Discours xxxvi.

Sur Jésus-Christ, Fils de Dieu.

Aidés par la lumière de !’Esprit saint, nous avons discuté et confondu, dans nos précédents discours , et les raisonnements de l’hérésie, et les objections qu’elle fonde sur des passages de !’Ecriture, que l’on affecte de détourner de leur véritable sens, pour répandre les ténèbres sur la route de la vérité. Il est impossible, avec de la bonne foi, de ne pas rendre cette justice à la clarté de nos preuves.

Tous les siècles d’après ont souscrit à ce jugement, qu’ils ont étendu aux discours qui suivent, le premier , sur la divinité du Verbe ; le suivant, sur celle du Saint-Esprit. L’Arianisme , et les erreurs des Macédoniens y sont poursuivis dans chacun de leurs retranchements. La matière est traitée théologiquement.

Après être revenu sur quelques-uns des textes dont les ennemis de la consubstantialité appuyaient leur doc-trine impie , Saint Grégoire explique les noms divers » sous lesquels nous adorons Jésus-Christ.

Le nom de Père est affecté à celui qui n’a point de principe , nous appelons Fils celui qui est engendré , et Saint-Esprit celui qui procède du Père el du Fils.

« La seconde personne de la Trinité s’appelle Fils , parce qu’il est de la même essence que le Père, et qu’il vient du Père ; Fils unique , non-seulement parce qu’il est seul, mais parce qu’il est engendré d’une manière toute spéciale, et qui ne convient nullement au corps ; F?rbe, parce qu’il a la même relation avec son Père, que la parole avec !’Esprit, non-seulement en vertu de la génération, mais aussi parce qu’il est uni à so?1 Père, et qu’il le fait connoître... On le nomme la Sagesse, parce qu’il connoît les choses divines et humaines , car pourroit-il ne pas connoître ses ouvrages2 Puissance, parce qu’il conserve ce qu’il a fait ; Férité, parce que sa nature est simple; la vérité est une, le men-songe a plusieurs faces.. .Lumière, parce qu’il éclaire l’âme ; si l’ignorance et le péché sont comparés aux ténèbres, la science et la vie divine sont une véri-table lumière ; Fie, parce qu’il anime toutes les créatures raisonnables; c’est par lui que nous som-mes, que nous vivons, et que nous avons le mouvement; il nous fait respirer; il nous communique le Saint-Esprit... Justice,parce qu’il récompense ou qu’il punit... notre Rédemption, parce qu’il nous a délivres de l’esclavage du péché, et qu’il s’est li-vré pour racheter le genre humain; notre Résurrec-tion : nous étions morts par le péché, et il nous a ramenés à la vie. Tous ces noms lui conviennent en tant qu’homme, et en tant que Dieu ; en voici d’au-très qui sont particulièrement attachés à l’huma-nité. On l’appelle homme, non-seulement parce qu’il s’est rendu visible, d’invisible qu’il étoit, mais aussi parce qu’il sanctifie l’homme en se répandant, comme le levain, par toute la masse de la nature humaine, et qu’il s’est uni à l’humanité pour la dé-livrer des peines à quoi elle avoit été condamnée; s’est fait en tout semblable a nous, a la réserve du péché. Il est devenu un Dieu visible, et Fils de l’homme, parce qu’il est descendu d’Adam, par le ministère d’une Vierge, selon les lois et contre les lois de la génération ordinaire. Il est le Christy à cause de la divinité, qui est comme l’onction de son humanité, et quelle ne sanctifie pas seulement par opération comme dans les autres Christs. Il est la wzè qui nous conduit ; la porte par où il faut en-trer; le Pasteur qui nous mène dans les pâturages, et aux fontaines pour nous désaltérer : il nous montre la route par où nous devons marcher; nous guérit de nos infirmités et de nos blessures ; nous conserve, tandis que nous sommes en santé, et nous ouvre là porte pour la vie éternelle. 11 est une brebis destinée pour être victime ; c’est un agneau parfait ; c’est le pontife qui offre le sacrifice, véritable Melchise-decli, roi de paix, roi de justice (1). »

(1) Ancienne traduction , tom. 1, pag. J98 et sniv. Paris, 93» ז.

 

Discours xxxvii.

Sur la divinité du Saint-Esprit.

Dans le langage des hérétiques, c’étoit un Dieu étrange , un Dieu de nouvelle fabrique. Saint Grégoire établit la foi de sa divinité et la parfaite égalité des trois personnes divines sur les témoignages de !’Ecriture.

Ceux qui ne veulent pas souscrire à ce dogme, eli bien ! qu’ils le rejettent : s’ils se plaisent dans leur impiété, qu’ils y restent. Quant à nous, nous pré-chons ce qui nous a été manifesté. Nous porterons notre chaire sur le lieu le plus élevé ; et de là nous proclamerons la divinité du Saint-Esprit. Nulle crainte n’affoiblira notre voix ; nous n’en aurons d’autre que celle de ne pas nous faire entendre , ja-mais de parler.

S’il a pu exister un temps où le Père 11’étoit pas, il y en a eu un aussi où le Fils et le Saint-Esprit n’é-toient pas. Si le Père est dès le commencement, le Fils et le Saint-Esprit sont aussi dès le commence-ment. Retrancher une des personnes, c’est anéantir les trois. Plus de Trinité, phis de Dieu.

Nous disons que le Saint-Esprit procède du Père.

Cette procession n’en fait point une créature... Mais qu’est-ce que cette procession ? Commencez par me répondre : comment le Père n’est pas engendré, et ce que c’est que la génération du Fils? alors je tâcherai de vous expliquer la procession du Saint-Esprit ; et, dans ce cas, il y aura de part et d’autre une égale témérité à prétendre expliquer les mystères de l’Es-sence divine.

Que manque-t-il donc au Saint-Esprit, me direz-vous, pour être Fils? Je réponds qu’il a tout ce qu’a le Fils, étant Dieu comme lui. Il n’y a de différence que dans les rapports de l’un à l’autre, et dans la qua-lification que nous leur donnons.

Le Fils n’est pas le Père, d’autant qu’il n’y a qu’un Père ; mais le Fils est ce qu’est le Père. Le Saint-Es-prit n’est pas le Fils, parce qu’il n’y a qu’un Fils unique; mais il est ce qu’est le Fils. Ces trois per-sonnes ne font qu’une seule et même divinité. L’u-nité, dont je parle, ne favorise ni l’erreur de Sa-bellius ni la division d’Arius. Le Saint-Esprit est-il Dieu? Oui. Il est donc consubstantiel? Oui, puisqu’il est Dieu. Vous voudriez que je vous expliquasse comment il est possible que la même substance soit le Fils, et cependant qu’elle ne soit pas le Fils. Mais il n’est rien de créé qui puisse nous donner quelque idée de cette nature supérieure. Ce seroit une extrême folie de chercher parmi des choses si basses quelque similitude, avec des choses si su-blimes. C’est comme si l’on clierchoit des vivants parmi les morts, selon l’expression du prophète Isaïe. Toutefois, pour donner une comparaison im-parfaite : Adam et Eve, et leur fils Seth, e'toient tous trois de même nature. Adam étoit l’ouvrage de Dieu, Eve une portion d’Adam , et Seth son fils ; Eve et Seth étoient sortis d’Adam, mais diversement.

S’il ne faut pas adorer le Saint ■Esprit, comment me peut-il sanctifier par le baptême? S’il faut l’a-dorer, ne lui devons-nous pas un culte particulier? L’un suit nécessairement de l’autre... Appelons ΓΕ-criture en témoignage, les textes naissent en foule pour la confusion de ceux qui nous combattent... Jésus-Christ vient au monde, c’est !’Esprit Saint qui ’annonce ; on le baptise , !’Esprit Saint lui rend té-moignage ; il est tenté, le Saint-Esprit le délivre; Jésus-Christ fait des miracles, le Saint-Espntl’assiste; il monte au Ciel, le Saint-Esprit en descend. Rien de Grand et d’auguste qui ne soit son ouvrage, Un sai-sissement religieux me pénètre à la seule pensée de tant de noms divins que lui donne !’Ecriture. Il y est appelé l’esprit de Dieu, l’esprit et l’âme de Jésus-Christ, l’esprit du Seigneur, le Seigneur lui-même ; l’esprit d’adoption, de vérité, de liberté, de sagesse, de prudence, de conseil, de force , de science , de piété, de crainte de Dieu ; il remplit tout par son Essence; il contient tout, mais le monde ne peut le contenir, ni borner son pouvoir (1). Il est bon, juste, il dirige ; il sanctifie, il n’est pas sanctifié ; il mesure, il n’est pas mesure ; il donne, il remplit, il contient ; il est glorifié, il est dans le meme rang que le Pcre et le Fils; c’est le doigt de Dieu , il est feu comme Dieu (2)... C’est le Saint-Esprit qui crée, qui donne une seconde naissance par le baptême; il connoît tout; il souffle où il veut, et quand il veut (3) ; il va devant, il parle, il envoie, il sépare; il donne la vie et la lumière, il est la lumière et la vie; il per-fectionne, il déifie ; il fait tout ce que Dieu fait; il dispense les dons : il a fait les apôtres , les pro-phètes, les évangélistes, les pasteurs, les doc-teurs (4).

(1) Sap.’i. 7. Ecclï. xv. 5 ; xxxix. 8. Isa. xi. 2 ; xxvin. 6. Luc.i. 18. II, Cor. in. 3. 17. Gai. iv. 16, Ephes. 1.17. Rom. vin. 15.

(2) Sap. xrn. 2. Joel. 11. 28.

(3) Joaim. ni. 8.

(4) Mattli. in. 11. Luc. 1. 1 7. 67 ; ni. 16. Joann. vi. 64. Act. vu. 26. 39 ; xiii. 2. Rom. vm. 26.1. Cor. xin. 8 ; xiv. 32.

Au reste, gardons-nous bien de chercher, parmi les images terrestres, quelque objet de comparaison aveenos mystères. Toutes similitudes, tiréesdes créa-lures, et appliquées à la Trinité , sont imparfaites , et par conséquent dangereuses, si l’on ne s’attache au seul point de la comparaison, écartant avec grand soin toutes les différences.

« L’ancien Testament parle clairement du Père, el avec quelque obscurité du Fils; le nouveau parle clairement du Fils, et obscurément de la divinité du Saint-Esprit; mais le Saint-Esprit, qui habite main tenant parmi nous, explique plus nettement ce mystère. Il n’étoit nullement apropos de parler de la divinité du Fils, avant que l’on connût nettement celle du Père; ni de publier ouvertement la divinité du Saint-Esprit, avant que d’être persuadé dcladivi-nité du Fils. Il falloit aller pas à pas, et nous élever comme par degrés, jusqu’à la fin ; le mystère de la di-vinité du Saint-Esprit étoit un des points qui ne de-voient être communiqués aux disciples? que quand ils l’auroient vu ressuscité des morts, et qu’après sa glorieuse ascension dans le ciel, ayant reçu le Saint-Esprit sous la forme de langues de feu, il leur seroit devenu impossible de douter du mystère, après un miracle si éclatant de sa puissance (1).

(1) Traduit par D. Ceillier, tom. vi, pag. 98. Développé parBour-daloue, J/riièzw, 10m. 1, pag. 346. Montargon, Dictionn. apostol., tom. י ni, pag. 311.

Richard-Simon a osé attaquer la théologie de saint Grégoire de Nazianze d’être plus forte en mouvements oratoires qu’en raisonnements , et en témoignages des livres saints. Bossuet répond à ce reproche , et emprunte surtout ses mojens de défense aux livres du saint doc-teur contre les Eunomiens. {Defense de la tradit. et des saints Pères, pag. 56 , torn. 111 des Œuvres posth. Amsterdam , 1753. )

 

Discours xxxviii.

Sur la Nativité de Jésus-Christ.

( Extraits. )

Jésus-Christ vient au monde : glorifiez-le, mes très chers frères. Il descend du cie] :allez au-devant de lui. Il s’abaisse jusqu’à venir sur la terre : élevez-vous, peuple qui habitez la terre, chantez les louanges du Seigneur... Jésus־Christ paraît revêtu d’un corps, faites paraître de la crainte et de la joie ; de la crainte, c’est le péché qui l’oblige à scs abais-scments ; de la joie, il vient opérer l’œuvre de notre rédemption. Jésus-Christ naît d’une vierge ; femmes, respectez la virginité, si vous voulez être les mères de Jésus-Christ.

Qui n’adorera celui qui est dès les commence-ments! Qui ne louera celui qui ne fait que de naître ' La nuit du mensonge et de l’erreur va se dissiper ; l’Egypte est replongée dans d’épaisses ténè-bres; Israël est éclairé par une colonne de feu; le peuple, qui gémissoit dans une profonde igno-rance, a reçu des connaissances qu’il n’eut jamais.

Ce qui étoit vieux est passé; tout est devenu nou-veau; la lettre cède, l’esprit prend le dessus; les om-bres passent, la vérité se manifeste... Que Jean crie Maitli. in. 3. dans le désert : Préparez les voies du Seigneur; moi, à sa suite, je crierai, pour faire connoître la puis-sauce et la solennité de ce jour : Celui qui n’avoit point de corps s’est incarné, le Verbe devient pal-pable; il étoit invisible, et il se fait voir ; il étoit avant le temps, et il commence d’être... Que les Juifs se scandalisent ; que les Gentils insultent à notre foi ; que les hérétiques se déchaînent : ils croiront, quand ils le verront monter au Ciel ; ou, s’ils persévèrent dans leur incrédulité, ils croiront du moins, quand ils le verront assis sur son tri-bunal, pour juger le monde.

Dieu s’est manifesté aux hommes; il s’est fait Pag.614. homme pour notre salut. Il nous avoit donné la vie ; il a voulu la rendre heureuse. Le péché nous avoit fait déchoir de notre première dignité ; la divine incarnation nous réhabilite dans tous nos droits.

Il n’a pas suffi au cœur de notre Dieu du bon-heur de se contempler soi-même ; le souverain bien demande à se communiquer. Voilà pourquoi Dieu créa d’abord les Anges et les vertus célestes. Cette pensée fut l’ouvrage du Verbe; le Saint-Esprit la perfectionna. Après ce premier essai, il créa le monde matériel et visible. L’esprit et la matière, séparés l’un de l’autre, avaient chacun leurs limites distinctes; et, par leurs propriétés respectives, ren-doient déjà un assez éclatant hommage à la toute-puissance de leur divin Auteur. Il n’avoit pas en-core fait connoître l’immensité de scs trésors, ni toute ]’étendue de sa sagesse, en réunissant l’un a l’autre des principes aussi opposés, et leur impri-niant une dépendance réciproque qui en établît la savante harmonie; quand le Verbe, pour manifester sa puissance, voulut les rapprocher dans le composé merveilleux de matière et d’esprit qui fait l’homme.

Il en tira le corps de la terre, créée antérieure-ment, et lui donna un esprit formé de son souille, à sa propre image, comme parle !’Ecriture. L’homme, ainsi créé, devint à lui seul comme un autre monde, un grand monde dans le petit monde (1) ; ange mortel, adorateur mixte, avec des sens qui le met-tent en rapport avec tous les objets créés, avec un esprit qui embrasse les objets les plus éloignés des sens; roi sur la terre, soumis aux seules puissances du Ciel, tout à la fois terrestre et céleste, péris-sable et immortel, suspendu entre ce qu’il y a de plus élevé et de plus bas, mélange inconcevable de grandeur par les facultés de son intelligence, de bassesse par son orgueil. L’homme oublia les commandements de son Dieu ; l’homme subit des châtiments divers, en raison de la diversité des péchés dont il s’étoit rendu coupable ; funestes rejetons d’une racine maudite. Dieu employa tour à tour les remontrances, la loi, les prophètes, les bien-faits , les menaces, les pluies, le déluge, les incen-dies, les guerres, les victoires, les désastres, les signes du ciel, de l’air, de la terre, de la mer; il renversa des villes et des nations entières. Tant de calamités'!!’avoient pour objet que la destruction du péché. Mais le mal porté à son comble, il fallut aussi des remèdes extraordinaires........ Le Fils de Dieu est venu se revêtir d’un corps, pour guérir les faiblesses de la chair ; il a pris une âme semblable à la nôtre, afin que le remède fût proportionné au mal..... J’avois été fait à l’image de Dieu ; mais je n’ai pas conservé cette image. Pour réparer cette perte, et pour immortaliser ma chair, le Verbe a pris une chair toute semblable à la mienne. Il vient contracter avec nous une alliance nouvelle, plus merveilieuse encore que la première. Il nous avoit donné ce qu’il y a de plus excellent ( à savoir sa propre image); aujourd’hui, il prend pour lui ce qu’il y a de plus dégradé (à savoir notre chair ).

(1) « An lieu que les philosophes ont dit que l’homme est un petit ûionde dans le grand inonde, le saint évêque, mieux instruit des desseins de Dieu, pour celui qu’il a fait à son image, dit qu’il est un grand monde dans le petit monde, voulant nous faire connaître que l’esprit de l’homme l iant fait pour Dieu, capable de le connaître et de le posséder, étoit par conséquent plus grand et plus vaste que la terre, ni que tous les cienx , ni que tonie la nature. » (Bossuet, Serm. sur la resurr. de A’. 5., tom. \ , pag. 115.)

Que répondront à cela ces rigides censeurs de la divinité, qui blâment ce qui mérite de plus grandes louanges ?Ingrats, pour qui Jésus-Christ est né, pour qui il est mort, est-ce ainsi que vous faites à Dieu un crime de ses bienfaits ! Cesse-t-il d’être erand, parce qu’il s’abaisse par amour pour nous? Pasteur charitable ; il donne sa vie pour son troupeau ; il vient chercher la brebis errante sur les montagnes où elle sacrifioit ; après l’avoir trouvée, il l’a mise sur ces mêmes e'paules qui ont été chargées du bois de sa croix ; il lui a rendu la vie... Es-ce pour cela que vous le méprisez?... Que ne lui faites-vous encore un reproche de ce qu’il mangeoit avec lespublicains, et de ce qu’il en a fait ses disciples pour convertir les pécheurs? Faites-donc aussi au médecin un crime de s’abaisser trop pour guérir ses malades.....

