Chapitre Quatorze
Nous prendrons comme point de départ, pour notre dernier chapitre, un épisode des Évangiles qui se place à l'ombre même de la Croix - un épisode qui, dans ses détails, est à la fois historique et prophétique.
"Jésus se trouvait à Béthanie, dans la maison de Simon, le lépreux. Pendant qu'il était à table, une femme entra, portant un vase d'albâtre, plein d'une huile de nard pur d'un grand prix. Ayant brisé le vase, elle répandit le parfum sur la tête de Jésus ... Jésus dit... En vérité, je vous le dis, partout où cet Evangile sera prêché, dans le monde entier, ce qu'elle a fait sera aussi raconté en mémoire d'elle." (Marc 14.3, 6 et 9)
Le Seigneur a donc voulu que cette histoire de Marie, L'oignant d'un parfum de grand prix, accompagne toujours l'Evangile; ce que Marie a fait devait toujours être associé à ce que le Seigneur a fait. C'est ce qu'Il a dit Lui-même. Qu'a-t-Il voulu nous apprendre par là?
Sans doute connaissons-nous tous très bien le récit de l'acte de Marie. D'après les détails qui nous sont donnés au chapitre 12 de l'Évangile de Jean, où l'incident suit de très près le retour de son frère à la vie, nous pouvons comprendre que la famille n'était pas très riche. Les sœurs devaient elles-mêmes faire le travail de la maison; et il nous est dit qu'à cette fête, « Marthe servait» aussi (Jean 12.2).
Nous pouvons penser que chaque pièce d'argent avait une valeur pour elles. Et, cependant, l'une des sœurs, Marie, qui possédait parmi ses trésors un vase d'albâtre contenant un parfum d'une valeur de trois cents deniers, l'offrit tout entier au Seigneur. Pour la raison humaine, c'était réellement trop; c'était donner au Seigneur plus que ce qui Lui était dû. C'est pourquoi Judas, approuvé par les autres disciples, prit l'initiative et exprima la désapprobation de tous, en jugeant l'acte de Marie comme un gaspillage.
Quelques-uns s'en indignaient entre eux et disaient : Pourquoi perdre ainsi ce parfum? Car on pouvait le vendre plus de trois cents deniers et les donner aux pauvres. Ainsi ils murmuraient contre elle. (Marc 14.4- 5)
Ces paroles nous amènent à ce que je crois être la pensée du Seigneur pour conclure nos méditations, c'est-à-dire à voir ce que signifie ce mot « gaspillage ».
Qu'entend-on par gaspillage ? Gaspiller signifie, entre autres choses, donner au-delà de ce qui est nécessaire. Si un franc suffit pour payer un objet, et que vous en donnez cent, c'est du gaspillage. Si cinquante grammes sont suffisants, et que vous donnez un kilogramme, c'est du gaspillage. Si trois jours sont suffisants pour accomplir un travail, et que vous y passez toute une semaine, c'est du gaspillage. Gaspiller, c'est donner plus que ce que vaut la chose. Si quelqu'un reçoit davantage que ce qu'il est jugé digne de recevoir, c'est du gaspillage.
Mais souvenons-nous que le Seigneur a voulu que le récit qui nous occupe, l'acte de Marie, accompagne l'Évangile partout où Il serait prêché. Pourquoi ? Parce qu'Il veut que la prédication de l'Évangile produise quelque chose de semblable à l'action de Marie, c'est-à-dire des hommes et des femmes qui viennent à Lu, pour se donner à Lui sans compter, pour « se gaspiller pour Lui », C'est le fruit qu'Il recherche.
Il nous faut considérer cette question de « gaspillage pour le Seigneur» sous deux angles, celui de Judas, et celui des autres disciples; et dans ce but, nous comparerons les récits parallèles de Jean et Matthieu.
