréhensible. Je répondrai, autant du moins qu’il m’est possible de le conjecturer dans une question aussi relevée , que c’est pour trois raisons principales : la première, c’est que nous n’en aurions pas une si haute idée, si nous pouvions nous en faire une idée quelconque ; la seconde, c’est que s’il nous étoit donné, comme autrefois à l’ange des ténèbres, alors ange de lu-mière , de contempler sa gloire , l’orgueil que nous concevrions de tant de lumière nous aveugleroit comme lui, et nous précipiteroit dans la meme ré-volte et la même chute ; la dernière , c’est pour mé-nager à notre foi et à notre soumission les récom-penses promises à la fidélité, ainsi qu’autrefois il plaça entre Israël et les Egyptiens une nuée obscure , pour donner à son peuple l’occasion d’exercer sa patience et de mériter les biens qu’il tenoit en réserve dans la terre promise. Maintenant, nous ne saurions voir à travers l’obscurité qui nous enve-loppc un être qui, selon l’expression de David , est renfermé dans sa propre gloire, qui lui sert de retraite. Asservis à des sens qui nous voilent les ob-jets les plus lumineux, nous sommes obligés d’em-pointer des choses sensibles les images dont nous essayons d’exprimer les objets qui sont le plus hors de la portée de nos sens. Ainsi, pour nous faire quelque idée de la Divinité, sommes-nous obligés de lui donner les noms de souffle, de feu, de lu-mière, d’esprit, de charité, de sagesse et de Verbe, toutes acceptions qui supposent quelque chose de materiel, et ne subsistent pas sans l’intermédiaire d’un organe sensible? Et de là ces monstrueuses erreurs que l’idolâtrie a répandues si long-temps par-tout le genre humain. Au lieu de remonter, par ]a contemplation des merveilles de la nature, au seul Dieu tout-puissant qui les a faites, une admiration aveugle s’est arretée à l’ouvrage de ses mains ; elle a transporté à la créature les hommages et les noms qui ne sont dus qu’au Créateur. Elle a manifesté la Divinité sous des formes également bizarres et sa-crilèges; et d’erreur en erreur, de crime en crime, le genre humain tout entier est arrivé au dernier excès de l’extravagance et de l’impiété.
Savante énumération des causes diverses qui, en éla-blissant l’idolâtrie parmi les hommes , avoient fait dis-paraître dans tous les lieux de l’univers l’idée primitive de la divine Essence, de son unité et de scs incompara-blés perfections.
Les fausses impressions des sens ont eu sur elle la plus active et la plus funeste influence. La raison seule aurait dû suffire pour en corriger les écarts ; parce que (ajoute notre saint docteur) la raison, commun privilège accordé à tous les hommes, regie primitive du devoir, les élève, des choses sensibles, à la connaissance de Dieu. Mais tous scs efforts s ar-rètèrent au-devant de son Essence adorable ; elle ne la connaîtra que quand , dégagée de la chaîne des sens, elle se sera réunie à son image et à son prin-cipe. Jusque-là , les perceptions que nous pouvons en avoir ne sont que de foibles écoulements , et comme des rayons échappés de cc foyer immense de lumière. Quand !’Ecriture dit, en parlant des patriarches cl des prophètes , qu’ils ont connu Dieu, elle ne parle que comparativement au reste des 110m-mes, pour dire qu’ils en ont eu une connaissance un peu moins imparfaite.
Toutes les recherches que l’on fait pour y par-venir sont pénibles autant qu'in fructueuses. C’est vouloir faire de grandes choses avec de petits instru-ments. Salomon, déclaré le plus sage des hommes, convient que plus il s’enfonce dans cel Océan sans fond, moins il avance dans la découverte de la vé-rite. Saint Paul , après de longs efforts pour con-naître les jugements de Dieu , n’ose porter ses regards sur sa nature, persuadé qu’elle est au-dessus de toutes nos intelligences. Dans cet abîme impéné-trahie des divines perfections, il sent qu’il est im-possible de fixer un point d’appui, comme de déter-miner aucun terme à des recherches aussi laborieuses et toujours renaissantes; et satisfait d’admirer cc qu’il ne comprendra jamais ici-bas, il s’écrie : O profondeur des trésors de la sagesse et de la science divine !
Que ses jugements sont impénétrables , et ses voies incompréhejisibles !
Quoi ! la raison de l’homme échoue à tous mo-monts contre les objets qui sont le plus à sa portée. Tout ce qui l’entoure', ce qui est au-dessus, à côté de lui, lui-même, son propre corps , le mécanisme dc Ses sens, les phénomènes de sa mémoire, de son intelligence, l’alliance intime de deux substances aussi étrangères l’une à l’autre que semblent 1’etre l’âme et le corps, la formation des animaux divers, leur instinct, les prodiges de l’industrie dans quel-ques-uns, l’harmonie qui règne dans la nature , autant d’énigmes dont nous ne comprenons pas le secret ; et nous voudrions connoître le mystère de l’essence divine !
Chacun de ees détails fournit à la brillante imagina-tion de saint Grégoire de Nazianze, autant de tableaux où l’éloquence , soutenue par ledangage des Prophètes , semble prendre l’essor et les vives couleurs de la poésie. Il s’arrête avec complaisance sur chacune des merveilles qui embellissent la scène du. inonde (1)·A travers [ces belles descriptions, l’orateur sème les réflexions les plus philosophiques.