Vous le voyez naître dans une étable : attendez un moment, vous l’allez voir purifier les eaux du Jourdain par son baptême, les cieux s’ouvrir, et le Saint-Esprit en descendre pour lui rendre témoignage. Vous l’allez voir servi par les anges dans le désert, guérir les malades, ressusciter les morts; et plut au Ciel qu’il vous ressuscitât aussi vous-même, vous qui êtes morts par votre impiété ! chasser les démons, soit par lui-même, soit par le ministère de ses apôtres ; nourrir avec quelques pains plusieurs milliers d’hommes; marcher sur les flots. Il sera trahi et crucifié, pour faire mourir les vices ; il sera immolé comme un agneau, s’offrant lui-même en qualité de prêtre. Il sera enseveli comme homme ; il ressuscitera comme Dieu; il montera au ciel; enfin, il en descendra dans toute sa gloire.

Que de fêtes les mystères de Jésus-Christ nie préparent, dont la fin n’est autre chose que ma per-fection et mon rétablissement dans mon premier état !

Réjouissez-vous donc à la naissance du Sauveur. Si vous ne pouvez donner les memes signes de joie que Jean-Baptiste, qui tressaillit dans le sein de sa mère, réjouissez-vous du moins comme David, lorsque l’arche se reposa; respectez cette nativité qui brise les chaînes de votre naissance; honorez celte pauvre Bethléem qui vous a ouvert les portes du Paradis. Accourez avec l’étoile ; offrez des pré-sents avec les mages, de l’or, de l’encens, de la myrrhe, comme à un roi, comme à un Dieu, comme à un homme qui meurt à votre place ; joignez-vous aux pasteurs pour célébrer ses louanges; chantez des hymnes avec les cœurs célestes... De toutes les cir-constances qui accompagnent celte nativité, n’en détestez qu’une ; je veux dire le massacre des inno-cents, qu’Hévode fit égorger; honorez ces innocentes victimes qui furent immolées avec Jésus-Christ. S’il fuit en Egypte, soyez le compagnon de sa fuite... Purifiez-vous avec lui ; subissez avec lui la circoncision... Si l’on vous amène devant Hérode, ne répondez pas une seule parole ; il respectera plus votre si-lence que les longs discours des autres. Si l’on vous condamne au fouet, résignez-vous à tous les autres supplices ;buvez le fiel et le vinaigre pour vous punir de vos sensualités ; endurez les soufflets, les crachats, la couronne d’épines. Enfin, laissez-vous crucifier pour mourir avec Jésus-Christ, afin de ressusciter avec lui, si vous voulez régner dans sa gloire (1). Les chrétiens consentiroicnt bien à naître comme Jésus-Christ, mais non à mourir comme lui.

(1) Il y a beaucoup d’art dans ce rapprochement des dernières circon-stances de la vie du Sauveur, avec celles de ses premières anuces ; la crèche et le Calvaire se louchent. La crèche, avoil dil Terlnllien, fut le premier cal-vaire de Jésus Christ. A parti! ■virpineo factus hostia. — El encore : Pan-nis jam sepulluroe. involucrum initiatus. ( Voyeï Bourdaloue, Mystères , loin. 1, pag. 6.)

 

Discours xxxix.

Pour la fête des Lumières.

( Extraits. )

Elle se célébroit peu de jours après celle de la Nali-vite, avec Beaucoup de pompe (2). C’étoit celle du Lap-terne de Jésus-Christ. Ce nom lui venoil de ce que le Baptême étoit appelé illumination ; parce qu’elle nous transfère des ténèbres de notre nature à l’admirable lu-mière de la vérité évangélique. L’Eglise latine en a con-servéla tradition dans la cérémonie des cierges allumés au jour de la Purification , ou fête de la Chandeleur.

(2) Les Grecs réunissent encore aujourd’hui la fête de l’Epiphanie à celle de la Nativité, qu’ils appellent Théophanie. S. Grégoire avoil dit, au Dis-cours precedent : Aune Thcophania sive Aatalîtia , prwsens celebritas , pag. 61 3.

Qu’cioient-cc cpic les cérémonies légales, qu’étoient-ce surtout que les superstitions de la Genii-lité, si vous les comparez avec la lumière, ou 110ns sommes introduits par le baptême ?

Futilité, extravagance, impiété des mystères dupa-ganibme.

L’objet de la fête que nous célébrons en ce jour est de nous faire souvenir 'de Dieu. Les bienlieu-reux n’ont point d’autre occupation que de clian-ter éternellement ses louanges...... Je tremble, ma langue, mes pensées, mon esprit sont mal as-surés, quand je suis obligé de parler de Dieu, Commençons par nous purifier ; et nous pourrons ensuite approcher d’un Dieu qui est la pureté et la sainteté meme, et participer à sa divine lumière. Autrement craignons qu’il ne nous arrive ce qui arriva au peuple juif, de ne pouvoir soutenir l’éclat d’une telle majesté ; ou de ressentir ce qu’éprouva Manué : O ma femme} nous avons am Dieu , nous sommes perclus ! C’est ainsi qu’il parloit, lorsqu’il eut été frappé de certains traits qui n’étoient qu’une om-bre légère de la Divinité. Craignons encore que nous ne soyons obligés, comme Pierre, d’éloigner Jésus de notre nacelle , indignes de soutenir ses approches et sa présence. Et quand je cite ici l’exemple de Pierre, de quel homme parlé-je? D’un homme si admirable, qu’il marchoit sur les ondes et sur les flots de la mer; ou qu’enfm nous ne soyons saisis de l’aveuglement dont fut frappe Paul lorsque, n’ayant point encore expié ]’attentat de ses persécutions, il fut tout à coup environné de la lumière de celui qu’il persé-eu toit, ou plutôt éclairé seulement de quelques foibles rayons échappés, pour ainsi dire , du sein de cette grande lumière.

Entrons dans les sentiments d’humilité dont étoit pénétréle Centcnierdel’Evangile. Cherchons comme lui en Jésus-Christ le remède à tous nos maux; mais cherchons-le de telle sorte que nous n’ayons point la hardiesse de vouloir l’introduire dans notre mai-son : que chacun dise donc, tant qu’il n’est point encore purifié, et qu’il n’est qu’un centenier qui est élevé en puissance, mais dans le mal, et qui est à la solde de César, c’est-à-dire du prince de ce monde, et des choses terrestres et périssables, qu’il dise : Seigneurj je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison.

Mais lorsqu’il sera devenu un autre Zachée, qu’il aura fait quelques progrès dans la vie spirituelle et qu’il sera monté sur le sicomore, je veux dire qu’il aura mortifié sa chair et surmonté le poids de la ma-tière ; lorsqu’enfin, quoique petit par son peu d’avancement en l’âge spirituel, il sera parvenu à jeter quelques regards sur Jésus-Christ; qu’il re-coive avec lui le Verbe divin, et qu’il entende de lui cette parole : Aujourd’hui cette maison a reçu le salut...

Le meme Verbe, qui est formidable et inacces-sible par sa nature aux indignes, veut bien, par sa miséricorde, se rendre accessible à ceux qui sont bien préparés. Ces derniers sont ceux qui, ayant banni de leur âme l’esprit impur et charnel, ne souffrent point qu’elle se dégrade dans une bon-tense oisiveté, mais qui ont soin de l’orner et de l’enrichir de plus en plus de toutes les vertus et de tous les dons de Dieu ; de peur que, venant à être attaquée de nouveau et avec de plus grands préparatifs par les esprits immondes, elle ne retombe sous leur puissance. Ce sont ceux encore qui introduisent en eux Jésus-Christ dans sa plénitude, ou du moins, le plus parfaitement qu’il est possible ; en sorte qu’il n’y ait rien dévidé, rien par où le prince des ténèbres puisse s’y faire entrée , et rendre leur sort plus déplorable qu’il n’étoit auparavant, soit par le ravage que causerait une nouvelle et plus furieuse irruption, soit par l’attention qu’aurait le tyran à s’assurer sa conquête, et à s’affermir dans la possession de la place dont il vient de se rendre maître une seconde fois.

Après donc que nous aurons veillé avec toute sorte de soin à la garde de notre cœur; que nous l’aurons disposé à s’élever par degrés jusqu’au trône de Dieu, et qu’il aura été préparé, par une nouvelle terre, à recevoir la divine semence que nous y aurons semée, et répandu une abondante justice; qu’enbn nous aurons accompli tout ce que prescrivent ]es Salomon , les David, les Jérémie ; remplissons-nous de la lu-mière de Dieu, et tâchons d’en remplir les autres. Devenus dignes de ces communications intimes que le Verbe divin veut bien avoir avec les âmes pures, parlons-leur de cette sagesse qui est cachée pour eux dans un profond mystère. C’est ainsi qu’ayant corn-mencé par nous rendre les premiers semblables à Dieu , nous pourrons ensuite, non-seulement recevoir en nous la parole de vie, mais encore l’y cotiser-ver toujours, en l’annonçant et la communiquant aux autres.

Il vient à l’objet de la fête : le baptême conféré à Jé-sus-Christ par le saint précurseur.

Le Sauveur n’est baptisé qu’à l’âge de trente ans, avant d’avoir commencé l’exercice de son ministère, Pourquoi? Pour nous apprendre qu’a-vant de nous ingérer dans le gouvernement des au-très, nous devons nous être purifiés, et soumis avec humilité aux ordres d’autrui ; qu’il n’est point per-mis de se livrer à la prédication , que l’on n’ait at-teint l’âge de la maturité et de la perfection , tant pour les forces du corps que pour les dispositions de l’esprit. Ce que je dis, pour servir de leçon à ces jeunes téméraires, à qui une confiance présomp-tueuse laisse croire que tout âge est bon pour dispen-ser ]’enseignement et s’immiscer dans les fonctions du sanctuaire. Jésus commence par se purifier: vous, vous imaginez n’avoir pas besoin de l’être! Jésus se soumet à Jean : vous, vous refusez d’obéir à vos supérieurs, mandataires auprès de vous des divins oracles ! Jésus-Christ attend sa trentième an-née : vous, à peine sortis du premier âge, vous avez la prétention d’enseigner les vieillards! je ne vous parle que de votre âge , et si j’interrogeois vos mœurs?

Jean hésite de baptiser Jésus-Christ, qui presse le précurseur. C’est plutôt ■vous qui devez me baptiser, dit le flambeau au soleil, la voix au Verbe ; le plus grand d’entre les enfants des hommes, au premier-né de toutes les créatures ; celui qui avait tressailli dans le sein de sa mère, à celui qu’il avait adoré; le pré-curseur , à celui qui avoit apparu ; c’est moi qui dois être baptisé par vous, et à votre place. Que signifie ce langage? Vous qui baptisez le Messie, vous qui menez une vie si austère et si mortifiée, qui êtes comme un nouvel Eélie et plus que prophète, qui avez vu celui que les prophètes avoient annoncé, qui êtes le lien de l’ancien Testament et du non-veau !

Le saint docteur attaque en passant l’hérésie de Nova-tien , chef des Cathares ou purs.

Vous rejetez la pénitence! nouveau pharisien vous ne voulez pas qu’on pleure. Plaise au Ciel que vous trouviez des juges plus indulgents pour vous que vous ne l’étes pour autrui ! Vous n’eles point touché de la douceur de Jésus qui s’est assujetti à nos foiblesses et à nos infirmités, qui n’est point venu appeler les justes , mais pour exhorter les pécheurs à la pénitence ; il préfère la miséricorde au sacrifice ; il ne met point de bornes à ses bontés. Votre état seroit fort heureux, sans doute, si cette pureté, dont vous vous vantez, n’étoit point imaginaire, et au-dessus des forces humaines. Vous réduisez les hom-mes au désespoir de ne pouvoir se convertir. 11 est également funeste ou de pardonner les péchés sans les châtier par la pénitence, ou de les châtier sans laisser l’espérance du pardon : l’un amène la licence par le relâchement, l’autre le désespoir par une excessive rigueur... Quoi ! pas meme grâce pour David, ni pour Pierre, à qui Jésus pardonna son triple reniement! Mais l’apôtre saint Paul ne se montra point aussi impitoyable à l’égard de l’in-cestueux de Corinthe : vous croyez-vous donc valoir plus qu’un saint Paul? comme si vous aviez été élevé à un quatrième ciel : et qu’on vous eût révélé à vous des mystères dont la communication n’auroit pas été donnée au plus sublimes des Apôtres.

Si nous ne pouvons vous émouvoir, nous verse-rons des larmes sur vous. Si vous ne voulez pas suivre la route que nous tenons, et que Jésus-Christ a tracée : marchez-donc tout seul dans celle que vous vous êtes ouverte. Peut-être un nouveau baptême vous attend dans l’autre monde; mais bap-tême de feu, le dernier, le plus long et le plus dou״ loureux de tous les baptêmes.

 

Discours xL.

Même sujet.

Saint Grégoire y traite du baptême plus au long et plus dogmatiquement.

( Extraits. )

L’Ecriture nous parle de trois espèces de nativités : celle des corps, celle du baptême et celle de la résur-rection. La première est basse, servile, toute char-nelle ; la seconde est le remède de nos inclinations vi-cieuses, et delà foiblesse humaine : c’est la porte de la vie éternelle ; la troisième est courte, mais favorable; elle rassemblera dans un moment toutes les créatures raisonnables pour les présenter au Créateur, qui leur demandera un compte exact de leur vie. Il est certain que Jésus-Christ a honoré ces trois nativités: la première, par le souffle de vie dont il a été animé; la seconde, par son incarnation et son baptême ; la troisième, par sa résurrection. Nous ne traiterons ici que de la seconde. L’effet du baptême est d’éclai-rer lésâmes, de leur donner une nouvelle vie.... Il soutient notre foiblesse, il amortit la concupiscence, nous assujettit à !’Esprit , et nous communique le Verbe; il redresse la nature, efface le péché, dis sipe les ténèbres, nous conduit à Dieu, nous associe à Jésus-Christ... Il nous donne une vie nouvelle, nous délivre de la servitude, nous remet dans notre premier état ; c’est le plus grand de tous les bienfaits de Dieu...

On donne plusieurs noms à Jésus-Christ qui l’a institué; nous en donnons aussi plusieurs au bap-terne, soit que nous le fassions par un épanchement de joie , car on se plaît à nommer souvent une chose que l’on aime, soit que les divers avantages que nous retirons de ce bienfait nous aient fourni les noms differents que nous lui donnons. Car nous l’appelons don, grâce, baptême, onction, illurni-nation, symbole d’incorruption, régénération, sceau: don et grace, parce qu’on le reçoit sans y avoir rien contribué de sa part ; baptême , parce que le péché s’y trouve enseveli dans le bain sacré ; onction , parce qu’il imprime un caractère divin et royal ; illumina-lion , parce qu’il dissipe lesj.énèbrcs et donne la lu-mière ; bain, parce qu’il lave nos souillures; sceau, parce qu’il nous marque pour le salut.

Dieu est une lumière souveraine, inaccessible à nos sens, à notre intelligence elle-même. Il est dans le monde intellectuel, ce qu’est le soleil dans le monde physique. Il se prête à la contemplation, en proportion du soin que nous apportons à purifier

nos âmes, les pénétrant de son amour à mesure quelles s’attachent à le contempler. Capable seul de se comprendre lui-même, il veut bien laisser tomber du centre de sa gloire quelques traits de lumière qui se répandent au dehors. Ce sont les émanations de cette divine lumière, qui formaient le buisson ardent et incombustible, au milieu duquel il se fit voir à Moïse; ]a colonne de feu qui marchait au devant d’Israël, le char enflammé sur lequel Hélie fut transporté dans le Ciel, l’étoile qui vint découvrir aux mages le lieu 011 le Sauveur venait de naître, la nuée lumineuse qui enveloppa Paul sur le chemin de Damas, la lumière enfin qui nous régénère au bap-tême, en effaçant en nous la tache originelle du péché.

C’est cette lumière de qui la source, se corn-muniquant aux bienheureux en possession de la céleste gloire, en fait autant de dieux, selon l’expression du Psalmiste (1).

(1) Bossuet, dans un de ses sermons pour la fête de tous les Saints :« Je ue m’étonne pas si saint Grégoire de Nazianze les appelle dieux, puisque ce litre leur est bien mieux dû qu’aux princes et aux rois du monde , à qui David l’attribue.... Vous donc, ô bienheureux Esprits , qui régnez avec Jésus-Christ, vous ji’êtes plus simplement des hommes, puisqu’il n’y a plus désormais auenn faux jour, aucune fausse lumière qui vous la dé-guise. » (Tom. 1 ,pag. 19;, 108. )

Qu’est-ce doncquele baptême? La force et la vertu de ce sacrement consiste principalement dans le pacte cpic nous faisons avec Dieu, de mener une se-conde vie plus pure et plus parfaite que la première. Que si les hommes prennent Dieu à témoin pour affermir une alliance qu’ils font avec d’autres hom-mes , combien n’est-il pas plus important de bien prendre garde de ne pas violer celle que nous avons contractée avec lui-même, de peur de nous rendre coupables, non-seulement des autres péchés, mais encore de celui d’avoir manqué à la parole que nous avons si solennellement jnréexlevant le tribunal de la vérité souveraine (1).

(1) Un prédicateur moderne à solidement développé celle pensée de saint Grégoire , dans un sermon contre les violateurs des promesses faites au Baptême. (Voy. le P. Le Jeune, Semi, lxix, tom. 1, pag. 881.

Il s'élève contre la coutume où l’on étoit de renvoyer le baptême à un temps reculé, souvent aux extrémités de la vie.

C’est un artifice de l’ennemi du salut pour nous frustrer de ses bienfaits. La pénitence est un remède qui guérit nos blessures ; mais il est bien plus sûr de n’en avoir pas besoin (2).

(2) Commentaire éloejuent dans Bossuel, Senn., tom. 1v, pag. 323.