Judas l'Iscariote, l'un de ses disciples, celui qui devait le trahir, dit:
Pourquoi n'a-t-on pas vendu ce parfum trois cents deniers, pour les donner aux pauvres ? Il disait cela, non qu'il se souciât des pauvres, mais parce qu'il était voleur et que, tenant la bourse, il prenait ce qu'on y mettait. (jean 12.4-6)
Les disciples, voyant cela, furent indignés et dirent: A quoi bon cette perte? On pouvait vendre ce parfum très cher et en donner le prix aux pauvres. (Matthieu 26.8-9)
Tous les douze disciples jugeaient l'acte de Marie comme du gaspillage. Pour Judas évidemment, qui n'avait jamais appelé Jésus «Seigneur », tout ce qui lui était offert était du gaspillage. Non seulement le parfum était du gaspillage, mais de l'eau l'aurait été aussi. Judas représente ici le monde. Aux yeux du monde, le service du Seigneur, et le don de nous-mêmes au Seigneur, pour son service, sont un pur gaspillage. Il n'a jamais été aimé. Il n'a jamais eu de place dans le cœur de ce monde ; tout ce qui Lui est donné est donc considéré comme du gaspillage. On dira, en parlant de chrétiens : « Cet homme aurait pu avoir une belle position dans ce monde, s'il n'était pas chrétien! » Parce qu'un homme a des talents ou certains avantages naturels, aux yeux du monde, on considérera qu'il est regrettable qu'il serve le Seigneur, que de tels hommes ont réellement une trop grande valeur pour Lui. « Quel gaspillage d'une vie utile! » dira-t-on.
Permettez-moi de vous rappeler une expérience personnelle. En 1929, je rentrai de Shanghaï à Foochow, ma ville natale. Un jour où je .marchais dans la rue, appuyé sur une canne à cause d'une grande faiblesse et de ma santé ébranlée, je rencontrai l'un de mes anciens professeurs d'université. Il m'invita dans un salon de thé, et nous nous assîmes ensemble. Il me regarda de la tête aux pieds et des pieds à la tête, et me dit enfin: « Oui, le savez-vous ... durant vos années de collège, nous avions beaucoup d'estime pour vous, et nous avions l'espoir que vous accompliriez de grandes choses. Allez-vous me dire que vous êtes arrivé à cela ? » Il me posa cette question cinglante en me fixant de ses yeux pénétrants. Je dois confesser que, en l'entendant, mon premier désir fut de m'effondrer et de pleurer. Ma carrière, ma santé, j'avais tout perdu, et mon vieux professeur, qui m'avait enseigné le droit au collège, était là, devant moi et me demandait: « En êtes-vous encore à ce même point, sans aucun succès, sans rien à faire valoir? »
Mais l'instant d'après - et je dois dire que ce fut la première fois de ma vie - je connus réellement ce que signifie avoir « l'Esprit de gloire »reposant sur moi. La pensée d'avoir pu donner ma vie à mon Seigneur inonda mon âme de gloire. En vérité, l'Esprit de gloire était sur moi à ce moment-là. Je pus relever les yeux et, sans aucune réserve, je répondis: « Seigneur, je Te loue! C'est la meilleure chose que j'aie pu faire ; c'est le bon chemin que j'ai choisi! » Aux yeux de mon professeur, c'était une perte totale que de servir le Seigneur : mais c'est bien le but de l'évangile: nous amener à une véritable appréciation de sa valeur, à reconnaître ce dont Il est digne.
Judas jugeait donc que c'était du gaspillage. « Nous aurions pu faire de cet argent un meilleur usage, et l'employer d'une autre manière. Il y a beaucoup de pauvres gens. Pourquoi ne pas le donner plutôt pour une œuvre de charité, le consacrer à une œuvre sociale pour aider les malheureux d'une manière pratique. Pourquoi le répandre aux pieds de Jésus? » (Voyez Jean 12.4-6.) Le monde rai- sonne toujours ainsi: « Ne peux-tu pas trouver un meilleur emploi pour ta vie? Ne peux-tu pas faire quelque chose de meilleur pour toi-même? Tu vas un peu trop loin en te donnant ainsi entièrement au Seigneur. »
Mais si le Seigneur en est digne, comment pourrais-je parler de gaspillage? Il est digne d'être ainsi servi. Que je sois son prison- nier, Il en est digne. Il est digne que je vive uniquement pour Lui. Il est digne; peu importe ce que le monde en pense. Le Seigneur dit: « Laissez-la». Ainsi, ne nous inquiétons pas. Que les hommes disent ce qu'ils veulent, nous pouvons nous appuyer sur ces paroles du Seigneur: « Elle a fait une bonne action» ; «Toute œuvre véritable n'est pas faite pour les pauvres; toute bonne œuvre est faite pour Moi. » Lorsque nos yeux ont été ouverts sur la valeur suprême de notre Seigneur, rien n'est trop bon pour Lui.