(1) Ce qui a fait dire à Bossuet :« Le théologien d’Orient, saint Gré-goire de Nazianze, contemplant la beauté du monde, dans la structure duquel Dieu s’est montré si sage et si magnifique, l’appelle élégamment, en sa langue , le plaisir et les délices de son Créateur. « ('Serm., torn, v, pag. 3. )
C’est donc la foi, plutôt que la raison, que nous devons prendre pour guide. Pour apprécier la faiblesse de votre esprit, il vous suffit de n’aller pas au-delà de l’e'troite enceinte qui enferme vos regards. C’est un sublime effort de la raison, de discerner ce qui est au-dessus de la portée de la raison humaine. Les âmes enchaînées à la terre ne savent point recon-noître leur ignorance.
Parlant des Anges : Sans cesse environnant le trône de l’éternelle Majesté , dont ils reçoivent les ordres pour les exécuter dans les diverses contrées du monde 011 ils sont envoyés, ils chantent perpétuellement cette gloire éternelle , non que leurs éloges lui don-nent quelque accroissement, mais afin que ces na-tures sublimes> les premières après Dieu, soient comblées de bienfaits.
Les trois sermons qui viennent après traitent, les deux premiers, de la consubstantialité du Verbe ; le se-cond , de la divinité du Saint-Esprit. Dans le premier ( XXXVe sermon contre les Eunomiens ), nous remar-quons les passages suivants :
Le Fils de Dieu n’a point changé de nature, en prenant un corps qu’il n’avoit point. Parce qu’il s’est fait homme pour nous sauver, vous commencez à mépriser sa divinité, sous le prétexte que vous le voyez revêtu de l’humanité, et qu’il s’est abaissé au-dessous de Dieu, afin que je devienne Dieu, comme il est devenu homme. Il est né ; mais il avoit été engendré ( avant l’aurore, dans le sein de Dieu son Père): il est né d’une femme, mais celle femme étoit vierge; si l’un est humain, l’autre est divin : sa naissance n’admet point de père, sa génération point de mère; ]’un et l’autre nous révèle sa divinité. Sa mère le porta dans ses entrailles; mais il n’en étoit pas sorti encore, qu’un Prophète le reconnut, el témoigna par son tressaillement ]a joie qu’il avoit de voir le Messie. Il a été enveloppé de langes, mais il a brisé en ressuscitant ]es liens dont son corps étoit enchaîné dans le tombeau ; il a été gisant dans une crèche , mais losanges vinrent lui rendre leurs 110m-mages, une étoile nouvelle donna le signal de sa naissance, les mages sont venus l’adorer. Pourquoi arrêter vos regards à ce qui frappe vos sens? que votre intelligence s’élève au-dessus de ces apparentes humiliations. Il a fui en Egypte, pour échapper à la persécution ; mais il en a dissipé les erreurs. Les Juifs n’ont point aperçu sa beauté, ni l’éclat de son visage; mais David l’a vu le plus beau de tous les enfants des hommes : il s’est manifesté sur la montagne plus éclatant que la foudre, et plus brilLant que le soleil; et par la lumière dont il parut environné, il préludait à scs splendeurs futures. Il a été baptisé comme homme, mais il effaçoit les péchés comme Dieu; n’ayant nul besoin d’etre purifié, il nurilioit les eaux : il a été tenté comme homme ; mais il a triomphé comme Dieu, et il nous exhorte à la confiance, parce qu’il a vaincu le monde ; il a eu faim , mais il a nourri plusieurs milliers d’hommes , et il est le pain ce'lcste qui donne la vie. Il a eu soif; mais il a exhorté ceux qui éloient travaillés de la soifàvenirà lui pour se désaltérer. Il a souffert la lassitude, mais il donne le repos à ceux qui sont chargés et fatigués ; il a été accablé de sommeil, mais il a marché sur les flots, il a fait taire les vents, il a empéché Pierre d’etre submergé; il a payé le tribut, mais il est le roi de ceux qui l’exigent. Il s’est laissé appeler démoniaque et Samaritain, mais il a guéri celui qui étoit tombé entre les mains des voleurs sur le chemin de Jérusalem ; il a été reconnu par les démons, et les a mis en fuite ; il prie, mais c’est lui qui exauce les prières adressées à Dieu ; il verse des larmes, mais il console ceux qui pleurent. Il demande où on a mis Lazare ( car il étoit homme); il le ressuscite, car il étoit Dieu. Il fut vendu à vil prix, mais il a racheté le monde par son sang. Il a été conduit à la boucherie comme un agneau, mais il a nourri tout Israël, et il nourrit maintenant tout l’univers ; muet, comme la brebis sous le couteau qui l’égorge, il est la parole de celui qui crie dans le désert pour annoncer sa venue. Les blessures qui lui ont été faites l’ont jeté dans la langueur, mais il guérit nos infirmités et nos maux; il a été attaché à la croix, mais ce bois a été pour nous un arbre de vie; mourant, il sauve le compagnon de sa mort, il couvre la terre de ténèbres. Il est mort, maisvousl’allezvoir, toutmortqu’il est, se ressusciter lui-même par sa seule puissance; niais il déchire le voile du temple , il fend les rochers, il entrouvre les tombeaux, et par sa mort il triomphe de la mort mémo. Monte au Ciel, il en redescendra pour juger les vivants et les morts. S’il y a d’un côte, dans l’E-vangile, des obscurités qui vous sont un objet de scandale; de l’autre, il y a des lumières dont l’éclat absorbe tous vos doutes.