Que de larmes faut-il répandre pour égaler la vertu du baptême! Qui nous répondra que nous aurons le temps défaire pénitence, et que nous ne serons pas persécutés au tribunal de Dieu, accablés du poids de nos crimes? N’attendez pas que votre langue, épaissie par les infirmités, ou glacée par le froid de la mort, ne puisse plus articuler les paroles que doivent prononcer ceux qui sont initiés à cc mystère. Pourquoi devoir cette grâce à la fièvre, plutôt qu’à Dieu? Puisque cette eau pénétré jusqu’à fame, pourquoi en faire une eau funèbre qui ne lave que le corps? Est-ce donc une peine que de recevoir le salut? On ne vient point encore pleurer autour de vous, comme à vos derniers moments. Votre femme, vos enfants, ne sont point encore obligés de dissimuler leurs larmes, dans la crainte de vous attendrir par le spectacle de leur affliction , et par leurs derniers adieux. Point encore autour de vous de médecin qui vous promette des jours dont il ne dispose pas, qui vous réponde de votre santé par un branlement de tête, qui disputera après votre mort du genre de votre maladie, ou qui donne à entendre par sa retraite que votre mal est désespéré. Point autour de vous d’héritiers avides qui attendent votre dernier soupir. Hé !pourquoi consultez-vous le temps, plutôt que la raison? Dans tout autre inté-rêt, vous en rapportez-vous à l’opinion ’ d’un ami flatteur, plutôt qu’à des conseils salutaires?.. Pour-quoi voulez-vous qu’un autre vous assure que vous n’avez plus que quelques moments à vivre? Cette sueur que vous regardez comme une crise, est une sueur mortelle... Ayez, ayez, compassion de vous-meme, puisque, pour être guéri, il vous suffit de le vouloir... Quel étrange mécompte d’avoir tant d’em-prcsscment pour les richesses, et si peu pour les vrais biens !.. J’emprunterai l’éclatante voix de !’Apôtre, pour vous crier : Voici maintenant le jour favorable, le jour du salut. Maintenant, vous dit-il, car maintenant, à cette heure, vous pouvez mourir... Le démon vous dit : « Abandonncz-moi le présent, » Dieu se contentera de ]’avenir. Votre jeunesse est » pour moi, la vieillesse sera le partage de Dieu : » Jouissez des plaisirs, tant que vous le pouvez. » C’est assez pour Dieu d’un corps usé par les années » et parla débauche. » Ainsi parle le démon, parce que le démon veut vous perdre (1).

(1) Saint Basile et saint Grégoire de Nysse ont traité le même sujet avec une égale vigueur.

Les veilles, les jeûnes, les mortifications, les prières, les larmes, la compassion envers les pau-vres, les aumônes, sont les dispositions nécessaires pour mériter, et pour conserver la grâce du baptême; c’est par là que vous témoignerez votre reconnais-sance des bienfaits que vous avez reçus, La grâce qui vous a été faite est pour vous un avertissement con-tinuel, qui vous engage à la pratique des bonnes œuvres.

A quoi vous servirait d’avoir obtenu le pardon d’un tort que vous auriez fait au prochain, si vous négligez de ]e satisfaire pour le dommage qu’il en a reçu; quand vous avez deux fautes à expier, l’une d’avoir acquis du bien par des voies injustes, l’autre de retenir un bien mal acquis? De même, quoique le premier péché vous ait été pardonné, vous restez encore sous le lien du dernier, en sorte que votre crime n’est pas proprement encore éteint, il n’est que suspendu. Vous l’avez commis en partie avant le baptême : le reste demeure encore sur vous après le baptême. Celte eau salutaire nous procure bien le pardon des péchés que l’on a commis avant de la recevoir, mais non pas de Veux que l’on commet encore après l’avoir reçue. Hier, votre plaie étoit vive et sanglante : aujourd’hui la cicatrice vous reste ; travaillez à rétablir ]a santé.

Un pauvre se présente-l-il à vous? Souvenez vous de l’extrême pauvreté dont on vous a tiré pour vous combler de richesses. Un indigent, comme Lazare, est étendu à votre porte : Qu’il vous souvienne de la table mystique dont vous avez approché, de ce pain céleste que vous avez mangé, de ce calice que vous avez bu, lorsqu’on vous a invité à la passion de Jésus-Christ. Un pèlerin, sans asile, se prosterne à vos genoux :Recevez, en sa personne, celui qui a bien voulu se rendre étranger en son propre pays , pour vous préparer une demeure dans le Ciel.. Vous avez sous les yeux un homme malade, estropié : Que la santé dont vous jouissez, et les blessures dont Jésus-Christ vous a guéri, vous engagent à le sou-lager. Est-il nu, donnez-lui de quoi se couvrir pour honorer Jésus-Christ, et la robe dont il vous a rc-vêtu...

N’oubliez pas que toutes les cérémonies du baptême sont mystérieuses. Le chant des psaumes est le prélude de la psalmodie céleste ; les flambeaux qui y sont allumés, sont le symbole des lampes que nous porterons lorsque nous irons au-devant de l’époux (1).

(1) Parmi les modernes, ceux qui ont le mieux profité de la substance de cet éloquent discours, sont Fromentières, Serm. , tom. 1, pag. 397. Bos· suet, Serm., tom. 1, pag. 2 2$ י

Discours xli.

Sur la résurrection du Sauveur.

( Analyse. )

Pâque des chrétiens figurée par celle des Hébreux. Nous avons échappé à la tyrannie de Pharaon. Crucifiés hier avec Jésus-Christ, nous sommes aujourd’hui glorifiés avec Jésus-Christ. Il est mort; mourons avec lui : il est ressuscité; ressuscitons avec lui. Sacrifions tout pour celui qui s’est sacrifié lui-même comme le prix de notre ré-demption; faisons pour lui ce qu’il a fait pour nous.

 

Discours xlii.

Même sujet.

11 commence par un exorde écrit dans le style des Prophètes.

Je demeurerai ferme dans le lieu où l’on m’a mis en sentinelle ; je me tiendrai immobile dans ma for-teresse ; et je regarderai attentivement pour remar-quer ce que Dieu me dira au dedans de moi. Ce sont ]es expressions du prophète Habacuc. Et moi aussi, pour n’être pas au-dessous du ministère que le Saint-Esprit m’a confié, je considérerai attentivement tout ce qu’il voudra me dire ou me faire voir. J’ai regardé en silence, avec réflexion ; et j’ai vu un homme qui s’élevoit au-dessus des nues. Il ressent-bloit à un ange par son visage. Ses habits étoient resplendissants comme le feu des éclairs. Il a étendu sa main vers !’Orient; il a crié à haute voix; ses cris étoient plus éclatants que le bruit d’une trom-pette.Ilme sembloit voir autour de lui une armée céleste; il a parlé en ces termes : C’est aujourd’hui que le monde visible et invisible a été sauvé : Jésus-Christ est ressuscité ; il faut que vous ressuscitiez avec lui : il est sorti du tombeau : brisez les liens du péché dont vous êtes enchaînés; les portes de l’enfer ont été ouvertes, et la mort est vaincue. Le vieil Adam est détruit; un nouvel Adam est venu à sa placc· Vous aussi, devenez de nouvelles créatures en Jésus-Christ. Voilà les paroles qui sortoient de sa bouche, et les armées célestes répondoient à sa voix, en répétant le chant de triomphe qu’elles firent entendre au jour de sa naissance : Gloire à Dieu ל au plus haut des Cieux, et paix sur la terre aux hom-mes chéris de Dieu.

Je vous adresse les memes paroles, et je voudrais avoir la voix d’un ange, pour me faire entendre jus-qu’aux extrémités de la terre.

Il appelle la fête de Pâque, la fêle des fêtes , la so-lennilé des solennités, la vraie Pâque, ou le passage de la terre d’Egypte à la terre promise , de la mort à la vie. Ce qui lui fournit de solides instructions. Il parcourt les ’ principaux évènements de la vie du Sauveur, pour en tirer des moralités édifiantes.

S. Grégoire prouve l’analogie des deux Testaments dans ce morceau , dicté par la plus profonde théologie ’

Le divin apôtre a déclaré avant nous que toute la loi ancienne étoit l’ombre et la figure des choses futures, et qu’elle traçoit par des images sensibles les objets spirituels. C’est ce que Dieu a voulu lui-meme nous apprendre en parlant ainsi à Moïse : Considérez, bien toutes choses, et faites tout selon le ·׳°· modèle qui vous a été montré sur la montagne.

Il nous a marqué par-là que les choses visibles étaient, en quelque sorte, la peinture des invisiblcs. Je suis donc persuadé qu’il n’y a rien dans ce qui concernoit l’alliance ancienne, qui ait été lait sans dessein et au hasard ; niais que tout y a été, au contraire, réglé et ordonné avec une sa-gesse admirable, et digne de Moïse, digne de Dieu même, le suprême législateur, dont Moïse n’étoit que le ministre. 11 est vrai qu’il n’est pas toujours aisé de pénétrer ces mystères, et de passer de l’ombre à la réalité, de la lettre à 1’esprit, et de la figure au sens figuré. Il n’appartient pas à tous, par exemple, de découvrir les sens cachés sous l’em-blême de l’arche, du sacerdoce lévitique, et de toutes les oblations légales. C’est une faveur qui n’est accordée qu’à ceux qui sont d’autres Moïse , ou qui approchent fort près de lui par leur sagesse et leur piété.

Dieu veut donc bien encore se manifester aux hommes sur la montagne ; et pour se communiquer à eux, il s’abaisse et sort, pour ainsi dire, de son sanctuaire : et, en s’abaissant, il les élève au-dessus d’eux - mêmes, afin que la nature créée conçoive modérément, et autant que cela est sûr pour elle, quelque chose des perfections de !’Être incompré-hensible ; n étant pas possible qu’une âme lice à un corps terrestre et mortel puisse contempler Dieu autrement que dans la lumière même de Dieu et par son secours.

Mais ce grand Dieu tient aujourd’hui, en se manilestant aux hommes sur la montagne spirituelle de ]a contemplation , la mémo conduite qu’il tenoit autrefois dansl’aneiennealliance. Alors tousn’étoient point admis sur la montagne de Sinaï. On n’en ap-prochoit qu’avec beaucoup de retenue et de circon-speetion, chacun selon son rang et sa dignité, plu-sieurs même en étoient absolument éloignes. La seule chose qui leur fût permise , c’étoit d’entendre de loin la voix qui retentissait sur son sommet. Il en est de même aujourd’hui : tous n’ont pas également accès auprès de Dieu ; il se communique aux uns d’une manière, et aux autres d’une autre, à proportion de leur vertu et de leur sainteté.

Or 1י faut, dans la recherche de ces sens de ΓΕ-criture mystérieux et figurés, s’en tenir à un juste milieu; éviter d’un côté l’excessive timidité de cer-tains esprits grossiers qui n’osent ou ne peuvent ja-mais s’élever au-dessus de la lettre ; craindre, d’une autre part; la trop grande hardiesse de ceux qui donnent tout essor à leur imagination, et se livrent inconsidérément à toutes les idées qui se présentent: l’une nous fait tomber dans la bassesse et la grossiè-reté du judaïsme; l’autre dans l’égarement; en sorte que dès-lors les prétendues découvertes ne se rédui-sent qu’à des songes et à de pures visions.

La loi mosaïque fut donnée aux hommes pour être le supplément à la loi naturelle si prompte-ment obscurcie et dégradée par l’idolâtrie , et un acheminement à la perfection évangélique. Le sacri-fice lévitique préparait à la grande immolation qui devoit être faite, non pour un seul peuple, mais pour tous les peuples du monde. Le Juif sacrifioit l’a-gneau , symbole de l’innocence, figure de l’agneau sans tache qui devoit s’immoler pour nous.

Explication détaillée des cérémonies de la Pâque chez les Hébreux, appliquée aux devoirs de la vie chrétienne. Le savant docteur l'étend à toutes les circonstances de la mort et de la résurrection du Sauveur.

Le discours est terminé par cette invocation :

Verbe divin, qui êtes la lumière, la vie, la sagesse éternelle et la souveraine puissance, le fils, la progression, le sceau de Dieu; Verbe intellectuel, homme visible, dont le pouvoir unit et rassemble toutes choses ! recevez ce discours, non pas comme des prémices (1) ; mais peut-être comme la dernière offrande que je vous ferai. Je vous la présente par deux motifs, pour vous remercier des bienfaits dont vous m’avez comblé, et pour vous prier de ne pas ajouter de nouvelles afflictions à celles que nous ne pouvons nous dispenser de souffrir. Vous voyez, Sei-gneur, combien est grande la tyrannie de nos corps ; si notre vie se termine aussi heureusement que nous le souhaitons, et si nous avons le bonheur d’etre admis dans les tabernacles éternels, peut-être vous offrirons-nous, dans le séjour de la gloire, des sa-crificesqui vous soient agréables. Père, Fils et Saint-Esprit; c’est à vous que la gloire, l’honneur et Foin-pire appartiennent dans les siècles éternels. Amen.

(1) Par allusion à un autre sermon sur la Pâque , qui avoit été son pre-miei■ discours après son ordination ; c’est le précédent.

 

Discours, xlIIi

Ce discours est intitulé : Pour le nouveau dimanche. On appelait ainsi le premier dimanche qui suivait la fête de Pâques (1}. Il fut prononcé à Nazianze daus l’église du martyr Saint-Mamas. Il est tout entier parænétique.

(1) JVora dominica dies here 'vocatur, vel quia resurrectionis nostrœ encomia in ea peraguntur, Tel etiam quia octavi illius dici figuram gerit-, quia nova omnia futura sunt. (BilliusircD. Greg., tom. n, pag. 1201.)

Nous y rencontrons cette pensée noble :

On ne doit point s’étonner que l’homme, fait à la ressemblance de Dieu, ait été créé le dernier ; il £al-loit d’abord lui bâtir un palais, comme au roi des autres créatures, pour l’y introduire avec toute sa suite (2).

(2) Même pensée dans saint Grégoire de Nysse, Traite de la formation de l'homme, chap.' 11.

Et cette autre pleine de sagesse :

Le fruit qui nous a causé la mort étoit agréable à la vue et au gout; ne regardons point avec trop de complaisance les beautés de la terre ; mettons toute notre application à nous considérer nous-mêmes.

Le renouvellement de l’année donne lieu à une des cription du printemps , qui semble appartenir à la poésie plus qu’à l’éloquence.

 

Discours xliv.

Pour la fête de la Pentecôte.

Sur la divinité du Saint-Esprit, et la consubstantialité des trois personnes divines. Bossuet en a emprunté cette sublime théologie, expression littérale des pensées de notre saint docteur :

« Comme la Trinité très auguste a une source et une fontaine de divinité, ainsi que parlent les Pères grecs, un trésor de vie et d’intelligence que nous appelons le Père, où le Fils et le Saint-Esprit ne cessent jamais de puiser ; de meme lame raison-nable a son trésor qui la rend féconde. Tout ce que les sens lui apportent du dehors, elle le ramasse au dedans ׳, elle en fait comme un résërvoir que nous appelons la mémoire. Et de meme que ce trésor in-fini, c’est-à-dire, le Père éternel, contemplant ses propres richesses, produit son Verbe, qui est son image ; ainsi l’âme raisonnable, pleine et enrichie de belles idées, produit cette parole intérieure, que nous appelons la pensée ou la conception, ou le dis-cours qui est la vive image des choses (1). »

(1) Serm., tom. ix, pag. !4*■

Dans le discours xnix, expliquant le mot de saint Paul : Seinetipsuin exinanivit , l’auteur, quel qu’il soit ( car on n’est pas bien d’accord qu’il soit de saint Gré-goire de Nazianze ), dit, en parlant de Jésus-Christ :

Le Fils de Dieu, en se faisant homme, n’a rien perdu de son être. Le corps qu’il a pris n’a été qu’un canal par où il a fait passer jusqu’à nous sa grâce et sa lumière.... Son anéantissement n’a point altéré sa substance ; mais il a comme enseveli sa majesté dans la masse d’un corps humain, dont il s’est rc-vêtu, pour sauver les hommes. La nuée qui cache le soleil nous dérobe sa lumière, mais elle n’ob-scurcit point le soleil. Ce n’est qu’un léger obstacle qui l’empêche de faire éclater ses rayons.

Au reste, ce discours n’est pas sans mérite. Le dogme de la Trinité y est développé savamment; la divinité de Jésus-Christ, vengée contre les subtilités impies de !’Arianisme.

L’auteur de la traduction française ajoute aux dis -cours de saint Grégoire un sermon sur la pénitence (1), qui se trouve être attribuéà saint Phébade d’Agen par les auteurs de ΓHistoire littéraire de la France ( tom. vt , pag. 5θ). L’abbéde Billy etD. Ceillierne le reconnaissent pas davantage, pour être du saint évêque de Constant!-nople. Il pourrait être d’un autre Grégoire ( d’El-vire. ) (2).

(1) Tom. n, pag. 426 et suiv.

(2) D.Ceillier , Hist, des écriv., tom. vt ,pag. 5 g.

Quoi qu’il en soit, nous y lisons cet excellent commentaire sur les mots de l’Evangile : J’ai eu soif, et vous m’avez donné a boire : Celui qui remplit d’eau les fontaines et les lacs, parle de la sorte : J’étois nu, et vous ni avez revêtu ; j’étois en prison : Eli quoi ! n’est-ce pas lui qui rompt les fers de tous les cap-tifs? Le moyen de croire à ces paradoxes? A-t-on jamais vu Dieu souffrir? Et, quand a-t-il e'té possible de le secourir dans ses souffrances? — Je vous dis, en vérité , qu’autant de fois que vous avez rendu ces devoirs de charité aux moindres de mes frères , c’est a moi-même que vous les avez rendus. Il est donc bien vrai, qne celui qui a compassion du pauvre, prête à Dieu à intérêt. Il n’est fait mention que de l’aumône au jugement de Dieu ; cependant il pou-voit dire aux justes : Venez, vous, qui avez été bénis par mon Père, à cause que vous avez été Matth. xw. chastes, que vous avez conservé votre virginité, et vécu comme des Anges. Ce n’est pas que ce soient là de médiocres vertus ; mais elles le cèdent à la charité. La condamnation des réprouvés est fondée sur la dureté qu’ils ont eue envers les pauvres : Retirez-vous de moi, maudits ; allez au feu éternel Ibid. 41. qui a été préparé pour le diable et pour ses anges.