Mais nous ne voulons pas nous attarder trop sur Judas. Cherchons à comprendre l'attitude des autres disciples, parce que leur réaction nous touche davantage que celle de Judas. Nous ne nous inquiétons pas grandement de ce que dit le monde; nous pouvons le supporter, mais nous attachons une grande importance à ce que disent les autres chrétiens qui, eux, devraient nous comprendre, Et nous trouvons cependant que les autres disciples exprimèrent la même pensée que Judas; et ils ne se bornèrent pas à la dire, ils éprouvèrent une grande contrariété, une vive indignation.
Les disciples, voyant cela, furent indignés, et dirent: A quoi bon cette perte? On pouvait vendre ce parfum très cher et en donner le prix aux pauvres. (Matthieu 26.8-9)
Nous savons qu'il y a une attitude d'esprit trop courante chez certains chrétiens, qui disent: «Tâchons d'obtenir le maximum de résultat avec le minimum de moyens. » Ce n'est cependant pas ce dont il est question ici ; c'est quelque chose de plus profond. Un exemple nous aidera mieux à le comprendre. Ne vous a-t-on jamais dit que vous gâchiez votre vie à demeurer là sans faire rien de très précis? L'on dira: « Ces personnes devraient s'engager dans tel ou tel travail. Elles pourraient rendre de précieux services à tel ou tel .groupe de chrétiens. Pourquoi ne sont-elles pas plus actives? » et en parlant ainsi, l'on n'a en vue que l'utilité. Tout devrait être employé à plein rendement, selon leur propre conception.
Certains chrétiens se sont inquiétés au sujet de chers serviteurs de Dieu, parce que, apparemment, ils ne sont pas assez actifs. Selon leur idée, ils pourraient être beaucoup plus utiles, s'ils pouvaient s'assurer une entrée dans certains milieux et y avoir une place plus importante et plus influente. Ils seraient ainsi bien plus utiles.
J'ai parlé déjà d'une sœur que j'ai connue durant plusieurs années, et qui, je pense, est l'une des personnes qui m'a apporté l'aide la plus grande. Elle a été un véritable instrument entre les mains du Seigneur durant tout le temps où j'ai été en contact avec elle. Le seul souci de mon cœur était celui-ci: « Elle n'est pas utile! » Je me répétais constamment « Pourquoi ne veut-elle pas organiser des réunions, faire quelque chose? Elle perd son temps à vivre dans ce petit village où rien ne se fait! » Parfois, quand j'allais la voir, j'étais tenté de lui faire des reproches j je m'écriais: « Per- sonne ne connaît le Seigneur comme vous. Vous vivez réellement la Parole. Ne voyez-vous pas les besoins autour de nous? Pourquoi ne faites-vous rien? C'est une perte de temps, une perte d'énergie, une perte d'argent, que de rester là à ne rien faire! »
Non, mes frères, ce n'est pas la chose primordiale pour le Seigneur. Il désire certainement que, vous et moi, nous soyons utiles. Que Dieu me garde de prêcher l'inactivité ou de paraître justifier une attitude d'indifférence à l'égard des besoins du monde. Comme Jésus Lui-même le dit: « L'évangile sera prêché dans le monde entier »; Mais nous cherchons ici à comprendre ce qui est essentiel. Tandis que je regarde aujourd'hui en arrière, je réalise combien le Seigneur se servait de cette chère sœur pour parler à un grand nombre d'entre nous, jeunes gens, alors que nous nous préparions, à son école, pour cette œuvre même d'évangélisation. Je ne puis assez remercier le Seigneur pour elle.
Quel est donc le secret? C'est que nous Lui donnions, à Lui, tout ce que nous possédons, tout ce que nous sommes; et si c'était là tout ce qu'Il nous demandait, cela lui suffirait. Le Seigneur Jésus établit clairement ce principe fondamental de tout service lorsqu'Il approuva l'action de Marie à Béthanie. La première question qui se pose n'est pas de savoir si « les pauvres» ont été secourus ou non. La question primordiale est: Le Seigneur a-t-Il été satisfait?
Nous pouvons organiser un grand nombre de réunions, participer à de nombreuses conventions, aider de tout notre pouvoir lors des réunions d'évangélisation. Ce n'est pas que nous en soyons incapables. Nous pourrions travailler et nous dépenser au maximum ; mais le Seigneur ne se préoccupe pas de nos activités incessantes dans son œuvre. Ce n'est pas là son premier désir. Le service du Seigneur ne se mesure pas par des résultats tangibles.
Non, mes amis, ce qui préoccupe le Seigneur avant tout, c'est que nous ayons notre place à ses pieds, et que nous répandions notre parfum sur sa tête. Le « vase d'albâtre» que nous possédons, ce que nous avons de plus précieux, ce qui nous est le plus cher au monde, oui, permettez-moi de le dire, c'est le flot d'une vie qui a été produite en nous par la croix elle-même; nous donnons tout cela au Seigneur. Pour plusieurs, même parmi ceux qui devraient le comprendre, cela semble être du gaspillage; mais c'est ce que le Seigneur cherche avant tout. Très souvent, le don que nous Lui faisons de nous-mêmes se manifestera par un service infatigable, mais Il se réserve le droit de suspendre ce service pour un temps, afin de nous faire réaliser si c'est au service que nous sommes attachés, ou à Lui-même.
Partout où cet Évangile sera prêché ... ce qu'elle a fait sera aussi raconté. (Marc 14.9)
Pourquoi le Seigneur a-t-Il dit cela? Parce que c'est ce que doit produire l'évangile. C'est là le but de l'évangile. L'évangile n'existe pas simplement pour la satisfaction des besoins des pécheurs. Que le Seigneur soit loué, les pécheurs seront satisfaits! Mais leur satis- faction sera, pourrions-nous dire, un sous-produit béni de l'évangile, et non pas son premier but. Le premier but de la prédication de l'évangile, c'est que le Seigneur soit satisfait.
Je crains que nous mettions trop l'accent sur le bien des pécheurs, et que nous n'ayons pas suffisamment apprécié le but que le Seigneur a en vue. Nous avons à cœur ce que serait le sort du pécheur s'il n'y avait pas d'Evangile, et pourtant ce n'est pas la considération essentielle. Oui, que Dieu soit loué! Le pécheur a sa bonne part. Dieu répond à son besoin et le comble de bénédictions ; mais ce n'est pas la chose la plus importante.
En tout premier lieu, tout doit être fait pour la satisfaction du Fils de Dieu. Ce ne sera que dans la mesure où Il est satisfait que nous aussi, nous serons satisfaits, et que le pécheur sera satisfait. Je n'ai jamais rencontré une seule personne qui, ayant résolu de satisfaire le Seigneur, n'aurait pas trouvé elle-même sa propre satisfaction. C'est impossible. Notre satisfaction est inévitablement liée à celle que nous donnons au Seigneur.
Mais il faut nous souvenir de ceci, c'est qu'Il ne sera jamais satisfait, à moins que nous ne nous donnions entièrement à Lui, que nous ne nous « perdions» pour Lui. Avez-vous jamais donné trop au Seigneur ? Puis-je vous faire une confidence ? Une des leçons que quelques-uns d'entre nous avons apprises, c'est que, dans le service de Dieu, le principe du « gaspillage» est le principe de la puissance. Le principe qui détermine la véritable utilité, c'est le principe de la dépense superflue. La réelle utilité, entre les mains de Dieu, se mesure en termes de «perte »; Plus nous croyons pouvoir faire, plus nous employons nos talents jusqu'à la dernière limite (et certains dépassent même la limite !) pour le faire, plus nous nous rendrons
rendrons compte que nous appliquons le principe du monde, et non celui du Seigneur. Les voies de Dieu à notre égard concourent à établir en nous cet autre principe, à savoir que notre service pour Lui découle de notre service envers Lui. Cela ne signifie pas que nous ne ferons rien; mais la toute première chose pour nous doit être le Seigneur Lui-même, et non son œuvre.