Quels crimes ont-ils commis pour être traités si du-renient?—J’ai eufaim, et vous ne m’avez pas donné a manger. Il ne leur reproche point d’impudicilés, des adultères, des brigandages, de faux témoigna-ges, des parjures ; il est évident que toutes ces choses sont criminelles : elles le sont moins encore que la cruauté envers les pauvres. II semble que Dieu compte les autres crimes pour rien ; il ne s’attache qu’au defaut de charité. Leur dureté est la cause de leur malheur ; c’est ce qui les'prccipite dans le feu de l’enfer ; la charité des autres leur ouvre la porte du paradis... Donnons l’aumône, afin que Dieu soit notre débiteur plutôt que notre juge. Un débiteur garde du ménagement envers son créancier; il le respecte, et il le craint... Dieu rend en public ce qu’on lui a prêté en secret. Mais, pourquoi Dieu ne donne-t-il pas aux pauvres des biens comme aux riches ? II n’a pas voulu que vos richesses demeuras-sent inutiles ; ni empêcher les pauvres de profiter de leur pauvreté ; il veut que les aumônes que vous ferez, vous enrichissent encore davantage.

Les discours qui suivent sont moins des sermons que des traités , ou des lettres. On n’est pas même d’accord sur leur véritable auteur. Quelques passages ont pu etre recueillis des discours da saint évêque, tels que celui-ci qu’on lit dans le cinquante-deuxième contre les Apollinaristes :

O étrange folie ! ô criminelle démence! Apollinaire prétend nous annoncer une sagesse découverte depuis Jésus-Christ. Quelle pitié! Car, si l’Evangile n’a corn-mencé à être connu que depuis trente ans, quand il y en a quatre cents déjà que !’Eglise de Jésus-Christ est établie , l’Evangile n’a donc jusque la servi de rien ? C’est en vain que les chrétiens ont cru , que les martyrs ont versé leur sang; que tant d’illustres évêques ont gou-verné l’église.

Le lui0, qui est une paraphrase de l’Ecclésiaste , se termine par une description du jugement dernier, à la-quelle Bourdaloue emprunte ce raisonnement : <׳ C’est une question que les Pères de !’Eglise se sont proposée, savoir, pourquoi Dieu, ayant déjà jugé en particulier tous les hommes à la mort, les jugera encore à la fin du monde. Ils en apportent différentes raisons; mais la plus solide est, à ce qu'il me semble , celle de saint Grégoire de Nazianze. Dieu, dit-il, en usera de la sorte, afin de faire connoître à tout l’univers dans ce jugement gé-néral la vie et la conscience de chacun des hommes (1). »

(1) Seen:. sur la vraie et la fausse, piété 2° part , Dominic., torn.:! ,

 

Panégyriques

Panégyrique des saints Machabées.

Qu’étoient-ee que les Macbabées, dont nous célébrons aujourd’hui la fête? Sil’on nous demande pour-quoi eette solennité׳, que quelques e'glises seulement ont reconnue , parce que ecs saints martyrs furent antérieurs à Jésus-Christ ; nous répondrons que toutes leur doivent l’hommage d’un culte public, en récompense du généreux dévouement avec lequel ils ont enduré les plus cruelles souffrances pour la défense des lois et des institutions de leur pays. Des hommes qui, avant la sanglante mort de Jésus-Christ, se sont exposés au martyre, qu’auroicnt-ils fait, s’ils eussent vécu après Jésus-Christ, et s’ils avoient eu pour objet d'imitation le sacrifice du Dieu mort pour notre salut? l£t puisque, sans être soutenus par un tel exemple, ils ont fait éclater une si admi-rable vertu; peut-on douter que, s’ils !’avoient eue sous les yeux, ils n’eussent développé encore plus de courage et de magnanimité dans leurs épreuves ?... Pas un de ceux qui avant Jésus-Christ ont eu l’hon-neur de souffrir le martyre, n’est étranger à la foi de Jésus-Christ.... Bien loin donc d’être dédaignés, parce qu’ils vécurent avant Jésus-Christ, les Ma-chabées méritent et nos éloges et nos panégyriques , pour avoir réglé leur vie sur le modèle de la croix. Ce n’est pas que nous puissions rien faire pour leur gloire; car de quoi sert un discours à des héros dont la vie et les actions furent si éclatantes? Il n’y a de gloire à prétendre que pour ceux qui les louent, et pour ceux dont l’émulation, s’enflammant au récit de ces saints exploits, leur suscitera des imitateurs.

Qu’étoient donc les Ma chabées? Quelle fut l’école et le code oit ils puisèrent les principes féconds qui les ont portés à tant d’héroïsme et de gloire, et leur ontmérité, non-seulement l’honneur decessolennités annuelles, mais, ce qui vaut mieux que les hommages extérieurs, l’impression profonde de l’admiration qui s’attache à leurs noms? Sur ces questions, la curiosité trouvera de quoi se satisfaire dans le li-vre (1) qui traite de l’empire que la raison obtient . sur les passions, et où l’auteur, à la suite de plusieurs autres témoignages, rapporte à l’appui de son senti-ment, les combats des Machabées.

(1) Par !’historien Josèphe , sous le titre : El; Μαχχ,αζχιχς η πιςι αυτακ,ξατοξίς λογιιτμα, où toute l’histoire des Machabées se trouvées-posée. A moins que l’on ne suppose une périphrase oratoire , qui indique le Inre même des Machabées.

Le premier qui vient s’offrir à nos regards, est Eléazar, le premier des martyrs d’avant Jésus-Christ, comme saint Etienne l’a été depuis Jésus-Christ. C’étoit un prêtre déjà avancé en âge, et dont la prudence ne le rendoit pas moins vénérable que ses cheveux blancs. Jusque-là, c’étoient des prières, et des victimes étrangères qu’il offroit au Seigneur : aujourd’hui, c’est lui-même qui s’immole en per-sonne, comme un sacrifiée parfait, offert pour les péchés du peuple ; donnant à la fois le signal et l’exemple du combat, exhortant par son silence autant que par son langage. A ses côtés, marchent ses fils, au nombre de sept, formés par ses leçons, prêts à faire de leur corps un holocauste vivant, saint, agréable au Seigneur, bien plus pur et plus noble que les sacrifices ordinaires. Il est juste de rendre aux pères l’honneur des belles actions de leurs enfants. D’autre part, voici encore de nouveaux athlètes, non moins généreux, illustres rejetons d’une illustre mère, défenseurs intrépides de la vérité, dont la persécution d’Antiochus fit éclater l’invincible courage. Disciples fidèles de la loi de Moïse, religieux observateurs des institutions an-tiques, 011 les vit encore au nombre de sept, tous enflammés de la même ardeur, tous se proposant un même but, et ne connaissant, pour aller à la vie, qu’un seul chemin, celui de la mort soufferte pour la loi de Dieu, tous dignes frères les uns des autres , affronter ensemble les tortures, et sc prêter un mutuel exemple à braver lamort. Spectacle vraiment admirable ! Ils couraient aux tourments, comme l’on court après des trésors; ils redoutaient si peu les supplices auxquels ils étoient en proie, qu’ils en appelaient de nouveaux ; toute leur crainte étoit que les bourreaux, fatigués, ne ménageassent leur sang, et qu’une indulgence plus cruelle que la fureur de la tyrannie ne dérobât à quelqu’un d’eux l’honneur du martyre et les palmes de la victoire.

Nos regards doivent s’arrêter enfin sur leur mère, femme au-dessus de son sexe, au-dessus de la nature, dont l’amour qu’elle avoit pour ses enfants n’excluoit pas celui qu’elle devoit à Dieu. Scs entrailles mater-nelles étoient déchirées par des affections-extraordi-naires ; moins sensible aux douleurs qu’éprouvoient ses fils, qu’agitée par la crainte que la mort ne vînt trop tôt les soustraire à leur violence; regrettant moins ceux qui avaient déjà perdu la vie, qu’elle ne désirait pour les autres une égale récompense ; trem-Liant seulement pour ceux qui survivaient, parce que le combat restait encore douteux pour ceux-ci, tandis que pour les autres la victoire étoit assurée. Les premiers étoient en dépôt dans les mains de Dieu ; les autres, elle sollicitoit pour eux le même triomphe. Quel mâle courage dans une femme ! Le magnifique, l’admirable présent qu’elle offroit au Seigneur! Sacrifice plus héroïque peut-être même que celui d’Abraham ! puisque le saint patriarche n’avoit à offrir qu’un seul Isaac, qu’il l’offrait volon-tairement, bien que ce fût un fils unique, l’enfant de la promesse, l’objet de si magnifiques espérai!-ces, et que surtout le sublime dévouement du père devoit servir , non-seulement de modèle à sa posté-rité, mais de type et de règle à tous les sacrifices: mais elle, c’est un peuple d’enfants, c’est une 1011־ gue postérité quelle immole. Supérieure à toutes les mères, à tous les prêtres, par le nombre et par la qualité de ses victimes; allant d’elle-même à l’autel du sacrifice, et courant au-devant du cou-teau qui les égorge, elle leur découvrait le sein qui les avoit nourris, leui^rappeloit le^soins don-nés à leur enfance, leur montrait ses cheveux blancs, les suppliait au nom de ses vieux ans, non de ménager leur sang et de prolonger leur vie, mais de braver intrépidement la mort avec toutes ses horreurs. Rien qui fût capable d’ébranler sa constance, pas meme d’amollir cet intrépide courage , ni les instruments déployés pour distendre leurs membres, ni les roues exposées sous les yeux de ses fils; ni tout l’appareil des plus barbares exécutions , ni les pointes déchirantes des dents de fer, ni les rugissements des bêtes féroces, ni le tranchant des épées, ni l’aspect des eaux bouillonnantes et des bra-siers ardents ; ni les menaces du tyran, ni les cia-meurs confuses du peuple présent au spectacle et des satellites ; ni la vue de ses tendres enfants , de leurs membres mutilés, et de leur chair tombant en lam-beaux, et de leur sang qui ruisseloit autour d’elle, de ces jeunes fleurs, si impitoyablement moisonnées; ni les maux présents ni les tortures nouvelles qui s’apprêteient. La continuité même du supplice, qui d’ordinaire en aggrave le poids, en étoit pour elle !’adoucissement; elle voyoit, non sans un vif senti-ment de joie, le coup mortel suspendu, tant par la variété des tortures, dont chacune étoit contemplée par elle avec un courage impassible, que par les dis-cours quele tyran adressait à ses victimes, tan tôt pour insulter à leur résolution, tantôt pour essayer de les abattre, soit par des menaces, soit par des caresses, soit enfin par tous les moyens qu’il pouvait imaginer; à quoi nos jeunes athlètes répondoient avec une présence d’esprit telle qu’il est impossible de trouver ailleurs rien qui puisse leur être comparé, et que l’on ne sait pas ce que l’on doit le plus admirer ou la force de leur courage, ou la sagesse de leurs discours. C’éloit entre la mère et les fils une sainte émulation à qui montrerait le plus d’héroïsme. Celle-ci s’élevant au-dessus de tout, et mêlant à la tendresse maternelle l’énergie d’un saint enlhou-siasme, s’offroit à ses enfants, comme une sorte de présent funèbre, s’unissoit à leur martyre, soutenoit leur ardeur, ornoit leurs funérailles par l’élo-qucnce de son langage. Qu’étoicnt-ce donc que ces paroles? Il ne vous sera pas indifférent de les con-naître ; elles vous apprendront à vous-mêmes ce que vous devez faire et ce que vous devez dire, à leur exemple, si jamais vous vous rencontrez dans de pareilles circonstances. «Apprenez, ô Antiochus, » et vous tous qui êtes ici présents, apprcncz-le : » Il n’y a pour nous qu’un seul roi, le Dieu par qui » nous avonsété créés, et auquel nous retournerons; » qu’un seul législateur, Moïse, qu’il nous est im-» possible de trahir et de déshonorer. Nous en ju-» rons par les périls à quoi ce grand homme s’est » exposé généreusement, par tous les miracles qu’il » a faits. Quand nous serions menacés par un An-» tiochus plus cruel encore que vous n’êles, nous » mettons tout notre espoir et toute notre confiance » dans !’observation de la loi divine ; elle est notre » soutien. Ce n’est point nous qui la violerons ja-» mais. La gloire à laquelle nous aspirons , c’est de » mépriser toute gloire pour de si grands intérêts.

» Toutes les richesses que nous ambitionnions, ce » sont les biens que nous attendons. Toute notre » crainte scroit de craindre rien plus que Dieu. » Voilà tous nos raisonnements et toutes nos armes; » voilà les motifs de notre résistance et du combat » que vous nous voyez soutenir contre vous. C’est quel-» que chose de bien doux que de jouir du monde, de » sa patrie, de la société de ses amis, de ses pro-» dies, de ses frères d’armes; de ce temple, le pre-» micr temple de l’univers , des fêtes et des mystères » saints que nous tenons de nos pères, de tant d’au-» très avantages qui nous mettent au-dessus de tous » les mortels. Mais il est encore plus doux de souffrir » pour Dieu et pour la vertu. Nous espérons un au-»/tre monde et plus noble et plus durable qu’aucune » des choses sensibles. La céleste Jérusalem est notre » patrie : celle-là, elle est hors des atteintes de tous » les Antiochus. Us ne pourront jamais la conque-» rir, elle est forte et imprenable. Nos parents » sont tous ceux auxquels la vertu nous allie ; nos » amis, les prophètes et les patriarches qui nous » ont laissé la règle et l’exemple de la piété ; nos » frères d’annes, ceux qui se trouvent aujourd’hui » appelés avec nous dans la lice, réservés aux mêmes » combats. Nous ne regrettons point ce temple : il » y en a un autre encore plus magnifique ; cesl le » Ciel. Nous y retrouverons d’autres fêtes et d’autres » solennités parmi les chœurs des Anges, le plus » auguste des mystères, Dieu lui-même, à qui se » rapportent tous ]es autres. Cessez de nous tenter » par des promesses frivoles, et qui ne nous tou-» client point ; nous ne voulons point d’honneurs qui » nous déshonoreraient, ni de gains funestes aux-» quels nous aurions tant à perdre. Cessez de nous » menacer; ou nous vous menacerons à notre tour de » manifester votre foiblesse, et de faire éclater à vos » yeux nos vengeances. Nous avons, nous aussi, ne » l’ignorez pas, un feu que nous renvoyons à nos per-» sécuteurs. Croyez-vous n’avoir affaire ici qu’à des » nations, à des villes impuissantes, à des rois foibles » qui peuvent vaincre et être vaincus.? Faut-il s’en » étonner, de si misérables intérêts leur mettent les » armes à la main ! C’est Dieu, de qui vous attaquez » la loi, c’est la loi que lui-méme a gravée sur la » pierre, ce sont des institutions consacrées par la » raison, par l’antiquité; ce sont sept frères unis par » un même sentiment, autant de trophées qui impri-» ment à votre nom un éternel opprobre ; que vous » pourriez vaincre sans beaucoup de gloire, tandis » qu’en triomphant de vous, ils vous couvrent d’une » honte ineffaçable. Voyez en nous les descendants, » les disciples de ces hommes au devant de qui mar-» choit une colonne de feu , pour qui la mer ouvrait » son sein , les fleuves suspendaient leurs eaux, et le » soleil arrêtait son cours ; ces hommes en faveur de » qui le Ciel faisait pleuvoir la manne pour les nourrir, ?1 qui il suffisait dey prières et des mains de » Moïse pour vaincre et mettre en fuite les plus for-» midables armées; devant qui les bêles féroces » oublioicnt leur faim , la flamme ses ardeurs dévo-» rames, et les rois leurs édits sanguinaires, désar-» mes par leur vertu. Nous sommes, pour vous rappc-» 1er ce qui vous est connu personnellement, nous » sommes les disciples de cet Eléazar, dont vous-» même avez éprouvé le courage. Le père a corn-» battu le premier, ses enfants suivront ses traces; ׳»le prêtre a marché devant, les victimes iront » après. Vous cherchez à nous effrayer par un terri-» ble appareil ; nous sommes prêts à en braver de » plus redoutables. Que gagnerez-vous à vos mena-» ces? Quels supplices avez-vous à décerner? Il n’y » a rien de plus fort que des hommes prêts à tout » souffrir. Qui vous arrête, bourreaux? qu’attendez-» vous? Peut-être que la bonté de votre maître vous » commande quelque exécution nouvelle? Où sont » vos iflaives. vos chaînes? Pressez l’œuvre ; attisez » le bûcher, irritez les plus féroces de vos animaux, » épuisez la théorie des tortures ; que tout s’y rcs-״ sente delà royale magnificence. Voici l’aîné delà » la famille, c’est à moi à être immolé le premier... » Moi, je suis le plus jeune ; qu’importe l’âge? Cou-» fondez les temps, pourvu que nous ayons tous une » part égale à la victoire. Pourquoi nous épargner ? » Dans l’espoir peut-être que nous changerons de » sentiment et de langage? Nous le répéterons deux » fois, trois fois, plus souvent encore : nous ne man-» gérons point de vos viandes impures ; nous ne » plierons pas sous votre joug ; plutôt que de nous » ranger à votre parti-, c’est à vous à embrasser notre » culte. Enfin, ou inventez de nouveaux supplices; » ou croyez bien cpie nous nous mocquons de tous » ceux que l’on étale sous nos yeux. »

C’est ainsi que les Macliabées parlaient au tyran. Et encore, que ne disoient-ils point pour s’encou-rager entre eux? Que d’actions héroïques! Quelle magnanimité! quelle religion ! quel spectacle plein de charmes pour les yeux et les oreilles de tous ceux qui aiment la piété! Le souvenir m’en pénètre de joie ; il me transporte au milieu des athlètes ; il m’arrête avec délices sur tous ses détails. Je les vois s’embrasser , se serrer sur le sein l’un de l’autre, avec la meme allégresse que s’ils fussent arri-vés au terme du combat. Je les entends s’écrier : «Allons, ô nos frères, allons, hâtons-nous, proli-» tons du moment où le tyran est déchaîné ; ne » laissons pas à ses fureurs le temps de s’attiédir, et » de nous enlever le prix de nos efforts. Le banquet » est préparé, ne nous en excluons pas. Il est doux » pour des frères, d’habiter ensemble, d’etre assis à » une môme table, de se prêter un mutuel appui ; il » est plus doux encore et plus honorable de braver les mêmes risques pour la cause de la vertu. Eût-il » fallu marcher au combat pour la défense des lois » de la patrie, nous étions prêts; il nous eût etc » glorieux de mourir pour une si noble cause : appe-» lés à un autre sacrifice, toujours du moins avons-» nous nos corps à lui offrir. Un peu plus tôt, un » peu plus lard, bon gré malgré, ne devons nous » pas le tribut A la nature? Ce qu’il faudra toujours » faire par nécessité, faisons-le librement, et sans » contrainte. Faisons-nous de la loi commune un » bienfait particulier; achetons la vie au prix de la » mort. Que pas un de nous ne regrette la vie ; point « de cœur lâche et pusillanime. Otons au tyran l’es-» pair de triompher des autres, après qu’il aura » éprouvé notre courage. Abandonnons-lui le soin » de régler les rangs parmi ses victimes ; et faisons » taire dans nos cœurs tout sentiment de rivalité. Le » premier montrera le chemin aux autres ; le der-» nier fermera la lice. Qu’un seul vœu nous anime, » celui que tous, sans exception, soient admis à la » couronne; qu’il n’y ait pas le plus léger triomphe » pour le tyran ; ne laissons pas à son orgueil le » moyen de se vanter qu’en terrassant un seul » d’entre nous, il nous ait tous vaincus. Que la mort concoure avec la nature à prouver que nous » sommes tous frères. Marchons tous au supplice, » comme si nous n’étions qu’un seul, et que chacun » de nous se retrouve dans tous les autres. 0 Eléazar ! » tends la main à tes enfants. 0 notre mère! accompagnez leurs pas. O Jérusalem ! prépare-nous » d’honorables funérailles, si toutefois il reste de » nous quelque chose à ensevelir : garde le souvenir » de nos combats. Tu publieras le récit de notre » mort; lu aimeras ?1 montrer à ceux qui viendront » après nous, le pieux tombeau qu’a peuplé le sein » d’une seule femme. »

Tels furent et les discours et les actions par les-quels ils s’animoient.... Tant de générosité portait, d’une part, la joie et l’admiration dans le cœur de leurs compatriotes, et, de l’autre, l’épouvante dans celui de leurs persécuteurs, honteux de voir que, dans cette attaque générale, dirigée contre la nation entière, une si foible poignée de jeunes gens, qui combattoient avec cette force invincible pour leurs lois religieuses, leur faisoit abandonner l’espérance de réduire les autres.

Cependant leur mère, cette glorieuse mère de si *vertueux enfants, cette magnanime élève de la loi, partagée entre la crainte et l’allégresse, éprouvait le combat des passions les plus diverses. D’un côté, l’héroïque courage de ses fils ; quel triomphe, quels délices ! mais, de l’autre aussi, l’incertitude du dé-nouement^ ce formidable appareil de supplices retracés dans son imagination avec toutes leurs horreurs, quelle terrible anxiété ! Semblable à l’oi-seau qu effraie la présence du serpent, ou de quelque autre ennemi qui en veut à ses petits, qui déjà les a saisis dans ses serres, on la voyoit aller, courir de ]’un à l’autre, exhorter, supplier, s’unir à leurs combats, 11e rien ménager pour les animer à la vie-toirc, recueillant les gouttes de leur sang et les lambeaux de leur chair mutilée, en baiser les restes, recevant dans ses bras celui qui expiroit sous les coups, présentant l’autre aux meurtriers, les dispo-sant tous à la mort par ces paroles proférées avec force : «Courage, mon fils, courage, valeureux sol-» dat!...Un effort déplus, et ]a victoire esta nous. » Les bourreaux épuisés s’arrêtent ; voilà tout ce » que j’appréhende. Un effort de plus, el nous som-» mes, vous, les plus heureux enfants, moi, ]a plus » heureuse mère. Que si vous pensiez au regret de » la séparation : non, je ne suis pas perdue pour » vous ; comptez sur la foi de nos promesses : non, » je ־ne vous abandonnerai pas : je ne suis pas assez » ennemie de mes enfants, pour ne pas les suivre».

Le martyre consommé, rassurée par la victoire successive de tous scs fils, l’intrépide mère, les yeux et les mains élevées au ciel, ne peut plus modérer ses transports. Haussant la voix : « Je vous rends » grâce, s’écrie-t-elle, à vous, ô Père Céleste ! à vous, » loi sacrée, qui êtes notre règle ! à vous aussi, ô no-» tre père , vertueux Eléazar, qui avez ouvert à vos » fils la route des plus glorieux combats ! C’est à vous » que je dois d’être devenue la plus vénérable des » mères. Je n’ai rien réservé pour le monde : j’ai » donné à Dieu tout ce que j’avois, mes trésors et » les espérances dont se nourrissait ma vieillesse....» Je suis payée, ô mes enfants, de tous les soins que » votre éducation m’a coûtés. Je vous ai vu tous » combattre et vaincre pour la cause de la vertu. » Quel service m’ont rendu vos bourreaux ! et quelle » reconnaissance ne dois-je pas au tyran, de m’avoir » réservée pour la dernière! Témoin de vos exploits, », tranquille sur vos succès, je puis marcher à la » suite de victimes aussi parfaites. Je ne déshono-» rerai point leur triomphe par des pleurs et des » gémissements... Laissons ces témoignages delà » douleur aux mères sans courage, qui ne le furent » que selon la chair, et pour qui la mort de leurs » enfants est sans profit. Chers enfants! vous n’étes » pas morts pour moi, vous n’avez été qu’offerts au » Seigneur; vous n’étes pas perdus, vous ne faites » que changer de demeure : les tortures, au lieu de » vous démembrer, n’ont fait que vous unir plus » étroitement.... Je vous suis à l’autel du sacrifice.» Nous allons tous nous rejoindre au magnanime » Phinées(1), à la généreuse Anne (2)......Tyran!» qu’attends-tu donc encore? Hâte-toi, c’est la seule » prière que je puisse t’adresser, la seule grâce que » tu puisses m’accorder; hâte-toi de m’unir à mes» enfants... Mon trépas est le seul cjui manque à ta » vengeance. Que ne puis-je avoir à endurer tous les » supplices que mes fils ont éprouves, afin que mon » sang demeure confondu avec le leur,... et que » nos cendres du moins soient rassemblées dans une » même sépulture!... Ce sont Là les derniers adieux » que j’adresse aux mères et aux enfants. Puisse » notre exemple leur apprendre à tous les leçons » qu’ils doivent donner et recevoir!.... »

(1) Planées, filsliii-mème d’un autre Eléazar, célèbre parson zèle contre les prévaricateurs de la loi. ( Num. xxv. )

(2) Aime, mère, de Samuel, qui offrit son fils au Seigneur. (I. Reg. 1.)

Ayant parlé de la sorte; on la vit d’elle-même courir au bûcher, et y monter comme sur le ht nuptial, sans en attendre le signal des bourreaux; elle eût craint que des mains profanes ne souillas-sent par leurs attouchements la pureté de son corps.

Tel est le fruit qu’Eléazar a retiré de son saccr-doce, disciple fidèle, maître éloquent de la loi di-vine; purifiant Israël, non par une eau étrangère, mais par son propre sang, et couronnant scs autres sacrifices par le sacrifice de sa propre vie. Tel est le fruit que ses enfants ont retiré de leur jeunesse. Ils ne s’éloient point laissé aller à la voix des passions, mais les soumettant au frein de la raison, conser-vaut la pureté inviolable de leur corps, ils ontmé-ri té de passer à une vie nouvelle exempte de trou-ble et d’agitation....

Ces généreux confesseurs n’ont donc pas moins de droit à nos hommages que les martyrs iirtmolés depuis Jésus-Christ. Car ceux-ci, comme je l’insinuois au commencement de ce discours, avoient pour modèle Jésus-Christ lui-même, dont ils ont suivi les traces..... Les Machabées 1iétoient point soutenus par l’admirable exemple d’un Dieu mou-rant pour nos péchés. Leur intrépide courage fut admiré non-seulement de la Judée entière, inté-ressée au renversement ou à la gloire de scs lois, mais d’Antiochus lui - meme : la vertu impose à ses propres ennemis. Il commande leur estime. Il abandonna son entreprise; et combla d’éloges Séleu-eus, son père, qui avait accordé à la nation juive d’honorables distinctions, et enrichi son temple de présents magnifiques. Il ne dissimula point son mé-contentement contre Simon, qui l’avoit engagé dans une persécution où sa cruauté ne lui valut que l’op-probre de s’étre laissé entraîner par des conseils perfides.

Prêtres, mères, enfants, imitons l’exemple que nous ont donné les saints Machabées. Prêtres ! Eléazar nous apprend, par ses discours et par ses œuvres, coque nous devons faire. Mères ! la géné-reuse mère de ces héros vous apprend comment vous devez aimer vos enfants , en les donnant à Jé-sus-Christ, pour sanctifier le mariage par un sa-crifice aussi saint. Enfants! l’héroïsme de ces in-trépides jeunes gens, vous apprend à vaincre les passions honteuses , et à combattre sans relâche contre les Antiochus secrets , que nous portons tons au dedans de nous, tyran domestique qui nous alla-que, non par ]0 glaive, mais par tous les artifices.... Que l’antiquité nous serve de leçon aussi-bien que les histoires modernes; et que le vieux Testament conspire avec le nouveau, pour glorifier Dieu dans le Fils et le Saint-Esprit. Ainsi soit-il.

 

Éloge du philosophe Héron.

Ce discours occupa un rang distingué parmi les beaux ouvrages de saint Grégoire de Nazianze. On veut que ce philosophe fût le trop fameux Maxime , surnommé le Cynique (1) , qualification qui n’a pas besoin de corn-mentaire. Il avoit fait paroître quelque zèle pour la foi chrétienne , en écrivant contre !’Arianisme , ce qui lui valut un exil honorable, et l’hommage solennel que lui rend ici l’éloquent panégyriste. C’est au retour de cet exil que saint Grégoire lui adresse ce discours , comme à l’un des martyrs de la vérité. L’illusion ne fut pas longue. Maxime, s’étant déclaré le persécuteur de notre saint évêque et de l'unité catholique, s’attira le discours véhé-ment où le même saint Grégoire démasque ses fourberies et le cynisme de ses mœurs. Il se trouve aussi parmi ses œuvres sous ce titre : Harangue contre Maxime. Ce ne seroit donc pas le même personnage. Quoi qu’il en soit, cette discussion nous est étrangère : nous ne parlons de cet éloge que pour en extraire des pensées applicables à de plus dignes sujets.

(1) Hieronym., De rir. illustr., cap. cxvii. Voy. Tillem., ÿiém., tom. ix, pag. 445. Billius, Not. in S. Gregor. Naz., tom. 11, pag. 800, et ce volume de notre Biblioth. choisie des Pères, pag. 44 et suiv. ; ibid. , pag. 2u!.

La philosophie en elle-même n’a rien que de louable ע puisque le grand objet de ses méditations est de travailler à se rendre utile aux hommes , par l’estime qu’elle leur inspire pour les choses hon-nêtes.

L’éloge enflamme le zèle ; le zèle porte à la vertu, et celle-ci au bonheur , qui est l’unique terme de tous les désirs et de toutes les actions.

Au sujet de sa naissance : La philosophie et le christianisme ne font pas grand cas de la noblesse qui provient de titres imaginaires, et prend sa source dans la poussière des tombeaux, et dans l’or-gueil qui se ente sur des cadavres oubliés, sur un sang dégénéré, sur des parchemins accordés par des rois sans vertu, qui commandèrent qu’un tel fût noble, comme ils auroient commandé toute autre chose. Cc que j’appelle noblesse, c’est celle que décerne la piété, la sainteté des mœurs , et la généreuse émulation de s’élever à cc premier Etre, source de tout bien, de qui tous nous tirons notre commune origine.

Héron avoit réfléchi long-temps sur le choix entre les deux états dont les chrétiens font profession, pour connoître le plus excellent, et celui qui lui seroit le plus utile à lui-même et aux autres ; per-suadé que la perfection de la sagesse consiste à sa-voir accorder son avantage personnel avec l’intérêt public, car nous ne sommes pas nés pour nous seuls, nous sommes faits pour le Lien de tons nos sembla-])les. Il comprit que les avantages de ]a vie privée, qui se renferme dans la solitude, et s’éloigne du commerce du monde, avoient quelque chose de grand, d’héroïque, et même de surnature], mais quelle n’étoit guère profitable qu’à l’individu même, qu’elle isole cl relègue hors de la société que, d’ailleurs, elle est peu favorable au développe-ment de la vertu et au maniement des affaires ; tandis que la vie commune fournit à la vertu des épreuves journalières qui ]a font ressortir, étendent le cercle de ses bienfaits, et par là semble mieux assortie à !‘économie de la Providence, qui a créé ]’universalité des êtres, et les a mis en rapport les uns avec les autres par ]a réciprocité désaffections et des services.

Sa première et sa principale occupation fut de défendre les droits de ]a justice dans les tribunaux, de parler dans les cours avec liberté, de calmer les soulèvements du peuple, de réprimer ]a licence des grands quand ils abusaient de leur autorité, de ré-tablir la paix dans ]es familles, de corriger la rusti-cité des ignorants et !’arrogance des faux savants, le faste insolent de l’opulence et les prétentions hautaines que donnent ]es richesses, de prévenir les crimes qui naissent de l’indigence, les saillies de la colère qui égare la raison , les excès de la vo-hipté, du rire el de la joie, de tempérer l’amertume de la douleur, la fougue du jeune âge, l’indo-]once et l’abattement delà vieillesse, les ennuis du veuvage et le désespoir de l’enfance privée des ap-puis que la nature lui avoit donnés.

Le tableau de !’Arianisme est peint à grands traits.

11 fut un temps où notre Eglise jouissait du calme le plus heureux ; les tempêtes de l’hérésie ne “11Λ* 1’agitoienl pas. On ne parlait plus d’un Simon , d’un Marcion, d’un Valentin, d’un Basilide, d’un Cerdon, d’un Cérinthc, d’un Carpocrate, dont les dogmes extravagants et monstrueux avaient déclaré à Dieu une guerre impie. Il n’étoit plus question ni du mauvais esprit de Montan, ni du ténébreux système de Manès, ni de l’étrange réforme de Novat, ni de la réduction ou plutôt de l’anéantissement des personnes divines imaginée par Sabellius. Ces héré-sies s’éloient ou combattues les unes par les autres, ou discréditées par leur propre nature. Plus d’ob-stade à la tranquillité de !’Église. Les persécutions elles-mêmes, et les supplices n’avoient fait que lui donner un plus vif éclat ; lorsque tout à coup, dans l’intervalle de quelques années, une nouvelle tem-pête vint menacer !’Église. Un homme , abîme profond de crimes, légion à lui seul d’esprits mal-faisants, dont la langue, déchaînée contre Jésus-Christ, exhaloit le blasphème et l’impiété, ce muti-Jateurde la Divinité, dont l’audacieuse témérité et l’horrible fin ont reproduit le perfide apôtre qui avoit conspiré contre la vie de notre divin Sauveur, Arius, en un mot, si digne par ses fureurs du nom qu’il portoit ; Arius, dis-je, après avoir jeté dans Alcxan-drie , où il avoit pris naissance, le plan de son abo-minable système, en vit s’étendre les ravages dans une grande partie de l’univers, comme un vaste incendie qu’alluma une foible étincelle. La flamme en fut d’abord étouffée par la foi de nos Pères , rassemblés au concile de Nicée. La doctrine de la divinité du Verbe fut établie sur des principes et des termes immuables qui confondaient l’impiété. Le retour d’un mauvais gouvernement ramena le mal, qui, semblable à une plaie mal guérie, ranima ses poisons, et répandant d’un côté et de l’autre ses malignes influences, dévora bientôt tout le corps de !’Église. On vit les prêtres divisés d’avec les prêtres , et les peuples se déchaîner contre les peuples avec une aveugle impétuosité. On vit un empereur li-vrer lui-même pleine carrière à l’impiété, l’armer de sa puissance, promulguer des lois contre la doc-trine orthodoxe, et donner un pernicieux exemple, bientôt suivi par ces êtres vils qui semblent ne faire partie d’aucun sexe.

Comment raconter et déplorer avec l’énergie con-venable les malheurs de ces temps funestes , les exils, les proscriptions de tout ce qu’il y avoit de vertueux, les flétrissures infamantes, tant de milliers de victimes, les cités entières dépeuplées, leurs habitants allant au loin chercher des lieux solitaires où ils pussent tenir leurs assemblées, bravant les saisons, les pluies et les frimas, sans pouvoir en-core trouver au fond même de leurs déserts une retraite assurée contre les menaces et les dangers? Comment retracer et les tortures, et les sanglantes exécutions auxquelles étoient condamnés les évê-ques, les religieux, sans distinction de sexe ni dage? Que dirai-je , entre autres , de ces gouver-neurs, dont les uns inventaient des supplices jus-que-là inconnus, d’autres enchérissaient sur l’hor-reur des supplices usités, prêtant leur ministère à tous les raffinements de l’impiété, ambitionnant de se rendre fameux par la cruauté avec laquelle ils outrepassaient les ordres de leur empereur?....