Il nous faut en arriver aux expériences pratiques. Vous direz peut-être: «J'ai laissé une certaine position; j'ai abandonné un service; j'ai renoncé à certains avantages qui m'annonçaient un avenir brillant, pour suivre le Seigneur dans ce chemin. J'essaie maintenant de Le servir. Il semble que parfois le Seigneur m'entend, et que parfois Il me fait attendre une réponse précise. Parfois Il se sert de moi, mais parfois Il paraît m'ignorer. Alors, dans ces moments-là, je me compare à cet autre frère qui s'est engagé dans une grande organisation. Il avait, lui aussi, un avenir brillant en perspective, mais il n'y a pas renoncé. Il continue, et il sert le Seigneur. Il voit des âmes sauvées et le Seigneur bénit son ministère. Il a du succès - non pas matériel mais spirituel - et je pense souvent qu'il a, plus que moi, le visage d'un chrétien; il a l'air si heureux, si satisfait.
Après tout, qu'ai-je gagné ? Il ne connaît aucune difficulté ; moi, je n'ai que cela. Il n'a jamais suivi ce chemin, et cependant, il a beaucoup de choses que les chrétiens considèrent aujourd'hui comme une richesse spirituelle, tandis que je suis assailli par toutes sortes de complications. Que signifie tout cela? Est-ce que je gaspille ma vie ? Aurais-je vraiment donné trop? »
Voilà donc notre problème. Vous pensez que si vous aviez suivi le même chemin que cet autre frère, que si, dirons-nous, vous vous étiez consacré assez pour être béni, mais pas assez pour supporter les difficultés, assez pour que le Seigneur se serve de vous, mais pas assez pour qu'Il puisse vous immobiliser, tout irait parfaitement bien. En êtes-vous sûr? Vous savez bien qu'il n'en serait rien.
Détournez vos yeux de cet autre homme. Regardez à votre Seigneur, et demandez-vous encore ce qui a le plus de valeur pour Lui. Il nous demande que le principe du « gaspillage »soit le principe qui nous gouverne: « Elle a fait cela pour moi. » Le cœur du Fils de Dieu se remplit d'une réelle satisfaction lorsque nous nous donnons à Lui, lorsque, comme le dit le monde, nous nous « perdons» pour Lui.
Il semble que nous donnons trop, sans rien recevoir - Or, c'est là le secret de plaire à Dieu.
Mes chers amis, que cherchons-nous? Est-ce « l'emploi utile» comme les disciples ? Ils voulaient que chaque petite pièce de ces trois cents deniers ait une pleine utilité. Ils étaient aveuglés par l'idée d'une « utilité» visible pour Dieu, qui pût être démontrée par des chiffres et des rapports. Le Seigneur désire nous entendre dire: « Seigneur, je ne m'inquiète pas de ces choses. Si je puis seulement T'être agréable, cela me suffit. »
Mais jésus dit: Laissez-la; pourquoi lui faites-vous de la peine? Elle a fait une bonne action à mon égard. Car vous avez toujours les pauvres avec vous et, quand vous le voulez, vous pouvez leur faire du bien; mais moi. vous ne m'avez pas toujours; elle a fait ce qui était en son pouvoir; elle a d'avance oint mon corps pour ma sépulture. (Marc 14.6-8)
Dans ce passage, le Seigneur Jésus soulève, par ce terme « d'avance », une question de temps; et cet élément peut avoir une nouvelle application aujourd'hui, car il est aussi important pour nous qu'il l'était alors pour Marie. Nous savons tous que, dans les âges à venir, nous serons appelés à une œuvre beaucoup plus grande et non à l'inaction. « Cela va bien, bon et fidèle serviteur; tu as été fidèle en peu de chose, je t'établirai sur beaucoup; viens prendre part à la joie de ton Seigneur. » (Matthieu 25.21)
Comparons avec Matthieu 24, 47 : « En vérité, je vous le déclare, il l'établira sur tous ses biens ». Et avec Luc 19.17 : « Cela va bien, bon serviteur; puisque tu as été fidèle en très peu de chose, tu auras le gouvernement de dix villes. »
Oui, il y aura une œuvre plus grande, car l'œuvre de la Maison de Dieu se poursuivra, tout comme, dans le récit, le soin des pauvres devait se poursuivre. Les pauvres seraient toujours avec les disciples, mais ils n'auraient pas toujours le Seigneur. Cette onction de Jésus avec le parfum de nard précieux devait être faite à l'avance, car une telle occasion ne se retrouverait plus. Je crois qu'en ce grand Jour, nous aimerons tous le Seigneur comme nous ne L'avons jamais aimé ici-bas. Et cependant, la plus grande bénédiction sera pour ceux qui auront donné à l'avance au Seigneur tout ce qu'ils avaient, c'est-à-dire dès aujourd'hui. Lorsque nous Le verrons face à face, je crois que, tous, nous briserons nos « vases d'albâtre » pour répandre leur contenu à ses pieds. Mais aujourd'hui, que faisons-nous aujourd'hui?