Vous représenterai-je le sanctuaire jonché de cadavres, les femmes foulées sous les pieds, parmi lesquelles se trouvaient des mères ; les vierges con-sacrées, arrachées sans pitié de leurs retraites, en proie aux plus brutales fureurs,... les meurtres sue-cédant aux meurtres, le carnage appelant le carnage, tout ce qu’il y avoit de plus saint roulé dans la poussière et dans la fange, les autels servant de théâtre à des jeux obscènes, à d’impudiques chants , et de jouets à d’in fames bateleurs, lesquels, m’a-t-on dit, et ma langue osera-t-clle le répéter? les-quels insultaient par leurs dégoûtantes parodies et Jours danses sacrilèges, à la majesté du Dieu que nous y adorons? Ajoutez les blasphèmes proférés sans pudeur, du liant de nos chaires usurpées par le crime, nos mystères saints livrés à des railleries outrageantes, le chant des psaumes interrompu, un silence funèbre qu’entrecoupoient de lugubres gémissements, le sang coulant par torrents, les larmes par flots, les prêtres et les moines traînés sanglants, déchirés par lambeaux. Ainsi les Assy-riens autrefois désolèrent la sainte Jérusalem par des calamités, que ni personne, ni moi, n’aurions la force de décrire, et dont vous-mêmes n’auriez pas le courage d’entendre le récit.

 

Oraisons funèbres.

Saint Grégoire de Nazianze nous a laissé plusieurs oraisons funèbres : celles de Césaire son frère , de sainte Gorgonie sa sœur. On peut mettre de ce nombre les dis-cours en l’honneur de saint Bazile et de saint Athanase , puisqu’il fut le contemporain de tous les deux.

Le premier est compté à juste titre parmi les plus beaux monuments de ce genre.

Césaire méritait cet hommage , et ne pouvoit le rcce-voir d’une bouche plus éloquente. Il fut prononcé dans l’église de Nazianze, en 36g. Savant lui-même, versé surtout dans la connoissance de la médecine dont il fai-soit sa profession, Césaire s’étoit rendu utile aux habitants de Constantinople, et nécessaire aux empereurs Constance et Julien. Sa vertu le rendoit respectable et cher à la cour de princes idolâtres et persécuteurs : Césaire osa y être chrétien ; il osa même le paraître. Forcé de s’en éloi-gner, il perdit sa fortune avec encore plus d’éclat qu’il ne l’avoit acquise, et recouvra dans sa retraite auprès de son père (le vieux saint Grégoire de Nazianze) des biens préférables à ceux qu’il avoit perdus.

 

Eloge funèbre de Césaire son frère.

Tendres amis, mes frères, mes pères, vous dont 1׳ag. !60. j’aime tant à reconnoitre et à publier !’affection que vous me portez! vous tous devant qui j’ai l’honneur de parler, témoins des larmes que me fait répandre la perte de celui que nous pleurons! vous vous attendez peut-être à quelqu’un de ces discours tra-vaille's longuement, et charge's de ces ornements e'tu-diés qui amusent la curiosité vulgaire. Vous êtes ve-nus vous réunir à moi pour soulager notre commune douleur en la partageant, m’offrir les consolations de l’amitié, et déplorer vos calamités personnelles enle.s associant à mon deuil particulier (1) .S’il en est parmi vous qui ayez eu de semblables épreuves à subir, un autre motif, peut-être, a dirigé vos pas : vous avez pu croire que cet événement même m’imposerait le devoir de flatter agréablement vos oreilles et vos esprits. Il fut un temps où je me serois efforcé de répondre à ce vœu secret; alors qu’emporté par les vaincs séductions du siècle, je n’aspirois à d’autre gloire qu’à celle de bien dire : mes yeux ne s’étoient })as encore ouverts pour s’élever jusques au Verbe créateur, pour rapporter à lui seul mon être tout entier, et chercher dans son Essence souveraine la source de tous les biens. Maintenant prenez à mon egard de plus favorables dispositions. Je pleurerai, niais sans désespoir, celui que la mort m’a ravi. Ac-coutumé que je s״uis à blâmer dans les autres l’excès de la douleur, je louerai Césaire, mais en me ren-fermant dans de justes bornes.... Nous donnerons des larmes et des louanges à sa mémoire, conformé-ment à l’usage antique et consacre par cette parole du Sage : La mémoire du juste sera accompagnée de ^ouaj1Ses' Et encore : Répandez vos larmes sur un 26· mort, et pleurez comme un homme qui a reçu une grajide plaie ; parole qui condamne également, et une insensibilité stoïque, et une affliction démesurée. Mais nous n’oublierons pas non plus de remettre sous vos yeux la faiblesse de notre nature, ainsi que la noblesse de notre âme, les motifs de consolation à puiser dans notre douleur ; et nous relèverons , par la perspective des biens célestes et immortels, les âmes abattues par la perte des biens fragiles et pé-rissables.

(1) Ce début, de la pins touchante simplicité, se trouve heureusement imité dans le fragment de !’Oraison funèbre de M. l’ancien évêque du Senez, par l’abbé Gallard.

Après cet exorde, saint Grégoire remontant à la naissance de Césaire, retrace les vertus de son père et de sa mère (1). La piété filiale n’avait à risquer ici l’exagéra-lion dans l’éloge qu’elle fait de ces heureux parents, c’est le nom que Julien lui-mêjne avoil donné au père et à la mère de Césaire (2) , dont les âmes , dit le panégyriste , semblent reverdir pour le Ciel, tandis que leurs corps s’affoiblissenl sous le poids des années.

(1) Le vieux saint Grégoire de Nazianze , marié à sainte Nonne.

(2) Tillem., Mém. , lom. ix, pag. 33p.

Parlant de son père :

Riche des qualités que la vue peut saisir, il l’est bien plus encore de celles qui ne se découvrent pas à des regards humains.

L’éloge du père amène celui de la mère.

Leur vertu, comme leurs années, !nettoient entre eux une égalité parfaite ; l’un cl l’autre auroit obtenu la première place, s’ils ne se l’étoient disputée ré-ciproquement.

L’orateur rappelle avec une sensibilité touchante les premières années de son frère, ses études , ses voyages , ses succès à Constantinople, où il ne resta pas long-temps sans y mériter l’estime et !’affection universelles.

Pour l’y fixer, on lui offrit des honneurs publics, une alliance de la première distinction, et la dignité de Sénateur. La ville en corps envoya même une députation à l’empereur, pour le supplier d’ajouter ?1 tousses autres ornements, l’honneur d’avoir Ce-saire pour habitant et pour médecin.

La narration est semée de traits vifs , de sentences pro-fondes, éclatantes, quelquefois ingénieuses et délicates ; telles que celles-ci :

Qui jamais fut plus attaché à scs maîtres? plus cher à ceux de son age? Qui jamais évita avec plus d’attention la compagnie des méchants, et rechercha avec plus d’empressement celle des gens de bien? Il savoit combien nos liaisons influent puissamment sur nos vices comme sur nos vertus. Et de là, cette haute considération dont il a joui, tant auprès־ des premiers magistrats, qu’auprès de tous ses cou-citoyens.

Dans les grandes villes, le simple citoyen reste obscur, confondu dans la foule. Celui-ci étoit connu de tout le monde, pour sa sagesse et pour sa rare intelligence. Nulle science ne lui étoit étrangère : il s’étoit appliqué à toutes avec la même ardeur que s’il n’en eût cultivé qu’une seule, et il avoit donné à chacune la même application, que s’il eût négligé toutes les autres. Il s’attachoit dans les sciences hu-!naines à ce qu’elles ont d’utile, laissant tout ce qu’elles ont de nuisible.... Après qu’il eut orné son âme de toutes les vertus, et son esprit de toutes les connaissances; chargé de ce riche trésor, comme un vaisseau rempli des plus pre'cieuses marchandises, il se mit en mer pour retourner dans sa ville natale , afin de faire part aux autres des savantes richesses qu’il avoit apportées avec lui.....Le désir de se faire un plus grand nom, et en meme temps de pouvoir être auprès de l’empereur, à ce qu’il m’assuroit, le protecteur de ses concitoyens, lui inspira le dessein de se rendre à la cour, dessein que je n’approuvais guère , et qu’il exécuta contre mon gré ; car je le déclare ici pour ma justification, moi qui sais corn-bien il est plus noble et plus ,utile d’être placé au dernier rang auprès de Dieu, que d’occuper les premières places à la cour de l’empereur du monde. Mais on ne peut blâmer sa conduite ; car autant l’é-tude de la véritable sagesse est supérieure à toutes les occupations de la vie humaine; autant il est difficile de s’élever à cet état sublime auquel tous les hommes ne sont pas appelés; il faut y être en-traîné par une de ces grandes et divines inspira-tions, qui soutiennent dans son noble essor celui qui aspire à la perfection.

Non sans doute il ne faut pas un effort médiocre de vertu, pour rester attaché à ses devoirs, dans une pro-fession mondaine, et pour mesurer tellement sacon-duite, qu’avec un personnage de théâtre qui vous en-chaîne à un personnage d’emprunt, et tout en rem-plissant bien son rôle, on vive néanmoins fidèle à son Dieu, et sans altérer l’empreinte de la ressemblance auguste qu’il nous a donnée avec lui-meme.

Tel se montra Césaire. Sa profonde capacité avoit fixé sur lui tous les regards. L’empereur le distingua, l’approcha de sa personne, l’admit même dans sa familiarité, et le combla d’honneurs. Pour lui, n’exi-géant aucune récompense des services qu’il rendoit aux grands par le secours de son art, persuadé que rien n’élève plus un homme que la vertu et la répu-ration que l’on acquiert par des moyens honnêtes et légitimes, il surpassait par la grandeur de son âme ceux qui étoient au-dessus de lui par leur rang.... Bien que chaque jour on lui conférât quelque nou-velle marque de distinction, l’opinion, que l’on avoit de son mérite, allait toujours au-delà, et devançait les récompenses que l’on attendait pour lui de la part des empereurs, et des premiers personnages de l’état. Mais ce qui l’emporte sur tout cela, c’est que ni les honneurs, ni les plaisirs, rien n’altéra la pu-reté de ses mœurs ; uniquement jaloux d’être chré-lien el de le paroitre... Je me contenterai d’en citer un seul témoignage, qui a obtenu la plus éclatante publicité.

Un prince impie étoit déchaîné contre nous. ( Il parle de Julien l’apostat ). Dans sa fureur insensée , ses premiers coups s’étoient dirigés contre lui-même, en renonçant à la foi chrétienne : apostasie qui l’avait rendu universellement odieux. S’éloignant du système de persécution ouverte, employé par les autres ennemis du christianisme, il déguisait sa haine sacrilège sous les dehors de l’humanité. Semblable à l’astucieux serpent dont il étoit obsédé, il se rep'ioit sur toutes les manœuvres imaginables pour perdre et pour séduire. Afin d’empécher les chré-tiens de prétendre à la gloire du martyre ( car, ô l’excellent homme ! il nous envioit cet honneur), son premier artifice fut de faire traîner à la mort, sous le nom de malfaiteurs, et non comme chrétiens , ceux qui souffraient pour la foi de Jésus-Christ. Par un autre artifice, il affectoit d’employer la persua-sion au lieu de la violence, présentant ainsi plus de déshonneur que de péril, à ceux qui embrassaient le parti de l’impiété. Après avoir attiré les uns par l’appât des richesses; d’autres par celui des bon-neurs et des dignités, étalant à tous les yeux le salaire de leurs lâches complaisances, tous enfin par la séduction de ses discours et de son exemple, le voilà qui finit par s’attaquer à Césaire. L’insensé, d’avoir pu croire qu’il allait trouver une proie facile dans Césaire, dans mon frère , dans le fils de tels parents!

Arrêtons nos regards sur la lutte qui va s’engager. Ce récit distrait ma douleur, comme le souvenir d’un spectacle charme encore celui qui y a assisté. Il se présentait dans l’arène, ce généreux soldat de Jésus-Christ, n’ayant pour armure que le signe de ]a croix, pour bouclier que le Verbe divin , contre un adver-sairc exercé dans les subtilités du sophisme, et dans les prestiges du langage. Lui, sans s’effrayer à l’as-pect d’un tel ennemi, ni sans que la flatterie lui lit rien relâcher de sa grandeur d’âme, prêt à toutes scs attaques, il fit bien voir qu’il pouvoit se mesurer, soit par les paroles, soit par les effets, avec un en-nemi armé de toutes pièecs. Tel étoit le théâtre. T el le défenseur de la foi chrétienne... D’un coté, c’étoit Jésus-Christ lui-même qui présidait au combat, animant son athlète* par l’exemple de sa Passion ; d’autre part, un tyran formidable, déployant tantôt les caresses, tantôt l’appareil menaçant de sa puis-sance. Des deux côtés, des spectateurs dont les uns étoient demeurés fidèles, d’autres s’étoient laissés entraîner; tous attentifs an dénouement, plus agi-tés, plus inquiets de savoir à qui resteroit l’honneur du combat, que ceux qui en couroient les risques. N’auriez-vous pas tremblé pour Césairc? Soutien-dra-t-il jusqu’au bout l’énergie de son caractère? Rassurez-vous. Le champ de bataille restera à Cé-saire. Il a pour lui Jésus-Christ, qui a vaincu le monde !

Ce fut à la suite de cette célèbre conférence(1), que Césaire quitta la cour pour se rendre auprès de saint Grégoire son frère : trouvant le bonheur dans son exil; vainqueur sans avoir répandu de sang, et plus illustré par sa disgrâce, qu’il ne l’avoit été auparavant par toutes les distinctions de la fa-veur , et par la célébrité de son nom. Cette victoire vaut mieux, selon moi, que toute la puissance, que la royale pourpre et le diadème de son empereur. Ce souvenir flatte plus mon cœur que n’eût pu le faire l’association de Césaire à l’empire. Il cède à la malignité des temps ; égal observateur de notre loi sainte, quand elle commande de braver le péril, lorsqu’il le faut pour l’honneur de la vérité, plutôt que d’en abandonner lâchement les intérêts ; et quand elle défend de s’exposer témérairement, de peur de se compromettre par une vaine présomp-tion, ou de donner à son ennemi l’occasion de se perdre en le jetant dans la persécution.

(1) On sait quelle fut l’issue de eette audience. Césaire, armé de sa foi, se joua d’une vaine dialectique ; il protesta qu’il étoit chrétien , et qu’il le serait toujours. Alors Julien , lassé de combattre , s’écria, désignant la famille entière par une allusion honorable, mais menaçante : Heureux père! malheureux enfants ! ( La Bletterie, Vie de Julien, pag. 223.)

On fait honneur à Julien de la modération qu’il montra dans cette cir-constance; il pouvoit punir Césaire d’avoir eu raison contre lui; Néron l’eût fait. Est-ce pour Julien nn si grand mérite de ne l’avoir pas imité ? Quoi qu’il en soit ; Césaire ne jugea pas à propos de rester à sa cour. J alien avoit ajourné , à son retour de l’expédition de Perse, les grands coups qu’il espéroit porter au christianisme. Le mot qui lui étoit échappé contre la prétendue opiniâtreté des deux frères, annonçait bien que ce prince n’é-toit pas homme à oublier son ressentiment.

Mais la tempête dissipée, quand le procès entre Julien et nous eut été jugé dans les plaines de la Perse, et qu’un trait lancé d’en-haut, triomphant de l’impie, eût rendu la paix au christianisme ; avec quelle gloire Césaire reparut à la cour ! quel cortège ! quels honorables témoignages ! C’étoit lui qui sem-bloit faire grâce plutôt que la recevoir. Le trône changea de maître (1). Son crédit et l’estime atta-chée à son nom ne changea point. Il y avoit parmi les empereurs une espece d’émulation, à qui le feroit entrer plus avant dans scs bonnes grâces et dans son intime confiance. Telle fut la récompense de sa vertu; l’hommage rendu à sa religion. Que les jeunes gens, que tous les âges le comprennent bien : c’est en suivant les mêmes traces, qu’ils par-viendront à la même nloire.

(1) Julien eut pour successeur Jovien.

Une preuve signalée de la faveur dont il joaissoit, fut sa promotion à la charge de questeur de Bithynie. Encore ri’étoit-ce là qu’un prélude à de nouvelles dignités, aux-quels l’empereur avoit le dessein de l’élcver. Durant l’exercice de sa magistrature, la ville de Nicée , la plus considérable delà province , eut beaucoup à souffrir d’un violent tremblement de terre qui renversa ses plus beaux édifices , et engloutit la plus grande partie de ses habi-tants. Césaire , échappé par miracle , en fut quitte pour quelques cicatrices qui restèrent fortement imprimées sur son corps (2) , pour l’avertir ( c’est la remarque de notre saint docteur ) d’une autre sorte de dangers bien plus graves ; le ramener à la pensée d’un salut Lien plus dési-rable , et d’un ordre de choses où l’on n’a plus à redouter les révolutions de la terre.

(2) Hermant, T'ie de S. Gregoire de Nazianze, liv. rir , chap. vin. Butler, rie des Saints , à l’article saint Césaire.

C’étoit bien là l’objet de ses vœux et de ses réso-lutions ; l’esprit des lettres qu’il m’écrivoit, des conseils que je lui donnois. Je voyois avec peine une vertu si noble se concentrer dans des affections aussi peu faites pour la philosophie sublime qu’elle avoit embrassée ; ramper, pour ainsi dire, dans un cercle d’intérêts humains, qui l’éclipsoient, comme l’astre du jour quand il est enveloppé de nuages.

Il avoit échappé au tremblement de terre : il ne put échapper aux atteintes de la maladie ; il étoit homme. Alors ce fut une grâce particulière qui le sauva; aujourd’hui il avoit à payer le tribut corn-mun. Là, ce fut la récompense de sa piété ; ici c’est la dette de la nature. La consolation avoit devancé la douleur ; et si la perte d’un tel frère me jette dans l’abattement, je me sens relevé par le souvenir du bienfait infini qui me l’avoit conservé. Le voici donc encore sous nos yeux, cet incomparable frère ; voici, du moins, sa cendre précieuse et sa dépouille inor-telle. Au milieu des chants répétés de nos sacrés cantiques, et du pompeux appareil de nos cérémo-nies saintes ג elle va se réunir aux tombeaux des martyrs, portée par les mains vénérables de ceux qui lui furent unis par les liens du sang, accompognée de notre pieuse mère tenant à la main des flambeaux allumés, surmontant sa douleur par son courage, supérieure λ son affliction, faisant taire ses soupirs par la psalmodie ; la voila honorée enfin comme elle méritoit de l’être, cette âme récemment régénérée par le baptême, et créée par le Saint-Esprit à une vie nouvelle.

Agréez, ô Césaire ! ce tribut de ma douleur. C’est à vous que sont consacrés les prémices de cette voix dont vous avez souvent accusé le silence. Hé-las ! c’étoit donc pour vous-même que dévoient écla-ter ses premiers accents! Point de mausolée, point d’ornement sans doute plus conforme à vos désirs. Les tentures somptueuses, les riches tissus où le lin se mêle à une soie ondoyante, vous ne les recher-chiez pas durant que vous étiez au milieu de nous. Content d’être paré de votre vertu seule; et les étoffes magnifiques, et les essences précieuses dont le par-fum s’évapore avant la fin du jour, vous les aban-donniez à un sexe frivole, à des esprits légers et su-perficiels ; sans attendre que les mains cruelles de la mort vinssent vous dépouiller de ces vains orne-ments, et les anéantir sous la pierre du tombeau.

Laissons à la gentilité et ses combats du cirque et ses oiseuses représentations; laissons une aveugle jeunesse se repaître d’une gloire futile comme elle. Laissons-lui et ses libations, et ses couronnes, et ses fleurs nouvelles, tous ces honneurs stériles qu’elle rend à ses morts : tribut payé à la coutume et à la douleur, mais que la saine raison réprouve. Mon présent à moi, c’est ce discours meme. Peut-être passera-t-il jusqu’aux siècles à venir; il associera la postérité à mes regrets ; il ne laissera point à la mort sa proie toute entière ; il conservera celui que nous pleurons, il en retracera l’image dans ]a mémoire et dans la pensée des liommes avec plus de fidélité que ne pourraient le faire les tableaux les plus ani-més.....Et ce n’est encore là que la moitié de la dette qui doit être acquittée pour vous. Nous lé-guons à ceux qui viendront après nous les anniver-saires et les pieuses commémorations..

Frère vénérable et cher ! plaise au Ciel que ta bienheureuse âme soit montée dans les cieux, pour s’aller reposer au sein d’Abraham , contempler les chœurs des anges, la gloire et ]a clarté des pré-destinés, te mêler à leur sainte joie, jetant du haut de la céleste gloire un œil de mépris sur toutes les choses de ce monde, sur ce qu’on appelle ses richesses, sur ses dignités mensongères, sur ses vains honneurs, sur les illusions de nos sens et les agitations de cette vie, que l’on pourroit comparer à des combats de nuit, parce quelles en ont le dés-ordre et l’ignorance ! Plaise au Ciel, qu’en présence du roi des rois, tu sois inondé des flots de cette lu-mière dont nous n’apercevons ici-bas que quelques rayons, et encore si foibles, enveloppés que nous sommes dans les énigmes de la vie présente, mais avec l’espérance d’arriver un jour à la source elle-même, pour y puiser la vérité sans nuages, et trou-ver enfin, au terme de notre laborieuse carrière, la récompense de nos travaux, dans la possession du souverain bien, que nous promettent les oracles sa-crés de notre théologie chrétienne !

Il me reste maintenant à adresser quelques pa-roles de consolation à ceux qui sont affligés. Une consolation que l’on présente en pleurant soi-même, est bien puissante sur ceux qui pleurent ; et l’on est plus capable d’apaiser la douleur des affligés, quand on souffre comme eux.

Son père et sa mère étaient présents. L’orateur, leur fils, loue leur patience dans les maux , leur dévouement à la volonté divine , supérieur encore à leur tendresse pour leurs enfants , !’éducation chrétienne qu’ils leur avoient donnée , la régularité de leur vie dont ils ont fait une continuelle méditation de la mort. Il s’excuse de leur donner des conseils, lui dans un âge encore si loin du leur : mais l’expérience qu’il peut avoir par-dessus celle des vieillards , c’est à leurs propres leçons qu’il reconnoît en être redevable ; et par un de ces mouvements sublimes dont tous les Pères, et Bossuet parmi les modernes, nous offrent de si fréquents et de si heureux modèles :

Combien avons-nous encore à attendre, ô vieil-lards vénérables, avant d’aller nous unir à Dieu ? combien nous reste-t-il encore d’épreuves à subir ?

La vie elle-même tout entière est d’une bien courte durée, comparée à l’éternité de Dieu; à plus forte raison, ces restes de vie, ce dernier souffle qui commence à s’éteindre, cette dernière période d’une vie qui se précipite vers sa fin. De combien Césaire nous a-t-il devancés ? Combien avons-nous encore de temps à pleurer son départ du milieu de nous? Ne marchons-nous point, et à grands pas, vers la même demeure? N’allons-nous pas tout à l’heure entrer sous la même pierre? Ne serons-nous pas bientôt une même cendre? Que gagnerons-nous à ce surcroît de peu de jours? Quelques maux de plus à voir, à souffrir, peut-être à faire nous-mêmes ; et pourquoi? Pour payer enfin à la nature la dette commune et inévitable ; suivre ceux-ci, précéder ceux-là, pleurer les uns, être pleurés par les autres, et recevoir de nos successeurs le tribut de larmes que nous avions apporté à nos devanciers. Telle est la vie de nous autres mortels, condamnés à des jours incertains et périssables. Telle est la scène du monde : nous sortons du néant pour vivre; à peine entrés dans la vie , nous revenons au néant. Que sommes-nous? Un songe inconstant, un fantôme qu’on ne peut embrasser et saisir, le vol de l’oiseau qui fend l’air, le vaisseau qui sillonne fonde sans laisser de trace, une poussière, une vapeur, une rosée du matin, une fleur aujourd’hui naissante, aujourd’hui desséchée. Les jours de l’homme passent, dit !’Ecriture, comme ]’herbe des champs, comme ]a fleur de la prairie. Quelle justesse dans ces leçons que nous donne le saint prophète David, sur la fra-gilité de la vie humaine ! par exemple, quand il dit :

Faites-moi connoître le petit nombre de jours que j’ai à vivre ; quand il compare la vie à la longueur d’une coudée. Que dirai-je de Jérémie, qui semble faire à sa mère un reproche de lui avoir donné le jour, comme pour expier une faute qui n’éioit pas la sienne? J’ai tout vu, disoit le sage ; j’ai contemplé toutes les choses humaines, les richesses, les plaisirs, la grandeur, la gloire qui dure si peu, la sagesse qui échappe si vite et laisse si peu de prise sur elle-meme. Revenant plusieursfois sur les mêmes descrip-tions, il parcourt les divers biens de ce monde, les plaisirs de la bonne chère, les jardins ornés à grands frais, et ces essaims de domestiques, et ces nom-breuses réunions de musiciens et de chanteurs des deux sexes, qui dénotent l’opulence, et ces amas formidables d’armes et de soldats qui font la puis-sance, et les peuples entiers abattus sous le joug, les tributs imposés aux nations, le faste du trône, et tout ce qui est nécessaire à la vie , et tout ce dont on peut se passer. J’ai surpassé en magnificence tous les rois qui m’avoient précédé. Etala suite de tout » ce préambule : Vanité des vanités, s’est-il écrié, et tout est vanité ; tout, illusion d’esprit, c’est-à-dire égarement qui vous emporte, distractions mensongères, dont l’homme est le jouet, sans doute en pu-nilion du crime héréditaire qui nous fut légué par nos premiers parents.

Mais, ajoute-t-il pourdénouement, tout est compris dans ce seul mot : Craignez Dieu ( voilà pour lui י la solution de toutes ces perplexités ), et n’aspirez à d’autre avantage à recueillir de cette vie, qu’à vous faire de ces perpétuelles agitations, de ce flux et reflux des choses humaines, un moyen qui vous élève aux biens qui ne changeront jamais.

Pleins de ces pensées, cessons de pleurer Césaire, puisque nous savons de quels maux la mort l’a affran-chi. Si nous pleurons encore; que ce soit sur nous-mêmes, qui restons condamnés à tant de maux, dont le poids ne fera qu’augmenter, si nous refusons de nous attacher sincèrement à Dieu, en nous élc-vant au-dessus des choses qui nous échappent, pour tendre de tous nos efforts à la vie immortelle, pla-nant au-dessus de cette terre, bien que nous y soyons enchaînés, dociles aux sublimes mouvements de l’esprit qui nous porte vers le Ciel. Çes efforts qui ef-fraient la pusillanimité, coûtent peu au courage. Pui-sons dans ces réflexions des consolations nouvelles. Césaire n’aura plus à commander; mais aussi il n’a plus à obéir. Il n’a plus personne à qui imprimer la crainte ; mais il n’a plus à redouter les caprices d’un maître fâcheux, et trop souvent indigne meme de l’obéissance qu’on lui rend. Il n’a plus à amasser des richesses, niais aussi plus de jaloux à qui porter orn-brage. Plus de risques à courir par d’équivoques acquisitions, ni par une soif insatiable de richesses, toujours croissante à mesure qu’on y satisfait. Car telle est la maladie attachée ?1 ces richesses, de ne eonnoître pas de bornes, et de ne chercher de re-mède à la fièvre qui la dévore, qu’en l’attisant par le breuvage meme qni l’excite. Plus de sciences, plus de livres qui l’occupent : non ; mais plus, sous ses yeux, de ces orgueilleux ignorants, étalant avec tant de faste la science qu’ils n’ont pas... Il ne sera ni époux, ni père;., mais il n’aura point de larmes à verser ou à faire répandre... Il ne recueillera point de riches successions ; mais il laisse après lui des hé-ritiers qu’il s’est choisis, s’enrichissant lui-même en se dépouillant pour les pauvres, et emportant ses vrais biens avec lui. O source féconde de libéralités ! O ineffable consolation (1)!

(1) Ces grandes et consolantes vérités font l’àine de notre prédication chrétienne. Ceux de nos orateurs qui les ont développées avec le plus d’é-clat, sont ceux qui avoient le mieux lu saint Grégoire de Nazianze. Toy. Pa-caud, sur la mort des justes, tom. 11, pag. 89r. La Rue, même sujet. L’ancien évêque de Senez ( de Beauvais ). dans ses Oraisons funèbres.

Césaire avoit laissé en effet un testament adressé au préfet Sophronius , et rapporté par saint Bazile dans ses lettres, par lequel il abandonne tous ses biens aux pauvres. Ses dispositions furent religieusement exécutées par sa famille (Hermant. Kie de saint Grégoire, t. 1 , p. 300).

Que s’il nous faùt d’autres motifs de consolation, en voici de plus puissants encore. Je les puise dans nos saints oracles : nous croyons sur leur autorité que les âmes vertueuses et amies de Dieu, du mo-ment où elles sont affranchies des liens du corps, émancipées à l’instant, soit qu’elles se trouvent pu-rifiées de l’alliage du limon terrestre, soit qu’elles se dégagent des ténèbres dont elles étoient enveloppées, sont allées se mettre en possession du bien suprême qui les attend, le contempler, s’en pénétrer, s’eni-vrer d’une volupté ineffable. Cette vie ne fut pour elles qu’une prison d’où elles se sont échappées. Plus d’entraves, elles ont pris leur essor vers le ciel ; leur vol sublime les a portées au sein de leur Sci-gneur pour s’y reposer, et goûter une béatitude au-dessus de nos conceptions bornées. Et quand viendra le jour où elles seront rendues à la même chair quelles avoient animée, laquelle, tirée de la terre, avoit été mise sous leur sauve-garde ( coin-ment se fera cette réunion, celui-là le sait, qui avoit fait et rompu leur première alliance), alors elle associera cette chair à sa céleste gloire ; et parce que, durant leur commun séjour sur la terre, tous deux furent appelés aux mêmes combats, ainsi tous deux seront initiés aux mêmes récompenses immor-telles ; réunis, absorbés l’un dans l’autre, devenus un seul tout, perdus, anéantis dans la substance même de Dieu, parce que tout ce qu’il y eut de mortel et de périssable sera détruit. Rappelez-vous là-dessus le saint prophète Ezéchiel; rappelez-vous les paroles de !’Apôtre, au sujet de la maison terrestre de notre corps, et d’une autre demeure qui n’est pas faite par la main des hommes : la première, fragile, tombera en ruines ; l’autre nous attend dans Je ciel. Il affirme que l’âme n’est séparée du corps que pour aller comparaître en présence de Dieu. La vie qu’on traîne sur la terre, il la déplore comme un exil, et n’aspire qu’au moment où il en verra le terme.

Pourquoi donc ne soupiré-je pas avec la même ardeur, après ces biens que l’espérance me promet? Pourquoi m’enchaîner à cette vie qui n’a qu’un temps? Attends, ô mon âme, la voix de l’archange, le son de la trompette dernière! prépare-toi au jour où paraîtront de nouveaux cieux, une terre non-velle, où les éléments périront, où le monde tout entier sera renouvelé. Alors je verrai Césaire, non plus exilé, non plus tel que nous le voyons aujour-d’hui porté dans le tombeau, non plus objet de larmes et de pitié, mais triomphant, mais glorieux et couronné, tel que souvent, ô le plus tendre, ô le plus chéri de tous les frères! tu m’as apparu en songe, soit par une illusion de mes désirs , soit dans la réalité... Mais aujourd’hui laissant les regrets, je m’cxaminera־i moi-même, je chercherai si je ne porte pas en moi, sans le savoir, quelque grand sujet de douleur. Fils des hommes, car il est temps de vous adresser la parole: jusqu’il quand vos cœurs seront-ils insensibles et vos esprits grossiers? Qui vous porte à aimer la vanité, à rechercher le men-songe, vous abusant sur cette vie, comme si c’étoit quelque chose de bien précieux et de désirable, sur ce petit nombre de jours dont vous exagérez la durée? Vous redoutez, vous envisagez avec horreur le moment de la séparation qui devrait n’avoir pour vous que des charmes. Ne saurons-nous donc nous connoître jamais, nous élever au-dessus de la foible portée de nos sens, jusques à ces grandeurs réelles qui se manifestent à l’intelligence? Ah ! s’il est une une affliction légitime ; n’est-ce pas plutôt celle qui déplore la longueur de notre exil, comme celle de David, quand il appelle ce monde une maison de Ps. xxxix. 3, ténèbres, milieu de dojaleur, une vase épaisse, et l’ombre de la mort? Ne devrions-nous pas ]!ien plutôt gémir d’etre détenus trop long-temps captifs dans ces tombeaux vivants que nous portons avec nous? Hommes créés pour une nature divine, nous mourons ici-bas de la mort du péché. Pour moi, ce qui me pénètre d’effroi; ce qui occupe toutes mes pensées, et le jour et la nuit ;ce qui ne me laisse point respirer en paix ; c’est la double perspective de cette gloire future, et du formidable tribunal où nous serons jugés. Autant le désir de la première m’enflamme, au point de dire’avec le Psalmiste :

Mon âme languissante attend de vous sa délivrance; a״lant ja pClls(ic fie l’autre me glace d’épouvante.

El ce que j’appréhende, ce n’est pas que ce corps , une fois tombé dans la dissolution et dans la pous-sière, reste anéanti, mais que ce meme corps, cette noble production d’une main divine, cette partie de moi-même, où siègent la raison, la conscience, l’espérance ; si recommandable quand il remplit sa destinée et ses devoirs, si méprisable, quand il les viole, ne soit châtié par la même ignominie qui attend les animaux après leur mort; punition qu’en-vieroient les criminels condamnés aux feux des enfers.... Quel est donc ce nouveau mystère qui éclate dans mon être? Abject et sublime à la fois , rampant et élevé, condamné à la mort et immortel, voilà l’homme. Je tiens tout ensemble à la terre et au Ciel. Je participe aux misères de ce monde et aux attributs de Dieu.... Il faut que je sois enseveli avec Jésus-Christ, que je ressuscite avec lui, appelé à son héritage, enfant de Dieu, dieu moi-même. Voyez jusqu’où la progression de ce discours nous a fait aller. Peu s’en faut que je ne lire un sujet de joie de la calamité qui en fait l’objet... Plaise du moins à Dieu que nos espérances soient accomplies !.. Elles le seront, si l’amour, si la confiance que nous lui devons nous fait supporter tous nos maux, si nous lui rendons d’égales actions de grâces pour tout ce qui nous arrive de désirable ou de lacheux ; si nous lui recommandons avec nos propres âmes celles de nos frères, qui, mieux disposés pour le commun voyage, arrivent les premiers au terme de la route. Ce devoir acquitté : mettons fin, moi, à ce discours, vous, à vos larmes ; après quoi, nous nous acheminerons vers le sépulcre de famille. C’est là le triste, mais unique présent que Césaire nous de-mande désormais. Ce n’étoit pas lui qui devoit, ce semble, le réclamer si tôt. Le cours des années appe-loit d’autres à sa place. Adorons les conseils de la Providence, qui règle et gouverne toutes choses. Seigneur qui avez créé tout ce qui existe, et parti-entièrement ce corps de l’homme, Père, et modé-rateur universel, arbitre souverain de la vie et de la mort, vous qui disposez de nos âmes et les com-blez de biens, qui faites tout avec mesure, dirigeant toutes choses dans le plan de votre profonde et im-pénétrable sagesse : recevez, nous vous en supplions, l’âme de Césaire que nous vous offrons comme pré-mices de notre pèlerinage. Si vous avez voulu que le plus jeune vous fût donné le premier, vous nous voyez résignés. Recevez-nous à notre tour, quand nous aurons fourni la carrière que vous avez marquée à chacun de nous. Faites qu’à ce moment nous soyons dans des dispositions telles, qu’insensibles à toute autre crainte qu’à celle de votre nom, prêts à paroître devant vous, nous ne ressentions ni trouble, ni découragement, ni regrets de ce monde, comme ceux qui sont retenus par les liens de la chair et du sang; mais que nous allions, pleins d’ardeur et d’une sainte allégresse, participera cette vie bien-heureuse, immortelle, qui est en Jésus-Christ à qui appartient la gloire dans les siècles des siècles !»