Quelques jours après que Marie eut brisé le vase d'albâtre et répandu son parfum sur la tête de Jésus, des femmes sortirent de grand matin pour oindre le corps du Seigneur. Le firent-elles ? Ont-elles pu accomplir leur dessein, en ce premier jour de la semaine? Non, il n'yen eut qu'une seule qui put oindre le Seigneur:
Marie, qui L'avait oint à l'avance. Les autres femmes ne purent le faire, car Il était ressuscité. Je crois que, de la même manière, cette question de temps peut être importante pour nous aussi ; et pour nous, la question se pose : Qu'est-ce que je donne au Seigneur aujourd'hui ?
Nos yeux ont-ils été ouverts sur la valeur de Celui que nous servons ? Sommes-nous arrivés à voir que rien d'autre que ce qui nous est le plus cher, le plus précieux, ce qui nous coûte le plus n'est digne de Lui? Sommes-nous arrivés à comprendre que l'œuvre faite pour les pauvres, l'œuvre pour le bienfait du monde, l'œuvre pour les âmes des hommes - qui toutes sont nécessaires et si importantes - n'ont de valeur réelle que si elles sont à leur place ? En elles-mêmes, elles ne sont rien, comparées à ce qui est fait au Seigneur, et pour le Seigneur.
Il faut que le Seigneur ouvre nos yeux sur sa valeur à Lui, sur ce dont Il est digne. S'il y a dans le monde quelque précieux trésor d'art, et que je paie le prix élevé qui en est exigé, que ce soit mille, dix mille ou même un million d'euros, quelqu'un oserait-il dire que c'est du gaspillage ? L'idée de gaspillage ne pénètre dans notre christianisme que lorsque nous sous-estimons la valeur de notre Seigneur. Tout se ramène à cette question: Quelle valeur le Seigneur a-t-Il pour nous, maintenant? S'Il n'en a que peu, il est évident que tout ce que nous Lui donnerons -les toutes petites choses elles-mêmes - nous paraîtra un gaspillage insensé. Mais lorsqu'Il est réellement précieux à nos âmes, rien ne sera trop cher, rien ne sera trop précieux pour Lui; tout ce que nous possédons, notre plus cher trésor, notre trésor sans prix, nous le déposons à ses pieds, et nous ne serons jamais confus de l'avoir fait.
Le Seigneur a dit de Marie : « Elle a fait ce qui était en son pouvoir ». Est-ce que cela signifie qu'elle a tout donné? Elle n'a fait aucune réserve pour l'avenir. Elle a répandu sur Lui tout ce qu'elle avait j et cependant, au matin de la résurrection, elle n'eut aucune raison de regretter son extravagance. Et le Seigneur ne sera pas satisfait à notre sujet, à moins que, nous aussi, nous ayons fait « ce qui était en notre pouvoir. »
Souvenons-nous en, nous n'entendons pas par là la dépense de nos efforts et de notre énergie, afin d'essayer de faire quelque chose pour Lui; ce n'est pas de cela que nous parlons. Ce que le Seigneur Jésus attend de nous, c'est une vie déposée à ses pieds - et cela en vue de sa mort, de son ensevelissement, et d'un jour à venir. Sa sépulture était déjà en vue, ce jour-là, dans la maison de Béthanie. Aujourd'hui, c'est son couronnement qui est en vue; le Jour où il sera acclamé dans la gloire comme l'Oint, le Christ de Dieu. Oui, en ce jour-là, nous répandrons notre tout sur Lui! Mais c'est une chose précieuse pour Lui que nous L'oignions maintenant, non pas avec un parfum matériel, mais avec quelque chose de grand prix, quelque chose qui vienne de notre cœur.
Ce qui est simplement extérieur et superficiel n'a pas de place ici. Cela a été mis de côté à la croix ; nous avons accepté le jugement de Dieu sur tout cela, et déjà nous avons appris à connaître dans notre expérience l'œuvre d'émondage qui se fait en nous. Dieu nous demande maintenant ce que représente ce vase d'albâtre, ce trésor caché dans les profondeurs, ce trésor façonné, ciselé et sculpté, ce trésor que nous chérissons parce que venant du Seigneur, comme Marie chérissait son vase, et que nous ne voudrions pas, nous n'oserions pas briser. Il vient de notre cœur, du plus pro- fond de notre être; et nous l'apportons maintenant au Seigneur, et nous le brisons pour le répandre à ses pieds, en disant: « Seigneur, le voici. Tout est à Toi, parce que Tu en es digne! » Et le Seigneur reçoit ce qu'Il désirait. Puisse-t- Il recevoir une telle onction de nous, aujourd'hui.
Et la maison fut remplie de l'odeur de ce parfum. (jean 12.3)
Au moment où le vase fut brisé et où le parfum fut répandu sut le Seigneur Jésus, la maison fut remplie de l'odeur si douce de ce nard précieux, Chacun pouvait le sentir, et personne ne pouvait ne pas s'en apercevoir. Quelle leçon faut-il en tirer?
Lorsque nous rencontrons un chrétien qui a réellement souffert -quelqu'un qui a traversé, avec le Seigneur, des expériences signifiant pour lui limitation, et qui, au lieu de s'en affranchir afin d'être « utile », s'est laissé retenir et lier par Lui, et a appris à trouver ainsi toute sa satisfaction dans le Seigneur seul, et nulle part ailleurs - nous serons alors aussitôt conscients d'une présence particulière. Nos sens spirituels percevront immédiatement un doux parfum de Christ. Quelque chose dans cette vie a été broyé, quelque chose a été brisé, et nous en sentons la bonne odeur. Le parfum qui s'est répandu dans toute la maison de Béthanie en ce jour-là continue à remplir l'Église aujourd'hui; le parfum de Marie ne passe pas. Il a suffi d'un seul coup pour briser le vase pour le Seigneur, mais ce brisement et le parfum de cette onction demeurent.
Nous parlons ici de ce que nous sommes, et non de ce que nous faisons ou de ce que nous prêchons. Peut-être avons-nous demandé depuis longtemps au Seigneur de bien vouloir se servir de nous, de telle manière que nous puissions apporter aux autres quelque chose de Lui. Nous ne demandions pas, dans cette prière, le don de la prédication ou de l'enseignement. Nous désirions plutôt pouvoir, dans nos contacts avec les autres, apporter quelque chose de Dieu, de la présence de Dieu, le sens de Dieu.
Mes chers amis, nous ne pouvons pas apporter aux autres le sentiment de la présence de Dieu sans avoir brisé tout, même nos biens les plus précieux, aux pieds du Seigneur Jésus. Mais une fois que nous en sommes arrivés là, Dieu commencera à se servir de nous pour créer une faim en d'autres que nous soyons employés ou non d'une manière visible. L'on sentira Christ en nous. Le plus petit des membres du Corps de Christ Le discernera en nous; il sentira qu'il y a ici un frère ou une sœur qui a marché avec le Seigneur, qui a souffert, qui n'a pas agi par lui-même, indépendamment, mais qui a appris ce que signifie Lui abandonner tout. Une vie de cette sorte crée des impressions et les impressions créent une faim, et la faim pousse les hommes à chercher, jusqu'à ce qu'ils soient amenés, par une révélation divine, dans une plénitude de vie en Christ.
Ce n'est pas d'abord pour prêcher ou travailler pour Lui que Dieu nous a placés ici-bas. La première chose qu'Il attend de nous, c'est que notre présence crée en d'autres une faim de Lui-même. C'est là en somme ce qui prépare le terrain pour la prédication.
Si vous présentez un délicieux gâteau devant deux personnes qui viennent de prendre un bon repas, quelle sera leur réaction? Elles le regarderont, admireront son aspect, s'intéresseront à la recette, discuteront du prix, que sais-je encore, mais ne le mangeront pas l Par contre, si elles ont vraiment faim, il ne faudra guère de temps avant que le gâteau ait disparu. Il en est de même pour les choses de l'Esprit. Si ce sens de besoin n'a pas été créé préalablement dans une vie, aucune œuvre véritable ne pourra y commencer. Mais comment cela peut-il se faire? Nous ne pouvons pas injecter de force un appétit spirituel dans les autres j nous ne pouvons pas contraindre les autres à avoir faim. La faim doit être créée, et elle ne peut être créée chez les autres que par ceux qui portent en eux l'empreinte de Dieu.