Éloge funèbre de sainte Gorgonie sa sœur.

La mort de sainte Gorgonie suivit de peu de temps celle de Césaire. Saint Grégoire, leur frère , fut encore appelé à rendre à celle-ci les mêmes devoirs. Le discours qu’il prononça durant ses obsèques , offre la même supé-riorité de talent, mais dans un autre genre. Celui-ci est simple comme la pieuse héroïne qu’il célèbre. Saint Gré-goire avoit-il le pressentiment des honneurs que !’Eglise devoit décerner à la mémoire de sa sœur? Il en fait le panégyrique plutôt que l’oraison funèbre. Dans !’Eloge de Césaire , il s’abandonne à toute la chaleur d’un senti-ment partagé entre les vives émotions de la nature et les sublimes espérances de la religion. Ici il y a moins d’élé-vation; le sujet ne le comportait pas.Le tableau des vertus domestiques est plutôt fait pour les méditations tran-quilles que pour les mouvements de l’imagination. L’o-rateur habile qui le présente, fait ressortir ses images parles oppositions. Aux portraits généraux qu’il puise dans le code de la loi divine, il entremêle les témoi-gnages particuliers que lui fournit la vie du saint person-nage qu’il célèbre. Il ne s’arrête sur les bords de la tombe, que pour s’élever j usqu’au séjour de l’immortelle béati-tude, faire de la proie de la mort la conquête de la grâce, et inviter aux mêmes récompenses par les mêmes sacri-fi ces.

Tel est l’esprit de celle oraison funèbre qui occupera toujours un rang distingué parmi les discours consacrés aux regrets de l’amitié , ou à la eloire des vertus dire-tiennes; vrai modèle en ce genre, disent unanimement tous les critiques (1). Seulement nous avons cru devoir abréger certains détails de description que la sévérité du goût admettrait difficilement dans nos chaires fran-coises.

(1) D. Ceillïer, Hist, des t écriv. ecclés. , tom. vn, pag. 48. Al. le car-dînai Maury, Essai sur l'éloquence de la chaire, torn. pag. 200.

L’éloge public d’une sœur née dans une condition mé-diocre, pouvoit exciter quelque surprise: saint Grégoire prévient l’objection et la réfute par un exorde adroit.

En louant une sœur, j’aurai à parler de vertus domestiques. Pourtant, je ne m’abuserai pas :si les faits sont vrais, l’éloge est légitime. Or il portera sur des faits non-seulement vrais, mais notoires...Ce que j’ai à craindre, ce n’est pas d’avancer rien au-delà du vrai, mais de rester au-dessous, etde ne pas répondre à la dignité de mon sujet par des louanges cpii ne fassent qu’en diminuer l’éclat... L’étranger qui ne mérite pointla louange ne doit point l’obtenir; il ne faut point la refuser aux siens, quand ils y ont des droits : il y auroit une injustice égale à la prodiguer ' au premier, comme à en frustrer les autres. Si nous croyons que l’on ne peut sans crime porter préjudice à scs parents dans leur bien, dans leur honneur, dans leur personne ; si meme nous estimons que l’injustice commise envers ses proches soit ]a plus odieuse de toutes, n’y auroit-il pas la plus étrange inconséquence à croire que nous ne manquerions pas au devoir de l’honnête homme, en refusant ?1 leur mémoire, je ne dis pas l’hommage, mais le tribut sacré pour tons ]es cœurs sensibles, d’un éloge solennel qui puisse les sauver de l’oubli? Voudrions-nous faire plus de compte des méchants qui nous accuseroicnt de complaisance, que des bons qui ré-clament de nous la vérité? Quoi donc ! nous n’hési-tons pas, et peut-être à tort, de louer meme des étrangers dont le mérite nous est bien moins connu et moins atteste: pourquoi le scrupule de l’amitié et la peur d’exciter l’envie nous empécheroieut-ils de louer ceux dont la vertu n’eut rien d’équivoque ; surtout quand ils ont quitté la vie, et qu’il est trop tard pour les flatter, maintenant qu’ils sont enlevés aux panégyristes et aux censeurs, comme à tout le reste ?

C’en est assez pour mon apologie : ce discours étoit indispensable j... travaillons à le rendre utile à ceux qui l’écoutent...

Il étoit naturel que saint Grégoire parlât de son père et de sa mère : Gorgonie sa sœur, lui-même, leur dévoient les principes de l’éducation chrétienne.

Qui est-ce (demande-t-il), qui ne connoisse !’Abraham et la Sara de notre siècle, je veux parler de Grégoire et de Nonne son épouse, dont les noms seuls excitent à l’amour de la vertu ?

11 établit entre eux et ces vénérables patriarches d’in-génieux rapprochements.

C’est d’eux que Gorgonie a y ré sa naissance cl la gloire de son nom; c’est d’eux qu’elle a reçu les germes de la piété , et le bonheur de vivre chrétien-nement, comme de mourir avec les douces espé-rances qui donnent !à l’âme une sainte joie. Sa patrie fut la céleste Jérusalem ;... sa noblesse, l’étude qu’elle fit constamment du divin modèle, pour en retracer dans sa personne les perfections.

De là, l’orateur prend occasion de détailler les vertus de la sainte ; sa chasteté , même dans l’état de mariage.

La chair n’étouffa point en elle les mouvements de l’esprit. La dépendance où elle étoit sous ladomi-nation de son époux, ne lui lit point oublier le maître de l’univers ; mais après avoir obéi à tous les devoirs que lui imposoient ses engagements d’épouse , ou plutôt la volonté souveraine qui a fait les époux, elle finit par se consacrer tout entière au Seigneur...

Quelle femme étoit plus faite pour attirer les regards; et les rechercha moins? Qui sut jamais mieux garder le juste tempérament entre le sérieux et l’en-joué? Rien dans sa gravité de farouche et d’incom-mode ; rien dans ses épanchements qui sentît ]’abandon. Réserve toujours alliée à la prévenance ; équilibre parfait de noblesse et de bonté. Ecoutez ces leçons, ô vous toutes qui n’aimez quel’éclat, etc...

Me sera-t-il permis de faire entrer dans son éloge nu genre de mérite qu’elle savoit bien réduire à sa juste valeur, comme toutes les femmes vraiment modestes ; mais dont on est réduit à faire un titre d’honneur, aujourd’hui que la parure est devenue la principale affaire d’un sexe frivole que ne rame-nent ni les exhortations ni les principes ?Elle, avec tous les avantages de la nature, on ne la vit jamais occupée du soin de relever l’éclat de sa beauté par la richesse des ornements. Nul empressement à faire ressortir ses blonds cheveux parles apprêts menteurs d’une toilette plus propre à déshonorer qu’à cm-hellir la beauté même; point d’habits flottants cf remarquables par ]a magnificence ; point de ces pierreries dont les feux étincelants au dehors ap-pellent les regards sur celles qui les portent. Jamais elle n’eût souffert qu’un pinceau imposteur, rival insolent de ]a Divinité, dégradant ses traits naturels par des agréments payés à si vil prix, et ajoutant, pour ainsi dire, à son visage un visage étranger, dérobât sous un masque hypocrite l’œuvre du Créa-tour pour substituer des couleurs mensongères faites seulement pour les impudiques regards et les vains triomphes des courtisanes, et corrompre, par ces méprisables artifices, ]’empreinte originelle quelle réservoit à l’œil de Dieu et au siècle à venir. Elle étoit uniquement jalouse d’orner son âme des vertus qui font la vraie beauté (1). Ses joues ne connoissoient d’autre ronge que celui de la pudeur, d’autre blanc que celui qui vient de l’abstinence ; elle aban-donnoit tout le reste à celles qui ne savent plus rou-gir que de rdugir encore.....

(1) Littéralement : « Elle ne faisait point usage de ees riches parures , * où brille l’or artistcnlent travaillé pour donner du lustre à la beauté, ni » de ces tresses blondes , qui se montrent aux yeux, ou se laissent aperee-» voir à travers une gaze légère, ni de ees boucles qui descendent en spi-» raies, ni de eet appareil scénique, élevé sur une tète dont il dégrade la » noblesse ; ni de la richesse d’une robe diaphane et flottante à long plis, » ni de l’éclat et de la beauté de ees pierres précieuses , dont les jeux lumi-» neux sillonnent la elarté du jour, et colorent tous les objets environ-» nants; ni de eefard mensonger cl de ce coloris trompeur, dont on peint » le visage , ni de cettp beauté qu’on achète si facilement, et à si bas prix, » travaillée par un peintre terrestre, qui, dénaturant l’ouvrage du souve-» rain Créateur , eaehe, sous des couleurs artificieuses , la figure que Dieu »lui-mèmea formée, la dégrade honteusement en voulant l’ennoblir, et » transforme l’image de la Divinité eu une idole impure , prostituée à tous » les regards lascifs, en s’appliquant à dérober , sous le masque d’une ״ beauté artificielle, la figure naturelle, qui doit retourner à son divin Sauveur, et au siècle futur. ־· ( Esprit de S. Basile, etc. , pag. 109, 110.   .Paris. 182/;. )

Puisl’éloge de la pénétration de son esprit.

Ses avis, que l’on consultait non-seulement an sein de sa famille, mais au dehors, étoient regardés comme autant d’oracles.

De là, saint Grégoire passe à l’éloge de sa réserve dans son langage, de son zèle et de sa libéralité envers les églises , de sa profonde vénération pour les ministres des autels, de l’accès qu’avoient auprès d’elle tous les gens de bien , de sa charité à l’égard des indigents et de tous ceux qui étoient dans l'affliction.

L’aspect des malheureux n’altc'roit point sa tran-quillité, mais aussi ne fermoit point son cœur à la commisération.... Qui montra jamais une âme plus indifférente à scs propres souffrances, plus vive-ment touchée de celles des autres? qui jamais tendit aux indigents une main plus libérale? La porte de sa maison, comme celle du saint patriarche Job, fut toujours ouverte a ceux, qui 'venaient y frapper; et nul étranger, rebuté par elle, ne fut contraint d’aller chercher ailleurs un asile. Comme lui, elle étoit l’œil des aveugles, le pied des boiteux, lanière des orphelins. A l’égard de sa compassion pour les veuves , quel plus grand témoignage dois - je en apporter que celui de Dieu meme, qui l’en a récoin-pensée en ne permettant pas qu’elle le devînt? S’é-tant appauvrie pour enrichir les pauvres de Jésus-Christ, elle n’a laissé à la terre que son corps, donnant tout en échange pour les célestes espé-rances, et n’assurant à ses enfants d’autre bien que l’exemple de ses vertus, et la noble émulation de ressembler à leur mère.

11 décrit ses austérités, dont il anime le rccit par ces exclamations vives :

0 chair flétrie par la pénitence, ott l’âme sans presque aucun secours d’aliments corporels, et comme déjà dégagée de la matière, sembloit seule retenir la vie; ou plutôt, par un exercice journalier de ]a mort, prévenir la nécessité de ïa mort pour arriver à la liberté, et n’avoir pas à dé-pendre des sens!... O saints cantiques de David qui jamais ne sembliez longs à sa piété! O membres dé-licatsqui aimiez à vous courber sur une terre froide, et à supporter des souffrances au-dessus de la na-ture!... O sources de larmes, qui couliez dans l’an-goisse pour produire des moissons de saintes joies ! Cris échappés de son cœur durant le silence des nuits, qui perciez la nue, et pénétriez jusqu’à Dieu ! Soupirs brûlants, échappés dans les ardeurs de l’o-raison, qui braviez et l’inclémence des saisons et l’épaisseur des ténèbres! etc., etc. (1).

(1) Bossuet a imité tout ce morceau dans son Oraison funèbre du P. Bourgoing , pag. 155 de la 2e part, des Oraisons funèbres', édit, de Renouard. Paris, in-12.

Tant de piété n’est pas restée sans récompense, même dans la vie présente.

Cette transition amène saint Grégoire au récit des mi-racles par lesquels le Seigneur s’est plu à glorifier la sainte avant sa mort ; miracles ( dit - il ) dont plusieurs sont de notoriété publique : pour les autres restés ensevelis sous les voiles d’une saae discrétion, il atteste la connoissance particulière qu’en avoit eue leur père saint Grégoire de Nazianze, présent au discours.

Un songe extatique lui avoit revoie le jour precis de sa mort.

Peu auparavant elle avait reçu le baptême. Sa vie tout entière avoit été une longue préparation à la régénération céleste que le Saint-Esprit allait lui imprimer; en sorte, je le dirai avec confiance , que l’auguste sacrement fut pour elle plutôt le sceau de sa prédestination qu’une grâce. Le baptême de son époux manquait encore à !’accomplissement de ses vœux et de son bonheur. Vous attendez de moi son éloge : un mot, un seul mot me suffira : c’étoit l’é-poux de Gorgonie. Celte faveur lui fut accordée... Il ne lui restait plus rien à désirer sur la terre. Elle savait que l’heure fatale n’étoit pas loin. S’étant mise au lit, comme dans son tombeau, après avoir donné à son époux, à ses enfants et à ses amis les instruc-lions analogues a scs devoirs et à scs tendres senti-ments d’épouse, âc mère, de sœur, après les avoir entretenus magnifiquement de la vie future où elle entroit, faisant de son dernier jour, un jour de fête et de triomphe ; elle s’endormit, pleine, non pas de ces jours que nous mesurons à la manière des hom-mes et qu’elle n’avoit pas désirés, jours mauvais et si souvent troublés par l’alliage de ce limon impur que nous apportons sur cette terre de mensonge, mais de jours consommés dans la loi de Dieu ; et dans une durée si courte en apparence, surpassant de beaucoup la vie prolongée jusqu’à la plus extrême vieillesse. Ainsi mourut Gorgonie: disons mieux: ce fut ainsi quelle s’échappa du monde, qu’elle prit son essor vers le ciel, qu’elle fit l’échange de cette vie pour une meilleure, que son âme quitta son corps, même avant la dernière séparation.

Cette particularité alloit échapper de ma me-moire ; mais vous ne l’auriez pas souffert, vous, son père spirituel, vous, témoin du prodige, et qui nous l’avez appris, tant pour sa gloire que pour enflammer en nous le désir de mourir comme elle... Gorgonie touchoit au dernier moment. Autour d’elle, étoient rangés en grand nombre, ses parents, ses domesti-ques, des étrangers mêmes, venus payer à la piété chrétienne le tribut accoutumé, sa mère, d’un âge si avancé, dans les déchirements d’une séparation quelle eût voulu partager. Toutes les âmes étoient en proie à la plus vive douleur, avides d’en tendre sor-tir de scs lèvres quelque parole, qui pût être par la suite un gage de souvenir. On eût désiré même lui adresser quelques mots, on étoit retenu par la crainte. Partout des larmes muettes , le pressentiment d’une affliction inconsolable, le secret reproche de plain-dre une si belle fin, un silence profond ; cette mort, dans son auguste appareil, avoit l’air d’une cérémo-nie sacrée. Elle, cependant, à juger par ce que l’on voyoit, ne respiroit point ; plus de mouvement, plus de voix ; cette apparente immobilité laissoit croire qu’elle n’étoit plus. Quand tout à coup le saint pas-leur qui l’assistoit, attentif à tout ce qui se passoit sous ses yeux, s’aperçut d’un léger mouvement sur ses lèvres ; il approche son oreille avec la sainte con-fiance que lui donnoit et son caractère et l’état de son cœur. Mais que ne prenez-vous vous-meme la parole pour nous expliquer ce mystérieux silence? Personne au monde ne suspectera votre récit. C’étoit, messieurs, une psalmodie qu’exprimoit sa bouche mourante, une psalmodie du genre de celles dont nous accompagnons le départ de la vie, et bien vé-ritablemcnt le témoignage de l’entière liberté avec laquelle elle s’en alloit. Heureux ! heureux, celui à qui il sera donné d’expirer au milieu de semblables paroles ! Qu’étoient-cllcs donc? les voici : In pace, in idipsum dormiam , et requiescam ; c’est pour cela que je dormirai dans la paix et que je me reposerai. Tel fut le cantique que vous fîtes entendre, ô hé-roïne incomparable ! et ce cantique étoit votre propre histoire ; c’étoit-là !’épitaphe que vous-méme impri-niiez sur la pierre du sépulcre... Votre mort ne fut que le sommeil où dorment les amis de Dieu. Ah! sans doute, les biens dont vous jouissez maintenant ne peuvent entrer en comparaison avec ce qui se découvre à nos sens; vous participez aux saints can-tiques qui célèbrent les immortelles béatitudes ; votre voix se mêle aux chœurs des an ״es, à la céleste hiérarchie, vous en contemplez la gloire, vous plongez dans les mystères ineffables de cette Tri-nité adorable qui se communique à vous loutcntière, non plus comme au temps où l’âme appesantie encore par les liens de la prison mortelle, n’en pouvait soutenir les rayons, mais sans nuage, mais pour vous pénétrer et vous inonder de ses inépuisables clartés. Fasse le ciel que vous soyez en possession de cette béatitude, dont votre foi et l’élévation de vos peu-sées vous avoient mérité déjà que les divines émana-tions en parvinssent jusqu’à vous, dès votre séjour sur la terre! Que si vous êtes touchée de ces hom-mages rendus à votre mémoire, et si le Seigneur permet qu’au sein de leur félicité les âmes saintes ne soient pas insensibles à ce foible prix de leurs vertus; agréez ce discours que tant d’autres eussent mieux fait que moi, et auquel je bornerai les bon-neurs funèbres que je vous dois. Avant de vous les rendre, déjà ma bouche avoit rempli le même de-voir envers notre frète Césaire. Ainsi donc, j’étois destiné à ne payer la dette de la tendresse fraternelle que par un éloge mortuaire! Obtiendrai-je après vous un semblable honneur? Je l’ignore. Puissé־jc du moins me rendre digne des seules récompenses qui soient conformes à la volonté de Dieu, tant pour le séjour de mon pèlerinage sur la terre, que pour la demeure immuable de l’éternité dans notre Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire, avec le Père et le Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Amen.