J'aime penser aux paroles de cette « femme riche » de Sunem. En parlant du prophète qu'elle avait observé sans le connaître encore, elle dit: « Je sais que cet homme qui revient toujours chez nous est un saint homme de Dieu» (2 Rois 4.9). Ce n'était pas ce qu'avait dit ou fait Elisée qui avait produit cette impression sur elle, mais ce qu'il était. Lorsqu'il passait simplement chez elle, elle avait pu dis- cerner quelque chose; elle avait pu voir. Qu'est-ce que les autres voient en nous ? Nous pouvons leur laisser toutes sortes d'impressions: nous pouvons leur laisser l'impression que nous sommes intelligents, que nous sommes doués, que nous sommes ceci ou cela, ou encore autre chose. Mais non: l'impression que lais- sait Elisée, c'était une impression de Dieu Lui-même.
L'influence que nous pouvons avoir sur les autres dépend d'une seule chose, de l'œuvre qu'accomplit la Croix en nous, pour la satis- faction du cœur de Dieu. Elle demande que je cherche à Le satis- faire, sans m'inquiéter de ce que cela me coûtera. La sœur dont je vous ai parlé se trouva un jour dans une situation très douloureuse pour elle; elle lui coûtait tout ce qu'elle avait de plus cher. Je me trouvais auprès d'elle à ce moment-là; nous nous agenouillâmes pour prier, les larmes aux yeux. Le regard vers En-Haut, elle dit: « Seigneur, je suis prête à briser mon cœur, pour satisfaire Ton cœur l » Parler ainsi de cœur brisé pourrait être, pour beaucoup d'entre nous, un élan de pur sentiment, mais pour elle, dans la situation particulière où elle se trouvait, c'était exactement cela.
Il doit y avoir quelque chose - un consentement au don de nous-mêmes, au brisement, à l'abandon de tout ce que nous avons, pour Lui -qui permette au parfum de Christ de se répandre et de produire, dans d'autres vies, cette conscience de leur besoin qui les pousse à chercher et à connaître le Seigneur. C'est là ce qui me semble être le cœur de tout. L'évangile a pour seul but de créer en nous, pécheurs, une disposition qui satisfera le cœur de notre Dieu. Pour qu'Il puisse obtenir cela, nous venons à Lui avec tout ce que nous avons, tout ce que nous sommes -oui, avec ce que nous chérissons le plus, dans notre expérience spirituelle même - et nous Lui disons: « Seigneur, je suis prêt à abandonner tout cela pour Toi : non pas simplement pour ton œuvre, ni pour tes enfants, ni pour autre chose, mais pour Toi-même! »
Oh ! être ainsi perdu en Lui! C'est une chose bénie que de se « gaspiller » pour le Seigneur. Il y a tant de personnes éminentes dans le monde chrétien qui ne connaissent pas cela. Plusieurs d'entre nous, nous avons servi au maximum - nous avons servi, je dirais, trop - mais nous ne savons pas ce que signifie être perdu en Dieu. Nous aimons être toujours « occupés» ; le Seigneur préférerait quelquefois nous avoir en prison. Nous voyons tout à la lumière des voyages apostoliques i Dieu permet que ses plus grands ambassadeurs soient mis dans les chaînes.
Mais grâces soient rendues à Dieu qui nous fait toujours triompher en Christ, et qui répand en tous lieux, par notre ministère, le parfum de sa connaissance. (2 Corinthiens 2.14)
Et la maison fut remplie de l'odeur de ce parfum. (Jean 12.3)
Que le Seigneur nous fasse la grâce d'apprendre à Lui être agréable. « C'est pourquoi aussi nous faisons tous nos efforts pour lui être agréables, soit que nous demeurions dans ce corps, soit que nous en sortions. » (2 Corinthiens 5,9)
L'évangile aura atteint son but lorsque, comme Paul, nous ferons de cela notre objet suprême.